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Décisions

CA Colmar, 2e ch. civ. A, 21 janvier 2015, n° 13-03085

COLMAR

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Cybernecard International (SARL)

Défendeur :

Baltes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leiber

Conseillers :

Mme Diepenbroek, M. Daeschler

Avocats :

Mes Harter, Gross, Beckers, Grignon Dumoulin

TGI Strasbourg, du 14 mai 2013

14 mai 2013

Faits, procédure et prétentions des parties

Le 1er août 2006, M. Jean-Alain Baltes a conclu avec la SARL Cybernecard International, qui commercialise des produits publicitaires, un contrat d'agent commercial à durée indéterminée pour les départements de la région parisienne.

M. Jean-Alain Baltes s'engageait à réaliser un chiffre d'affaire minimum de 1 000 000 euro pour la première année, lequel était indexé annuellement de 30 % à la date anniversaire du contrat.

Par lettre du 2 janvier 2009, la SARL Cybernecard International a informé M. Jean-Alain Baltes de ce qu'elle n'était pas satisfaite de ses prestations et de ce que les objectifs fixés n'étaient pas atteints et lui a imparti un délai jusqu'au 31 juillet 2009 pour réaliser un chiffre d'affaires mensuel de 170 697 euro.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 mars 2009, la SARL Cybernecard International ayant constaté que les chiffres d'affaires réalisés pour les mois de janvier et février 2009 étaient très en deçà des objectifs fixés, a résilié le contrat à effet au 30 juin 2009 et a proposé une indemnité de rupture de 15 000 euro.

Par courrier du 10 juin 2009, M. Jean-Alain Baltes a contesté les griefs qui lui étaient reprochés et a réclamé paiement d'une indemnité de rupture qui ne saurait être inférieure à 65 000 euro ainsi que des commissions restant dues pour les opérations conclues jusqu'au 30 juin 2009.

Par exploit du 29 mars 2010, M. Jean-Alain Baltes a saisi du litige le Tribunal de commerce de Nanterre, qui s'est déclaré incompétent au profit de la chambre civile du Tribunal de grande instance de Strasbourg par un jugement du 18 novembre 2010 confirmé par un arrêt de la Cour d'appel de Versailles en date du 23 juin 2011.

Par jugement en date du 14 mai 2013, le Tribunal de grande instance de Strasbourg a condamné la SARL Cybernecard International à payer à M. Jean-Alain Baltes la somme de 140 900 euro, outre intérêts au taux légal à compter du 29 mars 2010, avec capitalisation des intérêts échus pour une année entière et l'a condamnée, sous astreinte de 100 euro par jour de retard à l'issue d'un délai d'un mois après la signification du jugement, à fournir à M. Jean-Alain Baltes les balances clients pour son secteur pour l'année 2009.

La SARL Cybernecard International a interjeté appel de ce jugement le 25 juin 2013.

Par conclusions du 9 avril 2014, elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de débouter M. Jean-Alain Baltes de l'ensemble de ses demandes et de le condamner au paiement d'une indemnité de procédure de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Subsidiairement, elle sollicite la limitation de l'indemnité de rupture à la somme de 36 000 euro.

Par conclusions du 24 juin 2014, M. Jean-Alain Baltes conclut au rejet de l'appel, à la confirmation du jugement, au débouté de la SARL Cybernecard International ainsi qu'à sa condamnation au paiement d'une indemnité de procédure de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, en sus des entiers dépens incluant les frais de saisie attribution.

Pour admettre le principe du droit de M. Jean-Alain Baltes à indemnité compensatrice, le tribunal a retenu que :

- la SARL Cybernecard International ayant elle-même admis le principe du versement d'une indemnité compensatrice lors de la résiliation du contrat a, implicitement mais nécessairement, considéré que M. Jean-Alain Baltes n'avait commis aucune faute grave de nature à le priver de son droit à indemnité,

- qu'en tout état de cause, la non réalisation des objectifs fixés dans un contexte de crise économique ne constitue pas une faute grave.

