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Décisions

CA Versailles, 3e ch., 22 janvier 2015, n° 11-07687

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

UFC Que Choisir

Défendeur :

Etablissements Darty et Fils (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Boisselet

Conseillers :

Mmes de Martel, Derniaux

Avocats :

Mes Chouteau, Nasry, Dupuis, Bretzner

TGI Paris, 1re ch. sect. soc., du 24 jui…

24 juin 2008

Par acte du 12 décembre 2006, l'association UFC Que Choisir (ci-après UFC) a assigné la société Etablissements Darty et fils (ci-après Darty) pris en son établissement des Halles à Paris devant le Tribunal de grande instance de Paris, aux fins pour l'essentiel de voir constater que la défenderesse, qui vend des ordinateurs portables équipés de logiciels d'exploitation, et notamment du logiciel Windows XP, contrevient aux dispositions de l'article L. 122-1 du Code de la consommation qui prohibe les ventes subordonnées. L'UFC Que Choisir demandait également que soit ordonné à Darty d'indiquer le prix des logiciels préinstallés en application de l'article L. 121-1 du même Code.

Par jugement du 24 juin 2008, le tribunal a donné acte à l'association de Droit du Marketing de son intervention volontaire, ordonné à la société Darty dans le délai d'un mois après signification du jugement d'indiquer le prix des logiciels d'exploitation et d'utilisation préinstallés et débouté les parties de leurs plus amples demandes.

Sur appel de Darty la Cour d'appel de Paris a, par arrêt du 26 octobre 2009, interprétant la loi nationale à la lumière d'un arrêt rendu par la CJUE le 23 avril 2009 (Total Belgium contre Sanoma) :

- mis hors de cause l'association du Droit du Marketing,

- confirmé le jugement sur le rejet des demandes de l'UFC fondées sur l'article L. 122-1 du Code de la consommation,

- y ajoutant, rejeté les demandes de l'UFC sur le fondement de l'article L. 121-1 du Code de la consommation,

- infirmant le jugement,

- débouté l'UFC de ses demandes fondées sur l'article 7 de l'arrêté du ministre de l'Economie du 3 décembre 1987 relatif à l'information du consommateur sur les prix,

- débouté l'UFC de ses demandes d'indemnisation,

- condamné l'UFC à diffuser sur son site Internet pendant trois mois à compter de la signification de l'arrêt, le dispositif de ce dernier en ce qu'il la concerne et à le publier dans le prochain numéro de la revue mensuelle Que Choisir,

- condamné l'UFC à payer à Darty la somme de 12 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

Sur pourvoi de l'UFC, la Cour de cassation a, par arrêt du 6 octobre 2011, cassé cet arrêt en toutes ses dispositions et renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Versailles, retenant, au visa de l'article L. 121-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 3 janvier 2008, tel qu'interprété à la lumière de la directive 2005-29-CE du Parlement et du Conseil du 11 mai 2005, que la Cour d'appel de Paris avait violé ce texte en jugeant que Darty n'avait pas à fournir au consommateur les informations relatives aux conditions d'utilisation des logiciels et pouvait se borner à identifier ceux équipant les ordinateurs qu'elle distribue, alors que les informations relatives aux caractéristiques principales d'un ordinateur équipé de logiciels d'exploitation et d'application sont de celles que le vendeur professionnel doit au consommateur moyen pour lui permettre de prendre une décision en connaissance de cause.

Par arrêt du 30 janvier 2014, la présente cour a dit n'y avoir lieu à transmettre à la Cour de cassation deux questions prioritaires de constitutionnalité relatives à la conformité à la constitution des notions de " motif légitime ", " diligence professionnelle ", " altération substantielle du comportement économique du consommateur " et de " consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé ".

