Livv
Décisions

CA Nîmes, premier président, 10 février 2015, n° 13-00093

NÎMES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Cegelec réseaux Auvergne Drôme Ardèche (SASU)

Défendeur :

Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi Rhône-Alpes, Ministère public

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier président :

M. Filhouse

Avocat :

Me Saint-Esteben

TGI Privas, JLD, du 22 nov. 2013

22 novembre 2013

EXPOSÉ

Vu l'ordonnance du juge des libertés et de la détention au Tribunal de grande instance de Privas, en date du 22 novembre 2013, autorisant le directeur régional adjoint de la " Direction Interrégionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi " (" Direccte ") de Rhône-Alpes, chef de la " Brigade Interrégionale d'Enquêtes de Concurrence " (" BIEC ") de Rhône-Alpes, Auvergne, Bourgogne, Franche-Comté, à procéder ou faire procéder, dans les locaux de la SASU " Cegelec centre Est " aux visites et saisies prévues par les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce, afin de rechercher la preuve des agissements qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce relevés dans le secteur de la commercialisation de l'éclairage public, ainsi que toute manifestation de ces comportements prohibés :

Vu le recours formalisé le 13 décembre 2013 au greffe du Tribunal de grande instance de Privas par la SASU " Cegelec centre Est " à l'encontre du déroulement des opérations de visite et de saisie réalisées dans ses locaux le 5 décembre 2013.

Vu les citations à comparaître délivrées le 25 avril 2014 à la SASU " Cegelec centre Est " et le 10 avril 2014 à la " Direction Interrégionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi " (ci-après désignée sous son acronyme : " Direccte ") de Rhône-Alpes, représentant du ministre de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique, pour l'audience du 27 mai 2014, date à laquelle l'examen de l'affaire a été renvoyé contradictoirement à l'audience du 9 décembre 2014, le Ministère Public, qui a reçu communication des pièces de la procédure, ayant fait connaître qu'il n'interviendrait pas à l'instance.

Vu les conclusions récapitulatives rectifiées reçues au greffe le 1er décembre 2014, et développées oralement à l'audience du 9 décembre 2014 par le représentant du ministre de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique.

Vu les conclusions reçues au greffe le 13 mai 2014 et développées oralement à l'audience du 9 décembre 2014 par la SASU " Cegelec Réseaux Auvergne Drôme Ardèche ", venant aux droits de la SASU " Cegelec centre Est ", qui a eu la parole en dernier.

Suivant note du 4 novembre 2013 le ministre de l'Économie et des Finances a demandé la réalisation d'une enquête aux fins de vérification de l'existence de pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce dans le secteur de l'éclairage public, et en a confié la charge à la " Direccte " de Rhône-Alpes, avec le concours des chefs de " BIEC " ( Brigade Interrégionale d'Enquête et de Concurrence) des autres " Direccte " territorialement concernées (Auvergne, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Nord-Pas-de-Calais, Île-de-France, Pays-de-la-Loire, Lorraine et Aquitaine), le fonctionnaire ainsi habilité ayant obtenu du juge des libertés et de la détention au Tribunal de grande instance de Privas, en suite de sa requête en date du 18 novembre 2013, une ordonnance du 22 novembre 2013 l'autorisant à procéder ou faire procéder aux visites et saisies prévues par l'article L. 450-4 du Code de commerce, dans les locaux de diverses entreprises expressément désignées, parmi lesquels ceux de la SASU " Cegelec centre Est " à Brives-Charensac (43) " afin de rechercher la preuve des agissements qui entrent dans le champ de pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce relevés dans le secteur de l'éclairage public, ainsi que toutes manifestations de ces comportements prohibés ".

Le juge des libertés et de la détention au Tribunal de grande instance du Puy-en-Velay (43) ayant ainsi désigné les officiers de police judiciaire territorialement compétents pour assister aux opérations devant se dérouler dans lesdits locaux, il était procédé à cette opération selon procès-verbal de visite et saisie en date du 5 décembre 2013, les documents saisis étant inventoriés sous trois scellés.

La SASU " Cegelec centre Est " ayant formé recours contre le déroulement de ces opérations, la SASU " Cegelec Réseaux Auvergne Drôme Ardèche ", qui vient aux droits de celle-là, demande au visa des articles 6, 8 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales, L. 450-4 du Code de commerce, 56 du Code de procédure pénale, de :

Juger qu'il a été porté atteinte aux droits de la défense en saisissant des documents n'entrant pas dans le champ de l'enquête et qu'elle a été empêchée d'exercer ses droits garantis par l'article 56 du Code de procédure pénale, aux constats :

Que seule la saisie de documents relatifs à d'éventuels comportements anticoncurrentiels dans le secteur de l'éclairage public a été autorisée ;

Que les enquêteurs n'ont pas procédé à un tri sélectif des documents informatiques en lien avec l'objet de l'enquête, en rappelant que les droits de la défense doivent être respectés dès l'enquête préliminaire et en relevant que les enquêteurs ont saisi de manière massive et indifférenciée plusieurs milliers de documents et fichiers informatiques ;

