CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 7 janvier 2015, n° 12-19049
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Etablissements Chatel et Gallay (SA)
Défendeur :
Top Automazioni Srl (Sté), Top Automazioni France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mmes Luc, Nicoletis
Avocats :
Mes de Maria, Herlemont, Fourgoux, Bourgue
Vu le jugement rendu le 18 septembre 2012 par le Tribunal de commerce de Lyon qui, après jonction de deux instances, a :
- dit que la société Etablissements Chatel et Gallay ne peut se prévaloir d'une distribution exclusive,
- dit que le comportement de la société Top automazioni Srl relève d'une rupture brutale de contrat,
- dit qu'en l'absence de clause contractuelle, le préavis est fixé à une durée de six mois,
- condamné la société Top automazioni Srl à payer à la société Etablissements Chatel et Gallay la somme de 44 292,52 euro au titre de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce,
- dit que les dispositions de ce texte n'ont pas vocation à s'appliquer à la société Top automazioni France,
- dit qu'en engageant M. Gatta Michelet, la société Top automazioni France n'a commis aucune faute,
- condamné la société Etablissements Chatel et Gallay à payer à la société Top automazioni Srl la somme de 19 024,43 euro outre intérêts légaux à compter du 31 juillet 2009,
- dit que les intérêts des présentes condamnations se capitaliseront par année entière par application de l'article 1154 du Code civil,
- ordonné la compensation des créances réciproques des parties,
- condamné la société Etablissements Chatel et Gallay à verser à la société Top automazioni France la somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société Top automazioni Srl aux dépens et à payer à la société Etablissements Chatel et Gallay la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu l'appel relevé par la société Etablissements Chatel et Gallay et ses dernières conclusions signifiées le 10 mai 2013 par lesquelles elle demande à la cour, au visa du décret n° 2009-1384 du 11 novembre 2009 et de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce :
- à titre principal :
D'infirmer le jugement sauf en ce qu'il a condamné Top automazioni pour rupture brutale,
Statuant à nouveau : constater la rupture unilatérale des discussions aux fins de constituer une société, l'absence et le refus de formation de son personnel par Top automazioni en Italie, la demande de restitution du matériel en consignation et la modification des conditions financières des relations entre les parties,
- en conséquence :
Constater la rupture de relation d'affaires abusive et fautive de Top automazioni en Italie en l'absence de tout préavis,
Constater que la société Top automazioni France est solidairement responsable,
Débouter les sociétés Top automazioni et Top automazioni France de leurs demandes,
Condamner solidairement les sociétés Top automazioni Italie et Top automazioni France à lui payer la somme de 177 170,08 euro, sous réserve de la créance due à Top automazioni moyennant compensation,
Les condamner solidairement aux dépens et à lui payer la somme de 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 25 octobre 2013 par la société de droit italien Top automazioni Srl et par la société Top automazioni France qui demandent à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
Dit que la société Etablissements Chatel et Gallay ne peut se prévaloir d'une distribution exclusive et que les dispositions de l'article L. 442-6 I 5 ° du Code de commerce n'ont pas vocation à s'appliquer à la société Top automazioni France,
Dit qu'en engageant M. Gatta Michelet la société Top automazioni France n'a commis aucune faute,
Condamné la société Etablissements Chatel et Gallay à payer à la société Top automazioni Srl la somme de 19 024,43 euro outre intérêts légaux à compter du 31 juillet 2009, avec capitalisation par année entière dans les conditions de l'article 1154 du Code civil,
Condamné la société Etablissements Chatel et Gallay à verser à la société Top automazioni France la somme de 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- réformer le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau :
Dire que la rupture des relations est imputable à la société Chatel et Gallay, cette dernière en ayant pris l'initiative, et la débouter de toutes ses demandes,
