CA Nîmes, premier président, 10 février 2015, n° 14-00004
NÎMES
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Établissements Lapize de Sallée ses enfants successeurs (SAS)
Défendeur :
Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi Rhône-Alpes, Ministère public
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Premier président :
M. Filhouse
EXPOSÉ
Vu l'ordonnance du juge des libertés et de la détention au Tribunal de grande instance de Privas, en date du 22 novembre 2013, autorisant le directeur régional adjoint de la " Direction Interrégionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi " (" Direccte ") de Rhône-Alpes, chef de la " Brigade Interrégionale d'Enquêtes de Concurrence " (" BIEC ") de Rhône-Alpes, Auvergne, Bourgogne, Franche-Comté, à procéder ou faire procéder, dans les locaux de la SAS " Établissements Lapize de sallée ses enfants successeurs " aux visites et saisies prévues par les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce, afin de rechercher la preuve des agissements qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce relevés dans le secteur de la commercialisation de l'éclairage public, ainsi que toute manifestation de ces comportements prohibés ;
Vu le recours formalisé le 16 décembre 2013 au greffe du Tribunal de grande instance de Privas par la SAS " Établissements Lapize de Sallée ses enfants successeurs " à l'encontre du déroulement des opérations de visite et de saisie réalisées dans ses locaux le 5 décembre 2013.
Vu les citations à comparaître délivrées le 27 mars 2014 à la SAS " Établissements Lapize de sallée ses enfants successeurs " et le 10 avril 2014 à la " Direction Interrégionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi " (ci-après désignée sous son acronyme : " Direccte ") de Rhône-Alpes, représentant du ministre de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique, pour l'audience du 27 mai 2014, date à laquelle l'examen de l'affaire a été renvoyé contradictoirement à l'audience du 9 décembre 2014, le Ministère Public, qui a reçu communication des pièces de la procédure, ayant fait connaître qu'il n'interviendrait pas à l'instance.
Vu les conclusions récapitulatives rectifiées reçues au greffe le 13 novembre 2014, et développées oralement à l'audience du 9 décembre 2014 par le représentant du ministre de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique.
Vu les dernières conclusions reçues au greffe les 7 et 8 octobre 2014 et développées oralement à l'audience du 9 décembre 2014 par la SAS " Établissements Lapize de Sallée ses enfants successeurs ", qui a eu la parole en dernier.
Suivant note du 4 novembre 2013 le ministre de l'Économie et des Finances a demandé la réalisation d'une enquête aux fins de vérification de l'existence de pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce dans le secteur de l'éclairage public, et en a confié la charge à la " Direccte " de Rhône-Alpes, avec le concours des chefs de " BIEC " (Brigade Interrégionale d'Enquête et de Concurrence) des autres " Direccte " territorialement concernées (Auvergne, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Nord-Pas-de-Calais, Île-de-France, Pays-de-la-Loire, Lorraine et Aquitaine), le fonctionnaire ainsi habilité ayant obtenu du juge des libertés et de la détention au Tribunal de grande instance de Privas, en suite de sa requête en date du 18 novembre 2013, une ordonnance du 22 novembre 2013 l'autorisant à procéder ou faire procéder aux visites et saisies prévues par l'article L. 450-4 du Code de commerce, dans les locaux de diverses entreprises expressément désignées, parmi lesquels ceux de la SAS " Établissements Lapize de Sallée ses enfants successeurs " à Annonay (07) " afin de rechercher la preuve des agissements qui entrent dans le champ de pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce relevés dans le secteur de l'éclairage public, ainsi que toutes manifestations de ces comportements prohibés ".
Il était procédé à cette opération selon procès-verbal de visite et saisie en date du 5 décembre 2013, les documents saisis étant inventoriés sous quatre scellés ouverts et un cinquième scellé fermé.
