Cass. com., 3 février 2015, n° 13-24.592
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Salvis France (SARL)
Défendeur :
NKI (SARL), Salvis AG (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Tréard
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP Boré, Salve de Bruneton, SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, SCP Fabiani, Luc-Thaler
LA COUR : - Joint les pourvois n° 13-24.592 et n° 13-25.496 qui attaquent le même arrêt ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Dijon, 25 juin 2013), que s'estimant victime d'une brusque rupture de la relation commerciale établie entre elle et la société Salvis AG, dont elle distribuait les produits depuis plusieurs années sans exclusivité, ainsi que d'une concurrence déloyale de la part du nouveau distributeur de cette dernière, la société Salvis France, la société NKI les a toutes deux assignées en paiement de dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° 13-25.496 : - Attendu que la société Salvis AG fait grief à l'arrêt de juger qu'elle a commis une faute en dénonçant brusquement les relations commerciales établies avec la société NKI et de la condamner à lui payer la somme de 300 000 euros alors, selon le moyen, qu'engage sa responsabilité l'auteur d'une rupture brutale des relations commerciales établies ; que ne constitue pas une rupture la simple dénonciation des conditions privilégiées jusque-là pratiquées entre les parties ; que dans ses écritures d'appel, la société Salvis AG soulignait que la société NKI avait continué à s'approvisionner en produits auprès d'elle ; que l'arrêt retient en outre que la société Salvis AG était fondée à réclamer à la société NKI le paiement de quatre factures émises en 2010 ; qu'en se bornant à énoncer, pour condamner la société Salvis AG au profit de la société NKI, que cette dernière avait dénoncé les conditions privilégiées de la collaboration qu'elle entretenait avec la société NKI, en mettant fin à sa situation de revendeur direct et quasi-exclusif pour le territoire français et en apportant des changements importants dans les conditions de vente précédemment convenues, ce sans constater que la relation commerciale établie entre les parties avait pris fin, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;
Mais attendu qu'après avoir constaté que la société Salvis AG avait entretenu une collaboration établie d'environ sept années avec la société NKI, qui bénéficiait d'une quasi-exclusivité et à laquelle elle a adressé comme à l'accoutumée les catalogues et conditions de vente pour 2009, l'arrêt relève que la société Salvis AG lui a adressé le 12 mai 2009 un courrier mettant fin sans préavis à sa situation de revendeur direct et quasi-exclusif pour le territoire français, tout en lui notifiant des changements importants dans les conditions de vente précédemment convenues ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations dont il résulte que la société Salvis AG a rompu partiellement la relation commerciale établie qu'elle entretenait avec la société NKI, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen de ce pourvoi : - Attendu que la société Salvis AG fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société NKI la somme de 300 000 euros au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies qu'elle entretenait avec cette dernière alors, selon le moyen, que le délai du préavis suffisant s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la notification de la rupture ; qu'en cas d'insuffisance du préavis, le préjudice en résultant est évalué en fonction de la durée du préavis jugée nécessaire ; qu'en se bornant à prendre en compte, pour condamner la société Salvis AG à indemniser la société NKI à hauteur de 300 000 euros au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies, le chiffre d'affaires de la société NKI et la proportion de ce chiffre d'affaires correspondant aux ventes Salvis pour les exercices 2006 à 2008, d'une part, ainsi que le niveau de marge brute de la société NKI, d'autre part, sans rechercher ni indiquer quelle aurait dû être la durée du préavis suffisant dont la société Salvis AG aurait dû faire bénéficier la société NKI, compte tenu notamment de l'ancienneté de la relation commerciale dont l'arrêt constate qu'elle était d' " environ sept années ", durée qui seule permettait de déterminer le montant des dommages-intérêts représentant le manque à gagner correspondant à la marge brute non encaissée par le partenaire évincé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;