Par dernières écritures du 5 novembre 2014, Darty demande à la cour de :

- juger que la commercialisation d'ordinateurs dotés de logiciels " pré-installés " par les fabricants ne l'expose à aucun grief fondé sur l'article L. 122-1 du Code de la consommation,

- juger que cette pratique ne constitue pas une pratique commerciale déloyale au sens de l'article L. 120-1 du Code de la consommation,

- confirmer en conséquence le jugement entrepris sur le rejet du grief formulé par UFC sur le fondement de l'article L. 122-1 du Code de la consommation,

- juger que l'information fournie par Darty à ses clients ne présente aucun caractère trompeur, que ce soit au sujet des conditions d'utilisation des logiciels " pré-installés ", des conditions à observer pour renoncer à l'usage des logiciels " pré-installés " ou du prix des logiciels que les fabricants insèrent eux-mêmes dans les ordinateurs destinés au grand public,

- juger en outre que les omissions alléguées à l'encontre de Darty ne sont pas de nature à susciter une altération substantielle du comportement économique du consommateur,

- juger en conséquence qu'aucune pratique commerciale déloyale trompeuse n'est démontrée contre Darty et débouter UFC de ses demandes fondées sur l'article L. 121-1 du Code de la consommation,

- juger qu'aucun grief ne peut être retenu sur le fondement de l'article 7 de l'arrêté du 3 décembre 1987, lequel n'est pas compatible avec la directive CE du 11 mai 2005, de sorte qu'il ne saurait fonder un grief, ni a fortiori une injonction à l'encontre de Darty,

- réformer en conséquence le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné à Darty de communiquer au public le prix des logiciels " pré-installés " dans les micro-ordinateurs qu'elle commercialise, alors même qu'elle ne dispose pas de cette information,

- juger qu'UFC ne produit aucune pièce démontrant un préjudice certain, personnel et résultant directement de la faute qu'elle impute à Darty,

- confirmer en conséquence le jugement entrepris en ce qu'il a débouté UFC de l'ensemble de ses demandes indemnitaires,

- juger que la révélation au public du présent contentieux par UFC caractérise de sa part une imprudence blâmable au sens de l'article 1383 du Code civil,

- condamner UFC à s'acquitter au profit de Darty d'une somme de 30 000 euro à titre de dommages et intérêts,

- condamner en outre UFC à publier le dispositif de l'arrêt à intervenir sur son site Internet pendant un an, ainsi que dans le prochain numéro de la revue mensuelle " Que Choisir ",

- condamner UFC à lui payer la somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- la condamner aux dépens.

Par dernières écritures, du 5 novembre 2014, UFC demande à la cour de :

- constater que Darty vend aux consommateurs des ordinateurs préalablement équipés du logiciel d'exploitation Microsoft Windows et de différents logiciels d'utilisation, sans indication du prix desdits logiciels, sans informer lesdits consommateurs des conditions d'utilisation de ces logiciels et sans leur offrir la possibilité d'acquérir les ordinateurs sans les logiciels préinstallés,

- confirmer le jugement du Tribunal de grande instance de Paris du du 24 juin 2008 ce qu'il a :

- ordonné à la société Darty et Fils d'indiquer le prix des logiciels d'exploitation et d'utilisation préinstallés sur les ordinateurs qu'elle expose à la vente dans son réseau de magasins,

- rejeté la demande reconventionnelle formulée par Darty contre UFC,

Réformant le jugement entrepris pour le surplus,

- juger que les agissements dénoncés par l'UFC constituent la contravention de vente liée au sens de l'article L. 122-1 du Code de la Consommation, interprété à la lumière de la directive du 2005-29-CE du Parlement et du Conseil du 11 mai 2005,

- juger que la vente d'ordinateurs avec des logiciels préinstallés sans indication de leur prix, sans information sur les conditions d'utilisation des logiciels d'exploitation et d'application préinstallés et sans possibilité de renoncer sur le lieu de vente auxdits logiciels constitue une pratique commerciale trompeuse, au sens de l'article L. 121-1 du Code de la consommation,