A titre subsidiaire, constater que la société Chatel et Gallay ne réglait pas ses factures échues et ne respectait ainsi pas ses propres obligations, en conséquence dire que la rupture des relations d'affaires intervenue ne revêt aucun caractère fautif et débouter la société Etablissements Chatel et Gallay,
A titre infiniment subsidiaire, dire que l'indemnité allouée ne saurait excéder la somme de 22 146,26 euro, correspondant à la marge brute de trois mois de préavis,
- en toute hypothèse, condamner la société Etablissements Chatel et Gallay aux entiers dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à leur payer la somme de 20 000 euro chacune par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Sur ce, LA COUR,
Considérant que la société de droit italien Top automazioni Srl - ci-après Top automazioni Italie - fabrique des embarreurs et des accessoires pour l'alimentation des tours industriels ; que la société Etablissements Chatel et Gallay - ci-après Chatel et Gallay - a commercialisé les produits de cette société italienne en France ;
Que le 22 janvier 2010, Top automazioni Italie a assigné Chatel et Gallay en paiement de la somme de 21 664,43 euro restant due sur des factures devant le Tribunal de commerce d'Annecy ; que la société Chatel et Gallay a alors invoqué une brusque rupture des relations d'affaires ayant existé entre les deux sociétés ; que le 9 juillet 2010, elle a assigné Top automazioni Italie et Top automazioni France en dommages-intérêts sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce devant le Tribunal de commerce de Lyon ; que le Tribunal de commerce d'Annecy s'étant dessaisi au profit du Tribunal de commerce de Lyon, ce dernier a joint les procédures a statué par le jugement déféré ;
Considérant qu'à compter de novembre 2006 et jusqu'en juin 2009, Chatel et Gallay a acheté 47 embarreurs à la société Top automazioni Italie qui les fabriquait et en a revendu 43 à ses clients en France ; qu'en février 2009, souhaitant implanter une filiale en France, Top automazioni Italie a engagé des négociations pour associer Chatel et Gallay à ce projet ; que ces négociations n'ont pas abouti ;
Considérant que Chatel et Gallay, appelante, ne conteste pas devoir à Top automazioni Italie, au titre d'un solde sur factures, la somme de 19 024,43 euro, avec intérêts au taux légal à compter d'une mise en demeure du 31 juillet 2009, mais soutient que sa dette devrait se compenser avec celle de la société Top automazioni Italie résultant de la brusque rupture de leurs relations établies ;
Que l'appelante prétend à titre liminaire qu'elle bénéficiait d'une exclusivité de fait pour la distribution des machines en France ; qu'elle en veut pour preuve un faisceau d'indices, à savoir la nature technique des produits distribués, un arrêt rendu par la Cour d'appel de Chambéry, l'absence de pièce probante de Top automazioni Italie pour démontrer l'absence d'exclusivité et la constitution d'une filiale en France suite à la rupture des relations d'affaires après négociation pour reprise de son fonds de commerce ;
Qu'elle invoque le comportement déloyal de l'un de ses salariés au bénéfice de Top automazioni Italie ; qu'elle expose en ce sens :
- que le 1er mars 2006, elle a embauché M. Gatta Michelet en qualité d'ingénieur commercial aux fins de promouvoir ses ventes d'équipements de serrage pour machines-outils en France,
- que reprochant à son salarié d'avoir, le 5 mars 2009, emporté les dossiers clients, techniques et commerciaux concernant les ravitailleurs de Top automazioni Italie et de ne pas les avoir restitués malgré sa demande, elle a procédé à son licenciement pour faute grave le 3 avril 2009,
- que la Cour d'appel de Chambéry, par arrêt du 30 juin 2011, a confirmé le jugement du Conseil de prud'hommes de Bonneville, validant le licenciement pour faute grave de M. Gatta Michelet pour s'être accaparé des dossiers techniques et commerciaux lui appartenant et ce au bénéfice de Top automazioni Italie et de sa nouvelle filiale française,
- que par lettre du 6 avril 2009, elle avait averti Top automazioni Italie du comportement très critiquable de son collaborateur, tout en formulant des observations sur le projet de filiale en France, que la société italienne lui a répondu le 15 avril 2009, qu'elle était d'accord avec son point de vue mais avait besoin d'éléments sur le coût de fonctionnement d'une filiale en France,
- mais que par la suite, la société italienne a embauché M. Gatta Michelet en qualité de dirigeant de sa nouvelle filiale française ;