La SAS " Établissements Lapize de Sallée ses enfants successeurs " ayant formé recours contre le déroulement de ces opérations, elle demande en l'état de ses dernières conclusions, au visa des articles 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, L. 450-4 du Code de commerce, 56 du Code de procédure pénale :
De prononcer l'annulation des opérations de visites et saisies du 5 décembre 2013, tant en conséquence de l'annulation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 22 novembre 2013, que des manquements graves qui les affectent ;
D'ordonner la restitution de toutes les pièces saisies et faire interdiction à toute personne d'en faire un usage quelconque, d'en conserver une copie ou de les diffuser ;
Subsidiairement d'ordonner,
La restitution de toutes les pièces saisies hors du champ de l'enquête, dont le détail est précisé selon la liste donnée en pages 22 à 27 de ses conclusions récapitulatives,
La restitution des fichiers informatiques illisibles, dont le détail est précisé selon la liste donnée en pages 27 à 32 de ses conclusions récapitulatives ;
D'interdire à toute personne d'en faire un usage quelconque et d'en conserver une copie ou de les diffuser ;
En toute hypothèse, condamner la " Direccte " de Rhône-Alpes aux dépens.
La " Direccte " demande :
Qu'il lui soit donné acte de son accord pour procéder à la restitution par destruction de 436 fichiers informatiques, dont la liste est annexée en pièce n° 17 de ses écritures ;
De débouter la SAS " Établissements Lapize de Sallée ses enfants successeurs " du surplus de ses demandes et de déclarer régulières les opérations de visite et saisie effectuées dans les locaux de cette société sur le fondement de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Privas en date du 22 novembre 2013.
Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.
DISCUSSION
Attendu que le recours de la SAS " Établissements Lapize de Sallée ses enfants successeurs " ayant été exercé dans les forme et délai de l'article L. 450-4 du Code de commerce, il est recevable ;
Attendu que le recours, exercé par la SAS " Établissements Lapize de Sallée ses enfants successeurs " à l'encontre de l'ordonnance n° 13-429 prononcée le 22 novembre 2013 par le juge des libertés et de la détention de Privas, dont le champ n'est pas limité aux marchés visés dans la requête qui l'a saisi, étant examiné dans le cadre d'une procédure distincte, la présente procédure sera strictement limitée à l'examen de la régularité des opérations de visite réalisées le 5 décembre 2013 dans les locaux de la demanderesse au recours ;
Attendu qu'à l'appui de son recours la SAS " Établissements Lapize de Sallée ses enfants successeurs " fait valoir que seuls peuvent être appréhendés les documents et pièces se rapportant aux agissements retenus par l'ordonnance d'autorisation, qui a saisi le juge des libertés et de la détention, et le cas échéant les documents hors champ qui seraient considérés pour partie utiles à la preuve recherchée, les inventaires et mises sous scellés devant être réalisés conformément à l'article 56 du Code de procédure pénale ;
Or attendu que, selon la demanderesse au recours, il aurait été procédé à la saisie massive et indifférenciées des documents informatiques, sans proportion avec l'objet de l'enquête, ainsi que cela résulterait de la saisie des e-mails contenus dans les messageries " Outlook " de Bertrand A et de Benoît B, alors qu'une analyse rapide aurait permis d'écarter du champ de la saisie des éléments n'ayant pas de rapport avec celui-ci ;
Et attendu que, toujours selon la demanderesse au recours, les annexes du procès-verbal de saisie ne donneraient aucune précision, ni sur le nombre de documents saisis, ni sur leur contenu, absence d'identification qui ferait obstacle à l'exercice des droits de la défense ;