Mais attendu qu'après avoir estimé que les chiffres certifiés par l'expert-comptable de la société NKI étaient suffisamment probants pour servir de base à l'évaluation des gains auxquels cette société aurait pu prétendre si un préavis d'une durée suffisante lui avait été accordé, l'arrêt relève que le chiffre d'affaires de la société NKI s'est élevé à environ 1,3 millions d'euros en 2006, à 1,18 millions d'euros en 2007 et à 0,8 millions d'euros en 2008, que les ventes des produits Salvis ont représenté en moyenne 55 % du chiffre d'affaires de la société NKI au cours de ces trois années, et que le niveau de marge brute de 50 % avancé par la société NKI pour son secteur d'activité n'est pas sérieusement contesté ; qu'il retient que tous ces éléments justifient, sans qu'il soit nécessaire de recourir à une expertise comptable, une réparation de 300 000 euros ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations dont il ressort que la société NKI aurait dû bénéficier d'un préavis d'un an, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le moyen unique du pourvoi n° 13-24.592 : - Attendu que la société Salvis France fait grief à l'arrêt de dire qu'elle s'est rendue coupable de concurrence déloyale à l'égard de la société NKI en se présentant faussement à la clientèle comme seul interlocuteur pour les produits Salvis et de la condamner à supporter solidairement avec la société Salvis AG la condamnation de 300 000 euros prononcée contre cette dernière, mais seulement dans la limite de 50 000 euros, alors, selon le moyen : 1°) que même brutale et dépourvue de préavis, la rupture de relations commerciales établies y met fin, la partie qui la décide pouvant seulement être tenue à des dommages-intérêts et non de conclure de nouveaux contrats ; qu'en affirmant que la société Salvis Fance aurait fautivement annoncé à la clientèle de la société Salvis AG qu'elle était le seul distributeur de ses produits, tandis que la société NKI était, aux termes de relations commerciales établies, son distributeur, bien qu'elle ait relevé qu'à la date de cette annonce faite par circulaire du 15 mai 2009, la société Salvis AG avait d'ores et déjà rompu ses relations commerciales avec la société NKI, par lettre du 12 mai 2009, cette rupture entraînant la fin des relations contractuelles et ne pouvant, le cas échéant, qu'ouvrir droit à des dommages et intérêts, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; 2°) que ne commet pas de faute à l'égard de ses concurrents l'opérateur économique qui se prévaut auprès de la clientèle de la qualité de distributeur unique que lui a conférée un fournisseur ; qu'en jugeant que la société Salvis France avait commis une faute en indiquant à la clientèle, par une circulaire du 15 mai 2009, qu'elle était le seul distributeur agréé des produits de la société Salvis AG quand la société NKI était toujours distributeur de cette marque, cependant qu'elle avait relevé que, par courrier du 12 mai 2009, la société Salvis AG avait mis fin aux relations commerciales qu'elle entretenait avec la société NKI et avait choisi la société Salvis France distributeur de ses produits, et qu'elle avait, par circulaire du 15 mai 2009, invité la clientèle à s'adresser à cette dernière pour toutes questions et commandes, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constations et a violé l'article 1382 du Code civil ; 3°) que seul le préjudice causé par la faute invoquée peut faire l'objet d'une indemnisation ; qu'en condamnant la société Salvis France à indemniser la société NKI des gains perdus, cependant qu'elle relevait que, par courrier du 12 mai 2009, la société Salvis AG avait mis fin aux relations commerciales qu'elle entretenait avec la société NKI et avait nommé la société Salvis France distributeur de ses produits, ce dont il résultait que le préjudice allégué par la société NKI était uniquement causé par la décision de la société Salvis AG, l'annonce de sa qualité de distributeur imputée comme faute à la société Salvis France ne constituant pas dès lors un antécédent nécessaire du dommage, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constations et a violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la société Salvis AG avait mis fin en mai 2009, sans préavis, aux conditions privilégiées de la relation établie nouée avec la société NKI impliquant une quasi-exclusivité depuis 2005 et qu'il n'était pas contesté qu'elle avait continué à fournir cette société en pièces détachées jusqu'en février 2010, ce dont il résultait que la rupture n'avait été que partielle, l'arrêt retient que la société Salvis France s'est présentée dans sa circulaire de démarchage comme l'unique distributeur de l'intégralité des produits Salvis, et a ainsi nécessairement détourné des clients à son profit ; qu'ayant ainsi caractérisé une faute de concurrence déloyale commise par la société Salvis France, la cour d'appel en a justement déduit que ces agissements distincts avaient concouru au préjudice subi par la société NKI à la suite de la rupture partielle de la relation commerciale par la société Salvis AG ; que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : rejette les pourvois.