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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 22 janvier 2015, n° 14-17588

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Du Bassin Nord (SCI)

Défendeur :

AMC (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Charlon

Conseillers :

Mmes Graff Daudret, Louys

Avocats :

Mes Rosenfeld, Guizard, Pinet

TGI Bobigny, prés., du 1er août 2014

1 août 2014

FAITS ET PROCEDURE :

Par acte du 23 mars 2010, modifié par avenant du 21 janvier 2011, la société civile immobilière (SCI) du Bassin Nord a donné à bail à la société ADC, aux droits de laquelle se trouve la SARL AMC, exploitant une boutique de prêt-à-porter sous l'enseigne " Levis ", des locaux commerciaux dépendant d'un immeuble situé <adresse>.

Par acte du 14 novembre 2013, le bailleur a fait délivrer au preneur un commandement de payer visant la clause résolutoire insérée au bail portant sur la somme de 501 782, 99 euro au titre des loyers et charges impayés, puis l'a assigné en référé.

Par ordonnance contradictoire du 1er août 2014, le juge des référés du Tribunal de grande instance de Bobigny, aux motifs que les griefs allégués par la société AMC caractérisaient l'existence d'une contestation sérieuse dont l'appréciation n'entrait pas dans les pouvoirs du juge des référés, a :

- dit n'y avoir lieu à référé ni à application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la demanderesse aux dépens.

La SCI du Bassin Nord a interjeté appel de cette décision le 18 août 2014.

Par ordonnance du Premier Président du 25 août 2014, elle a été autorisée à assigner la SARL AMC à jour fixe devant la cour d'appel.

Par dernières conclusions du 21 novembre 2014, auxquelles il convient de se reporter, la SCI du Bassin Nord fait valoir :

Que le premier juge a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et a statué sans motivation suffisante ;

Qu'il y a absence de contestation sérieuse, les griefs invoqués étant insusceptibles par leur nature même de donner lieu à une contestation sérieuse ;

Que ces griefs sont en tout état de cause infondés, qu'il s'agisse de la non-ouverture de certains points de vente ou de la faible commercialité alléguée du centre commercial car le contrat écarte toute garantie de commercialité ; qu'il y a absence de " manquements distincts " et de faiblesse de la commercialité et de la zone de chalandise par rapport aux documents publicitaires de présentation du centre ;

Que la contestation sérieuse ne saurait être déduite du dol allégué par la société AMC.

Elle demande à la cour:

- de dire l'exception d'incompétence soulevée par la société AMC sans objet,

- de déclarer son appel recevable, y faisant droit,

- d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a jugé que les griefs allégués par la société AMC caractérisaient l'existence d'une contestation sérieuse dont l'appréciation n'entrait pas dans les pouvoirs du juge des référés,

- de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rejeté l'exception d'inexécution soulevée par la société AMC,

Et statuant à nouveau,

Sur la demande de provision,

- de dire que l'obligation à paiement des loyers et accessoires de la société AMC n'est pas sérieusement contestable,

- de dire que l'appelante ne saurait se voir reprocher aucun défaut de commercialité du centre commercial,

- de dire que l'appelante ne saurait se voir reprocher aucune inexécution contractuelle,

- de constater l'absence de clause limitative de responsabilité dans le bail,

- de dire qu'aucune faute dolosive n'a entaché la conclusion du bail,

- de constater que la société AMC reste à ce jour débitrice de la somme de 714 314,02 euro au titre des loyers et charges impayés,

- d'ordonner à la société AMC de payer sans délai, à titre de provision, l'intégralité de sa dette soit la somme de 714 314,02 euro correspondant à l'arriéré de loyers et accessoires à la date d'acquisition de la clause résolutoire, le 14 décembre 2013 ainsi qu'aux échéances postérieures impayées et arrêtées au 16 octobre 2014,

- de condamner la société AMC par provision, à compter du 15 décembre 2013, à lui payer une indemnité d'occupation d'un montant fixé à 1 % du dernier loyer annuel par jour de calendrier charges et taxes en sus, jusqu'à la libération effective des lieux par remise des clefs, conformément à l'article 31 du bail,

Sur la clause résolutoire,

- de constater l'acquisition de la clause résolutoire,

- d'ordonner l'expulsion de la société AMC ainsi que celle de toute personne dans les lieux sis dans le centre commercial dénommé <nom>, les locaux devant être restitués en bon état conformément à l'article 17 du bail,

- de dire que les meubles et objets mobiliers se trouvant sur place donneront lieu à l'application des dispositions des articles L. 433-1 et R. 433-1 du Code des procédures civiles d'exécution,