Qu'une simple consultation de l'inventaire des documents et fichiers saisis fait apparaître le nombre très significatif de documents n'entrant pas dans le champ de l'enquête ;

Que les enquêteurs n'ont pas permis à l'occupant des lieux et ses représentants de prendre connaissance des documents et fichiers informatiques avant de procéder à leur saisie ;

Juger en conséquence, à titre principal, que les opérations de visites et saisies sont nulles dans leur intégralité ;

Ordonner la restitution de l'ensemble des documents saisis et leurs éventuelles copies dans un délai de 10 jours à compter du prononcé ;

Ordonner la suppression de toute référence aux pièces litigieuses et interdire toute utilisation ou exploitation subséquente

Dire qu'il ne pourra en être fait aucune mention à l'encontre de " Cegelec centre Est " et de " Cegelec Réseaux Auvergne Drôme Ardèche " ;

Ordonner subsidiairement la restitution des documents papiers et informatiques saisis alors qu'ils ne se rapportent pas à l'objet de l'enquête ;

Condamner la " Direccte " de Rhône-Alpes aux dépens.

La " Direccte " demande :

Qu'il lui soit donné acte de son accord pour procéder à la restitution par destruction de 90 fichiers informatiques, dont la liste est annexée en pièce n° 46 de ses écritures ;

De déclarer la SASU " Cegelec Réseaux Auvergne Drôme Ardèche " mal fondée en ses autres demandes et l'en débouter;

De déclarer régulières les opérations de visite et saisies qui se sont déroulées le 5 décembre 2013 dans les locaux de la SASU " Cegelec centre Est ".

Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.

DISCUSSION

Attendu que le recours de la SASU " Cegelec centre Est ", aux droits de laquelle vient la SASU " Cegelec Réseaux Auvergne Drôme Ardèche ", ayant été exercé dans les forme et délai de l'article L. 450-4 du Code de commerce, il est recevable ;

Attendu qu'à l'appui de son recours, la SASU " Cegelec Réseaux Auvergne Drôme Ardèche " fait valoir, que les enquêtes doivent assurer les droits de la défense en se conformant strictement aux textes visés supra et à cette fin :

Que l'objet défini par l'ordonnance d'autorisation soit strictement respecté, ce qui suppose que les saisies ne soient pas massives et indifférenciées, mais rapportées au but recherché ;

Que préalablement à la saisie, soient provoquées toutes mesures utiles au respect du secret professionnel et des droits de la défense ;

Or attendu qu'elle prétend que ces principes auraient été violés, dès lors :

Que les enquêteurs n'auraient pas procédé au tri sélectif des documents informatiques en lien avec l'objet de l'enquête, qui ont été extraits de l'ordinateur portable de Jean-Yves X de marque " Dell Latitude ", dès lors :

Que le procès-verbal ne précise pas les conditions, ni les modalités de recherche et de sélection des documents saisis ;

Que l'inventaire informatique ne permet pas d'identifier, sauf exception, le nombre de documents/fichiers saisis ;

Que chaque fichier saisi est susceptible de contenir plusieurs milliers de documents, particulièrement en ce qui concerne la boîte mail " Lotus " de Jean-Yves X ;

Que certains des documents informatiques saisis et identifiés dans l'inventaire sont des documents :

Soit personnels à Jean-Yves X, provenant notamment de ses anciennes fonctions occupées chez son précédent employeur " Forclum ",

Soit personnels à une dame Y, et concernant l'époque où elle était responsable administrative et comptable de la société " Fournie Grospaud Adour " entre 2007 et 2012, voire pour certains d'entre eux strictement personnels à cette dame ;

Que le fichier " archive.pst " s'avère être la boîte d'archive d'e-mails de la dame Y contenant environ 5 000 courriels, outre des documents joints ;

Que les enquêteurs n'ont pas permis à l'occupant des lieux et à ses représentants de prendre connaissance des documents et fichiers informatiques avant de procéder à leur saisie, ce qui a conduit Jean-Yves X à formuler des réserves sur la pertinence des éléments saisis ;

Attendu qu'il convient de relever en premier lieu qu'aucune critique ni réserve n'a été formulée en ce qui concerne la saisie des documents papiers ou du tirage sur support papier des documents informatiques placés sous scellés n° 1 et 2, tant dans le cadre des écritures de la SASU " Cegelec Réseaux Auvergne Drôme Ardèche ", que lors du déroulement de la visite, de sorte que ces saisies ayant par ailleurs été accomplies dans le respect des textes en vigueur et de l'ordonnance d'autorisation, il n'y a pas lieu de procéder à leur annulation, quand bien même les critiques formulées quant à la saisie des documents et fichiers informatiques seraient fondées en tout ou partie ;