Sur le montant, le tribunal a considéré que :

- l'article 17-2 a) de la directive 86-653 CEE du Conseil du 18 décembre 1986 n'avait pas vocation à s'appliquer dès lors que le législateur français a retenu l'option de la réparation du préjudice subi prévue par l'article 17-3 de la directive,

- que la clause contractuelle fixant le montant de l'indemnité due à une année de commissions calculée sur la moyenne des commissions versées pendant les trois dernières années ne pouvait être opposée à M. Jean-Alain Baltes en application de l'article L. 134-16 du Code de commerce, cette clause étant contraire aux dispositions de l'article L. 134-12 du même Code qui prévoit que l'indemnité doit réparer le préjudice subi,

- qu'il convenait conformément, aux usages, d'évaluer le montant de l'indemnité de cessation de contrat à deux années de commissions brutes.

Au soutien de son appel la SARL Cybernecard International fait valoir que :

- la non-réalisation des objectifs fixés malgré le courrier de rappel de ses obligations en date du 2 janvier 2009 est constitutive d'une faute grave suffisante pour entraîner la privation du droit à indemnité compensatrice conformément à l'article L. 134-13du Code de commerce,

- la clause contractuelle fixant à l'avance le quantum de l'indemnité ne tombe pas sous le coup des dispositions de l'article L. 134-16 du Code de commerce,

- selon l'article 17-2 a) de la directive CEE du Conseil du 18 décembre 1986, l'indemnité est due si l'agent a apporté de nouveaux clients ou s'il a développé sensiblement les opérations avec les clients existants et si le paiement de cette indemnité est équitable au regard des circonstances,

- M. Jean-Alain Baltes qui n'a pas développé son activité qui n'a fait que décroître, ne justifie pas de son préjudice et peut tout au plus prétendre à une année de commissions, soit 36 000 euro.

M. Jean-Alain Baltes fait siens les motifs du jugement. Il rappelle la jurisprudence de la Chambre commerciale de la Cour de cassation qui répute non écrites les clauses fixant par avance le mode de calcul de l'indemnité. Il souligne que la SARL Cybernecard International ne lui reproche aucune faute précise, que les objectifs fixés, qui ne reposent sur aucunes données concrètes et vérifiables, étaient impossibles à réaliser, que l'agent commercial n'est tenu que d'une obligation de moyen et que l'appelante a reconnu le principe de son droit à indemnité dans sa lettre de rupture.

Il approuve le jugement en ce qu'il a considéré que l'article 17-2 a) de la directive n'est pas applicable puisque les Etats membres avaient une option entre indemnité de clientèle ou indemnité de réparation du préjudice subi et que c'est la seconde qui a été retenue et fait valoir que son préjudice est réel et a été aggravé par la clause de non-concurrence pendant une année figurant au contrat et conteste les chiffres avancés par la SARL Cybernecard International.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 10 septembre 2014.

MOTIFS

Ainsi que l'a rappelé le tribunal, il appartient à la SARL Cybernecard International, qui conteste le droit de M. Jean-Alain Baltes au paiement d'une indemnité compensatrice conformément à l'article L. 134-12 du Code de commerce, de démontrer l'existence d'une faute grave qui lui soit imputable, portant atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rendant impossible le maintien du lien contractuel.

En l'espèce, la SARL Cybernecard International n'invoque, pour justifier la rupture, aucune autre faute que celle visée dans son courrier du 30 mars 2009, à savoir le non-respect des objectifs de résultats fixés dans le contrat.

