CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 21 janvier 2015, n° 13-06125
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
SCP Guerin et Diesbecq (ès qual.), DML Fashion (SARL)
Défendeur :
Du Pareil Au Même (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mmes Nicoletis, Luc
Avocats :
Mes Hardouin, Leroux-Bostyn, Mochkovitch, Bendrihem, Bernard,
Rappel des faits et de la procédure
La société par actions simplifiée Du Pareil au Même (DPAM) a pour activité principale la conception, la création et la vente de vêtements pour enfants qu'elle diffuse à titre exclusif dans de très nombreux points de vente.
Courant 2006, la société DPAM et les époux Desbois sont entrés en relation pour envisager l'ouverture d'un magasin DPAM chaussures pour enfants.
La société à responsabilité limitée DML Fashion qui a pour objet l'activité de commerce de vêtements d'enfants a été créée et a été immatriculée le 10 avril 2007. Dominique Desbois en est le gérant.
Le premier mai 2007, la société DML Fashion et la société DPAM ont signé un contrat d'affiliation pour l'exploitation d'un magasin sous l'enseigne " Du Pareil au Même " à Evreux, 19 rue Chartraine.
Ce contrat définissait les charges et obligations revenant à la société DML Fashion. L'affilié s'engageait notamment à vendre exclusivement les articles fournis par la société DPAM et percevrait à ce titre une commission de 35 % sur le chiffre d'affaires réalisé.
A la fin de l'année 2007, malgré la réalisation d'un bon chiffre d'affaires, l'activité se révélait déficitaire.
Le 4 mars 2009, la société DML a déposé une déclaration de cessation de paiements après deux ans d'exploitation.
Le Tribunal de commerce d'Evreux a ouvert une procédure de liquidation judiciaire simplifiée de la société DML Fashion par jugement du 5 mars 2009. La SCP Guérin Diesbecq était nommée mandataire liquidateur. La société DPAM déclarait une créance de 47 069, 42 euro au passif de la procédure, admise à hauteur de 45 737, 08 euro par ordonnance du juge commissaire en date du 29 novembre 2010. Le mandataire liquidateur notifiait la résiliation du contrat de commission-affiliation le 11 mars 2009.
Par acte du 22 décembre 2009, la société DML Fashion représentée par la SCP Guérin Diebesq a assigné la société DPAM devant le Tribunal de commerce d'Evreux.
Estimant que le contrat signé était, non pas un contrat de commission-affiliation mais un contrat d'agent commercial, la société DML Fashion demandait au tribunal de requalifier le contrat et en conséquence de condamner la société DPAM à verser une indemnité de 260 000 euro à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive de ce contrat.
Par jugement en date du 10 juin 2010, le Tribunal de commerce d'Evreux a fait droit à l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la société DPAM au profit du Tribunal de commerce d'Evry.
Par un jugement du 6 février 2013, le Tribunal de commerce d'Evry a :
- débouté la SCP Guérin Diesbecq, ès qualités de l'ensemble de ses demandes,
- débouté la société DPAM de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts,
- dit que chaque partie conserve à sa charge les frais irrépétibles,
- dit qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire de la présente décision,
- dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.
La SCP Guérin et Diebescq ès qualités a interjeté appel de cette décision le 27 mars 2013.
Par conclusions signifiées le 27 octobre 2014, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des faits et moyens, la société civile professionnelle Guérin-Diebescq, ès qualités, demande notamment à la cour de :
- réformer en toutes ses dispositions, le jugement du 6 février 2013 rendu par le Tribunal de commerce d'Evry,
- ordonner la requalification du contrat d'affiliation en contrat d'agent commercial, avec toutes conséquences de droit,
- condamner la société DPAM à verser à la société DML Fashion, représentée par son liquidateur, la SCP Guérin Diebescq, une indemnité pour cessation du contrat d'agent commercial à hauteur de 260 000 euro, soit le montant des commissions versées pendant 22 mois,
- débouter la société DPAM de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée,
- condamner la société DPAM à régler à la société DML Fashion représentée par son liquidateur, la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouter la société DPAM de sa demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société DPAM aux entiers dépens dont distraction, pour ceux-là concernant, au profit de Maître Patricia Hardouin - Selarl 2H Avocats et ce, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
La société civile professionnelle Diesbecq, ès qualités, expose que la procédure a bien été initiée par la SCP Diesbecq en sa qualité de mandataire liquidateur et que l'acte introductif d'instance n'est pas nul.
Quant à la requalification du contrat, elle expose que la société DML Fashion ne bénéficiait d'aucune autonomie et d'aucune indépendance et que par conséquent le contrat ne peut être qualifié de contrat d'affilié ; qu'il s'agit d'un contrat d'agent commercial, peu important la qualification retenue par les parties dans la convention, que de nombreux indices (local imposé et ameublement, compte prévisionnel incohérent) établissent que le distributeur agissait non seulement pour le compte mais aussi au nom du maître du réseau.