En tout état de cause,

- de condamner la société AMC à lui verser une somme de 10 000 euro au titre des frais irrépétibles de première instance,

- de la condamner également à lui verser une somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,

- de condamner la société AMC aux entiers dépens dont distraction dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par dernières conclusions n° 2 du 20 novembre 2014, auxquelles il convient de se reporter, la société AMC fait valoir :

Que des garanties ont été offertes au preneur avant la signature du bail mais que les promesses n'ont pas été tenues et que le centre commercial a subi une désertification ;

Qu'elle a formulé des griefs à l'encontre du bailleur depuis la prise d'effet du bail ;

Que c'est à tort que le premier juge n'a pas fait droit à son exception d'incompétence soulevée au visa de l'article D. 442-4 du Code de commerce, seul le juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris étant compétent pour connaître du litige en première instance ;

Que le premier juge a rempli son office en refusant de condamner à une provision et de constater la résiliation de plein droit du bail, dès lors qu'il considérait que l'obligation invoquée par le bailleur était sérieusement contestable et qu'il convenait d'interpréter les stipulations du bail ;

Que ses contestations sont sérieuses ; que si elle dispose de la jouissance " matérielle " des locaux loués, elle ne peut en jouir de manière pérenne, le bailleur ayant manqué à ses obligations contractuelles en annonçant la présence dans le centre commercial d'une jardinerie, d'une animalerie et d'un " pôle TV cité " présentés comme une réalité dépourvue de tout aléa au sein de la plaquette de commercialisation du centre et de différents communiqués de presse, alors que ceux-ci n'ont jamais vu le jour ;

Que le bailleur a manqué à son obligation de délivrance, la jurisprudence ayant évolué relativement aux obligations spécifiques des bailleurs de centres commerciaux et à l'obligation de commercialité ;

Que les clauses de non-responsabilité invoquées par le bailleur sont dépourvues d'effet utile et sont en tout état de cause constitutives de déséquilibres significatifs au sens de l'article L. 442-6 I 2 du Code de commerce;

Qu'en tout état de cause, le quantum de la créance de l'appelante est inexact.

Elle demande à la cour :

In limine litits,

- d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce que le président du Tribunal de grande instance de Bobigny n'a pas fait droit à l'exception d'incompétence soulevée par elle au visa de l'article D. 442-6 du Code de commerce,

- de dire que le président du Tribunal de commerce de Paris statuant en référé était compétent pour connaître du litige en première instance,

- d'évoquer le fond de l'affaire au visa de l'article 79 du Code de procédure civile,

A titre principal,

- de dire que la motivation de l'ordonnance entreprise est exempte de tout reproche,

- de dire que les manquements du bailleur à ses obligations contractuelles, du fait de l'absence d'implantation des commerces " locomotives " que devaient être la jardinerie, l'animalerie et le pôle TV cité, caractérisent des contestations sérieuses,

- de dire qu'il n'est en tout état de cause pas du pouvoir du juge des référés d'apprécier la portée précise des stipulations particulières 12.3.4. et 27 de la convention locative des parties,

- de dire que l'argumentaire tiré de la faiblesse du flux et de l'absence de commercialité du centre commercial abritant les lieux loués caractérise des contestations sérieuses au vu de l'obligation de délivrance du bailleur du chef de l'article 1719 du Code civil,

- de dire que l'appréciation de l'effet utile des clauses de non responsabilité insérées au sein de l'exposé préalable et de l'article 12.4 du bail suscite des contestations sérieuses,

- de dire que l'appréciation du " déséquilibre significatif " susceptible de découler des clauses de non responsabilité litigieuses relève du pouvoir d'appréciation du juge du fond,

En tout état de cause,

- de dire que le décompte de la créance de loyer invoquée par l'appelante suscite des contestations sérieuses,

- de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé au regard des contestations sérieuses affectant les demandes de la SCI du Bassin Nord,

- de débouter la SCI du Bassin Nord de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- de condamner la SCI du Bassin Nord au paiement de la somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Sur quoi, LA COUR,

Sur la compétence :

Considérant que la cour d'appel étant juge d'appel tant du Tribunal de grande instance de Paris, dont la compétence est revendiquée par la société AMC, que du Tribunal de grande instance de Bobigny, et l'appel n'étant pas limité à certains chefs, le cour d'appel se trouve saisie de l'entier litige et devrait, en vertu de l'article 562, alinéa 2, statuer sur le référé, même si elle retenait l'incompétence du juge des référés du Tribunal de grande instance de Bobigny, de sorte que la demande de l'intimée formée à ce titre est sans objet;

Sur le référé :

