CA Paris, Pôle 2 ch. 2, 30 janvier 2015, n° 13-21272
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Global Mail Concept (Sté)
Défendeur :
Boucif
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Vidal
Conseillers :
Mmes Richard, Chesnot
Avocats :
Mes Mirande, Deur, Janet, Terrin
La société Global mail concept exploite sous l'enseigne Vital beauty un commerce de vente par correspondance de compléments alimentaires, produits de bien-être et d'entretien et denrées alimentaires, et diffuse par publipostage des catalogues assortis de jeux sous forme de loteries publicitaires. Fin 2011, M. Boucif a été destinataire de plusieurs de ces opérations, dotées d'un prix principal de 47 500 euro le 16 septembre, de 55 900 euro le 25 octobre, de 56 200 euro le 28 octobre, de 58 000 euro le 23 novembre, de 54 300 euro le 13 décembre, de 52 850 euro le 16 décembre et de 53 700 euro le 21 décembre. Faisant valoir que ces documents le présentait sans équivoque comme le grand gagnant des sept prix mis en jeu, il a réclamé par assignation du 12 mars 2012 le paiement de la somme cumulée de 378 450 euro au visa des articles 1371 et 1382 du Code civil et L. 121-36 et suivants du Code de la consommation.
Par jugement du 21 octobre 2013 assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de grande instance de Paris a condamné la société Global mail concept sur le fondement de l'article 1371 du Code civil à payer à M. Boucif la somme de 378 450 euro avec intérêts au taux légal à compter du jugement et l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts ainsi qu'au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Le tribunal a procédé à une analyse détaillée des documents composant chacun des sept envois publicitaires pour retenir que la société Global mail concept, qui avait adressé ces documents en présentant M. Boucif comme le gagnant des prix mis en jeu, sans que l'aléa affectant l'attribution des prix soit mis en évidence à première lecture, dès l'annonce du gain, s'était obligée par ce fait purement volontaire à délivrer les sommes réclamées.
La société Global mail concept a relevé appel de ce jugement et, dans ses dernières conclusions notifiées le 19 novembre 2014, elle demande d'infirmer la décision et de juger que M. Boucif ne rapporte pas la preuve qu'il a participé de bonne foi aux opérations publicitaires organisées par elle et cru légitimement être le bénéficiaire des prix mis en jeu, qu'en tout état de cause les documents publicitaires dont il a été rendu destinataire mettaient suffisamment en évidence l'existence d'un aléa s'agissant de l'attribution des prix principaux mis en jeu, notamment par le règlement des jeux dont il a pu prendre connaissance, et qu'elle n'a donc pris aucun engagement à son égard concernant le versement des prix mis en jeu ni davantage engagé sa responsabilité quasi délictuelle. Elle sollicite la condamnation de M. Boucif à lui verser la somme de 2 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel.
Elle fait valoir qu'elle a communiqué l'ensemble des procès-verbaux des opérations de pré-tirage des numéros gagnants qui établissent que M. Boucif n'a jamais disposé du numéro "grand gagnant" pré-tiré au sort, ainsi que le sérieux des procédures mises en œuvre, qu'elle a respecté les dispositions des articles L. 121-36 et suivants dans leur rédaction antérieure à la loi du 17 mars 2014 et R. 121-11 et 12 du Code de la consommation, qu'en particulier la gratuité et l'absence d'obligation d'achat apparaissaient dans chaque message publicitaire envoyé ainsi que la reproduction particulièrement lisible du règlement de nature à éclairer le consommateur, que sur le fondement de l'article 1371 du Code civil la jurisprudence exige de prendre en compte l'ensemble du contenu des documents envoyés sans s'arrêter à certaines formules, la mise en évidence de l'aléa devant résulter d'une lecture complète et normalement attentive ne se réduisant pas aux seules annonces attractives, que l'aléa est ici caractérisé dès la prétendue annonce du gain par l'emploi de termes simples et compréhensibles faisant référence à une procédure de vérification de droits qualifiés de potentiels, ne laissant aucune ambiguïté quant au caractère conditionnel de l'attribution du prix principal. Elle ajoute que la bonne foi est indispensable pour caractériser une croyance légitime du destinataire en la réalité du gain, alors qu'en l'espèce M. Boucif est un plaideur rompu au mécanisme des loteries publicitaires, qui s'est fait une spécialité des actions judiciaires contre les organisateurs de loteries, puisqu'un précédent l'a opposé devant le tribunal de grande instance de Grasse à la société Promondo au titre de publipostages reçus dans le courant de l'année 2010 ayant donné lieu à un accord amiable et à une ordonnance de désistement d'instance et d'action le 19 septembre 2011.