- enjoindre à Darty, sous astreinte de 10 000 euro par jour de retard, une fois expiré un délai de 8 jours à compter de la signification de la décision à intervenir, de cesser de vendre ses ordinateurs avec des logiciels pré-installés sans offrir à l'acquéreur la possibilité de renoncer à ces logiciels moyennant déduction du prix correspondant à leur licence d'utilisation,

- faire injonction à Darty, dans le même délai, d'indiquer aux consommateurs les conditions d'utilisation des logiciels d'exploitation et d'utilisation préinstallés sur les ordinateurs qu'elle expose à la vente dans son réseau de magasins,

- faire injonction à Darty, dans le même délai, d'indiquer le prix des logiciels d'exploitation et d'utilisation pré-installés sur les ordinateurs qu'elle expose à la vente dans son réseau de magasins,

- diffuser un communiqué judiciaire sur la page d'accueil du site Internet : www.darty.com conçu en ces termes :

" Par décision en date du, la Cour d'appel de Versailles a constaté, à la requête de l'UFC Que Choisir, que la société Darty a commis une pratique commerciale déloyale en obligeant les consommateurs désireux d'acheter un ordinateur à acquérir dans le même temps un logiciel d'exploitation et différents logiciels d'utilisation préprogrammés.

En conséquence, la cour a enjoint la société Darty et Fils de faire figurer sur les ordinateurs portables ou de bureau exposés à la vente, une mention informative alertant le consommateur de la possibilité de renoncer à l'achat des logiciels pré-installés sur les ordinateurs qu'elle vend, moyennant réduction d'une partie du prix.

La cour a également fait injonction à la société Darty et Fils d'indiquer le prix des différents logiciels pré-installés dans les ordinateurs qu'elle vend dans les différents magasins Darty.

Le présent communiqué est diffusé pour informer les consommateurs ".

- juger que cette insertion devra figurer sur la page d'accueil du site Internet : www.darty.com, une fois expiré un délai de 30 jours, à compter de la signification de la décision, pendant une durée de trois mois, à peine de même astreinte de 10 000 euro par jour pour tout manquement constaté,

- condamner Darty à payer à l'UFC la somme de 30 000 euro en réparation du préjudice indûment causé à la collectivité des consommateurs,

- débouter Darty de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, formulées tant en première instance qu'en cause d'appel,

- condamner Darty à payer à l'UFC la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 novembre 2014.

Sur quoi, LA COUR :

Deux observations liminaires doivent être faites :

En premier lieu, le juge civil n'a pas à se prononcer sur l'existence d'une infraction pénale. Il ne peut que faire cesser une situation illicite, telle que définie par un texte pénal, s'il estime qu'elle existe.

En second lieu, la cassation totale de l'arrêt du 26 octobre 2009 a été prononcée au visa de l'article L. 121-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 3 janvier 2008, qui était la suivante :

Est interdite toute publicité comportant, sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, lorsque celles-ci portent sur un ou plusieurs des éléments ci-après ; existence, nature, composition, qualités substantielles, teneur en principes utiles, espèce, origine, quantité, mode et date de fabrication, propriétés, prix et conditions de vente de biens ou services qui font l'objet de la publicité, conditions de leur utilisation, résultats qui peuvent être attendus de leur utilisation, motifs ou procédés de la vente ou de la prestation de services, portée des engagements pris par l'annonceur, identité, qualités ou aptitudes du fabricant, des revendeurs, des promoteurs ou des prestataires.

La Cour de cassation a précisé que ce texte devait être interprété à la lumière de la directive 2005-29-CE du 11 mai 2005.

Le législateur français a, depuis, et par les lois du 4 août 2008 et du 17 mai 2011, opéré la transposition de cette directive et a modifié comme suit les dispositions du Code de la consommation :

Art. L. 120-1 : les pratiques commerciales déloyales sont interdites. Une pratique commerciale est déloyale lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère ou risque d'altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service...

II. Constituent, en particulier, des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-1 et L. 121-1-1 et les pratiques commerciales agressives définies aux articles L. 122-11 et L. 122-11-1.

