CA Colmar, 2e ch. civ. A, 13 février 2015, n° 13-01561
COLMAR
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
SALM (SAS)
Défendeur :
Frontil (ès qual.), RBSA (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Leiber
Conseillers :
Mmes Diepenbroek, Blind
Avocats :
Selarl Wemaere-Leven-Laissue, Mes Lanciaux, Harter
La société SALM cuisines Schmidt, propriétaire et exploitante des marques du réseau cuisines Schmidt, fabrique et assure la distribution de meubles de cuisines et de salles de bains au public par l'intermédiaire d'un réseau de concessionnaires exclusifs.
La société RBSA, sise à Carcassonne (Aude) est devenue concessionnaire exclusive cuisines Schmidt en 2001, relation contractuelle qui a fait l'objet d'un nouveau contrat de concession exclusive le 21 février 2006.
Informée, au cours de l'année 2010, de la commercialisation, par la société RBSA, de marchandises concurrentes, la société SALM lui adressait un courrier, daté du 25 août 2010, aux termes duquel elle résiliait le contrat pour faute, avec effet au 15 septembre 2010.
Selon assignation en date du 22 septembre 2010, la SARL RBSA a fait citer en référé, devant le Président du Tribunal de commerce de Carcassonne, la société SALM pour que celle-ci soit condamnée, sous astreinte de 10 000 euro par infraction constatée, à lui livrer toutes les commandes formulées jusqu'au 31 décembre 2010.
L'exception d'incompétence rationae loci, soulevée par la société SALM, a été rejetée par le Juge des référés.
Par arrêt du 15 septembre 2011, la Cour d'appel de Montpellier a dit que c'était à bon droit que la société SALM soulevait l'incompétence territoriale du Tribunal de commerce de Carcassonne et a renvoyé la cause et les parties devant le Tribunal de grande instance de Colmar, chambre civile.
La Selarl Pierre-Henri Frontil ès qualité de liquidateur de la société RBSA est intervenue volontairement aux débats.
Devant le Tribunal de grande instance de Colmar, la société RBSA a demandé que la société SALM, représentée par son liquidateur, soit condamnée à lui payer divers montants, au titre de la rupture abusive du contrat.
Par jugement du 7 mars 2013, le Tribunal de grande instance de Colmar a dit que la résiliation du contrat de concession constitue une rupture abusive et condamné la société SALM à payer à la Selarl Pierre-Henri Frontil, ès qualité de liquidateur de la société RBSA les sommes suivantes :
- 7 248,03 euro au titre du remboursement des factures réglées en pure perte pour la période promotionnelle de septembre 2010,
- 1 010,62 euro au titre du remboursement de factures concernant les prestations inutiles
- 604,66 euro au titre du règlement des remises contractuelles non appliquées
- 71 111,67 euro au titre du préjudice subi du fait des conséquences de la rupture proprement dite du contrat de concession
- 100 000 euro à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de concession, ce, avec exécution provisoire à hauteur de la moitié des sommes allouées.
La société SA LM a été condamnée par ailleurs au versement d'un montant de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Monheit, en application des dispositions de l'article 699 du même Code.
Par jugement du 16 mai 2013, le tribunal a ordonné la rectification matérielle du jugement en ce qu'il comporte une inversion des dates des conclusions, disant que les dernières conclusions de la société RBSA sont du 22 juin 2012 et que les dernières conclusions de la société SALM sont du 4 septembre 2012.
La société SALM a interjeté appel du jugement du 7 mars 2013 le 28 mars 2013.
Aux termes de ses dernières conclusions du 27 février 2014, la société SALM demande à la cour à titre principal de :
- constater que le tribunal n'a pas statué sur la base de ses dernières écritures
- par conséquent, infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré
- statuant à nouveau, dire que la faute contractuelle reprochée à la société RBSA était suffisante pour provoquer la résiliation du contrat par application de la clause résolutoire
- constater la résiliation du contrat de concession aux torts exclusifs de la société RBSA
En conséquence, rejeter toute condamnation et demande à l'encontre de la société SALM
A titre subsidiaire,
- constater qu'elle était en droit de rompre à tout moment la relation contractuelle à durée indéterminée, sans avoir à justifier de motifs ou de circonstances particulières, en conséquence dire qu'elle n'a pas rompu le contrat de manière abusive.
A titre très subsidiaire,
- constater qu'elle a rompu le contrat à durée indéterminée en offrant à la société RBSA un préavis suffisant au regard de l'article L. 442-6 du Code commerce.
