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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 17 février 2015, n° 13-19445

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Dim Fournier Mods (SARL)

Défendeur :

But International (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Rajbaut

Conseillers :

Mme Gaber, Auroy

Avocats :

Mes Ingold, Bokobza, Guizard, Diotallevi

TGI Paris, 3e ch., 4e sect., du 12 sept.…

12 septembre 2013

Vu le jugement contradictoire du 12 septembre 2013 rendu par le Tribunal de grande instance de Paris,

Vu l'appel interjeté le 9 octobre 2013 par la SARL Dim Fournier,

Vu les dernières conclusions du 20 novembre 2014 de la société Dim Fournier Mods (dite Dim Fournier) appelante,

Vu les dernières conclusions du 23 octobre 2014 de la société But International (ci-après dite But), intimée,

Vu l'ordonnance de clôture du 9 décembre 2014,

Sur ce, LA COUR,

Considérant que la société Dim Fournier se prévaut de droits d'auteur, en particulier, sur un meuble " coin repas avec poufs ", référencé E 5000, dénommé " Quadrifolio coin repas mange debout " Wenge (ci-après dit Quadrifolio), qu'elle a fourni à la société But en 2009 et 2010 ;

Qu'ayant découvert l'offre en vente postérieure, pour la période 2011/2012, par la société But, sur son site Internet et sur son catalogue numérique, d'un produit dénommé " Coin repas + 4 poufs Victoria Wenge " (ci-après dit Victoria) constituant, selon elle, la reproduction à l'identique des caractéristiques de son meuble, elle a fait procéder à une saisie-contrefaçon le 26 janvier 2012 au siège social de la société But ;

Qu'elle a fait assigner cette société le 22 février 2012 devant le Tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de droits d'auteur et concurrence déloyale et parasitaire ;

Considérant que, selon jugement dont appel, les premiers juges ont, dans ces circonstances, dit que le meuble Quadrifolio est original mais débouté la société Dim Fournier de toutes ses demandes, estimant que le meuble Victoria serait une déclinaison différente d'une même idée et que la preuve d'un risque de confusion, d'un déférencement fautif ou d'agissements parasitaires ne serait pas rapportée ;

Sur la contrefaçon

Considérant qu'en cause d'appel, pour combattre le grief de contrefaçon, la société But maintient, en premier lieu, que le modèle Quadrifolio serait dénué de l'originalité requise pour prétendre accéder à une protection au titre du droit d'auteur, en second lieu, que la société Dim Fournier ne pourrait prétendre à une quelconque titularité des droits invoqués, et, en toute hypothèse, qu'il n'existerait aucune ressemblance entre les modèles en cause ;

Considérant que le principe de la protection d'une œuvre, sans formalité, du seul fait de la création d'une forme originale n'est pas discuté ; qu'il incombe cependant à celui qui entend se prévaloir des droits de l'auteur, de rapporter la preuve d'une création déterminée à une date certaine, et de caractériser l'originalité de cette création, l'action en contrefaçon étant subordonnée à la condition que la création, objet de cette action, soit une œuvre de l'esprit protégeable au sens de la loi, c'est à dire originale ;

Considérant que le fait que la société But ait proposé aux termes d'un protocole du 31 mai 2012, non accepté par la société Dim, de reconnaître les droits de cette dernière sur le meuble Quadrifolio ne saurait suffire à en établir l'existence ;

Mais considérant que la société Dim Fournier verse aux débats une attestation du 3 janvier 2012 d'un ancien salarié, concepteur graphiste, dont elle produit le contrat de travail et les bulletins de paye de l'époque, qui précise avoir créé le modèle Quadrifolio qu'il décrit, et avoir cédé ses droits sur cette création à son employeur le 13 juin 2007 ;

Qu'elle justifie, en outre, de la commercialisation de ce meuble sous son nom, notamment, par la production de factures des 11, 12, 18 février 2008 (en pièce 11) mais également, ainsi que le rappellent les premiers juges, par des 'fiches techniques produits' à destination de la société But, qui démontrent que cette dernière référençait le meuble Quadrifolio de la société Dim Fournier ;

Que ces actes d'exploitation, dépourvus de toute équivoque, qui ne sont contredits par aucun élément, alors que la seule personne physique qui se prétend l'auteur du meuble revendiqué reconnaît avoir cédé ses droits à la société Dim Fournier, font présumer à l'égard de la société But, recherchée pour contrefaçon, que l'appelante est titulaire sur le modèle invoqué, des droits patrimoniaux de l'auteur ; que la décision entreprise sera, en conséquence, confirmée en ce qu'elle a admis que la société Dim Fournier est titulaire des dits droits ;

Considérant que, pour conclure à l'originalité de son modèle, cette société soutient qu'elle procéderait de la combinaison des éléments caractéristiques suivants :

" La table est constituée d'un fût central et d'un dessus en verre, reposant sur 4 supports chromé

La section du fût est un dessin en forme d'étoile à quatre branches dont l'élévation en hauteur permet d'obtenir un volume qui sert de socle à la table, permettant ainsi un gain de place.

