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Décisions

CA Limoges, ch. civ., 18 février 2015, n° 13-01488

LIMOGES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

BMW France (Sté)

Défendeur :

Taurisson (SA), Thierry (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Antoine

Conseillers :

MM. Pugnet, Pernot

Avocats :

Selarl Dauriac & Associés, Mes Lajo, Bourgeon, Gladel

T. com. Brive-la-Gaillarde, du 10 déc. 2…

10 décembre 2010

FAITS ET PROCÉDURE

La société BMW France dont l'entreprise Taurisson était membre du réseau depuis 1977 a conclu avec la société Taurisson, le 1er octobre 2003, pour une durée de cinq années prenant effet à cette date, un contrat de concession conforme au règlement européen d'exemption par catégorie dans le secteur automobile n° 1400-2002 du 31 juillet 2002.

Le contrat prévoyait que chaque partie devrait, avec un préavis de six mois avant son terme, notifier à l'autre partie son intention de ne pas renouveler le contrat par lettre recommandée avec accusé de réception.

Par lettre du 31 mai 2007, la société BMW France a demandé à la société Taurisson si elle entendait faire acte de candidature en vue de la proposition d'un nouveau contrat, puis par lettre du 27 septembre 2007, lui a indiqué que si elle-même n'avait pas l'intention de lui proposer le renouvellement du contrat à son terme, ceci ne saurait exclure l'examen de la société Taurisson dans le cadre du nouveau contrat de manière concomitante à toute autre candidature.

Le contrat n'ayant pas été renouvelé à son échéance, la société Taurisson a fait assigner la société BMW France devant le Tribunal de commerce de Brive-la-Gaillarde sur le fondement de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce.

Le 10 décembre 2010, le tribunal, faisant partiellement droit à la demande de la société Taurisson a, notamment, rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société BMW France et condamné la société BMW France à payer à la société Taurisson la somme de 875 589 euros à titre de dommages et intérêts outre celle de 8 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur appel de la société BMW France, la Cour d'appel de Limoges a, par substitution de motifs confirmé le jugement du tribunal de commerce en ce qu'il a condamné à la société Taurisson la somme de 875 589 euros à titre de dommages et intérêts et, le réformant pour le surplus et, y ajoutant a condamné la société BMW France à payer à la société Taurisson, à titre de dommages et intérêts supplémentaires la somme de 215 000 euros outre celle de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société BMW France a formé un pourvoi et, par arrêt du 14 mai 2013, la Chambre commerciale, financière et économique a cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il a condamné la société BMW France à payer à la société Taurisson la somme de 875 589 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 215 000 euros à titre de dommages et intérêts supplémentaires, l'arrêt du 9 février 2012 en reprochant à la cour d'appel d'avoir dénaturé les termes des courriers du 31 mai 2007 et du 27 septembre 2007, qui manifestaient de manière claire et précise l'intention de la société BMW France de ne pas poursuivre ses relations commerciales avec la société Taurisson aux conditions antérieures.

Les parties ont été renvoyées devant la Cour d'appel de Limoges.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

La société BMW France conclut au débouté des demandes de la société Taurisson dès lors qu'elle a, par un préavis de plus de 16 mois à compter de la lettre du 31 mai 2007, satisfait à son obligation de notifier 6 mois avant le terme, son intention de ne pas renouveler le contrat de distribution sélective des véhicules de marque BMW et Mini, considérant que le préavis accordé est largement suffisant au regard du droit européen qui primerait sur l'article 442-6 du Code de commerce.

Invoquant un préjudice subi par elle en violation de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce, elle réclame la condamnation de la société Taurisson à lui payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts, outre celle de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Taurisson sollicite la confirmation du jugement du 10 décembre 2010 prononcé par le Tribunal de commerce de Limoges, et la condamnation de la société BMW France à lui payer à titre de dommages et intérêts en compensation des 36 mois de préavis dont elle aurait dû bénéficier, la somme de 1 313 384 euros au titre de la rupture de la relation commerciale relative à la vente des véhicules neufs BMW et Mini ainsi que celle de 325 000 euros au titre de la baisse de l'activité après-vente induite par la rupture de la relation commerciale relative à la vente.

Elle conclut au rejet de la demande reconventionnelle en dommages et intérêts présentée pour la première fois en cause d'appel et non fondée.

