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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 4 février 2015, n° 12-20412

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Société Normande d'Importation Automobile (SA), Financière Guez et Fils (SA)

Défendeur :

Fiat France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Luc, Nicoletis

Avocats :

Mes Fisselier, Bourgeon, Bernabe, Lagrange-Surel

T. com. Paris, 19e ch., du 24 oct. 2012

24 octobre 2012

Vu le jugement du 24 octobre 2012, assorti de l'exécution provisoire, par lequel le Tribunal de commerce de Paris a débouté la Société Normande d'Importation Automobile (SNIA) de l'ensemble de ses demandes, débouté la société Financière Guez & Fils de l'ensemble de ses demandes, débouté la société Fiat France, anciennement dénommée Fiat Auto France de sa demande de dommages et intérêts et, enfin, condamné la Société Normande d'Importation Automobile (SNIA) et la société Financière Guez et Fils à payer à la société Fiat France, chacune, la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu l'appel interjeté le 13 novembre 2012 par la Société Normande d'Importation Automobile et la société Financière Guez & Fils et leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 16 novembre 2014, par lesquelles elles demandent à la cour, concernant leurs appels principaux, d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris, condamner la société Fiat France à payer, à titre de dommages et intérêts, à la Société Normande d'Importation Automobiles la somme de 740 167 euro, à la société Financière Guez & Fils les sommes de 220 739 euro et 125 547 euro, sur l'appel incident de la société Fiat France, confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Fiat France de ses demandes, condamner la société Fiat France à payer à la Société Normande d'Importation Automobile et à la société Financière Guez & Fils la somme de 7 500 euro chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 8 octobre 2014 par lesquelles la société Fiat France demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société SNIA et la société Financière Guez & Fils de l'ensemble de leurs demandes, de l'infirmer en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la société Fiat France, condamner la société SNIA à payer à la société Fiat France la somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts et, en tout état de cause, condamner la société SNIA et la société Financière Guez & Fils à lui payer chacune la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

SUR CE,

Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :

La Société Normande d'Importation Automobile (ci-après SNIA), est une filiale de la société Financière Guez, avec laquelle elle est liée par un bail commercial de sous-location et par une convention de mise à disposition de divers agencements et installations.

Avec effet à compter du 1er octobre 2003, la société SNIA et la société Fiat France ont signé, pour la distribution de véhicules neufs, sept contrats de distributeur agréé portant respectivement :

Pour le marché de référence client de Rouen, sur les gammes Fiat VP, Fiat VUL, Lancia et Alfa Romeo ;

Pour le marché de référence client du Havre, sur les gammes Fiat VP, Fiat VUL et Lancia.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 27 septembre 2006, la société Fiat France a notifié à la société SNIA la résiliation des sept contrats de distribution de véhicules neufs, avec effet au terme d'un préavis de 24 mois. Les quatre contrats de distributeurs agréés portant sur la distribution des services et pièces sont, quant à eux, toujours en vigueur.

Estimant cette résiliation fautive, les sociétés SNIA et Financière Guez ont assigné, le 30 mars 2010, la société Fiat France, devant le Tribunal de commerce de Paris, afin d'obtenir des dommages et intérêts pour résiliation abusive. Celui-ci a estimé régulières les résiliations intervenues et les a déboutées.

Sur le protocole du 29 juin 2004

Considérant que la société SNIA expose que la société Fiat France a rompu de manière prématurée et injustifiée le " plan de continuité " résultant du protocole du 29 juin 2004, ayant valeur d'avenant aux sept contrats de distributeur qui la liaient à la Société Normande d'Importation Automobile pour les marchés de référence clients de Rouen et du Havre ; que la conclusions de ce plan privait la société Fiat France de la faculté de résilier les sept contrats jusqu'à la fin de l'année 2006, sauf " impossibilité pour la SNIA de suivre le plan de retour à l'équilibre ou en cas de faute grave " ; que, selon les appelantes, ces conditions ne seraient pas, en l'espèce, réunies et aucun des griefs invoqués par la société Fiat France dans sa lettre de résiliation ne correspondrait à l'un des cas dans lesquels le protocole du 29 juin 2004 autorisait une résiliation avant terme ;