Les alvéoles sont étudiées pour y loger quatre poufs

La table en verre étant d'un rayon de 500 mm, le socle d'un rayon de 450 mm, le tout sur une hauteur de 750 mm

Chaque pouf est d'une hauteur de 460 mm et un rayon de 185 mm " ;

Qu'elle fait, plus particulièrement, valoir qu'elle :

- ne revendique pas un genre de table coin repas mais une description ornementale, ou combinaison " du fût central et d'un dessus en verre reposant sur quatre pieds en chrome représentant vu de haut un trèfle à quatre feuilles ",

- ne se prévaut pas plus d'un genre de table basse avec poufs, qui existe depuis longtemps, ajoutant que le modèle crée par Auguste Vallin, vendu aux enchères le 6 décembre 2009 postérieurement à la création invoquée et dont les premiers juges ont retenu qu'il n'était pas prouvé qu'il était connu de l'auteur du coin repas revendiqué, serait différent de son modèle, tout comme les autres produits opposés ;

Considérant que, pour contester l'originalité prétendue du modèle invoqué, la société But invoque à nouveau devant la cour la table ronde de salon à plateau en verre d'Auguste Vallin, créée avant 1967 date du décès de cet ébéniste, et une table basse exotique, diffusée dans un article de presse du 20 septembre 2006 (objet d'un procès-verbal de constat du 4 mars 2014), commercialisé à compter du 10 octobre 2006 (selon catalogue Conforama) ;

Considérant qu'il ressort cependant de l'examen auquel la cour s'est livrée, que ces modèles s'ils présentent le même concept de table avec fût en croix, permettant le positionnement de tabourets ou poufs, ne présentent que l'un ou l'autre des éléments du modèle revendiqué et non pas tous les éléments dans une combinaison identique ; qu'en particulier la table Vallin présente des tabourets présentant un angle droit, formant, une fois rangés, un plateau circulaire sous le plateau de verre de la table, parti-pris inexistant dans la table revendiquée, tout comme la présentation d'un gros point d'attache central, circulaire, du plateau en verre dont la base forme une croix ;

Que cette croix à branches et angles droits (hors la petite partie, convexe, du point central circulaire) est reprise dans l'autre modèle (table basse exotique) préexistant opposé (dont il n'est pas sérieusement contesté qu'il date de 2006, même si le tribunal a pu retenir qu'il n'avait pas date certaine comme figuré sur une copie d'écran de site Internet de 2012), à l'instar d'autres modèles dont la préexistence et partant la pertinence n'est toujours pas démontrée, et qui ne sont d'ailleurs plus invoqués (quoique leurs représentations de 2012 demeurent produites aux débats), alors que la table revendiquée présente une croix galbée, qualifiée de " trèfle " par la société Dim Fournier où les angles d'intersection et les branches sont largement arrondis (parties concaves formant alvéoles pour les tabourets) ;

Que force est de constater, au terme de cet examen, que si certains des éléments qui composent ce modèle sont effectivement connus (fût central avec base à quatre branches, dessus en verre, et possibilité de loger quatre poufs sous la table) et que, pris séparément, ils appartiennent au fonds commun de l'univers de la table " gain de place " avec quatre tabourets se glissant sous le plateau, en revanche, leur combinaison telle que revendiquée, dès lors que l'appréciation de la cour doit s'effectuer de manière globale, en fonction de l'aspect d'ensemble produit par l'agencement des différents éléments et non par l'examen de chacun d'eux pris individuellement, confère à ce modèle une physionomie propre (à raison essentiellement de la forme particulière du fût central de la table, visible par transparence, et mis en valeur par le rechaussement par quatre supports contrastés sur lesquels reposent le dessus en verre) qui le distingue des autres modèles du même genre et qui traduit un parti-pris esthétique (choix arbitraire d'une forme de trèfle, indépendante de l'impératif fonctionnel du meuble) empreint de la personnalité de son auteur ;