Elle réclame en outre, une indemnité de 10 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir essentiellement que le courrier du 31 mai 2007 ne comportait pas la notification d'un préavis de rupture et qu'en tout état de cause, dans le cas contraire, il n'exonérerait pas l'auteur de la rupture du grief de brutalité lorsqu'il a eu, postérieurement un comportement ambigu ; que les dispositions de l'article L. 442-6- I-5° du Code de commerce sont d'ordre public et ne sauraient être écartées par le règlement CE 1400-2002 qui ne prime pas et qui par ailleurs fixe une durée au minimum de six mois de préavis ; qu'ainsi, la durée du préavis qui s'imposait à la société BMW France doit s'apprécier au regard de l'ancienneté de la relation contractuelle et l'existence d'une relation de dépendance économique.

LA COUR renvoie pour le surplus aux dernières écritures des parties sur leurs moyens respectifs déposées les 6 juin et 7 août 2014

MOTIFS

Sur la demande principale

Attendu que le préavis a pour objet de permettre à celui qui subit la rupture de la relation commerciale de réorganiser son activité et d'envisager toutes solutions en vue d'une reconversion ; que le point de départ du préavis, au sens de l'article L. 442-6- I-5° du Code de commerce, ne peut courir en conséquence que du jour où l'auteur de la rupture notifie à son partenaire commercial qu'il n'entend pas poursuivre les relations existant entre eux dans les conditions antérieures ;

Attendu en l'espèce que le courrier en date du 31 mai 2007 aux termes desquels la société BMW France demande à la société Taurisson de lui faire savoir "si (elle) entend faire acte de candidature en vue de la proposition d'un nouveau contrat au 1er octobre 2008 en précisant que toutefois, eu égard aux conditions difficiles d'exécution du contrat de concession qui nous lie actuellement, nous ne vous cachons pas que nous nous réservons d'examiner toute autre candidature qui nous serait présentée en vue de la proposition de concession BMW au 1er octobre 2008 sur la zone de chalandise de votre contrat ...", informe en terme clairs et précis de sa volonté de la mettre en concurrence avec d'autres candidats potentiels pour l'obtention de la concession. Elle manifeste ainsi son intention de ne pas poursuivre ses relations commerciales avec la société Taurisson et notifie à son concessionnaire que son contrat à durée déterminée arrivera à expiration le 30 septembre 2008.

Attendu que le courrier du 27 septembre 2007 par lequel la société BMW France écrit que "conformément à l'article 11-1 du contrat de concession automobile Mini, nous vous informons que nous n'avons pas l'intention de vous proposer le renouvellement de ce contrat à son terme" et se termine par la mention suivante "cela ne saurait bien évidemment exclure l'examen de la candidature de votre société dans le cadre de la proposition du nouveau contrat de manière concomitante à toute autre candidature" confirme sans ambiguïté sa volonté de ne pas poursuivre les relations commerciales avec la société Taurisson aux conditions antérieures, et réitère le non-renouvellement du contrat au 30 septembre 2008.

Attendu donc que c'est à tort que les premiers juges ont retenu la date du 27 septembre 2007 au lieu de celle du 31 mai 2007 comme point de départ du préavis ; que le jugement sera réformé de ce chef.

Attendu qu'en application des dispositions de l'article L. 442-6- I-5° du Code de commerce la durée du préavis s'apprécie au regard notamment de l'ancienneté de la relation et de l'existence d'une relation de dépendance économique de celui qui subit la brusque rupture, le respect du préavis contractuel n'étant pas suffisant pour exonérer le concédant du manquement de brusque rupture ; qu'il convient seulement de rechercher si le préavis est suffisant et raisonnable.

Attendu par ailleurs, que si l'article L. 442 I-5° du Code du commerce doit s'interpréter et être appliqué en considération du droit communautaire qui prévaut sur les droits nationaux, le règlement européen qui dispose que l'exemption s'applique lorsque l'accord est conclu pour une durée de cinq ans et que, dans ce cas, chaque partie doit s'engager à notifier à l'autre partie au moins six mois à l'avance son intention de ne pas renouveler le contrat indique expressément au point 9 de son préambule que "de surcroît afin de renforcer l'indépendance des distributeurs et des réparateurs à l'égard de leurs fournisseurs, il convient de prévoir des périodes minimales de préavis en cas de renouvellement des accords à durée déterminée et pour la réalisation des accords à durée indéterminée" ; qu'il s'ensuit que la législation nationale qui impose ou permet d'exiger un délai de préavis supérieur à celui prévu par la législation européenne n'est pas contraire à cette législation en sorte que rien ne permet d'en exclure l'application ;

Attendu qu'il convient de rechercher si le préavis de 16 mois à compter du 31 mai 2007 est suffisant au regard de l'ancienneté des relations commerciales et eu égard à l'existence d'une relation de dépendance entre la société BMW France et la société Taurisson.