Attendu que s'agissant de la saisie des documents informatiques, il ressort de la lecture du procès-verbal du 5 décembre 2013, qu'après avoir constaté la présence de documents entrant dans le champ de l'autorisation parmi les données informatiques accessibles depuis l'ordinateur de bureau présent dans le bureau de Bertrand A, lequel était en réseau avec ceux d'Anne C, de Gérard D et de Benoît B, les zones personnelles de ces derniers étaient transférées sur l'ordinateur de Bertrand A, ainsi que les messageries de Bertrand A et de Benoît B, dont les données étaient gravées en deux exemplaires sur DVD-R vierges non réinscriptibles, dont un exemplaire était laissé à la SAS " Établissements Lapize de Sallée ses enfants successeurs " et l'autre placé sous scellé n° 5 ;
Attendu que par ailleurs il a été procédé à l'inventaire des fichiers informatiques sur un CD-R gravé placé en annexe 1 du procès-verbal de visite et saisie, dont la " Direccte " verse en pièce n° 4 un tirage sur support papier ;
Attendu qu'il ressort de l'examen de ce tirage, d'une part, qu'il a bien été procédé à une saisie sélective et proportionnée des documents informatiques, puisque seuls 1 862 fichiers sur 281 179 fichiers présents ont été saisis, et d'autre part, que pour chaque fichier saisi est indiqué, outre son intitulé, le chemin d'accès, le volume et la signature numérique, de sorte qu'ils sont parfaitement identifiés et l'occupant des lieux qui a été mis en mesure d'y accéder au moyen de l'exemplaire laissé à sa disposition, peut parfaitement faire valoir ses droits en vérifiant lui-même le contenu des fichiers ainsi saisis, de sorte que le grief tiré du défaut d'identification des fichiers n'est pas fondé ;
Attendu que c'est d'ailleurs parce qu'elle a pu procéder à cette vérification, que la SAS " Établissements Lapize de Sallée ses enfants successeurs " justifie que parmi les fichiers ainsi saisis, 232 d'entre eux, qui ont été retenus par le logiciel de recherche pour avoir répondu aux mots-clefs utilisés, se révèlent être hors du champ de l'autorisation judiciaire, ni présenter d'utilité à l'enquête, ce que reconnait la " Direccte " qui en offre la restitution ;
Attendu que pour autant, les fichiers ainsi saisis doivent pouvoir être vérifiés tant par l'occupant des lieux au moyen de l'exemplaire qui lui a été remis, que par l'autorité judiciaire de contrôle, alors que la " Direccte " confirme que la SAS " Établissements Lapize de Sallée ses enfants successeurs " ne pouvait procéder à l'ouverture des fichiers saisis, qui sont dépourvus d'extension, ainsi que de ceux qui nécessitent l'emploi d'un logiciel spécifique en raison du format de leur extension ;
Attendu que la SAS " Établissements Lapize de Sallée ses enfants successeurs " donne une liste de ces fichiers qu'elle ne serait pas parvenue à ouvrir ;
Attendu que le représentant du ministre de l'Économie observe que cette liste de 222 fichiers comporte 13 fichiers comptabilisés deux fois et un fichier compressé compté pour quatre, de sorte que ce sont en définitive 206 fichiers qui sont contestés par la SAS " Établissements Lapize de Sallée ses enfants successeurs " ;
Attendu que d'autre part, la " Direccte " observe à juste titre que les fichiers intitulés " archive ", " archive1 " et " archive.2 ", étant extraits de messageries, peuvent être ouverts au moyen d'un logiciel " Outlook " en leur associant l'extension au format " pst " ;
Attendu qu'il s'ensuit que sauf à identifier les messages qui pourraient lui être restitués, parce qu'ils ne contiendraient pas d'élément en relation avec le champ de l'autorisation ou utile à l'enquête, la SAS " Établissements Lapize de Sallée ses enfants successeurs " ne saurait obtenir la restitution de l'ensemble des documents archivés dans ce fichier, dont le logiciel de recherche a permis l'isolement comme contenant des éléments entrant dans ce champ ;
Attendu que toutefois la " Direccte " reconnaît que le fichier " archive.pst " ne contient en fait que des messages tests qui ne présentent pas d'utilité à l'enquête, de sorte qu'ils peuvent être restitués ;
Attendu qu'ainsi doit être partiellement annulée la saisie des fichiers informatiques qui ne peuvent être ouverts à partir du DVD-R remis à la SAS " Établissements Lapize de Sallée ses enfants successeurs ", où qui ne concernent pas le champ de l'autorisation, ni présentent d'utilité pour l'enquête, dont la liste figure en pièce n° 17 du représentant du ministre de l'Économie ;