Art. L. 121-1 : une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l'une des circonstances suivantes :

1° Lorsqu'elle crée une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial, ou un autre signe distinctif d'un concurrent ;

2° Lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'un ou plusieurs des éléments suivants :

a) L'existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service ;

b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l'usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service ;

c) Le prix ou le mode de calcul du prix, le caractère promotionnel du prix et les conditions de vente, de paiement et de livraison du bien ou du service ;

d) Le service après-vente, la nécessité d'un service, d'une pièce détachée, d'un remplacement ou d'une réparation ;

e) La portée des engagements de l'annonceur, la nature, le procédé ou le motif de la vente ou de la prestation de services ;

f) L'identité, les qualités, les aptitudes et les droits du professionnel ;

g) Le traitement des réclamations et les droits du consommateur ;

3° Lorsque la personne pour le compte de laquelle elle est mise en œuvre n'est pas clairement identifiable.

II.- Une pratique commerciale est également trompeuse si, compte tenu des limites propres au moyen de communication utilisé et des circonstances qui l'entourent, elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle ou lorsqu'elle n'indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte.

Lorsque le moyen de communication utilisé impose des limites d'espace ou de temps, il y a lieu, pour apprécier si des informations substantielles ont été omises, de tenir compte de ces limites ainsi que de toute mesure prise par le professionnel pour mettre ces informations à la disposition du consommateur par d'autres moyens.

Dans toute communication commerciale constituant une invitation à l'achat et destinée au consommateur mentionnant le prix et les caractéristiques du bien ou du service proposé, sont considérées comme substantielles les informations suivantes :

1° Les caractéristiques principales du bien ou du service ;

Art. L. 122-1 : Il est interdit de refuser à un consommateur la vente d'un produit ou la prestation d'un service, sauf motif légitime, et de subordonner la vente d'un produit à l'achat d'une quantité imposée ou à l'achat concomitant d'un autre produit ou d'un autre service ainsi que de subordonner la prestation d'un service à celle d'un autre service ou à l'achat d'un produit dès lors que cette subordination constitue une pratique commerciale déloyale au sens de l'article L. 120-1.

Les faits dénoncés par UFC, qui remontent à décembre 2006, doivent ainsi être appréciés, ainsi que rappelé par la Cour de cassation, conformément au droit positif applicable à ce moment, c'est-à-dire conformément aux articles L. 121-1 et L. 122-1 du Code de la consommation dans leur rédaction alors applicable, mais interprétés à la lumière de la directive du 11 mai 2005. Le contenu matériel des dispositions des articles cités plus haut, dans leur rédaction issue des lois de transposition, étant cependant identique à celui de la directive, l'exigence de clarté de l'exposé justifie que soient seuls mentionnés ces articles, d'autant plus que l'essentiel des demandes formées par UFC consiste en des injonctions de faire, qui ne peuvent s'appliquer que pour l'avenir, et donc sous l'empire des nouveaux textes, et que ces derniers, qui ne contiennent aucune prohibition "per se" des ventes liées, et soumettent l'exigence de publicité des prix au critère de déloyauté, sont globalement plus favorables à Darty, dont le comportement commercial est mis en cause. Les parties elles-mêmes visent d'ailleurs exclusivement ces derniers.

- Sur l'existence de ventes liées illicites :

Bien que la motivation de l'arrêt de la Cour de cassation n'y fasse aucune référence, la cassation prononcée est totale, et la cour de céans doit examiner cette demande, qui, rejetée par le tribunal, est à nouveau formulée par UFC.

Les ventes liées ne sont désormais prohibées que si elles constituent une pratique commerciale déloyale telle que définie par les articles L. 120-1 et L. 121-1 du Code de la consommation.