Considérant que pour s'opposer au paiement des loyers et charges et à l'acquisition des effets de la clause résolutoire, la société AMC invoque le manquement du bailleur à ses obligations contractuelles et à son obligation de délivrance ;

Considérant que la motivation du premier juge satisfait aux exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ; qu'en estimant sérieuse la contestation tirée de l'exception d'inexécution opposée au bailleur, qu'il a détaillée, pour en déduire qu'il n'y avait lieu à référé, ce juge n'a pas excédé l'étendue de ses pouvoirs ;

Considérant qu'en vertu de l'article 1719 du Code civil, le bailleur est tenu de délivrer au preneur un local commercial et de lui assurer une jouissance paisible lui permettant d'exploiter les locaux conformément à leur destination contractuelle ; qu'il doit respecter les obligations imposées par les stipulations du bail ;

Considérant, sur le manquement allégué du bailleur à ses obligations contractuelles, que la société AMC produit des pièces montrant que la mise en location des locaux du centre commercial avait été précédée d'une plaquette de commercialisation et de communiqués de presse annonçant la présence dans le centre commercial d'une jardinerie, d'une animalerie et d'un " pôle TV cité " et qu'il était attendu " 12 à 15 millions de visiteurs par an " tandis qu'en juillet 2013, le bailleur ne déclarait plus qu' " espérer atteindre les 8 à 10 millions de clients annuels dans les trois ans à venir " ;

Que l'article 12 du bail liant les parties, intitulé " fonds d'animation et de promotion du centre commercial ", stipule (12.1 Stipulations générales) : " la spécificité de l'exercice de l'activité commerciale au sein d'un centre commercial implique la mise en œuvre de moyens destinés à favoriser la promotion, l'animation, la publicité, la décoration et la mise en place de services (espace accueil, etc.) dans le centre commercial tel que défini en préambule du présent bail. A cet effet un Fonds d'animation et de promotion du centre commercial sera créé. Le fonds d'animation aura pour objet la promotion, l'animation, la communication, la publicité et la décoration ainsi que la mise en place de services et ce par la mise en œuvre d'actions coordonnées par le bailleur ou le mandataire du bailleur.

" Les campagnes de communication, les opérations de promotion ou d'animation en ce inclus l'ensemble des frais de fonctionnement, les frais de personnel et les honoraires attachés à la mise en œuvre de ces campagnes ou opérations seront financés par les contributions annuelles appelées par le bailleur ou son mandataire auprès de l'ensemble des preneurs " ;

Que l'article 12.3.3 du bail relatif au montant des " campagnes annuelles " et l'article 27 relatif aux " charges " renvoient aux " conditions particulières " du bail ;

Que l'article 12.3.3. distingue le montant de la contribution annuelle selon qu'il s'agit de boutiques non qualifiées de " moyennes unités spécialisées " ou de " moyennes unités spécialisées " telles que précisées et définies aux conditions particulières ; que ces dernières prévoient " les moyennes unités spécialisées dans les activités de " jardinerie ", " animalerie ", ainsi que le " pôle TV cité " ou " local dédié à l'audiovisuel tel que cinéma, TV, théâtre " ;

Que l'article 27 des conditions particulières détaille la répartition des charges au prorata des surfaces de chaque local, en précisant les coefficients de pondération " pour le local à usage de jardinerie, animalerie " et " pour les locaux constituant le pôle TV cité et/ou local dédié à l'audiovisuel " ;

Que dès lors, les manquements imputés au bailleur portant sur l'absence d'implantation de la jardinerie, animalerie et pôle TV cité, expressément cités par le contrat, qui devaient, selon l'intimée, occuper environ 20 % de la surface utile, en tout cas manifestement une part importante puisque qualifiés par le contrat de " moyennes unités " par opposition aux autres " boutiques ", de même que, plus généralement, et par voie de conséquence, les manquements tirés de la faiblesse des flux et de l'absence de commercialité, constituent des contestations sérieuses faisant obstacle à l'octroi d'une provision au titre des loyers et charges et au constat de l'acquisition des effets de la clause résolutoire à raison d'une dette locative ;

Qu'il relève du seul juge du fond d'interpréter les clauses invoquées par la SCI du Bassin Nord pour prétendre être exempte de toute responsabilité, alors, en outre, que le preneur soutient que ces stipulations sont constitutives de déséquilibres au sens de l'article L. 442-6 I 2 du Code de commerce, l'appréciation du déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties échappant aux pouvoirs du juge des référés ;

Que l'ordonnance entreprise sera confirmée ;

Par ces motifs : LA COUR confirme l'ordonnance entreprise, y ajoutant, rejette toutes autres demandes, condamne la SCI du Bassin Nord aux dépens d'appel.