Elle estime que le respect des dispositions contractuelles ne démontre pas qu'elle avait une liberté d'organisation et de gestion de la boutique puisque la société DPAM exerçait un contrôle strict des lieux de vente, des techniques de vente et les prix de revente, que les stocks demeuraient la propriété de la société DPAM, que les recettes étaient portées sur un compte ouvert au nom de DPAM qui contrôlait ainsi précisément les comptes et les flux. Elle ajoute qu'elle n'agissait pas comme une affiliée mais comme un simple préposé et que la société DPAM exerçait une direction de fait.
Elle soutient que la société DPAM en ne lui reversant plus aucune commission a rompu le contrat de manière unilatérale mais surtout de manière brutale.
Par conclusions signifiées le 31 octobre 2014 auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des faits et moyens, la société DPAM demande à la cour de :
Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- dit et jugé que le contrat d'affiliation conclu le premier mai 2007 entre la société DPAM et la société DML Fashion n'était pas un contrat d'agent commercial,
- déclaré la SCP Guérin Diebescq ès qualités mal fondée en toutes ses demandes et l'en a déboutée,
Y ajoutant :
- condamner la SCP Diebescq ès qualités à payer à la société DPAM, une somme de 20 000 euro en application des articles 1382 du Code civil et 659 du Code de procédure civile, à titre de dommages et intérêts pour appel abusif et dilatoire,
- condamner la SCP Diebescq ès qualités à payer à la société DPAM, une somme de 30 000 euro au titre des frais irrépétibles en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la SCP Diebescq ès qualités aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Me Carole Bendrihem, avocat aux offres de droit, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
L'intimée affirme que les parties ont conclu un contrat de commission-affiliation et que les dispositions contractuelles le prouvent. Elle soutient que la société DML Fashion avait une clientèle propre et un fonds de commerce, ce qui est incompatible la qualification d'agence commerciale.
La société DPAM indique avoir respecté toutes ses obligations et s'être bornée à veiller au respect de l'identité de la marque et de l'enseigne, que dans le cadre du contrat de commission-affiliation, elle n'a exercé qu'un soutien en merchandising et non une gestion de fait.
Elle soutient que les comptes prévisionnels sont détournés par la société DML Fashion et que c'est la gestion anormale de l'exploitation qui a provoqué les difficultés financières. Elle explique que la société DML Fashion a enfreint plusieurs de ses obligations contractuelles notamment en nerespectant pas le prix public applicable.
Elle estime que la société DML Fashion a pris l'initiative de la rupture du contrat en cessant toute exploitation de son fonds de commerce, en restituant le stock, en cédant son droit au bail et en demandant, par le biais de son liquidateur judiciaire, la résiliation du contrat d'affiliation. Elle conteste devoir un quelconque montant au titre de la rupture du contrat.
L'intimée soutient que la présente instance a été introduite à des fins stratégiques et pour les besoins d'une autre procédure et que cet appel est manifestement abusif et dilatoire.
SUR CE,
Sur la nullité de l'acte introductif d'instance :
Considérant que la demande n'est pas reprise par la société DPAM dans le dispositif de ses écritures, qu'il n'y a pas lieu de l'examiner,
Sur la qualification du contrat :
Considérant que le commissionnaire et l'agent commercial agissent pour le compte du cocontractant ;
Que le premier agit à l'égard des tiers clients en son nom propre dans la mesure où il ne représente pas son commettant ; que le second représente son mandant et n'a pas la propriété commerciale,
Considérant que la qualification du contrat qui lie les parties ne dépend pas de la volonté qu'elles ont exprimée ou de la dénomination qu'elles ont donnée dans le contrat mais des seules conditions dans lesquelles l'activité s'est réellement exercée,
Considérant que pour soutenir qu'elle a agi comme un agent commercial, la société DML Fashion évoque les circonstances dans lesquelles elle a signé puis exécuté le contrat qui l'a liée à la société DPAM en soutenant qu'elle n'a aucune indépendance en quoi que ce soit pour l'exploitation de son activité sous enseigne DPAM pour le compte de qui elle agit, de sorte qu'elle a contracté un mandat ;
Considérant que c'est par des motifs pertinents que la cour adopte qu'il ne saurait y avoir de requalification du contrat ; que l'entrée dans un réseau d'affiliation suppose le respect de certaines normes imposées par le commissionnaire, que ce soit les locaux et le mobilier qui doivent être conformes aux conditions d'implantation du magasin et d'identité de la marque et de l'enseigne et que les époux Desbois qui étaient des commerçants avisés avaient la liberté d'accepter ou de refuser, contractant ou non avec la société DPAM, que ce soit également les travaux à réaliser dont le descriptif est transmis à DPAM et qu'ils ne pouvaient ignorer après avoir été destinataires du document d'information précontractuelle ; que l'économie du contrat de commission-affiliation n'était pas non plus remise en cause par les modalités de gestion de l'activité de l'affiliée telle que l'ouverture d'un compte distinct pour recevoir les recettes