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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 26 février 2015, n° 13-15782

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cotsos Guy Services (SARL)

Défendeur :

Kuehne Nagel (Sté), BASF SE (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Perrin

Conseillers :

MM. Birolleau, Douvreleur

Avocats :

Mes Etevenard, Balatin, Hardouin, Rivollet, Fisselier, Sullo

T. com. Lyon, du 18 juill. 2013

18 juillet 2013

Faits et procédure

La société Transports Cotsos Guy (TCG), exerçant l'activité de transport routier, a assuré, à partir de 1983, pour le compte de la société Merck, le transport des produits " Electronic Chemicals ". A compter de l'année 2000, la société TCG a été en relation directe avec la société GL Kayser GmbH (Kayser), commissionnaire de transport, gérant le transport via la France des produits de la société Merck. Les produits transportés étaient livrés chez la société Merck France en provenance de l'Allemagne et acheminés en France par différents transporteurs, dont la société TCG. Au printemps de l'année 2007, la société Merck a cédé sa division de haute technologie " produits sous température dirigée " à la société de droit allemand BASF SE.

BASF SE ayant décidé de procéder par appels d'offres pour l'attribution des prestations de transport via la France, GL Kayser a participé à la consultation d'entreprises.

Le 29 septembre 2009, la société Kuehne Nagel, qui avait absorbé la société GL Kayser, a informé la société TCG qu'elle avait perdu le marché concernant les transports frigorifiques de BASF et qu'elle mettait fin à ses relations commerciales avec TCG.

Contestant la résiliation du contrat, TCG a fait assigner les sociétés Kuehne Nagel et BASF SE pour rupture brutale et abusive des relations commerciales.

Par jugement rendu le 18 juillet 2013, le Tribunal de commerce de Lyon a :

- pris acte de ce qu'en cours d'instance, la société Cotsos Guy Services (CGS) est venue aux droits de la société TCG ;

- dit que les relations établies entre les sociétés Kuehne Nagel et CGS étaient précaires ;

- dit que l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce ne pouvait trouver application en l'espèce ;

- débouté la société CGS de toutes ses demandes dirigées tant à l'encontre de la société BASF SE qu'à l'encontre de la société Kuehne Nagel ;

- condamné la société CGS à payer aux sociétés Kuehne Nagel et BASF SE la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- rejeté toutes prétentions autres, plus amples ou contraires des parties.

La société CGS a interjeté appel le 30 juillet 2013 contre cette décision.

Par ses dernières conclusions signifiées le 26 novembre 2014, elle demande à la cour de :

- déclarer les demandes de la société CGS, venant aux droits de la société TCG, recevables et bien fondées ;

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Lyon du 18 juillet 2013 ;

Statuant à nouveau,

- constater que la société Kuehne Nagel, venant aux droits de la société GL Kayser et la société BASF SE ont rompu de maniéré brutale et abusive les relations commerciales avec la société CGS venant aux droits de société TCG ;

- rejeter les demandes incidentes de la société Kuehne Nagel ;

En conséquence,

- condamner in solidum la société Kuehne Nagel, venant aux droits de la société GL Kayser et la société BASF SE à verser à la société CGS une somme de 363 910 euros au titre de la perte de marge brute sur trois années ;

- condamner in solidum la société Kuehne Nagel, venant aux droits de la société GL Kayser et la société BASF SE à la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive au paiement ;

- rejeter l'ensemble des demandes et prétentions de la société Kuehne Nagel venant aux droits de la société GL Kayser, et de la société BASF SE ;

- condamner in solidum la société Kuehne Nagel venant aux droits de la société GL Kayser la société BASF SE à payer chacune à la société CGS venant aux droits de société TCG, la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'appelante fait valoir qu'elle a entretenu avec les sociétés Kuehne Nagel et BASF SE des relations commerciales établies, et habituelles, l'origine de leur relation datant de 1983, et que Kuehne Nagel et BASF SE ont rompu de manière brutale et abusive les relations commerciales existantes, le préavis de cinq jours accordé étant insuffisant au regard de l'ancienneté de leurs relations.

Elle souligne sa situation de dépendance économique à l'égard des sociétés Kuehne Nagel et BASF SE puisque la rupture brutale des relations commerciales a entraîné une perte de chiffre d'affaires considérable, mettant en péril son activité, et entraînant le licenciement de deux salariés.

