Cass. com., 25 novembre 2014, n° 13-19.870
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Euralis gastronomie (Sté), Champion (Sté)
Défendeur :
Comité interprofessionnel du vin de Champagne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Didier, Pinet, SCP Hémery, Thomas-Raquin
LA COUR : - Sur le moyen unique : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 mars 2013), que la société Euralis gastronomie (la société) et sa filiale, la société Champion, commercialisaient différents produits en y associant le nom de Champagne, tels que "pintade au Champagne", "gigolette d'oie au Champagne", "foie gras de canard aux deux poivres et au Champagne", ce dernier produit étant présenté sous un emballage qui reproduisait une flûte de Champagne jouxtant des tranches de foie gras ; que le Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC), considérant que l'emploi de l'appellation Champagne avait pour but de détourner sa notoriété, les a assignées, sur le fondement, notamment, de l'article L. 643-1 du Code rural et de la pêche maritime, aux fins d'interdiction, de destruction, de publication et de condamnation à des dommages-intérêts ; que la société Champion a fait l'objet d'une fusion-absorption par la société en cours de procédure ;
Attendu que la société fait grief à l'arrêt de dire qu'en utilisant une dénomination insérant l'appellation d'origine contrôlée Champagne pour commercialiser les produits visés dans les dernières conclusions du CIVC, elle a créé un risque de détournement de la notoriété ainsi qu'un risque d'affaiblissement de la notoriété de cette appellation au sens de l'article L. 643-1 du Code rural et de la pêche maritime, de prononcer des mesures d'interdiction et de destruction sous astreinte et de la condamner à payer des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi alors, selon le moyen : 1°) que l'article L. 643-1 du Code rural et de la pêche maritime interdit uniquement l'utilisation du nom constituant une appellation d'origine, soit pour désigner des produits similaires à ceux couverts par celle-ci, soit pour désigner des produits différents, lorsque, dans ce dernier cas, cette utilisation est susceptible de détourner ou d'affaiblir la notoriété de l'appellation ; que cette disposition n'interdit ni ne restreint cependant nullement l'utilisation de ce nom pour désigner le produit lui-même bénéficiant de l'appellation d'origine ; qu'en l'espèce, il est constant que la mention du nom " Champagne " dans les dénominations " Montfort prestige Foie gras de canard entier du Sud-Ouest Champagne et 2 poivres ", " Rougié Sarlat Foie gras de canard entier aux 2 poivres et au Champagne ", " Rougié Sarlat Foie gras de canard entier aux 2 poivres, en gelée au Champagne ", " Rougié Sarlat Gigolette d'oie au Champagne ", " Pierre Champion Le foie gras de canard entier aux 2 poivres et au Champagne ", " Pierre Champion La gigolette d'oie au Champagne " et " Pierre Champion Le salmis de pintade au Champagne " désignait uniquement la présence, dans les produits ainsi désignés, de vin bénéficiant de cette appellation d'origine ; qu'en interdisant néanmoins, sur le fondement du texte susvisé, l'utilisation du nom " Champagne " dans les dénominations litigieuses, cependant que ce nom n'était employé ni pour un produit similaire ni pour un produit différent de celui bénéficiant de l'appellation d'origine Champagne, mais uniquement pour désigner le produit exactement désigné par celle-ci, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L. 643-1 du Code rural et de la pêche maritime ; 2°) que, lorsqu'un opérateur économique utilise un produit couvert par une appellation d'origine dans une préparation culinaire, dans des conditions conformes aux usages commerciaux du secteur, il ne peut, en principe, et sauf circonstances particulières, lui être reproché de créer un risque de détournement ou d'affaiblissement de la notoriété de cette appellation en employant, dans la dénomination de vente de cette préparation culinaire, le nom constituant l'appellation d'origine, à titre descriptif, pour indiquer la présence du produit exactement désigné par celle-ci ; qu'en l'espèce, la société Euralis gastronomie soulignait, tout particulièrement, que la recette du foie gras préparé avec du Champagne constituait une recette traditionnelle, que cette recette traditionnelle du foie gras au Champagne était précisément celle utilisée