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Décisions

CA Reims, 1re ch. civ. sect. 1, 6 janvier 2015, n° 13-01547

REIMS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Asompaei (Association)

Défendeur :

SDR Rhône-Alpes (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Maillard

Conseillers :

Mmes Lauer, Simon-Rosenthal

Avocats :

Selarl SJFC, SCP Fossier-Nourdin, Selarl Monod Tallent

TGI Chalons-en-Champagne, du 15 mai 2013

15 mai 2013

Par contrat de prestation de démarchage conclu le 1er septembre 2007, la SARL Société de distribution et de représentation Rhône-Alpes, dite SDR et l'association Asompaei ont convenu, afin d'assurer la commercialisation de produits conditionnés, fabriqués et façonnés par l'ESAT de Sezanne, centre d'aide par le travail créé par l'association Asompaei, de confier à la société SDR une prestation de prospection téléphonique en vue de la vente des produits de l'ESAT et une mission de collecte des commandes conclues dans le cadre de son action de démarchage en contrepartie du règlement d'une commission égale à 52 % du chiffre d'affaires hors taxes réalisé par l'ESAT et provenant des commandes qu'elle a collectées.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 8 mars 2011, l'ESAT a notifié à la société SDR sa volonté de mettre un terme à l'activité de phoning à effet du 30 septembre 2011, aux motifs que l'éthique liée à cette activité ne s'inscrit pas dans sa philosophie.

La société SDR a pris acte de la rupture du contrat par lettre recommandée avec accusé de réception du 18 avril 2011 et a réclamé à l'association Asompaei paiement de la somme de 549 524 euros au titre du règlement de l'indemnité de cessation du contrat d'agent commercial conclu le 1er septembre 2007.

L'ESAT refusant de régler cette somme indemnitaire, la société SDR a assigné l'association Asompaei devant le Tribunal de grande instance de Reims, sur le fondement des dispositions de l'article L. 134-1 et L. 134-12 du Code de commerce, aux fins de la faire condamner à payer l'indemnité de rupture du contrat outre une indemnité de procédure.

Par ordonnance en date du 6 novembre 2012, le Tribunal de grande instance de Reims s'est déclaré territorialement incompétent au profit du Tribunal de grande instance de Châlons en Champagne.

Devant cette juridiction l'Asompaei n'a pas constitué avocat.

Par jugement réputé contradictoire en date du 15 mai 2013, le tribunal a dit que les parties étaient liées par un contrat d'agent commercial, a condamné l'association Asompaei à payer à la société SDR une somme de 517 000 euros au titre de l'indemnité de cessation de fin de contrat avec les intérêts au taux légal à compter du 14 mai 2012, au paiement d'une indemnité de procédure de 1 000 euros et des entiers dépens.

Il a relevé dans ses motifs, que si l'association Asompaei n'a pas la qualité d'industriel, d'agent commercial ou de commerçant, l'ESAT constitue une entité juridique qui a une activité de production et en tout état de cause, une activité économique et commerciale impliquant une circulation de biens en vue de leur revente, que par conséquent l'ESAT a la qualité de producteur au sens de l'article L. 134-1 du Code de commerce et que les conditions légales nécessaires pour caractériser le contrat d'agent commercial sont réunies. Le tribunal a fait application des dispositions d'ordre public de l'article L. 134-12 du Code de commerce disposant qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

L'association Asompaei a interjeté appel.

Par conclusions du 29 juillet 2013, elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et de dire qu'elle n'est pas en mesure de conclure un contrat d'agence commerciale, que le contrat de prestation de démarchage n'est pas un contrat d'agence commerciale et qu'aucune indemnité de fin de contrat n'est due, de condamner la société SDR au paiement d'une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et des entiers dépens.

Elle explique qu'étant une association à but non lucratif régie par la loi du 1er juillet 1901, elle n'a ni la qualité de commerçant, ni la qualité d'industriel, ni la qualité d'agent commercial, ni celle de producteur, qu'elle n'avait qu'une activité de conditionnement, qu'elle ne peut être en mesure de conclure un contrat d'agence commerciale, que la société SDR ne disposait d'aucun pouvoir de négociation et ne bénéficiait d'aucune indépendance dans l'exécution du contrat qui était un contrat de prestation de service.