Attendu qu'il en sera en conséquence ordonné la restitution par voie de destruction ;
Attendu que s'agissant des documents placés sous scellés 1 à 4, la " Direccte " de Rhône-Alpes précise qu'ils ont été saisis en présence du représentant de la SAS " Établissements Lapize de Sallée ses enfants successeurs ", qui ne pouvait ignorer qu'ils avaient été sélectionnés afin d'être saisis, la société en conservant les originaux, ainsi que la copie délivrée par les enquêteurs ;
Mais attendu que le procès-verbal qui fait foi, indique seulement au chapitre consacré à la visite du bureau de Bertrand A :
" A l'issue de la visite de ce bureau il a été procédé à la saisie de documents mentionnés dans l'inventaire ci-dessous et placés dans les scellés n° 1 à 4 " ;
Et attendu que si le scellé n° 1 fait un inventaire détaillé et suffisamment descriptif des documents saisis pour nous permettre de nous assurer, soit qu'ils présentent un rapport avec le secteur de l'éclairage public ou des sociétés visées dans l'ordonnance d'autorisation, soit qu'ils sont utiles pour l'enquête, la demanderesse au recours ayant été en mesure de le contester, il n'en est pas de même des trois autres, dès lors :
que le scellé n° 2 indique seulement : " Agenda 2011 du 1er novembre 2010 à 1er janvier 2012 / n° de cote 1 " ;
que le scellé n° 3 indique seulement : " Agenda 2012 du 14 novembre 2011 à 6 janvier 2013 / n° de cote 1 " ;
que le scellé n° 4 indique seulement : " Carnet de note à spirale note book : / n° de cote 1 à 118 " ;
Or attendu qu'il ne résulte ni du procès-verbal de saisie, ni des inventaires des scellés, que ces documents entreraient dans le champ de l'autorisation judiciaire, ou présenteraient une utilité à l'enquête, ni que les originaux auraient été laissés à la disposition de la SAS " Établissements Lapize de Sallée ses enfants successeurs ", ni même une copie, ni même que le représentant de la SAS " Établissements Lapize de Sallée ses enfants successeurs " aurait été mis en mesure de contester utilement que le contenu de ces documents saisis pouvait entrer dans le champ de l'autorisation ou avoir une utilité pour l'enquête ;
Attendu qu'il s'ensuit que le représentant du ministre de l'Économie ne nous mettant pas en mesure de vérifier la régularité de la saisie de ces documents et la SAS " Établissements Lapize de Sallée ses enfants successeurs " n'étant pas elle-même en mesure d'en faire la preuve contraire au moyen des éléments restés en sa possession, il convient de procéder à son annulation partielle ;
Par ces motifs : Statuant contradictoirement et en dernier ressort, Recevons la SAS " Établissements Lapize de Sallée ses enfants successeurs " en son recours. Au fond, Annulons partiellement les saisies opérées le 5 décembre 2013 par les agents de la " Direction Interrégionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi ", lors de la visite des locaux de la SAS " Établissements Lapize de Sallée ses enfants successeurs " [adresse], en ce qu'elles portent : sur le scellé n° 2 : " Agenda 2011 du 1er novembre 2010 à 1er janvier 2012 " ; sur le scellé n° 3 : " Agenda 2012 du 14 novembre 2011 au 6 janvier 2013 " ; sur le scellé n° 4 : " Carnet de note à spirale note book " ; sur partie du scellé n° 5, dont l'inventaire a été gravé sur CD-R placé en annexe 1 du procès-verbal de saisie, à savoir les fichiers dont la liste est donnée en pièce n° 17 annexée aux conclusions du ministre de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique, dont une copie demeurera annexée à la minute de la présente ordonnance ; Ordonnons la restitution de ces documents, laquelle s'effectuera par voie de destruction en ce qui concerne les fichiers informatiques énumérés à la pièce 17 annexée à la présente ordonnance ; Faisons interdiction à toute personne d'en faire un usage quelconque, d'en garder une copie ou de les diffuser. Déboutons la SAS " Établissements Lapize de Sallée ses enfants successeurs " du surplus de ses demandes ; Disons que les dépens seront pris comme frais de saisie au sens de l'article R. 92, 5° du Code de procédure pénale.