Considérant que le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a retenu que ce modèle devait faire l'objet de la protection instituée au titre du droit d'auteur ;

Considérant qu'il s'infère de la comparaison à laquelle la cour a procédé des représentations des meubles Quadrifolio et Victoria, que ce dernier, commercialisé par la société But, donne à voir, à l'instar de la création originale opposée, la même combinaison de forme particulière du fût central surmonté de quatre supports positionnés, de manière similaire, sur chacune des branches d'une croix galbée et sur lesquels repose le plateau transparent de la table ;

Qu'il constitue, par voie de conséquence, une reprise, dans la même combinaison, des éléments caractéristiques du modèle invoqué, étant observé que l'adoption d'une forme respectivement rectangulaire et carrée (et non circulaire et ronde) du plateau de la table et des assises des tabourets, et d'une forme en hauteur légèrement pyramidale de ces derniers (et non strictement cylindrique), constituent de légères différences, largement atténuées par les bords arrondis tant du plateau que des tabourets, par ailleurs globalement identiques ; qu'en réalité, même si les dimensions de la table et l'encombrement des tabourets ne sont pas identiques, et si le tribunal a pu relever l'absence de pieds sous le fût, le modèle incriminé produit, au côté de l'ensemble Quadrifolio une telle impression visuelle d'ensemble de ressemblance que la société appelante est fondée à conclure à une reproduction de la création originale qu'elle oppose ;

Qu'il résulte de ces observations que la contrefaçon, définie à l'article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle, par la représentation, la reproduction ou l'exploitation de l'œuvre faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit est caractérisée à la charge de la société But et le jugement entrepris doit être infirmé de ce chef ;

Sur la concurrence déloyale et parasitaire

Considérant que le meuble Victoria contrefaisant, ne constitue cependant pas une copie totalement servile, susceptible de caractériser des faits distincts de concurrence déloyale, et si la commercialisation, par une professionnelle du secteur, d'un meuble contrefaisant, engendre un risque d'association avec le meuble original, qui connaissait un certain succès commercial, ces faits relèvent de l'appréciation du dommage subi au titre de la contrefaçon ;

Considérant, par contre, que la société Dim Fournier a fourni la société But, chargée de sélectionner pour ses magasins franchisés des produits susceptibles d'y être commercialisés ; que cette dernière a, au regard de relations commerciales loyales entre professionnels de la distribution de meubles, engagé sa responsabilité quasi délictuelle à son égard dès lors qu'après avoir référencé le meuble Quadrifolio en 2009/2010, elle a délibérément choisi de commercialiser un produit le contrefaisant (objet d'un dépôt INPI par la société CAFOM du 20/08/2009, postérieur à la divulgation du meuble original) lui permettant de continuer à bénéficier de l'attractivité et de la valeur économique du meuble de la société Dim Fournier tout en s'affranchissant de son approvisionnement ;

Qu'elle a ainsi non seulement porté atteinte aux investissements relatifs à la création par un ancien salarié du meuble original, mais créé une rupture d'égalité dans la compétition économique loyale de fourniture d'un produit, en proposant à sa clientèle un article contrefaisant, privant, fautivement, la société Dim Fournier d'une commercialisation qu'elle avait antérieurement été en mesure de développer ;

Considérant que de tels agissements sont constitutifs d'actes de concurrence déloyale et parasitaire, même si la société Dim Fournier ne justifie ni d'une particulière notoriété ni de ses dépenses promotionnelles ;

Que la décision dont appel ne peut, en conséquence, qu'être infirmée en ce qu'elle a rejeté les demandes présentées à ce titre ;

Sur les mesures réparatrices

Considérant que la société Dim Fournier demande, outre des mesures de publication, d'interdiction, de confiscation et de destruction, l'allocation d'une somme globale de 680 000 euros et de 400 000 euros en réparation respectivement des actes de :

- contrefaçon, se prévalant d'une atteinte à son image, de l'avilissement de son modèle, de la masse contrefaisante et d'un manque à gagner,

- concurrence déloyale et parasitaire, invoquant un risque de détournement de la clientèle professionnelle et une dilution de son modèle ;

Considérant qu'il ressort des pièces produites que la société But présentait, sur son site Internet et son catalogue numérique, la table Quadrifolio au prix de 249 euros ;