Que l'appelante invoque ensuite le comportement déloyal de la société Top automazioni Italie ;
Qu'elle lui reproche, en premier lieu d'avoir rompu sans préavis, au moins partiellement, leurs relations d'affaires en faisant état : de l'abandon du projet de filiale commune, de l'absence de réponse et/ou du refus de Top automazioni de former son personnel dans le cadre d'un intérêt commun, de sa demande de restitution du matériel remis en consignation pour un montant de 60 000 euro - modifiant ainsi les conditions de leurs relations antérieures - et de la modification des conditions de règlement avec interdiction de dépasser un plafond d'encours de 20 000 euro ; qu'elle lui reproche, en second lieu, d'avoir exercé une concurrence déloyale en précisant que cette société lui a annoncé le 24 mars 2009 son souhait de créer une filiale Top Automazioni en France, qu'elle-même a alors réalisé une étude en ce sens et a fourni des informations détaillées le 20 avril 2009, que la société italienne n'y a pas répondu ou de manière ambigue ou fuyante jusqu'à sa décision du 6 juillet 2009, mais qu'en définitive elle a créé une filiale en France avec M. Gatta Michelet, tous deux dupant Chatel et Gallay ; que l'appelante ajoute que des négociations, intervenues sous contrainte, ont eu lieu à l'automne 2009 pour trouver une solution au litige, mais en vain, et invoque la cessation totale des relations ; qu'elle se réfère à une lettre de la société Top automazioni France datée du 11 janvier 2010, adressée à un client, rappelant à celui-ci qu'il avait reçu un courrier courant septembre l'informant de la création de la filiale française et précisant avoir fait appel à un spécialiste en la personne de M. Gatta Michelet ;
Que l'appelante estime que son préjudice doit être fixé à la somme de 177 170,08 euro, comme évalué par le cabinet Bruyas Moncorge qu'elle a mandaté, sur la base de deux années de marge brute sur coûts variables ; que pour solliciter la condamnation solidaire de la société Top automazioni France avec la société italienne, elle soutient que la première est bénéficiaire des détournements d'actifs de M. Gatta Michelet et/ou en quelque sorte complice de ses fautes graves pour en tirer profit ;
Mais considérant qu'il convient de rappeler que, conformément à l'article 954 du Code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions ; qu'en l'espèce, l'appelante y demande la condamnation des intimées à lui payer des dommages-intérêts pour rupture brutale des relations établies par application de l'article L. 442-6 I 5 ° du Code de commerce ; qu'elle n'y demande pas des dommages-intérêts pour rupture abusive des pourparlers en vue de la constitution d'une filiale commune ni pour concurrence déloyale ;
Considérant qu'il ressort de l'extrait K bis du registre du commerce et des sociétés versé aux débats que la société Top automazioni France a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés d'Annecy le 9 décembre 2009 ; que n'ayant jamais entretenu de relations d'affaires avec Chatel et Gallay, elle ne peut être condamnée sur le fondement de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce, la faute devant s'apprécier au moment de la rupture des relations ;
Considérant que seule la brutalité de la rupture des relations établies avec la société Top automazioni Italie peut ouvrir droit à réparation en application du texte pré-cité ;
Que Chatel et Gallay ne rapporte pas la preuve qu'elle bénéficiait de l'exclusivité de la distribution en France des machines fabriquées par Top automazioni Italie ; qu'il ressort au contraire d'une attestation produite par Top automazioni Italie que la société Emco distribuait ses machines en France depuis 2006 ; que l'arrêt de la Cour d'appel de Chambéry du 30 juin 2011, statuant dans le litige prud'homal opposant Chatel et Gallay à M. Gatta Michelet et faisant état d'une distribution exclusive, n'est pas opposable à Top automazioni Italie qui n'y est pas partie ;
Qu'il apparaît que par courriel du 6 juillet 2009, Top automazioni Italie a réclamé à Chatel et Gattay paiement de factures échues, lui a indiqué qu'elle souhaitait retirer les machines en stock chez elle, lui a confirmé que la création d'une filiale en France était définitive et lui a précisé qu'elle pourrait s'approvisionner auprès de cette filiale, soit en bénéficiant d'une remise de 20 %, soit en percevant une commission de 10 % ;