A titre infiniment subsidiaire,
- constater que la société RBSA ne justifie pas de son préjudice
A titre encore plus subsidiaire,
- ordonner une expertise aux fins de déterminer si la société RBSA était en situation économique et financière précaire au moment des faits, si elle disposait de la faculté de rejoindre un réseau concurrent, déterminer les préjudices directement liée à la rupture de la relation contractuelle avec la société SALM.
En tout état de cause,
- condamner Me Frontil ès qualité de liquidateur de la société RBSA aux dépens et à inscrire au passif de cette société une somme de 8 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, au bénéfice de l'appelante.
L'appelante indique en premier lieu que le tribunal n'expose pas les moyens qu'elle a formulés et que les conclusions visées ne correspondent pas aux dernières conclusions déposées.
Sur le fond, l'appelante critique le jugement entrepris en ce qu'il a estimé que le fait de vendre d'une manière isolée des produits d'une marque concurrente n'était qu'une faute minime, ne justifiant pas la résiliation du contrat.
Elle indique que selon la jurisprudence de la Cour de cassation, la clause d'approvisionnement exclusif figurant au contrat de concession est valide par nature et doit être respectée strictement.
Elle souligne que l'intimée ne nie pas avoir commandé et vendu un produit concurrent mais prétend simplement qu'il s'agissait d'une opération isolée.
Elle rappelle que la faute commise est spécialement visée au contrat en son article 8.
Subsidiairement, elle soutient que, s'agissant d'un contrat à durée indéterminée, elle pouvait rompre les relations contractuelles à tout moment, sans qu'un motif soit nécessaire, sous réserve d'accorder à la société RBSA un préavis raisonnable au sens de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce.
A cet égard, elle affirme qu'elle a laissé un préavis suffisant de sept mois, les relations contractuelles s'étant prolongées jusqu'au 31 mars 2011, période durant laquelle la société RBSA a continué à pouvoir user de l'enseigne et à vendre ses produits.
Elle soutient encore que le doublement de la durée de préavis visé à l'article L. 442-6, applicable à la fourniture de produits sous marque de distributeur, ne la concerne pas dans la mesure où le produit cuisine Schmidt est vendu sous marque de fabrique et non de distributeur, cette notion étant globalement circonscrite aux grandes enseignes alimentaires.
Elle ajoute que la société RBSA n'avait jamais invoqué le doublement de la durée du préavis, de sorte que le tribunal a outrepassé ses pouvoirs en appliquant cette disposition.
Subsidiairement, l'appelante fait valoir que l'indemnité de 100 000 euro accordée qui sanctionne le caractère prétendument abusif de la rupture ne repose sur aucun fondement juridique, seul le préjudice causé par les effets de la rupture étant susceptible d'être indemnisé.
Elle rappelle que la société RBSA n'avait revendiqué aucune perte de chance de rejoindre un réseau concurrent mais s'est bornée à indiquer dans ses conclusions de première instance que compte tenu de la faiblesse de sa situation économique et financière, elle était dans l'incapacité de rejoindre un autre réseau.
Elle conteste par ailleurs tous les montants réclamés.
La société Pierre Henry Frontil, représentée par Maître Pierre Frontil agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société RBSA, a conclu au rejet de l'appel, à la confirmation du jugement déféré et a formé appel incident aux fins d'obtenir un montant de 2 021,24 euro, au titre du remboursement des factures concernant les prestations inutiles, ainsi qu'une somme de 251 234,02 euro, au titre du préjudice subi du fait des conséquences de la rupture proprement dite du contrat de concession.
Elle demande également que la société SALM soit condamnée aux dépens, dont distraction au profit de Maître Harter, en application de l'article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu'au paiement d'une somme de 5 000 euro, au titre des frais irréductibles engagés en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du même Code.
Elle reconnaît avoir commandé un produit d'une autre enseigne que Schmidt pour un montant de 1 407 euro en vue de le vendre à un client envoyé par un élu de la mairie de Palaja auquel la société avait vendu une cuisine Schmidt.
Elle affirme que la société SALM qui exploite en réalité deux marques cuisines Schmidt et Cuisinella a tiré prétexte de cette vente isolée, d'un montant minime, pour dénoncer le contrat de concession et regrouper sur la même zone d'activité de Carcassonne les deux enseignes confiées au même concessionnaire.
Elle estime n'avoir commis aucune faute justifiant la résiliation du contrat.