Selon les dispositions qui viennent d'être rappelées, est prohibée comme déloyale toute pratique trompeuse au sens de l'article L. 121-1, qui contient des indications fausses ou de nature à induire en erreur notamment sur le prix et les caractéristiques principales du bien. Ces dispositions ne concernent pas directement l'offre de vente liée de logiciels, et il y a donc lieu d'examiner si cette pratique entre dans la définition générale de la pratique déloyale donnée par l'article L. 120-1. Ce texte édicte deux conditions cumulatives, soit le fait d'être contraire aux exigences de la diligence professionnelle et d'altérer ou risquer d'altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service. L'existence d'un motif légitime n'est donc pas pertinente, le texte précité ne le mentionnant qu'en ce qui concerne le refus de vente.

Il est constant que, comme la plupart de ses concurrents, Darty propose exclusivement des ordinateurs équipés d'un logiciel d'exploitation et de logiciels d'utilisation préinstallés, sans faculté pour le consommateur de n'acheter que l'ordinateur. Le prix est global et ne détaille pas la fraction correspondant à l'ordinateur proprement dit et celle correspondant au coût des logiciels. L'acquéreur d'un ordinateur est ainsi conduit à acquérir certains logiciels dont il peut ne pas avoir l'usage, s'il décide par exemple d'installer d'autres logiciels d'exploitation, tels " Linux " cité par les parties et qui serait librement et gratuitement accessible.

Darty ne conteste pas cet état de fait, mais soutient que cette pratique ne peut être qualifiée de déloyale. En effet, le public auquel elle s'adresse est en son immense majorité désireux d'acquérir un ordinateur prêt à l'emploi, et ne dispose pas des capacités et connaissances techniques nécessaires pour installer lui-même les logiciels nécessaires. Étant exclusivement distributeur, et non fabriquant, elle achète elle-même ses produits déjà équipés, qui sont des produits standardisés destinés au grand public pour un prix global, et il lui est impossible de déterminer le prix payé au titre des logiciels. En ce qui concerne ces derniers, elle n'est pas partie au contrat qui se forme entre l'utilisateur final et l'éditeur des logiciels, qui s'analyse en un contrat de licence assimilable au louage. Elle n'est par ailleurs pas en mesure d'assurer une garantie ou un service après-vente pour des ordinateurs qui ne seraient pas équipés de logiciels préinstallés, puisqu'alors elle ignorerait tout de la configuration adoptée par l'usager. Elle conteste ainsi tout manquement aux exigences de la diligence professionnelle et toute incidence de cette situation sur le comportement économique du consommateur moyen, qui est celui auquel elle s'adresse.

L'ensemble ordinateur logiciel constitue, ainsi que l'a justement observé le tribunal, un produit complexe constitué d'éléments indépendants les uns des autres, puisqu'un ordinateur peut être équipé de divers logiciels, dont notamment des logiciels gratuits. Il ne peut donc être considéré comme un produit unique constitué d'éléments complémentaires. Le tribunal a en outre justement retenu que la faculté de bénéficier d'un contrat de licence d'utilisateur final en ce qui concerne les logiciels doit s'analyser en une prestation de service. Il est enfin constant qu'existe un marché des ordinateurs "nus" c'est-à-dire non équipés de logiciels préinstallés, qui intéresse plus spécialement les usages professionnels de ces matériels. Par conséquent, sur un plan théorique, rien ne paraît s'opposer à ce que chaque élément puisse être vendu séparément.

Il résulte néanmoins des pièces produites par Darty d'une part qu'elle achète en l'état ces produits et d'autre part que les fabricants se refusent à fournir la moindre indication sur le coût des logiciels préinstallés, ainsi qu'en témoignent les courriers de HP, Asus, Apple par exemple, certains précisant qu'ils ne vendent pas séparément les ordinateurs et les logiciels. Les experts qu'elle a saisis se sont déclarés dans l'incapacité d'évaluer le prix des logiciels préinstallés. Selon les pièces produites par UFC elle-même, les ordinateurs "grand public" commercialisés par les concurrents de Darty (tels la Fnac, Surcouf, Auchan) sont également systématiquement équipés de logiciels préinstallés, ce qui démontre que cette pratique est générale dans la grande distribution de ces produits.