Que par lettre du 9 juillet 2009, Chatel et Gattay a rappelé les efforts qu'elle avait consentis pour commercialiser les machines, a indiqué qu'elle s'était efforcée de satisfaire les clients en dépit de l'absence de réponse à ses demandes de formation complémentaire de son personnel et d'informations techniques et commerciales, a formulé toutes réserves sur la création de la filiale sous la responsabilité conjointe du directeur de la société italienne et de M. Gatta Michelet, vu les agissements de ce dernier et le défaut de prise en compte des investissements qu'elle avait effectués, et a conclu qu'elle ne pouvait tolérer davantage ce type de relations qui ne pouvait que nuire à la clientèle ainsi qu'à chacune des deux sociétés ;
Que par courriel du 13 juillet 2009, Top automazioni Italie a confirmé à Chatel et Gallay ne pas avoir perdu confiance en elle, l'a informée qu'elle ne pouvait garantir un crédit pour plus de 20 000 euro, lui a rappelé qu'elle avait 10 000 euro de factures échues et lui a proposé trois possibilités : soit Chatel et Gallay achète les machines avec paiement anticipé et règle les factures échues, soit Top automazioni Italie vend directement les machines et lui donne une commission, soit Chatel et Gallay règle tout l'arriéré et achète les machines comme d'habitude avec paiement à 90 jours ;
Qu'il résulte de ce dernier courriel que Top automazioni Italie ne s'est pas opposée à la poursuite des relations établies ; qu'elle en a proposé la poursuite en maintenant un paiement à 90 jours, sous réserve du règlement de l'arriéré ; que Chatel et Gallay n'a pas donné suite à cette proposition ; que le seul fait de ne plus consentir un crédit au-delà de 20 000 euro, alors que la preuve n'est pas rapportée d'un engagement antérieur du fournisseur de maintenir un encours supérieur pendant une période donnée, ne peut être considéré comme une rupture brutale ;
Qu'au 31 juillet 2009, date de sa mise en demeure, Chatel et Gattay était redevable de la somme de 50 800,52 euro ; que le 23 septembre 2009, elle a restitué 4 embarreurs invendus ; que Top automazioni Italie lui a établi les avoirs correspondants, ramenant le solde de sa dette à 21 664,43 euro selon relevé de compte du 2 décembre 2012 ; que la restitution de ce matériel, consentie par Chatel et Gallay qui a ainsi réduit sa dette, ne peut non plus s'analyser comme un élément constitutif d'une rupture brutale des relations établies ;
Que Chatel et Gallay ne démontre pas que Top automazioni Italie s'était engagée à former son personnel et aurait donc manqué à une telle obligation ; qu'elle ne justifie pas des documents techniques qui lui auraient fait défaut malgré ses demandes ;
Que Chatel et Gallay, qui n'invoque pas l'existence d'une clause de non-concurrence liant M. Gatta Michelet, ne peut valablement reprocher aux intimées la création d'une filiale française et l'embauche de celui-ci quelques mois après son licenciement ;
Qu'aucune rupture brutale des relations établies n'étant imputable à Top automazioni Italie, les demandes de l'appelante à son encontre sont mal fondées ;
Et considérant, vu les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, qu'il y a lieu d'allouer la somme de 1 000 euro à chacune des sociétés intimées et de rejeter la demande de l'appelante de ce chef ;
Par ces motifs, Confirme le jugement en ce qu'il a, Dit que la société Etablissements Chatel et Gallay ne peut se prévaloir d'une distribution exclusive, Dit que les dispositions de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce n'ont pas vocation à s'appliquer à la société Top automazioni France, Dit qu'en engageant M. Gatta Michelet la société Top automazioni France n'a commis aucune faute, Condamné la société Etablissements Chatel et Gattay à payer à la société Top automazioni Srl la somme de 19 024,43 euro outre intérêts au taux légal à compter du 31 juillet 2009 et capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, Condamné la société Etablissements Chatel et Gallay à verser à la société Top automazioni France la somme de 1 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile, Infirme le jugement en toutes ses autres dispositions et, statuant à nouveau, déboute la société Etablissements Chatel et Gallay de toutes ses demandes, Condamne la société Etablissements Chatel et Gallay, par application de l'article 700 du Code de procédure civile, à payer la somme de 1 000 euro à chacune des sociétés Top automazioni Srl et Top automazioni France, Condamne la société Etablissements Chatel et Gattay aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.