S'agissant de la durée du préavis, la société RBSA se réfère au jugement déféré constatant que la rupture a été particulièrement brutale, le préavis annoncé par la lettre du 25 août 2010 n'étant que de 15 jours ; elle rappelle qu'elle a été dans l'obligation d'engager une procédure de référé le 22 septembre 2010 aux fins de voir condamner la société SALM à lui livrer toutes les commandes passées et que ce n'est que par courrier du 11 octobre 2010, dans le cadre de cette procédure, que la société SALM indique qu'elle est ouverte à une négociation pour une prorogation de l'exécution du contrat sur quelques semaines supplémentaires au-delà du 31 décembre 2010.
Elle affirme que le préavis raisonnable n'aurait pu être inférieur à une durée d'un an, au regard notamment de l'exigence posée par l'article L. 442-6 5° en matière de fourniture de produits sous marque de distributeur.
S'agissant du préjudice, l'intimée critique le jugement entrepris en ce qu'il n'a retenu que partiellement les postes de préjudice ou les montants mis en compte.
MOTIFS
Vu l'ordonnance de clôture du 29 octobre 2014 ;
Vu le dossier de la procédure et les pièces versées aux débats ;
L'appelante a indiqué en premier lieu que le tribunal n'expose pas les moyens qu'elle a formulés et que les conclusions visées ne correspondent pas aux dernières conclusions déposées.
Elle ne sollicite pas cependant, dans le dispositif de ses conclusions d'appel qui, seul, lie la cour, la nullité du jugement déféré résultant des irrégularités soulevées mais conclut à son infirmation.
Au demeurant, il résulte du jugement rectificatif du 16 mai 2013, non frappé d'appel, que le tribunal a bien pris en considération ses dernières conclusions du 4 septembre 2012.
L'article L. 442-6 5° du Code de commerce prévoit qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au registre des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminé, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
Cette disposition ne fait cependant pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'un manquement grave par une des parties à ses obligations ou en cas de force majeure.
La société RBSA reconnaît avoir commandé de la marchandise concurrente aux fins de satisfaire un client envoyé par un élu d'une mairie avoisinante ; elle ne produit pas le bon de commande litigieux ; selon ses indications, il s'agissait d'une opération isolée, portant sur un montant minime de l'ordre de 1 407 euro.
C'est à tort que le tribunal a retenu que la société RBSA avait commis une faute minime.
Le fait de ne pas respecter une clause d'approvisionnement exclusif, pour un distributeur de réseaux, est indiscutablement en soi une faute grave.
En effet, le contrat de concession, conclu intuitu personnae repose sur une relation de confiance entre le concédant et le concessionnaire qui s'est engagé à commercialiser en exclusivité le produit sous marque pour un temps et dans un secteur géographique délimité.
Cette relation de confiance est inévitablement rompue lorsque le concédant vient à apprendre, en l'occurrence par un transporteur, que la clause d'approvisionnement et de commercialisation en exclusivité n'a pas été respectée, ne serait-ce qu'à une reprise ; le concédant peut en effet légitimement craindre l'existence de manquements précédents.
La faute reprochée est par ailleurs expressément prévue à l'article 8 du contrat de concession signé le 21 février 2006.
Ainsi, cet article dispose :
" L'enseigne Schmidt mise à disposition de la société RBSA Carcassonne est et demeure la propriété exclusive de la société SALM. Celle-ci pourra être reprise dans les cas suivants :
...
Le centre conseil agréé, (en l'espèce la société RBSA) ne respecte pas ses engagements de commercialiser en exclusivité le produit Schmidt. "
Par application de cette clause, la résiliation de la relation contractuelle est acquise à partir du moment où le concessionnaire a commercialisé un produit concurrent.
Il suit de ce qui précède que la rupture des relations contractuelles a pu intervenir sans que puissent être opposées à l'appelante les dispositions de l'article L. 442-6 5° précité.
En conséquence, il convient d'infirmer le jugement déféré et faisant droit à l'appel principal, de constater la résiliation du contrat de concession aux torts exclusifs de la société RBSA, toute demande de cette dernière à l'encontre de la société SALM devant être rejetée.
L'intimée qui a succombé en ses prétentions sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement d'un montant de 2 000 euro, par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, Infirme le jugement déféré et statuant à nouveau, Constate la résiliation du contrat de concession aux torts exclusifs de la société RBSA, Rejette toute demande de la société RBSA représentée par son liquidateur la Selarl Pierre-Henri Frontil à l'encontre de la société SAS SALM, y compris celles formulées au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la Selarl Pierre-Henri Frontil ès qualités de liquidateur de la société RBSA à payer à la société SAS SALM la somme de 2 000 euro (deux mille euros) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Pierre-Henri Frontil ès qualités de liquidateur de la société RBSA aux dépens de première instance et d'appel.