Subsidiairement elle soutient que la société SDR a commis une faute grave justifiant la rupture du contrat sans indemnité en refusant de changer l'argumentaire de vente portant atteinte à l'objet social de l'association et qu'il appartient à la société SDR de démontrer l'existence et l'étendue de son préjudice.

Par conclusions du 27 septembre 2013, la société SDR demande à la cour de confirmer le jugement en condamnant l'Asompaei au paiement de la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et des entiers dépens avec application de l'article 699 du Code de procédure civile.

Elle expose que l'association avait la capacité de conclure un contrat d'agence commerciale, que celui-ci implique que l'agent se présente et agisse au nom et pour le compte de son mandant, qu'il est donc normal pour la SDR de respecter les prix fixés par le mandant, qu'une fois la commande réalisée, le bon de commande était établi au nom de l'ESAT, que la société SDR était indépendante en ce sens qu'elle était à la tête de son entreprise et qu'elle a pu embaucher des salariés ou des sous agents qu'elle rémunère elle-même, que la lettre de résiliation ne se fondait pas sur des manquements graves de la société SDR, qu'en cas de faute grave, la poursuite du contrat aurait été impossible, même pendant la durée du préavis.

Sur ce, LA COUR :

Sur l'existence d'un contrat d'agent commercial :

En vertu de l'article L. 134-1 du Code de commerce, "l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale."

Il appartient à la société SDR qui se prétend agent commercial d'en rapporter la preuve.

L'application du statut d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leurs conventions, mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée.

Le contrat conclu par les parties le 1er septembre 2007 pour une durée indéterminée a été dénommé contrat de prestation et de démarchage. Il expose que l'Asompaei au travers de l'ESAT Sezanne envisage de développer une activité de conditionnement et d'expédition de produits tels que ramettes de papier et sacs poubelles, que la commercialisation de ces produits réalisée au profit d'une clientèle autre que particulier, fera appel à des techniques de vente par téléphone, que l'ESAT Sezanne n'ayant ni la structure, ni le savoir-faire pour mettre en œuvre ces techniques s'est rapprochée de la société SDR Champagne-Ardennes-Ile de France, dont l'objet est d'assurer des prestations de commercialisation, notamment au profit du réseau de franchise "Champ d'or". Il précise que la société SDR pourra s'allier avec une société dont l'activité est spécifiquement la commercialisation de produits par démarchage téléphonique.

Le contrat précise que la société SDR sollicitera par téléphone tous les clients autres que particuliers, aura pour mission de collecter les commandes conclues dans le cadre de son action de démarchage et de les transmettre à l'ESAT de Sezanne selon une périodicité et des moyens à définir d'un commun accord. Il définit le territoire de prospection de la société SDR, mentionne que la société SDR s'engage à tout mettre en œuvre pour assurer une continuité de prestation et prendra en charge les frais liés à la réalisation des carnets de commande au nom de l'ESAT Sezanne, qui assurera l'approvisionnement, la prestation fabrication de façonnage ou de montage des produits, le conditionnement et l'expédition des produits ainsi que la facturation et le suivi des recouvrements. Le contrat définit les produits vendus, étant précisé que les prix de vente des produits seront déterminés d'un commun accord entre les parties et qu'une fois arrêtés, la société SDR n'aura pas la possibilité d'y déroger, la mise à jour des prix de vente pouvant être effectuée à la demande de l'ESAT Sezanne annuellement à la date anniversaire du contrat ou exceptionnellement selon l'évolution des prix d'achat constatés.

Enfin le contrat fixe la rémunération de la société SDR à 52 % du chiffre d'affaires hors taxes réalisé par l'ESAT de Sezanne sur les commandes collectées par ses soins, étant précisé que la société SDR supportera les frais occasionnés par son activité commerciale, il prévoit les modalités de versement de cette rémunération sur la base d'un décompte mensuel effectué par la société SDR et vérifié par l'ESAT Sezanne, avec paiement par traite à échéance de 60 jours.