La société Kuehne Nagel, par ses dernières conclusions signifiées le 24 novembre 2014, demande à la cour de :

- réformer le jugement du Tribunal de commerce de Lyon du 18 juillet 2013 ;

- dire l'action intentée par la société CGS à l'encontre de la société Kuehne Nagel comme étant irrecevable, dans la mesure où :

- la société Kuehne Nagel n'était que le mandataire de la société BASF SE pour des transports internationaux CMR entre la France et l'Allemagne, comme le prouvent les contrats de transports CMR liant la société BASF CE et la société TCG ;

- le donneur d'ordre, la société BASF SE, était clairement connu, désigné et mis en cause dans la procédure ;

A titre subsidiaire,

- confirmer, par substitution de moyens, le jugement en ce qu'il a dit que les dispositions de l'article L. 442-6-I-5° ne trouvaient pas application en l'espèce compte tenu de la nature de la prestation fournie, des relations entre les différents intervenants et du fait que les relations commerciales étaient précaires ;

- dire que les dispositions de l'article L. 442-6-I-5° ne sont pas applicables à la société Kuehne Nagel et que l'action de la société TCG à son encontre est infondée eu égard au fait que :

- les relations entre les parties s'analysent en une succession de transports internationaux intervenus entre l'Allemagne et la France, soumis à la CMR, opérations pour lesquelles la société Kuehne Nagel n'est pas partie aux contrats ;

- la société Kuehne Nagel n'était que mandataire de la société BASF SE, donneur d'ordre ;

- aucune faute ne peut être reprochée à la société Kuehne Nagel ni la moindre intention maligne puisque cette société a elle-même perdu le marché de la société BASF SE pour des circonstances indépendantes de sa volonté équivalant à un cas de force majeure ;

- il n'y a pas de relation établie entre les parties des lors que le recours à une mise en compétition avec des concurrents prive les relations commerciales de toute garantie et lui confère un caractère précaire, comme l'a justement relevé le tribunal ;

- il n'y a pas de relation établie entre les parties dès lors que les relations contractuelles résultent de contrats indépendants, que les parties n'avaient pas passé d'accord cadre et qu'aucun chiffre d'affaires ou exclusivité n'avait été garanti ;

- il n'y a pas eu de brusque rupture puisque la société Kuehne Nagel a toujours informé loyalement la société TCG du recours à l'appel d'offres, recours dont elle a elle-même été avertie par la société BASF SE en novembre 2007 ;

- débouter la société TCG de toutes ses demandes ;

A titre infiniment subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour ferait droit aux demandes de la société TCG à l'encontre de la société Kuehne Nagel :

- recevoir l'appel de la société Kuehne Nagel à l'encontre de la société BASF SE, sur la base des dispositions des articles 1999 et 2000 du Code civil ;

- dire que la société BASF SE devra relever et garantir la société Kuehne Nagel de toute condamnation pouvant être prononcée à son encontre au profit de la société TCG ;

- condamner la société TCG à la somme de 6 000 euros au titre des frais irrépétibles de l'article 700 du Code de procédure civile que la société Kuehne Nagel a été contrainte d'exposer.

L'intimée soutient qu'aucune faute ne peut lui être reprochée ni la moindre intention maligne dans le cadre des relations commerciales avec la société TCG puisqu'elle a elle-même perdu le marché de la société BASF SE pour des circonstances indépendantes de sa volonté équivalent à un cas de force majeure.

Elle s'oppose à l'existence de relations commerciales établies avec la société TCG et la société BASF SE, dès lors que d'une part le recours à une mise en compétition prive les relations commerciales de toute garantie et les place dans une situation de précarité, et que d'autre part les relations contractuelles résultaient de contrats indépendants, que les parties n'avaient pas passé d'accord cadre et qu'aucun chiffre d'affaires ou exclusivité n'avait été garanti.

Elle considère qu'il n'y a pas de rupture brutale des relations commerciales dans la mesure où :

- Kuehne n'a été qu'un intermédiaire entre le transporteur et le donneur d'ordre BASF, dont elle était le mandataire, et où le choix du transporteur lui a échappé, puisqu'il s'agissait de transporteur de Merckx France ;

- informée du recours par BASF à un appel d'offres, TCG a fait savoir que, compte tenu des volumes qu'il lui serait demandé de transporter, elle ne pouvait collaborer à ce travail, de sorte qu'aucune brutalité ne caractérise la rupture.

Elle estime enfin que la demande de dommages intérêts de l'appelante ne peut être justifiée au regard des relations d'affaires qu'elles entretiennent depuis les années 2000 et de la prétendue situation de totale dépendance économique, puisqu'aucune exclusivité n'empêchait la société STCG de maintenir ou de rechercher d'autres liens commerciaux.