Le non-respect des objectifs de résultat fixés, dans un contexte de crise économique, n'est toutefois pas suffisant, pour caractériser une faute grave en l'absence de toute preuve d'autres manquements de l'agent commercial dans l'exécution de son mandat. Il sera observé que si la réalisation d'un chiffre d'affaires minimum de 1 000 000 euro pendant la première année avait été accepté par les parties, la progression annuelle de 30 % stipulée ne repose toutefois sur aucun élément concret et la SARL Cybernecard International ne démontre pas qu'elle était réalisable dans la conjoncture économique existant en 2008 et 2009, se contentant d'affirmer, sans en justifier, que le taux de progression sur le reste de la France aurait été de 25 % pour la même période et que la progression sur le secteur confié à l'intimé aurait été supérieur à 20 % les années suivantes.

En outre, ainsi que l'a exactement relevé le premier juge, l'appelante qui reconnaissait dans son courrier du 30 mars 2009, le droit de M. Jean-Alain Baltes de bénéficier du préavis de trois mois prévu par l'article L. 134-11 du Code de commerce et d'une indemnité compensatrice, conformément à l'article L. 134-12 du même Code, a ainsi, implicitement admis que cette faute ne présentait pas un caractère de gravité tel qu'elle soit susceptible de priver l'intimé de tout droit à indemnité.

C'est donc à bon droit que le tribunal a considéré que M. Jean-Alain Baltes pouvait prétendre au bénéfice d'une indemnité compensatrice. S'agissant du montant de cette indemnité, le tribunal a exactement retenu que la SARL Cybernecard International ne pouvait se prévaloir utilement des dispositions de l'article 17 § 2 a) de la directive 86-653 CEE du Conseil en date du 18 décembre 1986, dès lors que le paragraphe 1 de l'article 17 prévoit pour les États membres une option entre une indemnisation de la perte de clientèle selon le paragraphe 2 et la réparation du préjudice selon le paragraphe 3 et que le législateur français a opté pour la réparation du préjudice prévue par l'article 17 § 3 lors de la transposition de cette directive.

Le jugement sera également approuvé en ce qu'il a retenu que la clause du contrat qui fixe a priori le montant de l'indemnité à une année de commissions doit être réputée non écrite en application de l'article L. 134-16 du Code de commerce comme étant contraire à l'article L. 134-12 alinéa 1er du même Code.

M. Jean-Alain Baltes, qui était en outre soumis à une obligation de non-concurrence pendant une année, s'étant trouvé privé de revenus du fait de la rupture, subit incontestablement un préjudice que le premier juge a exactement évalué, conformément aux usages en la matière, à deux années de commission calculées par rapport aux commissions perçues au titre des deux années ayant précédé la rupture.

S'agissant toutefois d'une indemnité, le calcul doit s'opérer sur les commissions nettes perçues hors TVA.

Au vu des factures produites, M. Jean-Alain Baltes a perçu 68 806,86 euro pour 2006/2007 et 66 993,71 euro pour 2007/2008, il y a donc lieu de fixer à 133 800 euro le montant de l'indemnité due, outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation.

Pour le surplus, il convient de constater que l'appelante ne développe aucun moyen d'appel pour contester sa condamnation à fournir à M. Jean-Alain Baltes un extrait des balances clients.

La SARL Cybernecard International, qui succombe à titre principal, supportera la charge des dépens lesquels incluent les frais d'exécution ainsi que d'une indemnité de procédure de 1500 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, sa propre demande de ce chef étant rejetée.

Par ces motifs, Infirme le jugement du Tribunal de grande instance de Strasbourg en date du 14 mai 2013 uniquement en ce qui concerne le montant de l'indemnité allouée à M. Jean-Alain Baltes, Statuant à nouveau dans cette limite, Condamne la SARL Cybernecard International à payer à M. Jean-Alain Baltes la somme de 133 800 euro (cent trente-trois mille huit cents euros) outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 29 mars 2010, Confirme le jugement entrepris pour le surplus, Déboute la SARL Cybernecard International de sa demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SARL Cybernecard International aux dépens ainsi qu'à payer à M. Jean-Alain Baltes la somme de 1 500 euro (mille cinq cents euros) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.