Il résulte de cette convention, que la société SDR qui est une professionnelle, a été chargée de rechercher par téléphone et pour le compte de l'ESAT Sezanne, des clients autres que des particuliers, auxquels elle propose les produits commercialisés par cet établissement, de prendre les commandes pour le compte de ce dernier et de les transmettre à son mandant qui se charge de la livraison et de la facturation. Les pièces versées aux débats confirment que les commandes étaient bien prises sur un bon de commande à l'entête de l'ESAT Sezanne, (pièces numéro 13 et 14).

L'association Asompaei soutient que le contrat liant les parties ne peut être qualifié de contrat d'agent commercial, dans la mesure où elle est une association à but non lucratif, qu'elle n'a ni la qualité de commerçant, ni celle de producteur ou d'industriel, ni celle d'agent commercial et que l'ESAT n'est pas doté de la personnalité juridique et n'est pas titulaire de droits. Toutefois, l'article L. 134-1 du Code de commerce n'exige pas que le mandant ait la qualité de commerçant et que l'activité qu'il vise soit son activité principale. Le premier juge a justement retenu que l'Asompaei gère un établissement qui développe une activité économique de conditionnement et d'expédition de produits, que cette activité, revendiquée dans le contrat liant les parties, n'est pas incompatible avec son statut juridique et constitue une activité de producteur au sens de l'article L. 134-1 du Code de commerce lui permettant de conclure un contrat d'agent commercial.

La cour relève au surplus, que le contrat liant les parties a été parfaitement exécuté, que la SDR a été régulièrement commissionnée pour le chiffre d'affaires apporté à l'ESAT Sezanne et que ses factures ont été réglées et qu'en tout état de cause les parties ont conclu un mandat d'intérêt commun.

L'association Asompaei soutient en outre que la société SDR n'était pas en mesure de négocier les contrats de vente avec les clients et n'avait pas une activité indépendante. Les termes du contrat liant les parties et les éléments du dossier établissent toutefois que la société SDR était une société professionnelle de la vente, qu'elle disposait d'une entière liberté pour exécuter son mandat, qu'elle pouvait organiser son activité comme elle l'entendait et en assumait les frais, qu'elle pouvait notamment recourir aux services d'une société spécialisée dans le démarchage téléphonique, embaucher du personnel, qu'elle n'était pas tenue de respecter des horaires et de dresser des rapports d'activité. En vertu de son mandat elle agissait dans le respect des instructions données par le mandant et des stipulations du contrat en appliquant notamment des prix de vente fixés en commun annuellement et était soumise au contrôle des commandes exercé par le mandant. Le respect des instructions du mandant et de la convention des parties ne sont d'aucune manière pas incompatibles avec sa qualité de mandataire indépendant et n'excluent pas l'existence d'un contrat d'agent commercial.

En conséquence, le contrat liant les parties est conforme aux prévisions de l'article L. 134-1 du Code de commerce et a justement été qualifié de contrat d'agent commercial.

Sur les conséquences de la résiliation du contrat :

En vertu des dispositions de l'article L. 134-12 du Code de commerce, qui sont d'ordre public, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi. L'article L. 134-13 du même Code précise, que cette indemnité n'est pas due, notamment lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial.

L'association Asompaei fait valoir, que la société SDR a commis une faute grave de nature à la priver de toute indemnité. Elle explique qu'elle a lors d'une réunion à La Rochelle le 25 février 2011 eu l'occasion de prendre connaissance des méthodes de travail concrètes des téléprospecteurs, qu'elle a jugé désobligeant et dévalorisant à l'égard des travailleurs en situation de handicap dont elle essaye de promouvoir l'insertion professionnelle, l'argumentaire utilisé auprès des clients et qu'elle a exigé sa modification et souhaité que ce dernier soit soumis à sa validation, que la société SDR n'a pris aucune mesure de sorte que la rupture du contrat a dû être envisagée.