La société BASF SE, par ses dernières conclusions signifiées le 28 novembre 2014, demandé à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- débouter en conséquence la société CGS et la société Kuehne Nagel venant aux droits de la société GL Kayser, de toutes leurs demandes dirigées à l'encontre de la société BASF SE ;

- condamner la société CGS, et subsidiairement la société Kuehne Nagel, à payer à la société BASF SE la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir qu'aucune faute ne peut lui être reprochée quant à la rupture critiquée, puisqu'elle n'a entretenu aucune relation commerciale avec la société CGS, dont le seul et unique partenaire commercial était la société GL Kayser, devenue Kuehne Nagel, et rappelle à cet égard qu'elle n'a jamais passé commande de la moindre prestation de transport à la société CGS et ne lui a jamais payé la moindre facture à ce titre.

Elle soutient que ce ne sont pas les contrats de transports CMR qui peuvent caractériser la relation commerciale avec la société CGS, mais l'existence de flux commerciaux et financiers au profit de la société CGS, en provenance uniquement de la société GL Kayser. Elle considère que la société Kuehne Nagel n'est pas le mandataire de BASF puisqu'elle agissait en son nom personnel comme en témoignent ses échanges directs avec la société CGS.

Elle conclut enfin au rejet des demandes indemnitaires de l'appelante en considérant sa demande de préavis disproportionnée, sa prétendue situation de dépendance économique injustifiée et démesurée, l'allégation de son chiffre d'affaires et de la marge sur coût direct infondée, ainsi que l'éventuel préjudice résultant du licenciement de deux salariés inapproprié en l'espèce.

MOTIFS

Considérant que l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce dispose qu' "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte, notamment, de la durée de la relation commerciale " ;

Considérant qu'il est constant que CGS a été en relation avec la société Merck à partir de 1983 ; que GL Kayser a succédé à Merck à partir de 2000 ; que, par courriel du 29 septembre 2009, Kuehne a indiqué à TCG qu'il était mis un terme à leur relation à compter du 5 octobre 2009 ; que la relation Kuehne (ex Kayser) TCG s'est poursuivie jusqu'au 5 octobre 2009 ;

Considérant que BASF a indiqué à la société GL Kayser, le 22 novembre 2007, qu'elle sélectionnerait à l'avenir les prestataires en charge de l'acheminement de ses produits vers la France sur appel d'offres ; que, le 27 mai 2009, BASF a transmis à Kuehne le document de la consultation d'entreprises, la période de soumission des offres étant comprise entre les 25 mai et 17 juin 2009 ; que, le 4 juin 2009, la société TCG a été informée par Kuehne du recours à l'appel d'offres ; que, Kuehne ayant participé à cet appel d'offres, elle n'a pas été retenue par BASF ;

Considérant qu'il résulte du courriel adressé par TCG à Kayser le 3 juin 2009 (pièce n° 12 communiquée par Kuehne) que le transporteur était à cette date informé de l'appel d'offres de BASF (" Je n'ai encore rien reçu ce que vous deviez m'envoyer pour l'appel d'offres de BASF. Souhaitez-vous que je parle aux gens que je connais ") ; que, par courriel du 4 juin 2009, Kayser lui a transmis les documents de l'appel d'offres (Fichiers relatifs aux quantités à transporter : " Voilà les indications pour les 529 to par jour "), alors que le délai de soumission n'était pas expiré, et lui a indiqué : " Je pense que nous allons donner une cotation pour la distribution du groupage à l'intérieur de la France " ; que CGS n'oppose aucun élément à l'affirmation de Kayser selon laquelle elle a transmis ses tarifs à BASF ; qu'il se déduit de ces éléments que TCG avait connaissance de la procédure d'appel d'offres et a adhéré au principe de cette consultation ; que, s'il n'est pas établi qu'elle y a participé directement, elle y a néanmoins pris part indirectement via les informations la concernant dont Kayser annonçait la transmission à BASF (" Je pense que nous allons donner une cotation... ") ; que, ne pouvant ignorer l'aléa résultant de la mise en concurrence de transporteurs, TCG a par là-même accepté d'inscrire pour le futur sa relation commerciale avec Kayser dans un cadre précaire ; que c'est en conséquence à raison que les premiers juges ont retenu que la relation ne constituait pas une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6 I 5° et ont débouté CGS de sa demande fondée sur cet article ; que le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions ;

Considérant que l'équité commande de condamner la SARL Cotsos Guy Services à payer, en application de l'article 700 du Code de procédure civile, à la société Kuehne la somme de 1 500 euros et à BASF SE celle de 1 500 euros ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris, Condamne la SARL Cotsos Guy Services à payer, en application de l'article 700 du Code de procédure civile, à la société Kuehne Nagel la somme de 1 500 euros et à BASF SE celle de 1 500 euros, Condamne la SARL Cotsos Guy Services aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.