Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 28 janvier 2015, n° 10-15692

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

AST Location (SARL), Barault (ès qual.)

Défendeur :

Milton Location de Voitures (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Luc, Nicoletis

Avocats :

Mes Lesénéchal, Laraize, Teytaud, Gauclère

T. com. Paris, du 21 mai 2010

21 mai 2010

Rappel des faits et de la procédure :

La société par actions simplifiée Milton Location de Voitures (société Milton) exploite en France l'enseigne de location de voitures Budget au travers d'un réseau de franchisés exclusif.

Le 25 février 2003, la société Milton a signé avec la société AST Location (société AST) un contrat de franchise accordant à la société AST le droit d'exploiter l'enseigne Budget sur trois sites localisés respectivement à Troyes, Dammarie-les-Lys et Sens pour une durée déterminée de trois ans.

Selon les termes de ce contrat, le franchisé doit régler au franchiseur une redevance mensuelle dont le calcul est effectué à partir de la déclaration mensuelle d'activité émise par le franchisé au vu du chiffre d'affaires de location réalisé sur la période de référence.

L'article 6.4 du contrat pose cependant le principe du paiement par ce dernier d'une redevance minimum, le franchisé s'engageant à procéder au règlement de la somme la plus élevée entre la redevance minimum et la redevance effective calculée selon la déclaration mensuelle d'activité.

A la fin de l'année 2006, la société AST a cessé de régler au franchiseur les redevances mensuelles.

En outre, par des recoupements informatiques, la société Milton s'est aperçue que la société AST minimisait son chiffre d'affaires.

La société Milton a adressé à son franchisé plusieurs courriers de mise en garde puis de mise en demeure, les 21 décembre 2006, 6 février 2007, 27 février 2007 et 16 mars 2007.

Après une rencontre infructueuse des parties le 27 mars 2007, la société Milton a, par lettre recommandée du 6 avril 2007, adressé un courrier de résiliation du contrat de franchise de la société AST à effet immédiat, conformément aux dispositions 10.3 du contrat. La société Milton a également mis en demeure la société AST de régler les sommes suivantes :

- 84 189,52 euro au titre de l'année 2006, à la suite du contrôle des déclarations mensuelles d'activité,

- 36 163,24 euro pour les deux premiers mois de l'année 2007 hors régularisations après réintégration du chiffre d'affaires non déclaré sur janvier 2007, redevance de mars 2007, refacturation informatique Car System.

La société AST n'a pas procédé au règlement des sommes.

Par acte du 18 septembre 2007, la société Milton a assigné la société AST devant le Tribunal de commerce de Paris.

Par un jugement en date du 21 mai 2010, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Paris a :

- dit la société Milton recevable et bien fondée en sa demande en principal,

- constaté la résiliation de plein droit du contrat de franchise,

- condamné la société AST à verser à la société Milton la somme de 122 567,36 euro majorée des intérêts légaux à compter du 6 avril 2007,

- condamné la société AST à verser à la société Milton la somme de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, déboutant pour le surplus,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- ordonné l'exécution provisoire sans constitution de garantie,

- condamné la société AST aux dépens.

La société Ast a interjeté appel de cette décision le 26 juillet 2010.

Le premier président a rejeté la demande d'arrêt de l'exécution provisoire par ordonnance du 11 janvier 2011.

Par jugement en date du 9 avril 2013, le Tribunal de commerce de Troyes a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société AST.

Par conclusions du 30 mai 2013 auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des faits et moyens, la société AST et la SCP Crozat Barault Maigrot en qualité de mandataire judiciaire à la procédure de redressement judiciaire de la société AST demandent à la cour :

- infirmer la décision du Tribunal de commerce de Paris,

Statuant à nouveau,

- donner acte à la SCP Crozat Barault Maigrot, ès-qualités de son intervention volontaire à l'instance,

- dire et juger la SCP Crozat Barault Maigrot, ès- qualités de mandataire au redressement de la société Ast recevable et bien fondée en ses conclusions,

- dire et juger que la société Milton a manqué à ses obligations contractuelles pendant l'ensemble de la durée du contrat,