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 19 novembre 2014, M. Boucif demande au visa des articles 1371 et 1382 du Code civil et L. 120-1, L. 121-1, L. 121-36 et L. 121-37 du Code de la consommation de confirmer le jugement déféré, en conséquence de constater à titre principal sur le fondement de l'article 1371 du Code civil que la société Global mail concept s'est unilatéralement engagée envers lui à verser les sommes de 47 500 euro, 55 900 euro, 56 200 euro, 58 000 euro, 54 300 euro, 52 850 euro et 53 700 euro et de la condamner à lui verser la somme totale de 378 450 euro avec intérêts au taux légal à dater de ses conclusions, à titre subsidiaire de faire prononcer sur le fondement de l'article 1382 du Code civil sa condamnation à lui payer la somme de 15 000 euro au titre de l'indemnisation de son préjudice moral et matériel avec intérêts au taux légal à dater de ses conclusions, et en toute hypothèse de la condamner à payer la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Il fait valoir que l'engagement quasi-contractuel de la société appelante est démontré par l'analyse concrète des documents envoyés, s'adressant nommément à lui pour annoncer des gains sans mettre en évidence à première lecture l'existence d'un aléa comme l'exige la jurisprudence, et subsidiairement que les fautes commises par la société appelante, qui contrevient de façon systématique à la réglementation spécifique aux loteries, notamment en imposant aux participants une commande, qui a abusé de sa crédulité par des promesses de gain l'ayant conduit à dépenser ce qu'il se croyait certain d'avoir gagné, et qui lui a adressé une profusion de courriers et fait naître de fausses espérances, étaient constitutives d'un préjudice tant matériel que moral.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il ressort de l'application de l'article 1371 du Code civil que l'organisateur d'une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence à première lecture l'existence d'un aléa s'oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer. En l'espèce, le tribunal a procédé à une analyse détaillée des documents composant chacun des sept envois nominativement adressés à M. Boucif du 16 septembre au 21 décembre 2011 et a exactement relevé l'emploi d'expressions catégoriques quant aux gains annoncés. Il a également souligné que l'indication d'une "attribution soumise à aléa" et de "règles et conditions d'attribution à l'intérieur" était contredite ou contrebalancée par l'affirmation du gain personnellement remporté ou n'était portée qu'au verso des documents envoyés. La cour observe une ambiguïté constamment entretenue dans tous les envois entre, d'une part, l'annonce d'un
"chèque confidentiel" ou "chèque définitif gagné" ou "chèque confirmé" attribué à M. Boucif en qualité de "gagnant certifié" et, d'autre part, le montant du "chèque premier prix" mis en jeu, auquel le destinataire des envois était seulement déclaré "éligible" en caractères moins ostensibles, ce prix revenant au seul "grand gagnant" présélectionné à l'occasion d'un tirage au sort suivant la procédure énoncée dans le règlement, moyennant le renvoi du bon de participation, et sous réserve de la vérification de ses "droits potentiels".
Mais, ces éléments ne pouvaient emporter en faveur de M. Boucif la condamnation prononcée par application des dispositions précitées, alors que celui-ci, qui avait déjà introduit le 4 février 2011 une action devant le Tribunal de grande instance de Grasse contre une autre société de vente par correspondance pour lui réclamer sur les mêmes fondements le gain espéré, connaissait parfaitement, dès la réception des envois tous postérieurs à l'instance dont il s'est désisté le 22 juin 2011, le mécanisme des loteries publicitaires auxquelles il participait. Dans son assignation du 4 février 2011, il dénonçait les mêmes procédés consistant à "crédibiliser" les annonces de gain et à le "conforter" dans la qualité de gagnant par le vocabulaire choisi et la présentation employée, devant engager leur auteur selon les moyens développés au soutien de son action "même si l'existence de l'aléa était écrit en tout petit ou de manière sournoise". Dans ces circonstances, les annonces de la société Global mail concept ne pouvaient fonder de sa part un espoir légitime de gain ferme. Il ne saurait dès lors prétendre de bonne foi à l'exécution d'une quelconque obligation quasi-contractuelle de ce chef.
Le comportement de mauvaise foi de M. Boucif fait de même obstacle à ce qu'il recherche la responsabilité quasi-délictuelle de l'annonceur pour avoir contrevenu à la réglementation des loteries et abusé de sa crédulité, alors que c'est en toute conscience des règles mises en œuvre qu'il a pris part aux opérations publicitaires dont il était destinataire. Dans de telles circonstances, le dommage tant matériel que moral invoqué au titre de dépenses "peut-être" engagées en relation avec l'argent qu'il était "certain d'avoir gagné" selon ses écritures et de "frustrations nées de fausses espérances" n'est aucunement caractérisé.
Le jugement déféré sera dès lors infirmé et M. Boucif débouté de toutes ses demandes.
Il n'est pas inéquitable d'abandonner aux parties la charge de leurs frais non compris dans les dépens.
Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Infirme le jugement déféré, Et, statuant à nouveau, Déboute M. Boucif de toutes ses demandes, le Condamne aux dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement direct dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du même Code.