pour la préparation des produits en cause, qu'en application du décret du 9 août 1993, l'assaisonnement total du foie gras ne pouvait dépasser 4 % de la masse de la préparation et qu'il était d'usage, dans le secteur en cause, de mentionner, dans la dénomination de vente du foie gras, le nom de l'ingrédient particulier utilisé dans l'assaisonnement du produit ; qu'en relevant que l'emploi par la société Euralis gastronomie du mot " Champagne " dans la dénomination de ses préparations créerait un risque de détournement et d'affaiblissement de l'appellation d'origine Champagne, dès lors que ces préparations ne contenaient " que " 2 % de vin de Champagne, que le goût du vin de Champagne serait faiblement perçu par les consommateurs et qu'un autre vin de même acidité aurait pu produire les mêmes effets, sans rechercher, au vu des éléments précités, si les conditions dans lesquelles cette société avait ainsi utilisé du vin de Champagne dans ses préparations culinaires n'étaient pas conformes aux usages, et si ces usages ne justifiaient pas, en conséquence, qu'elle utilise le nom " Champagne " dans la dénomination de ces préparations, pour indiquer, à titre descriptif, la présence du produit exactement désigné par cette appellation d'origine, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 643-1 du Code rural et de la pêche maritime ; 3°) que tout opérateur économique est libre d'utiliser un produit couvert par une appellation d'origine dans une préparation culinaire et n'est aucunement tenu, pour pouvoir mentionner le nom de l'appellation d'origine dans sa dénomination de vente, de démontrer que ce produit serait le seul à produire un effet gustatif particulier ; qu'en relevant que la présence du produit de l'appellation d'origine Champagne dans les préparations de la société Euralis gastronomie étant faiblement perçu par le consommateur, le Champagne aurait pu être remplacé par un autre vin de même acidité qui aurait pu produire les mêmes effets, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants, en violation de l'article L. 643-1 du Code rural et de la pêche maritime ensemble le principe de la liberté du commerce et de l'industrie ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant constaté que le nom de Champagne avait été utilisé dans la dénomination du foie gras de canard, de la pintade et de la gigolette d'oie, qui constituent des produits différents du vin bénéficiant de l'appellation contrôlée dans la composition desquels celui-ci entrait, la cour d'appel a exactement retenu que les dispositions de l'article L. 643-1 du Code rural et de la pêche maritime étaient applicables au litige ;
Attendu, en second lieu, qu'après avoir constaté que le litige ne portait pas sur l'utilisation traditionnelle du vin de Champagne dans des préparations culinaires, que ce dernier n'entrait que pour 2 % dans la composition du foie gras et que, d'après une étude gustative et comparative réalisée auprès du public, l'aromatisation au vin de Champagne n'était perçue que par 17 % des consommateurs interrogés, l'arrêt relève que les publicités évoquent la finesse du Champagne et que sur les emballages des produits en cause, l'appellation d'origine figure en lettres anglaises élégantes tandis que les autres mentions sont en lettres majuscules droites ; qu'il en déduit qu'en commercialisant des produits dans la dénomination desquels entre le terme notoire Champagne ou en s'y référant sur des emballages ou publicités, la société Euralis gastronomie n'a pu que chercher à bénéficier de la valeur économique et de l'attractivité de l'appellation d'origine Champagne ; qu'il ajoute que la diffusion qui peut être faite de l'appellation d'origine associée à un produit, serait-il le foie gras, par une société qui le commercialise et en assure la promotion à une échelle et selon des modalités qui échappent au contrôle des opérateurs concernés, risque nécessairement d'entraîner un affaiblissement de la notoriété de l'appellation et une banalisation du terme ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche inopérante visée à la deuxième branche, a caractérisé le risque de détournement et d'affaiblissement de la notoriété de cette appellation et ainsi légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa troisième branche qui critique un motif surabondant, n'est pas fondé pour le surplus ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.