En conséquence,

- dire et juger que la SCP Crozat Barault Maigrot, ès-qualités de mandataire au redressement de la société Ast est bien fondée à invoquer le principe de l'exception d'inexécution,

- débouter la société Milton de l'intégralité de ses demandes,

A titre reconventionnel,

- dire et juger que la société Milton a rompu brutalement et fautivement les relations commerciales établies avec la société AST,

- dire et juger qu'en considération de la durée des relations contractuelles (23 ans), de l'état de dépendance économique de la société AST vis-à-vis de la société Milton, de la perte de marge commerciale en résultant, et des manquements contractuels de cette dernière, la société Milton sera condamnée à payer à la SCP Crozat Barault Maigrot, ès-qualités la somme forfaitaire de 15 000 euro,

- condamner la société Milton à payer à la société AST la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

A titre infiniment subsidiaire,

- réduire à hauteur de 17 983,93 euro le montant qui serait fixé au passif de la société Ast compte tenu des sommes saisies-attribuées à la suite de l'exécution provisoire du jugement entrepris, sauf à parfaire compte tenu des autres règlements qui seraient intervenus dans le cadre de la poursuite actuelle de l'exécution dudit jugement.

La société AST fait valoir :

- que, p. 6, le contrat de franchise est un contrat synallagmatique mettant à charge des deux parties des obligations réciproques et interdépendantes de sorte que si l'une des parties n'exécute pas ses obligations, l'autre partie est en droit de refuser d'exécuter sa propre prestation en lui opposant l'exception d'inexécution, que la société Milton a manqué à ses obligations, ne transmettant pas le savoir-faire, ne faisant aucune promotion ni publicité, le proposant pas d'assistance technique commerciale, ayant un mauvais développement du réseau, ce dont la société Milton était informée par le Groupement des Franchisés Budget, p. 19, et qu'elle ne contestait pas, acceptant le paiement partiel de redevances, p. 4, 17, 18,

- qu'aucun montant de redevance minimum n'a été contractuellement fixé, que si le franchiseur ne respecte pas ses propres obligations contractuelles, il ne peut exiger de son franchisé que ce dernier respecte les siennes, d'autant plus que l'attitude fautivement passive de la société Milton a mis en péril la santé financière de son franchisé qui se trouve en tout état de cause dans l'incapacité d'assumer le paiement desdites redevances, que l'existence d'une faute n'est pas exigée pour permettre à l'un des contractants de se prévaloir du principe de l'exception d'inexécution.

L'appelante sollicite des dommages et intérêts pour non-respect fautif des obligations contractuelles par la société Milton et rupture brutale et fautive du contrat de franchise, étant précisé que le préavis doit prendre en compte la durée totale de l'activité Budget, la société Milton ayant repris les actifs de la société Budget.

Elle demande la confirmation du jugement en ce qu'il a écarté la demande de dommages et intérêts de la société Milton.

Par conclusions du 3 novembre 2014 auxquelles il y a lieu de se référer pour plus ample exposé des faits et moyens, la société Milton demande à la cour de :

- constater que la société Milton n'a commis aucune faute dans l'application du contrat de franchise,

- constater le préjudice subi par la société Milton du fait de l'usage de l'enseigne Budget par la société AST sans autorisation,

- constater le bien-fondé de la résiliation du contrat de franchise à effet immédiat par la société Milton,

En conséquence,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société AST à payer à la société Milton la somme de 122 567,36 euro majorée des intérêts légaux à compter du 6 avril 2007, date de mise en demeure de paiement,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Milton de sa demande en dommages et intérêts et statuant à nouveau, condamner la société Ast à régler à la société Milton une somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

- débouter la société AST de ses demandes reconventionnelles,

- condamner la société AST à verser à la société Milton une somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société AST aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Teytaud, dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.