Que si elle conteste, ainsi que précédemment rappelé, les investissements liés à la créativité ou le parasitisme commercial, elle ne dénie pas que la société Dim Fournier lui vendait son meuble moyennant un prix de 135 euros, ni qu'elle a :

- en 2011 :

" acheté 4 135 meubles Victoria, présentés sur son site Internet comme " Créée par les designers But " au prix de 329 euros, selon copie d'écran du 16 juillet 2012, (étant précisé que la société Dim admet que le produit a été retiré du catalogue numérique ensuite de l'intervention de l'huissier instrumentaire lors des opérations de saisie contrefaçon),

" revendu 502 pièces, le stock déclaré étant de 3 546 pièces (et non de la différence entre les produits vendus et commandés soit 3 633 pièces),

- en janvier et février 2012 : commandé 893 nouvelles pièces ;

Que les analyses statistiques de ventes réalisées par la société Dim Fournier, produites aux débats, ne sont pas plus discutées, et montrent, en particulier, que cette société a vendu le modèle E5000 (modèle Wenge en cause) à raison de 3 016 pièces en 2009 (avec un taux de marge 49,90 % sur un chiffre d'affaires de 384 354,50 euros), et de 2 540 pièces en 2010 (avec un taux de marge de 41,66 % sur chiffres d'affaires de 325 956,75 euros) ;

Considérant que la société Dim Fournier a incontestablement été privée d'un marché important, 5 028 meubles contrefaisants ayant été commandés, et la société But a réalisé au moins 502 ventes de ces meubles, qu'elle présentait comme des créations, générant à son profit un bénéfice illicite non négligeable, et pour l'appelante un manque à gagner certain, même si la chute du chiffres d'affaires pour le modèle en cause à partir de 2011 (vente de seulement 559 articles générant 66 088,37 euros de chiffres d'affaires avec une marge de 42,22 %) ne saurait être considérée comme exclusivement imputable aux agissements de la société But, puisque d'autres sociétés ont été condamnées pour les mêmes faits quoique concernant des quantités bien moindres (sans commune mesure avec la masse contrefaisante actuellement en cause) ;

Considérant que l'atteinte conséquente aux droits sur le meuble Quadrifolio ainsi réalisée par la société But, a, par ailleurs, nécessairement causé un préjudice moral à la société Dim Fournier et porté atteinte au pouvoir attractif de son produit à l'égard des professionnels du secteur de l'ameublement ;

Considérant que, compte tenu de l'ensemble de ces éléments d'appréciation, la cour estime pouvoir fixer le préjudice global subi du fait des actes de contrefaçon à la somme de 300 000 euros ;

Considérant que la concurrence déloyale ou parasitaire, générée par le déférencement au profit d'un produit contrefaisant, justifie l'octroi d'une indemnité de 50 000 euros ;

Considérant que ces indemnisations réparent entièrement les préjudices subis, sans qu'il y ait lieu d'ordonner une mesure de publication, d'autant qu'il n'apparaît pas que les faits perdurent ; que des mesures de confiscation et de destruction ne s'imposent pas plus ; qu'en revanche, il convient d'ordonner, dans les conditions prévues au présent dispositif, une mesure d'interdiction afin de prévenir tout éventuel renouvellement des actes illicites ;

Considérant que seront mis à la charge de la société But les dépens d'appel et de première instance, ces derniers devant inclure les frais taxables de la saisie contrefaçon judiciairement autorisée, et il sera fait application, au seul profit de la société Dim Fournier, des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles ;

Par ces motifs : Infirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle a dit que le meuble Quadrifolio coin repas est original ; Statuant à nouveau dans cette limite, et y ajoutant, Dit que le meuble dénommé " Coin repas + 4 poufs Victoria Wenge " constitue une contrefaçon du meuble Quadrifolio coin repas, référencé E 5000, protégé par le droit d'auteur ; Condamne la société But International à payer à la société Dim Fournier Mods la somme de 300 000 euros en réparation des actes de contrefaçon, ainsi que celle de 50 000 euros en réparation du préjudice subi pour concurrence déloyale et parasitaire ; Interdit à la société But International de reproduire, fabriquer ou faire fabriquer, et commercialiser le modèle " Coin repas + 4 poufs Victoria Wenge " jugé contrefaisant, sous astreinte de 200 euros par infraction constatée à compter de la signification du présent arrêt ; Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation ; Condamne la société But International aux dépens de première instance, en ce compris les frais taxables de saisie contrefaçon, et d'appel, qui, pour ces derniers, pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, et à verser à la société Dim Fournier Mods une somme 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.