journalières encaissées par l'affilié ou encore par l'absence de propriété du stock (ce qui est dans l'essence même du contrat de commission-affiliation) et de sa gestion par DPAM, par l'absence de liberté de négocier les prix ; que l'affiliée ne peut tirer de ses propres carences, notamment du non-respect des termes du contrat qui lui imposaient de mettre les mentions relatives à son nom, sa raison sociale, son adresse et son numéro d'immatriculation au registre du commerce sur les tickets de caisse qu'elle émettait, des éléments caractérisant la gestion de fait de la société DPAM ; qu'enfin, le contrôle mensuel de l'activité par des statistiques mensuelles de fréquentation, l'établissement d'états de synthèse des ventes ne caractérisent plus l'immixtion dans l'exploitation du fonds de la part de DPAM, mais une démarche d' " accompagnement " de la part de celle-ci,
Considérant surtout et essentiellement que, selon les pièces versées aux débats, la société DML Fashion a pris à bail des locaux en signant un bail commercial, souscrit un emprunt, financé des travaux d'aménagement, signé les contrats nécessaires à l'exercice de son activité, qu'elle a créé et développé une clientèle locale propre, non attachée à la marque, dès l'ouverture du magasin ; que même sans être propriétaire de son stock, il apparaît que la société DML Fashion a ainsi créé un fonds de commerce et qu'elle en a d'ailleurs fait état lorsqu'elle demandait l'assistance de la société DPAM par courrier du 30 septembre 2008 ; que l'existence d'un tel fonds lui donne la qualité de commerçante, exclusive de celle d'agent commercial,
Considérant en définitive que les critiques de la société DML Fashion portent sur l'essence même du contrat de commission-affiliation qui permet au candidat d'intégrer le réseau de vente d'une entreprise dont la réussite est établie avec les modalités qu'elle a acceptées ; que le fait qu'elle ait cru bon de vendre le seul bail commercial et non le fonds reste inopérant,
Considérant que la société DML Fashion avait la qualité de commerçante,
Sur l'imputabilité de la rupture :
Considérant que pour soutenir que la société DPAM serait à l'origine de la rupture du contrat en janvier 2009, l'appelante fait valoir que la société DPAM a amputé le montant des commissions qui lui étaient dues en prélevant des sommes par compensation, qu'elle rappelle que les éléments qui lui avaient été fournis pour établir le prévisionnel étaient inexacts, qu'ils minoraient les dépenses en frais de gestion du personnel et les dépenses relatives au loyer,
Considérant que la société DPAM fait valoir que la société DML Fashion a signé dès le 18 décembre 2008 une promesse de cession de son droit au bail au profit de Monsieur Chung Hon Pan, qu'elle a cessé l'exploitation de son fonds en février 2009, restituant à DPAM le stock de marchandises en sa possession après en avoir bradé une partie, et que le mandataire liquidateur a fait savoir qu'il résiliait le contrat liant les parties le 9 mars 2009, que ces faits caractérisent l'initiative prise par DML Fashion de mettre fin au contrat,
Considérant la société DML Fashion ne verse aux débats aucun document permettant de constater que la société DPAM a failli à son obligation de reverser les commissions dues à son affilié en en déduisant des sommes autres que celles qui sont prévues par le contrat, dues à la société DPAM par DML Fashion ; que les pièces du débat établissent la réalité des faits invoqués par la société DPAM, traduisent la volonté manifestée depuis plusieurs mois de la société DML Fashion de mettre fin au contrat à l'insu de ses créanciers ; que l'initiative a été prise par DML Fashion de mettre fin au contrat ; que le jugement sera confirmé,
Sur les dommages-intérêts demandés par la société DPAM :
Considérant qu'il apparaît que la société DML Fashion a dès la première année de l'exécution du contrat réalisé un chiffre d'affaires conforme, même supérieur, au prévisionnel, ce qui rend injustifiées les critiques faites par DML Fashion sur l'existence de chiffres irréalistes que DPAM lui aurait communiqués sur la rentabilité de l'entreprise ; qu'il apparaît que c'est par des dépenses d'exploitation non conformes aux intérêts de l'entreprise que la société DML Fashion a créé la situation justifiant l'ouverture de la procédure collective, que la procédure diligentée par DML Fashion qui tend à rejeter la responsabilité de sa situation sur la société DPAM apparaît par conséquent manifestement abusive et que l'appel interjeté de la décision parfaitement motivée du tribunal de commerce est injustifié et également abusif ; que la société DML Fashion cause ainsi un préjudice à l'appelante à laquelle il y a lieu d'allouer la somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts,
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement, Condamne la société DML Fashion représentée par son mandataire liquidateur la société civile professionnelle Guerin Diesbecq à payer à la société DPAM : la somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts, la somme de 10 000 euro à titre d'indemnité pour frais irrépétibles, Condamne la société DML Fashion représentée par son mandataire liquidateur la société civile professionnelle Guerin Diesbecq aux entiers dépens qui seront recouvrés pour ceux d'appel, avec le bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile par Maître Carole Bendrihem.