Attendu que s'agissant de cette saisie des fichiers et documents informatiques, effectuée en présence de Jean-Yves X, lequel a donc été en mesure de vérifier l'exactitude des points relevés, le procès-verbal indique qu'il a été constaté la présence de documents entrant dans le champ de l'autorisation judiciaire dans l'ordinateur portable de celui-ci, dont il a été effectué une analyse approfondie, et qu'il en a été extrait des fichiers après avoir été procédé à leur authentification numérique, dont il a été fait un inventaire informatique, saisi et gravé sur CD-R placé en annexe 2 au procès-verbal, lesdits fichiers ayant été gravés sur deux DVD-R vierges non réinscriptibles, en deux exemplaires, dont l'un laissé à la SASU " Cegelec centre Est ", Jean-Yves X ayant reçu copie de l'ensemble des documents, l'autre placé sous scellé n° 3 ;

Attendu que si Jean-Yves X, en recevant copie du CD-ROM a émis la réserve qu'il ne lui était pas possible, en l'absence de liste figurant au procès-verbal, de s'assurer que tous les fichiers ainsi saisis, eu égard à leur nombre, avaient un rapport direct et certain avec les marchés visés à l'ordonnance, il a néanmoins été ainsi mis en mesure de vérifier, au moyen des copies qui lui ont été remises, que ces fichiers entraient en tout ou partie dans le champ de l'autorisation, qui n'était pas limitée aux marchés visés dans la requête du représentant du ministre de l'Économie ;

Attendu qu'il s'ensuit que contrairement aux affirmations de la SASU " Cegelec Réseaux Auvergne Drôme Ardèche ", la visite et la saisie s'est bien déroulée dans le respect des dispositions de l'article 56 du Code de procédure pénale et des droits de la défense ;

Attendu qu'ensuite, il ressort de l'inventaire des fichiers informatiques saisis, que ceux qui ont été sélectionnés à partir de mots-clefs par le logiciel de recherche, sont au nombre de 227 sur 602 763 fichiers analysés, de sorte que contrairement aux affirmations de la SASU " Cegelec Réseaux Auvergne Drôme Ardèche ", il n'a pas été procédé à une saisie massive et indifférenciée des fichiers et documents informatiques, l'intitulé des fichiers inventoriés permettant par ailleurs à l'occupant des lieux de s'assurer, qu'ils présentent des éléments entrant dans le champ de l'autorisation, ou présentent un intérêt pour l'enquête, celui-ci ayant été mis en mesure, au moyen de la copie du DVD-R qui lui a été remise, de vérifier les documents qui à l'intérieur de ces fichiers seraient susceptibles d'en être extraits pour lui être restitués ;

Attendu que d'ailleurs, il ressort des écritures de la demanderesse au recours, à qui il incombe d'identifier les documents qui n'entreraient pas selon elle dans le champ de l'autorisation, qu'elle a été en mesure de le faire pour les documents visés dans ses conclusions ;

Attendu que s'agissant de ces documents, le représentant du ministre de l'Économie lui objecte à bon droit :

Que dans la mesure où les documents litigieux étaient présents dans les locaux de la SASU " Cegelec centre Est ", ils peuvent être saisis, même s'ils concernent une autre personne que le titulaire de l'ordinateur où ils sont stockés (documents de la dame Y) ou des archives anciennes enregistrées alors que Jean-Yves X étaient employé dans une autre société, dès lors qu'ils sont susceptibles d'être en relation avec l'objet de l'enquête ;

Que l'entreprise " Forclum " est l'une de celle visées par l'ordonnance d'autorisation ;

Que le " mémoire tremonteix.ppt " concernait la SASU " Cegelec centre Est " et se rapporte à un marché de l'éclairage public ;

Attendu que pour autant, à l'exception de ce dernier document, les 90 autres fichiers cités aux conclusions de la demanderesse au recours se révèlent étrangers au champ de l'autorisation et à l'enquête, ce que reconnaît la " Direccte " ;

Attendu qu'il convient en conséquence d'annuler partiellement la saisie en ce qui les concerne et d'en ordonner la restitution par voie de destruction ;

Par ces motifs : Statuant contradictoirement et en dernier ressort, Recevons en son recours la SASU " Cegelec Réseaux Auvergne Drôme Ardèche ", venant aux droits de la SASU " Cegelec centre Est ". Au fond, Annulons partiellement les saisies opérées le 5 décembre 2013 par les agents de la " Direction Interrégionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi ", lors de la visite des locaux de la SASU " Cegelec centre Est " situés [adresse], en ce qu'elles portent sur les 90 fichiers, dont la liste est donnée en pièce n° 46 annexée aux conclusions du ministre de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique, dont une copie demeurera annexée à la minute de la présente ordonnance ; Ordonnons la restitution de ces documents par voie de destruction. Faisons interdiction à toute personne de faire un usage quelconque de ces documents et fichiers, d'en garder une copie ou de les diffuser. Déboutons la SASU " Cegelec Réseaux Auvergne Drôme Ardèche " du surplus de ses demandes.