Mais considérant qu'aucune clause de cet accord ne démontre que les parties auraient convenu de modifier les conditions d'exécution et de résiliation des contrats en vigueur ; que le courrier du 29 juin 2004 contient un accord, signé par les sociétés SNIA et Fiat France, prévoyant qu' " en contrepartie de l'exécution d'(un) plan de continuité " par la société SNIA, Fiat Auto (France) acceptait de verser une aide exceptionnelle de 350 000 euro HT au distributeur, au titre de l'exercice 2003, et 350 000 euro HT au titre de chacun des exercices 2004 et 2005 et de prendre en charge d'éventuelles condamnations prud'homales de la SNIA ; que de son côté, le distributeur s'était engagé à se " recapitaliser ", grâce à un prêt hypothécaire à hauteur de 1 million d'euro, dans l'objectif de retrouver en 2006 un résultat d'exploitation équilibré sur la base d'un volume d'activité véhicules neufs de 8000 véhicules en 2006 ; que cet accord a été exécuté, comme cela a été relevé par chacune des parties, tant par la société SNIA que par la société Fiat France, qui a versé les aides exceptionnelles définies ainsi qu'une somme au titre du remboursement de la condamnation prud'homale prononcée par la cour d'appel ; que chaque partie a accompli ses obligations ; que cet accord prévoyait " qu'en cas d'impossibilité pour SNIA de suivre le plan de retour à l'équilibre, ou en cas de faute grave, le versement de ces aides exceptionnelles serait suspendu. Il pourrait alors être fait application des dispositions prévues aux Contrats de Distributeurs Agréés " ; que cette clause n'a pas eu lieu de s'appliquer, puisque les aides ont été intégralement versées ; qu'il ne peut être déduit de ces termes que les contrats ne pouvaient être résiliés avant la fin de 2006, après le versement des aides ; qu'en effet, l'exécution de l'accord s'étalait sur 2 ans, de 2003 à 2005, l'objectif de rétablissement devant être atteint en 2006 ;

Considérant, en définitive, que les Premiers Juges ont à bon droit estimé que " tant par la forme que par les dispositions de cet accord, il ne saurait se déduire, contrairement à ce qu'affirme SNIA, que la volonté des parties était d'établir un avenant aux dispositions des contrats. Qu'il s'agit simplement d'un aménagement pour une période définie, laissant à SNIA la possibilité de mettre en œuvre son plan de restructuration " ; que cet accord ne privait donc pas la société Fiat de la faculté d'user de son pouvoir de résiliation des accords, dès 2006 ; qu'aucune disposition de l'accord ne pouvait faire naître, chez le concessionnaire, l'espoir de la pérennité des relations commerciales ; que ce moyen sera donc rejeté ;

Sur l'obligation de motivation des résiliations

Considérant que les requérantes exposent que les décisions de résiliation ont été notifiées sans respecter les exigences de motivation prévues à l'article 55 de chacun des contrats de distributeur ; que les sept contrats ne pouvaient faire l'objet d'une lettre de résiliation unique ;

Considérant que l'article 55 du contrat dispose que " afin de s'assurer que le présent Contrat ne soit pas résilié en raison de pratiques du Distributeur qui ne peuvent pas être interdites au titre du Règlement EU, toute notification de résiliation à l'initiative de Fiat sur le fondement des Articles 51, 52, 53 et 54 devra comporter par écrit les raisons détaillées objectives et transparentes des motifs de résiliation " ;

Considérant que la société Fiat France a résilié les sept contrats par un seul courrier, envoyé en recommandé avec accusé de réception le 27 septembre 2006 ; que l'article 55 transpose l'article 3-4 du règlement d'exemption CE 1400-2002 du 31 juillet 2002 concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile, qui dispose : " l'exemption s'applique à condition que l'accord vertical conclu avec un distributeur ou un réparateur prévoit qu'un fournisseur qui souhaite notifier la résiliation d'un accord soit tenu de le faire par écrit en spécifiant les raisons objectives et transparentes de la décision de résiliation, afin d'éviter qu'un fournisseur ne résilie un accord vertical avec un distributeur ou un réparateur à cause de pratiques qui ne peuvent faire l'objet de restrictions dans le cadre du présent règlement " ; que son objectif est de permettre au juge de contrôler qu'un accord ne soit pas résilié pour des raisons constituant en réalité des pratiques anticoncurrentielles ; qu'au regard de cet objectif, cette lettre est suffisamment précise ; qu'en effet, elle permet de vérifier que les motifs invoqués ne constituent pas des restrictions de concurrence prohibées ; que les griefs invoqués par la société SNIA sont longuement expliqués, à savoir la faiblesse des performances commerciales, une garantie bancaire insuffisante, la découverte de véhicules revendus à des clients finals avant d'avoir été payés à la société Fiat France ; qu'il ne peut davantage être reproché à la société Fiat France d'avoir résilié les sept contrats par une seule lettre, les contrats revêtant la forme de contrats-types, contenant des dispositions identiques ;

Sur le principe de loyauté

Considérant que les sociétés appelantes soutiennent que les résiliations sont intervenues en violation de l'obligation de loyauté découlant de l'article 1134 alinéa 3 du Code civil ; qu'aucune des trois séries de reproches formulés par la société Fiat France à l'égard de la société SNIA dans son courrier du 27 septembre 2006 ne peut légitimer ses décisions de résiliation au regard des circonstances de l'espèce ; que la société SNIA pouvait raisonnablement s'attendre à une certaine pérennité des relations ;

Mais considérant qu'il résulte de l'article 1134 alinéa 2 du Code civil, que, dans les contrats à exécution successive dans lesquels aucun terme n'a été prévu, la résiliation unilatérale est offerte aux deux parties, sauf abus sanctionné par l'alinéa 3 du même texte ;

Considérant, en l'espèce, qu'aux termes de leur article 50, les contrats de concession conclus entre les sociétés SNIA et Fiat France sont des contrats à durée indéterminée ; que l'article 51.1 des contrats stipule que " chaque partie peut résilier le présent contrat, à tout moment, en notifiant à l'autre un préavis de vingt-quatre mois, par lettre recommandée avec avis de réception, cette résiliation prenant effet le dernier jour du vingt-quatrième mois à compter de la première présentation de la lettre de résiliation " ; que la société Fiat France a notifié la résiliation des contrats par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 27 septembre 2006 ; qu'il n'est pas contesté que le concédant a respect le délai de préavis de deux ans contractuellement prévu ;

Considérant, par ailleurs, que la faculté de résiliation était prévue par les contrats de concession, sans qu'il soit exigé la démonstration d'une faute du concessionnaire ou d'un quelconque motif ; que celui-ci ne peut donc exciper de l'inexactitude, ou du mal fondé des griefs qui lui sont signifiés pour s'opposer à ces résiliations ;

Considérant toutefois, que si la société Fiat France, en prononçant la résiliation des contrats de concession la liant à l'intimée, n'a fait que mettre en œuvre les stipulations de ces contrats, une telle résiliation pourrait, néanmoins, revêtir un caractère abusif en raison des circonstances accompagnant la rupture ; qu'en effet, il s'infère des dispositions de l'alinéa 3 de l'article 1134 du Code civil aux termes desquelles les conventions légalement formées " doivent être exécutées de bonne foi ", que la faculté de résiliation d'un contrat de droit privé à durée indéterminée ne saurait être exercée dans des conditions exclusives d'une semblable bonne foi, telle, notamment, la création chez le concessionnaire d'une confiance légitime dans la pérennité des relations commerciales entretenues ;

Considérant, en l'espèce, que la société SNIA soutient qu'elle ne se serait pas engagée à se recapitaliser à hauteur de 800 000 euro en 2005 si elle avait imaginé que les contrats seraient résiliés en 2006 ;

Mais considérant que la société SNIA s'est engagée en contrepartie du versement d'aides par la société Fiat France pour les années 2003, 2004 et 2005, d'un montant global de 1 270 000 euro au titre de l'accord du 29 juin 2004 ; que la contrepartie de ces aides exceptionnelles était la mise en place d'un véritable plan de restructuration ; qu'aucun engagement, ni promesse de pérennité des relations contractuelles n'a été pris par la société Fiat France ; que la société SNIA ne rapporte aucunement la preuve d'avoir engagé des dépenses à la demande de la société Fiat, ni que celle-ci aurait pu créer, chez elle, une confiance légitime dans le maintien des relations commerciales l'unissant à l'intimée ; qu'en définitive, la société SNIA ne démontre pas la mauvaise foi de la société Fiat France dans l'exercice de son droit de résilier les concessions ;

Considérant, par ailleurs, qu'ainsi que l'ont justement relevé les Premiers Juges, aux termes d'une motivation que la cour adopte, les griefs invoqués dans la lettre de résiliation ne font pas ressortir de mauvaise foi de la part du concédant ; que des différends existaient bien entre les parties sur les objectifs 2006, ainsi que sur le niveau de la garantie bancaire ; que par ailleurs, un dysfonctionnement sur le paiement des véhicules avait été effectivement constaté, indépendamment du bien-fondé de ces griefs qui n'a pas à être discuté, s'agissant d'une résiliation de plein droit ;

Considérant, en conséquence, que l'exercice, par la société Fiat France, de son droit de résilier les contrats de concession n'a pas été abusif, au sens de l'article 1134 alinéa 3 du Code civil ;

Considérant qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a débouté les appelantes de leurs demandes, les ruptures intervenues n'étant pas fautives ;

Sur la demande reconventionnelle de la société Fiat France

Considérant que la société Fiat France reproche à la société SNIA d'avoir promu, par le biais de publicités postérieures à la résiliation des contrats, la vente de véhicules neufs des marques du groupe Fiat et de se rattacher ainsi illicitement au réseau de distribution de vente de véhicules neufs, ce qui créerait une confusion dans l'esprit du public ; qu'elle se prétend ainsi fondée à obtenir des dommages et intérêts au titre des actes de concurrence déloyale commis à son détriment par la société SNIA ;

Considérant que la société SNIA prétend s'approvisionner régulièrement auprès d'indépendants en Europe ;

Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que trois véhicules neufs de marque Fiat ont été proposés à la vente par la SNIA sur des parutions publicitaires ; en janvier/février 2009 : une Fiat 500 1.2 Lounge ; en septembre/ octobre 2009 : une Alpha Roméo Mito 1.6 120 Distinctive Pack sport et une Fiat 1.2 Pop ; que la société SNIA n'a jamais justifié de la régularité de son approvisionnement ;

Considérant que, selon les dispositions de l'article L. 442-6, I, 6° du Code de commerce, " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé " le fait " de participer directement ou indirectement à la violation de l'interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive exempté au titre des règles applicables du droit de la concurrence " ; qu'il appartient à l'opérateur qui a acquis des véhicules neufs pour les revendre de faire la preuve qu'il les a régulièrement acquis sur un réseau parallèle ou auprès d'un autre concessionnaire ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que la société Fiat a choisi de vendre ses véhicules par le biais d'un réseau de distributeurs sélectifs ; que ce réseau est licite, au regard des règles de concurrence et son étanchéité n'est pas contestée ; que, malgré la résiliation des contrats de distribution, la SNIA a vendu des voitures distribuées par Fiat France ; que malgré une mise en demeure du 25 mars 2010, la SNIA n'a pas communiqué l'identité et les coordonnées de ses fournisseurs de véhicules neufs ; que faute de justifier de la régularité de son approvisionnement, elle a enfreint l'article L. 442-6, I, 6° du Code de commerce ;

Considérant que si un préjudice, au moins moral, s'infère nécessairement d'un acte de concurrence déloyale, la société Fiat France ne fournit aucun élément de nature à étayer sa demande de 50 000 euro à titre de dédommagement ; que la société SNIA sera donc condamnée à lui payer la somme de 5 000 euro à titre de dommages-intérêts ;

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté la société Fiat France de sa demande pour vente de véhicules hors réseau, l'Infirme sur ce point, Et, statuant à nouveau, Dit que la Société Normande d'Importation Automobile a enfreint l'article L. 442-6, I 6 ° du Code de commerce, Condamne la Société Normande d'Importation Automobile à payer à la société Fiat France la somme de 5 000 euro à titre de dommages-intérêts, Condamne la Société Normande d' Importation Automobile et la société Financière Guez & Fils, in solidum, aux dépens de l'instance d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, Condamne la Société Normande d'Importation Automobile et la société Financière Guez & Fils à payer à la société Fiat France la somme de 5 000 euro chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.