Attendu que la société Taurisson établit par les pièces versées aux débats l'existence d'une relation fort ancienne entre elle-même ou les personnes à qui elle s'est substituée et les importateurs successifs des véhicules BMW ; qu'il importe peu à cet égard que la société BMW n'ait été constituée qu'en 1972 dès lors qu'il est démontré que, bien avant cette date, le garage T passait des commandes pour le compte de ses clients, de véhicules neufs BMW ; qu'il est établi que, dès 1964, les Etablissements T, situés alors 2 avenue des alliés à Brive, faisaient partie du réseau pour la France des véhicules BMW ; que le contrat de concession entre International Garage Max Taurisson et la société BMW à effet du 1er janvier 1977 et les contrats postérieurs confirment la relation commerciale entre les parties qui est ainsi établie et s'est poursuivie de manière ininterrompue depuis au moins l'année 1964.

Attendu par ailleurs, qu'il n'est pas contesté que la vente de véhicules neufs de marque BMW et Mini représentait plus de 60 % du chiffre d'affaire de la société Taurisson et plus de 50 % de sa marge brute ;

Attendu ainsi que la rupture des relations commerciales d'une durée d'au moins quarante-quatre années et caractérisées par une dépendance économique de son partenaire, imposait à la société BMW France de respecter un préavis de 36 mois, à défaut duquel, la rupture apparaît comme brutale et ouvre droit à des dommages et intérêts pour la période de préavis non respectée, soit précisément 20 mois manquants.

Attendu en conséquence, sur la réparation du préjudice selon les modalités de calcul retenues par le tribunal non sérieusement contestées par la société BMW France, qu'il sera alloué à la société Taurisson, sur le fondement de l'article L. 422-6- I-5° du Code de commerce, la somme de 729 640 euros.

Attendu aussi que la perte de la vente des véhicules neufs induit nécessairement une diminution des recettes au titre de l'activité après-vente ; que le préjudice subi par la société Taurisson est liée aux conditions fautives de la rupture par la société BMW France de sorte qu'elle sera condamnée à le réparer par l'allocation à titre de dommages et intérêts de la somme de 215 000 euros, fixée au regard de la perte de marge brute sur cette activité par comparaison avec celle de l'année 2007.

Sur la demande reconventionnelle

Attendu qu'une demande reconventionnelle émanant d'un défendeur en première instance est recevable pour la première fois en cause d'appel.

Attendu que la demande reconventionnelle présentée par la société BMW France se rattache aux prétentions originaires par un lien suffisant puisqu'elle concerne le non-renouvellement du contrat de distribution liant les parties et ses conséquences ; qu'elle est donc recevable.

Attendu que l'utilisation fautive de la dénomination concessionnaire BMW/Mini et reprochée à la société Taurisson par la société BMW France comme le fait de se prévaloir de la qualité d'agent BMW et Mini ne sont pas prouvés par la seule production de la lettre recommandée les contenant et la production d'une publicité non datée.

Sur la demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

Attendu que la société BMW France qui succombe, ne peut qu'être déboutée des demandes qu'elle présente de ce chef ; qu'elle sera condamnée à payer à la société Taurisson la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Que pour les mêmes raisons, elle sera condamnée aux dépens.

Par ces motifs, LA COUR d'appel statuant par décision contradictoire mise à disposition au greffe, et en dernier ressort ; Vu l'arrêt rendu le 14 mai 2013 par la Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, Confirme, par substitution de motifs, le jugement en ce qu'il a condamné la société BMW France à réparer le préjudice subi par la société Taurisson à la suite de la rupture brutale de leurs relations commerciales ; Le réformant pour le surplus et y ajoutant, Condamne la société BMW France à payer à la société Taurisson la somme de 729 640 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la rupture de la relation commerciale relative à la vente des véhicules neufs BMW et Mini ; La condamne à payer à la société Taurisson la somme de 215 000 euros, à titre de dommages et intérêts au titre de la baisse de l'activité après-vente ; Dit recevable la demande reconventionnelle de la société BMW France ; L'en déboute ; Condamne la société BMW France à payer à la société Taurisson une indemnité supplémentaire de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile; Condamne la société BMW France en tous les dépens d'instance et d'appel qui seront recouvrés en ce qui concerne ces derniers conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.