La société Milton fait valoir :

Principalement,

- que la société AST Location a la représentation du logo "Budget" plusieurs mois après la rupture du contrat, que les clients étaient mécontents, qu'elle a subi un préjudice d'image qu'elle évalue à 5 000 euro,

- que les redevances sont restées impayées, que se trouve du un complément de redevances afférent à la fraction non déclarée du chiffre d'affaires et les redevances sur la période allant de janvier 2007 à la date de résiliation, que la minimisation du chiffre d'affaires constitue un manquement à l'obligation de déclarer les recettes liées à l'activité Budget et entraîne une infraction à l'article 6.4,

Sur le paiement des redevances dont le montant est de facto inexact, que cette défaillance est susceptible d'entraîner la résiliation du contrat lorsque la minimisation du chiffre d'affaires est dans une proportion de 5 à 15 % (en l'espèce de 60 % pour la société AST), qu'en cas de résiliation, le franchisé est tenu de régler " au plus tard à midi le jour de la date à laquelle la résiliation prendra effet les commissions de services, redevances, cotisation au fonds de marketing et tous les autres droits ou montants que le franchisé devra " et que le contrat stipule " qu'en l'absence éventuelle de montant à l'Annexe 4, la redevance minimale due par le franchisé se calcule par référence au minimum de l'année antérieure ".

- que l'exception d'inexécution permet de justifier la suspension de l'exécution d'un contrat et que par conséquent une fois que le contrat est rompu, ce mécanisme juridique ne peut plus s'appliquer, contrairement à ce qui est soutenu par la société AST.

- que la faute grave du cocontractant justifie une résiliation immédiate du contrat de sorte que le respect d'une période de préavis ne s'impose pas, que le non-respect par l'intimée des dispositions contractuelles (6.3 et 6.4 du contrat de franchise), est une faute grave, que par ailleurs, le contrat de franchise prévoit une cause de résiliation sans préavis (article 10.4).

Subsidiairement,

- que l'exception d'inexécution soit écartée compte tenu de la mauvaise foi de la société AST qui ne lui a fait part d'aucun reproche au cours de l'exécution du contrat et qui ne démontre pas que les prétendues défaillances ont été suffisamment graves pour justifier la suspension du contrat,

- qu'elle a entretenu une relation de quatre années et non de vingt-trois années comme le prétend la société AST, ne retenant que les années où les sociétés ont effectivement été en relation d'affaires et non les années pendant lesquelles la société AST a exercé sous l'enseigne Budget, rappelant à cet effet qu'elle n'avait repris que certains éléments d'actif de la société Budget France et non les obligations de cette société,

Très subsidiairement,

- qu'elle a parfaitement accompli ses obligations, mise à disposition du savoir-faire, renouvellement de celui-ci, formation, publicité, assistance technique et commerciale, maillage du territoire, que la société AST ne démontre pas un manquement imputable à l'intimée qui n'était tenue que d'une obligation de moyens, qu'aucun manquement à l'obligation d'information précontractuelle n'est allégué.

SUR CE,

Sur l'exception d'inexécution invoquée par la société AST Location :

Considérant que le contrat de franchise a été signé entre les parties le 25 février 2003,

Considérant que la société AST qui reproche différents manquements au franchiseur n'a jamais fait le moindre grief à celui-ci avant que ce dernier ne lui adresse une deuxième lettre recommandée avec accusé de réception le 6 février 2007,

Considérant que la société AST reprend pour son compte les reproches formulés par l'association " Groupe de Franchisés GCB " (dont elle ne justifie d'ailleurs pas être membre), ce qui ne saurait suffire pour justifier l'exception d'inexécution partielle qu'elle invoque ou encore une prétendue acceptation de déclarations minorées par la société Milton en contrepartie de ses manquements, qu'au surplus, Milton rapporte la preuve d'avoir correctement exécuté ses obligations, qu'elle a transmis un savoir-faire qu'elle a remis à jour au cours du contrat, qu'elle a fait réaliser la publicité nécessaire au maintien et à la promotion de l'enseigne, qu'aucune faute ne peut lui être reprochée en ce qui concerne le maillage du territoire, certes important au regard de l'activité pratiquée, alors que le franchiseur n'a pas d'obligation de résultat sur ce point ; que de même, la " négociation " dont fait état la société AST dans son courrier du 12 février 2007 est vivement contestée par la société Milton dans sa réponse du 27 février 2007 et aucune pièce n'est versée par AST pour justifier une négociation des parties et une reconnaissance de la part de la société Milton d'un quelconque manquement par la réception non contestée de déclarations minorées de la société AST,