Aucun élément ne permet par ailleurs d'affirmer que la puissance économique de Darty, et sa position de distributeur de masse, lui permettraient d'obtenir de ses partenaires commerciaux la modification de ce comportement.

Est ainsi démontrée l'impossibilité pratique pour Darty de commercialiser séparément les logiciels faisant l'objet d'une pré installation sur les ordinateurs qu'elle vend et d'isoler leur coût. Aucune règle de droit positif ne permet par ailleurs de l'astreindre à commercialiser des ordinateurs identiques "nus" alors que ceux-ci ne font pas l'objet d'une demande significative de sa clientèle, exception faite de celle, marginale, qui souhaite à la fois bénéficier des prix attractifs de la grande distribution, et de produits non standardisés.

Aucun manquement aux exigences de diligence professionnelle n'est donc démontré contre Darty. Les conditions posées par l'article L. 120-1 pour qu'une pratique soit considérée comme déloyale étant cumulatives, l'examen de la seconde condition, relative aux risques d'altération du comportement du consommateur moyen n'a pas lieu d'être examinée. Il sera cependant observé que, si les courriers de consommateurs produits par UFC démontrent que cette situation est contestée, leur examen attentif démontre cependant que leurs auteurs sont des amateurs éclairés voire des professionnels de l'informatique, et n'établit donc pas que les décisions du consommateur moyen, qui ne peut être réputé formuler de telles exigences, en sont affectées ou risquent de l'être. Il n'est ainsi pas démontré que les considérations qui avaient conduit l'administration des Fraudes à tolérer au début du développement de ce secteur les ventes liées en matière d'informatique, à savoir qu'il était de l'intérêt d'un néophyte de pouvoir acquérir facilement un ordinateur prêt à l'emploi, soient devenues obsolètes en raison de l'élévation du niveau général de connaissances en informatique dans le grand public.

Les demandes d'UFC tendant à ce qu'il soit fait injonction à Darty de cesser de vendre ses ordinateurs avec logiciels préinstallés sans offrir à l'acquéreur la possibilité de renoncer à ces logiciels moyennant déduction du prix correspondant à leur licence d'utilisation, et d'indiquer le prix des logiciels préinstallés seront donc rejetées.

- Sur l'obligation d'information sur les produits mis en vente :

Pour les motifs ci-dessus développés, la demande relative à la fraction du prix correspondant aux logiciels fondée sur l'article 7 de l'arrêté du 3 décembre 1987 ne peut aboutir.

Les textes cités plus haut disposent que :

Une pratique commerciale est également trompeuse si, compte tenu des limites propres au moyen de communication utilisé et des circonstances qui l'entourent, elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle.

Lorsque le moyen de communication utilisé impose des limites d'espace ou de temps, il y a lieu, pour apprécier si des informations substantielles ont été omises, de tenir compte de ces limites ainsi que de toute mesure prise par le professionnel pour mettre ces informations à la disposition du consommateur par d'autres moyens.

Dans toute communication commerciale constituant une invitation à l'achat et destinée au consommateur mentionnant le prix et les caractéristiques du bien ou du service proposé, sont considérées comme substantielles les informations suivantes :

1° Les caractéristiques principales du bien ou du service ;

Il en résulte que constitue une pratique commerciale trompeuse, donc déloyale, le fait d'omettre, dissimuler ou fournir de façon inintelligible une information substantielle sur le bien ou service proposé, au nombre desquelles se trouvent les caractéristiques principales du bien ou du service.