Les pièces versées aux débats établissent que par lettre du 1er décembre 2009 l'ESAT Sezanne avait déjà fait état de sa volonté de mettre un terme au contrat en raison d'une baisse importante du chiffre d'affaires. Ce courrier n'a pas été suivi d'effet. Par lettre du 8 mars 2011 l'ESAT a rappelé son courrier du 1er décembre 2009 en indiquant : "A ce jour nous constatons (malgré une démarche d'amélioration) que l'Ethique liée à cette activité ne s'inscrit pas dans notre philosophie associative. Nous avons pu constater lors de notre réunion à La Rochelle du 25 février 2011 que l'argumentaire est inadapté à notre secteur ; un commentaire misérabiliste, une représentation dévalorisante pour les travailleurs en situation de handicap, une inadéquation entre le savoir-faire et le faire savoir. Aussi nous ne pouvons continuer à cautionner une activité qui ternit l'image de notre secteur et l'image du travail adapté. Nous souhaitons aujourd'hui cesser cette activité supportée par le phoning dans les plus brefs délais pour pouvoir solder nos comptes liés à cette activité pour fin septembre 2011. Cela nous laisse six mois pour régulariser les factures de début d'année, les retards 2010 et les impayés importants en cours".

Le compte-rendu de la réunion du 25 février 2011 confirme que l'argumentaire d'urgence présenté aux membres de l'association appelante, s'appuyant sur le côté impérieux d'obtenir la vente afin de faire vivre "les pauvres handicapés", a été refusé par l'ensemble des participants ESAT responsables de structures et que cet argumentaire d'accroche d'urgence devait être réécrit et adressé pour validation. Aucune mise en demeure de s'exécuter n'a été adressée à la société SDR et il n'est pas démontré, que le compte-rendu de la réunion du 25 février 2011 lui a été adressé avant l'envoi de la lettre de rupture du 8 mars 2011. Il ne peut dès lors dans un si bref délai, être sérieusement reproché à la société SDR de n'avoir réservé aucune suite à la demande de l'association Asompaei, alors que selon le compte-rendu de la réunion du 25 février 2011 une prochaine réunion sur la charte éthique était envisagée dans les deux mois et que le travail en commun était poursuivi. En conséquence l'existence d'une faute grave rendant impossible la poursuite du contrat n'est pas caractérisée en l'espèce. L'appelante qui a proposé de respecter le délai de préavis convenu n'a d'ailleurs à aucun moment considéré que le comportement de la société SDR rendait impossible la poursuite du contrat pendant cette période. L'Asompaei n'est donc pas fondée à soutenir que la cessation du contrat a été provoquée par une faute grave de l'agent commercial et que la réparation prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce n'est pas due.

L'indemnité de cessation de fonction a pour objet de réparer le préjudice causé à l'agent commercial par la perte du revenu de la clientèle qu'il a apportée au mandant. Au vu de la durée des relations des parties et du chiffre d'affaires réalisé, le premier juge a justement constaté que l'usage fixe à deux années de commissions brutes le montant de l'indemnité de rupture due à l'agent commercial. Il convient toutefois de tenir compte, pour calculer le montant de cette indemnité, du montant des commissions 52 % perçu au cours des deux dernières années d'activité au cours desquelles les chiffres d'affaires réalisés ont été de 262 932 euros et de 528 389 euros et non tel que l'a fait le premier juge, du seul montant des commissions perçu au cours de la dernière année d'exécution du contrat. En conséquence, le montant de l'indemnité de cessation du contrat mise à la charge de l'association Asompaei, doit être fixé à la somme de 411 486,92 euros, avec les intérêts au taux légal à compter du 14 mai 2012, date de l'assignation.

Le jugement déféré sera donc infirmé sur ce seul point et confirmé pour le surplus.

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile :

L'association Asompaei qui succombe principalement supportera les entiers dépens de l'instance d'appel et ses frais irrépétibles et paiera à la société SDR la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement ; Infirme partiellement le jugement rendu le 15 mai 2013 par le Tribunal de grande instance de Châlons-en-Champagne ; et statuant à nouveau ; Condamne l'association Asompaei à payer à la Société de Distribution et de Représentation Rhône-Alpes la somme de 411 486,92 euros à titre d'indemnité de cessation de contrat avec les intérêts au taux légal à compter du 14 mai 2012 ; Confirme le jugement pour le surplus ; et y ajoutant ; Condamne l'association Asompaei à payer à la Société de Distribution et de Représentation Rhône-Alpes la somme de la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile pour l'instance d'appel ; Déboute l'association Asompaei de sa demande en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne l'association Asompaei aux entiers dépens de l'instance d'appel.