Considérant que l'exception d'inexécution partielle ne peut être invoquée par la société AST,

Sur la résiliation du contrat et sur l'absence de préavis au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce :

Considérant que selon l'article 6.3, le franchisé doit présenter toutes les locations sur la déclaration mensuelle d'activité et s'engage à payer les redevances mensuelles dans les quinze jours consécutifs de la fin du mois auquel elles se rapportent ; que l'article 6.4 § 1 précise que le montant minimal de redevance correspond au montant indiqué dans l'annexe 4 et l'article 6.4 §2 du même contrat précise que les redevances minimum ne pourront être inférieures au minimum de l'année immédiatement précédente,

Considérant tout d'abord que si l'annexe 4 est restée muette sur le montant minimal, il apparaît que par la disposition combinée des textes ci-dessus rappelés, le franchisé doit régler au franchiseur une redevance minimum dont le montant ne peut être inférieur au minimum de l'année immédiatement précédente,

Considérant pour le surplus, que la société AST n'a pas payé les redevances qu'elle devait, en sa qualité de franchisé, régler à la société et ce, en infraction à l'article 6.3 ; que la société AST n'a pas déclaré la totalité des recettes liées à l'activité Budget, en infraction aux dispositions du même article,

Considérant que l'article 10.3 du contrat précise que Milton a le droit de résilier le contrat en cas d'inexécution par le franchisé d'une obligation prévue au contrat, notamment en cas d'information minimisée... dans une proportion comprise entre 5 et 15 %, et lui notifiera alors le manquement par lettre recommandée avec accusé de réception en lui demandant de se conformer à l'obligation, et que si au terme du délai l'obligation n'a pas été respectée, Milton aura le droit de résilier par lettre recommandée avec accusé de réception avec un délai de préavis de quinze jours ; que l'article 10.4 précise que la résiliation est sans préavis en cas de violations graves, énumère les cas " limités " parmi lesquels se trouve en c) la minimisation par le franchisé de plus de quinze pour cent de l'information exigée au titre du contrat sur le produit brut,

Considérant que le manquement à l'obligation d'information a été constaté par la société Milton et que la minimisation de l'information était de 136 % sur la période de janvier à octobre 2006, que la société Milton a néanmoins respecté les dispositions de l'article 10.3, et que la société AST n'a pas régularisé la situation dans le délai imparti,

Considérant que l'infraction constatée était grave, qu'elle justifiait la résiliation du contrat,

Considérant que les fautes de la société AST lui interdisent de se prévaloir des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce sans respecter un délai de préavis,

Sur les sommes dues :

Considérant que la société AST est redevable des redevances non réglées à la date de l'assignation (38 377, 84 euro), ainsi que des compléments de redevances résultant des déclarations minimisées de janvier à octobre 2006 (84 489, 52 euro) ; que la société AST ne justifie pas les avoir réglées, que la créance de la société Milton sera fixée au passif de la procédure collective de la société AST Location,

Sur les dommages-intérêts :

Considérant que l'action en justice ne dégénère en abus de droit que si, manifestement vouée à l'échec, elle vise en réalité à nuire à l'adversaire et lui cause un préjudice ; qu'en l'espèce, la société Milton n'établit ni cet objet fautif, ni ce préjudice ; que sa demande sera donc rejetée ;

Par ces motifs, LA COUR, Infirmant sur les condamnations, Fixe les créances de la société Milton au passif de la procédure collective de la société AST Location à la somme de 122 867,36 euro outre les intérêts légaux courant à compter du 6 avril 2007 et à la somme de 2 500 euro, Confirme le jugement pour le surplus, Condamne la société AST à payer la somme de 5 000 Eutros au titre de l'indemnité pour frais irrépétibles, Condamne la société AST aux entiers dépens qui seront recouvrés pour ceux d'appel avec le bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile