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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 5 février 2015, n° 13-13783

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Panini France (SA)

Défendeur :

Mission Media (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

MM. Birolleau, Douvreleur

Avocats :

Mes Bernabe, Levy, Chemla, Corone

T. com. Paris, 13e ch., du 17 juin 2013

17 juin 2013

Faits et procédure

La société Mission Média est une agence de communication spécialisée dans la réservation et l'achat d'espaces publicitaires pour le compte d'annonceurs. En 2004, la société Panini France lui a confié la gestion de son budget d'achat d'espaces publicitaires, en contrepartie d'une rémunération égale à 3 % du montant brut des achats d'espaces. Aucun contrat écrit n'a été conclu entre les parties pour encadrer ces relations qui ont duré jusqu'en 2011.

Par courrier recommande du 10 mai 2011, la société Panini a notifié à la société Mission Media sa décision de mettre fin, avec un préavis de trois mois, à la mission qu'elle lui avait confiée. La société Mission Media lui ayant fait savoir qu'elle considérait que le préavis devait être d'une année, la société Panini France a, par courrier du 10 juin 2011, porté à six mois la durée de ce préavis.

Prétendant que la société Panini France ne lui avait confié durant ce préavis aucune réservation d'espaces publicitaires, la société Mission Media l'a assignée devant le Tribunal de commerce de Paris pour rupture brutale des relations commerciales établies.

Par jugement du 17 juin 2013, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Paris a :

- condamné la société Panini à payer à la société Mission Media les sommes de :

50 000 euro à titre de dommages et intérêts

7 000 euro au titre de l'article 700.

La société Panini a interjeté appel de ce jugement le 8 juillet 2013.

Par conclusions signifiées le 25 septembre 2013, la société Panini demande à la cour de :

- A titre principal,

- réformer le jugement attaqué ;

- débouter la société Mission Media de ses demandes, fins et conclusions ;

- dire la rupture légitime et non brutale ;

- dire le refus de mission durant le préavis imputable à Mission Media ;

- A titre subsidiaire, limiter le montant réclamé à 9 000 euro ;

- En tout état de cause, condamner la société Mission Media en une somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Panini France rappelle que par courrier du 10 juin 2011, elle a accepté de porter à six mois le délai de préavis qu'elle avait fixé à trois mois dans son courrier de résiliation du 10 mai 2011. Elle souligne que plusieurs décisions de jurisprudence ont considéré que les dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ne pouvaient s'appliquer au domaine de la communication, dans lequel les relations sont nécessairement instables.

Elle fait valoir que sa décision de rupture était motivée par le fait qu'elle souhaitait collaborer avec un partenaire TV " global " et que des divergences de vues étaient apparues sur sa stratégie avec la société Mission Media. Elle ajoute que les ventes des campagnes TV 2009, 2010 et 2011 n'ont jamais atteint les objectifs convenus et qu'il en est résulté une perte de confiance. En ce qui concerne le préavis, la société Panini France souligne qu'elle ne s'était engagée à aucune exclusivité à l'égard de la société Mission Media et elle soutient que celle-ci a, durant cette période de préavis, refusé de prendre en charge les commandes qu'elle lui avait adressées.

En ce qui concerne le montant de l'indemnité réclamée par la société Mission Media, la société Panini France soutient qu'il convient de prendre la marge brute réalisée, et non le montant des honoraires versés en 2010, cette année ayant, de surcroît, un caractère exceptionnel.

Par conclusions signifiées le 21 novembre 2013, la société Mission Media demande à la cour de :

- Dire et juger la société Mission Media recevable et bien fondée en ses conclusions ;

Y faisant droit,

Vu les dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce,

Vu les usages applicables dans les relations entre agences de publicité et annonceurs,

- Débouter la société Panini France de son appel ;

- Juger que la société Panini France a rompu de manière abusive et brutale ses relations commerciales avec la société Mission Media ;

- Juger que la société Panini France aurait dû respecter un préavis de douze mois pour mettre un terme à sa collaboration avec la société Mission Media ;

- Condamner en conséquence la société Panini France à payer à la société Mission Media la somme de 106 198,13 euro hors taxes, soit 127 012,96 euro TTC à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;

- Condamner la société Panini France à payer à la société Mission Media la somme de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, en sus de la somme de 7 000 euro qui lui a été allouée par le tribunal.

La société Mission Media fait valoir que durant les sept années de leur collaboration, la société Panini France n'a jamais formulé de grief à son encontre. Elle soutient qu'elle ne lui a en réalité accordé aucun préavis, car, à compter de la lettre de résiliation, elle ne lui a plus confié d'achat d'espaces publicitaires et ne lui a plus versé d'honoraires.

Compte tenu de l'ancienneté de leurs relations, la société Mission Media considère que la société Panini France aurait dû lui accorder un préavis de douze mois. Elle conteste avoir, comme le prétend la société Panini France, donné son accord pour une durée de six mois. Elle conteste également les griefs que la société Panini France a avancés pour justifier sa décision de résiliation.

En ce qui concerne la réparation de son préjudice, la société Mission Media demande une indemnité égale au montant des honoraires qu'elle avait perçus au cours de l'année 2010.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

Considérant que, par courrier recommandé du 10 mai 2011, la société Panini France a notifié à la société Mission Media sa décision de mettre fin à la mission qu'elle lui confiait depuis 2004 ; que si, comme le souligne la société Panini France, les relations dans le domaine de la publicité, de l'audiovisuel et de la communication peuvent être empreintes d'une forte instabilité, l'application des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° ne saurait pour autant être, par principe écartée ; qu'il convient donc de déterminer si ces dispositions, qui imposent, préalablement à la rupture de relations commerciales établies, le respect d'un délai de préavis suffisant sauf inexécution par le cocontractant de ses obligations, ont, au cas d'espèce, été respectées ;

Sur l'inexécution par la société Mission Media de ses obligations contractuelles

Considérant que la société Panini France fait valoir que des divergences de vue l'opposaient à la société Mission Media en ce qui concerne la stratégie de communication et qu'elle souhaitait désormais collaborer avec un partenaire TV global, dont la mission comprendrait la formulation de recommandations complètes et centralisées, la création et la production des messages, la conduite de tests consommateurs et la planification des campagnes publicitaires ;

Mais considérant que si, compte tenu de ses nouveaux choix stratégiques, la société Panini France pouvait légitimement considérer que les prestations fournies par la société Mission Media ne correspondaient plus à ses attentes et décider en conséquence de mettre fin à leur collaboration, il n'en résulte pas la preuve d'un manquement par cette société à ses engagements contractuels, de nature à l'exonérer de l'obligation de lui accorder, avant la rupture de leurs relations commerciales, un préavis d'une durée suffisante ;

Considérant que de même, si la société Panini France fait état de sa déception face aux résultats des campagnes TV 2009, 2010 et 2011 qui n'ont pas produit les volumes de ventes escomptés, elle n'allègue à l'encontre de la société Mission Media aucun grief propre à démontrer qu'elle n'aurait pas exécuté ses obligations contractuelles ;

Sur la durée du préavis

Considérant qu'après avoir dans sa lettre de résiliation du 10 mai 2011 accordé à la société Mission Media un préavis de trois mois, la société Panini France a, par lettre du 10 juin 2011, porté la durée de ce préavis à six mois (pièces n° 3 et 5 produites par la société Mission Média) ; que c'est à juste titre que le tribunal a jugé que, compte de l'ancienneté des relations commerciales unissant les deux sociétés, de leur régularité et de leur stabilité, ce délai était d'une durée suffisante au regard des exigences de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ;

Sur l'effectivité du préavis

Considérant qu'il n'est pas discuté que la société Panini France n'avait souscrit aucun engagement d'exclusivité à l'égard de la société Mission Media ; que s'il lui était donc loisible de recourir durant la période de préavis à d'autres prestataires, elle ne pouvait cependant s'abstenir totalement de traiter avec la société Mission Media, sauf à rendre fictif le préavis qu'elle lui avait accordé ;

Considérant qu'il est constant qu'aucune commande n'a durant la période de préavis été exécutée par la société Mission Media, laquelle n'a donc réalisé aucun chiffre d'affaires avec elle ;

Considérant que pour justifier cet état de fait, la société Panini France soutient qu'elle a, durant ce préavis, tenté sans succès de confier des missions à la société Mission Media, mais que celle-ci les a refusées ; qu'ainsi, elle expose qu'elle avait, le 26 août 2011, présenté une demande d'achat d'espace à la société Mission Media qui l'a déclinée (échanges de courriers électroniques du 26 août 2011 (pièce n° 13 produite par la société Panini France) ;

Mais considérant que cette commande ne portait que sur un budget de 16 000 euro, honoraires compris, et qu'elle aurait donc rapporté à la société Mission Media des honoraires d'un montant de 466,02 euro seulement ; que la société Panini France ne justifie pas avoir adressé d'autres demandes à la société Mission Media, alors qu'elle indique dans ses écritures avoir lancé durant le préavis quatre campagnes avec d'autres prestataires ; que c'est donc à juste titre que le tribunal a jugé qu'en ne passant qu'une seule et unique commande, d'un montant qu'il a qualifié de " dérisoire ", à la société Mission Media après lui avoir notifié sa décision de mettre fin aux relations commerciales établies, la société Panini France n'avait pas respecté son obligation de préavis ;

Sur montant du préjudice

Considérant que la société Mission Media demande que l'indemnité destinée à compenser l'absence de préavis effectif soit calculée sur la base des honoraires qu'elle a perçus en 2010 ;

Mais considérant que si, compte tenu de la nature de l'activité, le préjudice réparable est équivalent à la perte des honoraires que la société Mission Media aurait dû contractuellement recevoir pendant la durée du préavis, on ne saurait cependant retenir, comme base de l'évaluation, le montant des honoraires de la seule année 2010 qui, comme le tribunal l'a justement relevé, a présenté un caractère exceptionnel compte tenu de la tenue de la coupe du monde de football ; qu'il convient, à l'inverse, de déterminer l'indemnité due sur le montant moyen des honoraires perçus dans le cours des relations entre les parties ;

Considérant que sur ce point, la cour ne dispose que de données parcellaires, consistant dans le montant des honoraires versés en 2009 à la société Mission Media et des honoraires versés de mai à novembre 2011, période du préavis, à d'autres prestataires ; qu'en revanche, les parties n'ont communiqué à la cour ni le montant des honoraires antérieurs à l'année 2009, ni celui des honoraires perçus en 2011 avant la résiliation, soit de janvier à avril 2011 ;

Considérant que le montant des honoraires s'élevant en 2009 et 2010 à, respectivement, 49 891 euro et 106 198 euro et, de mai à novembre 2011, à 6 756,93 euro, il en résulte sur cette durée de deux ans et sept mois un montant total de 162 845,93 euro ; que dès lors, ce montant étant rapporté à la durée du préavis de six mois qui aurait dû être effectivement accordé à la société Mission Media, l'indemnité qui lui est due s'élève à la somme de 31 518,56 euro (162 845,93 euro : 31 X 6) ; que le jugement déféré sera donc réformé sur ce point ;

Sur les frais irrépétibles

Considérant qu'il n'apparaît pas justifié, au regard des éléments du dossier, de prononcer de condamnation au regard de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts alloués à la société Mission Media, Statuant à nouveau de ce chef, Condamne la société Panini France à payer à la société Mission Media la somme de 518,56 euro à titre de dommages et intérêts, Rejette les demandes de condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Panini France au paiement des dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.