Or il n'est pas contesté que, comme le relève UFC, les caractéristiques principales de la prestation de service portant sur les logiciels sont inconnues de l'acquéreur potentiel, puisque ce dernier n'est appelé à souscrire ce contrat que lors de la mise en service de son ordinateur, donc, par hypothèse, après achat. S'il est vrai que Darty n'est pas partie au contrat de licence, elle ne peut s'exonérer de son obligation de renseignement et d'information sur ce fondement dans la mesure où c'est bien elle qui vend la prestation de service constituée par l'accès à l'usage des logiciels. Par ailleurs la standardisation des produits commercialisés ne peut que faciliter la mise à disposition d'informations précises sur les droits résultant des contrats de licence proposés et les performances des logiciels qu'ils concernent.

La seule identification des logiciels préinstallés ainsi que l'invitation faite à l'acquéreur potentiel d'avoir à se documenter par lui-même sur la nature et l'étendue des droits conférés par la ou les licences proposées, ainsi que sur les caractéristiques principales des logiciels équipant les ordinateurs offerts à la vente ne constituent pas une information suffisante.

Il sera par conséquent fait injonction à Darty d'indiquer aux consommateurs les conditions d'utilisation des logiciels d'exploitation et d'utilisation préinstallés sur les ordinateurs qu'elle propose à la vente, ainsi que leurs caractéristiques principales. Cette injonction sera assortie d'une astreinte de 1 000 euro par infraction constatée passé le délai de trois mois après signification du présent arrêt, et ce pendant douze mois après lesquels il pourra à nouveau être fait droit.

- Sur les autres demandes :

Le préjudice causé à l'intérêt collectif des consommateurs est établi par les nombreux courriers produits par l'UFC, laquelle a reçu habilitation à le défendre. Il sera justement réparé par la somme de 5 000 euro.

Le tribunal a, par des motifs que la cour adopte, exactement jugé que les communiqués de presse diffusés par UFC ne dépassaient pas la mesure de ce qui était nécessaire à l'exercice de la mission d'information et de défense des consommateurs dont cette association reconnue d'utilité publique a été chargée, et le rejet de la demande indemnitaire formée par Darty sera confirmé.

Aucune publication n'est opportune, et les demandes des deux parties à ce titre seront rejetées.

L'association Droit du Marketing n'est plus à la procédure à la suite du désistement d'UFC en ce qui la concerne.

Darty, qui succombe partiellement, supportera les dépens de première instance, de la procédure d'appel devant la Cour de Paris et de la présente instance.

L'équité commande en outre qu'elle contribue aux frais de procédure exposés par UFC à hauteur de 5 000 euro.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 6 octobre 2011, Infirmant le jugement déféré en ce qu'il a été fait injonction à la société Etablissements Darty et fils d'indiquer le prix des logiciels préinstallés dans les ordinateurs qu'elle commercialise dans son réseau de magasins, Déboute UFC Que Choisir de cette demande, Complétant le jugement, Fait injonction à la société Etablissements Darty d'indiquer aux consommateurs les conditions d'utilisation des logiciels d'exploitation et d'utilisation préinstallés sur les ordinateurs qu'elle propose à la vente, ainsi que leurs caractéristiques principales, Dit que cette injonction sera assortie d'une astreinte de 1 000 euro par infraction constatée passé le délai de trois mois après signification du présent arrêt, et ce pendant douze mois après lesquels il pourra à nouveau être fait droit, Infirmant le jugement sur le rejet de la demande de dommages et intérêts formée par UFC et statuant à nouveau de ce chef, Condamne la société Etablissements Darty et Fils à payer à l'UFC Que Choisir la somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts, Confirme le jugement déféré en ce que tous les autres chefs de demandes au fond ont été rejetés, Rejette toute autre demande au fond plus ample ou contraire, Infirmant le jugement sur la charge des dépens et les demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et statuant à nouveau de ces chefs, ainsi que sur les demandes formées au même titre devant la Cour de céans, Condamne la société Etablissements Darty et Fils aux dépens de première instance, de l'instance d'appel devant la Cour de Paris et de l'instance sur renvoi après cassation, avec recouvrement direct, La condamne également à payer à l'UFC Que Choisir la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.