Cass. crim., 25 février 2015, n° 13-87.796
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
M. Soulard
Avocat général :
M. Gauthier
Avocats :
Mes Le Prado, Ricard
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la société X, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, chambre 5-7, en date du 30 octobre 2013, qui, sur renvoi après cassation (Com., 21 janvier 2011, pourvoi n° 09-67.793), a confirmé l'ordonnance du président du tribunal de grande instance autorisant la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à effectuer des opérations de visite et de saisie de documents en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ; - Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;
Sur le premier moyen de cassation reprochant à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société X de ses demandes, et déclaré régulière l'ordonnance rendue le 15 juin 1989 par le président du Tribunal de grande instance de Draguignan ;
"aux motifs que la société X fait grief à l'article 5, IV, al. 2, susvisé, d'ouvrir une voie de recours contre une ordonnance d'autorisation de visite domiciliaire et de saisie, alors qu'un arrêt de rejet de la Cour de cassation du pourvoi contre d'ordonnance d'autorisation et une décision de condamnation au fond sont déjà intervenus, ne pouvant offrir les garanties d'un juge impartial ; que, dès lors qu'une décision déjà prise par une autre formation ne s'impose pas au juge, il appartient à celui-ci d'apprécier en toute indépendance les faits dont il est saisi, quelques soient les conséquences prévisibles de cette annulation sur le sort du dossier jugé par ailleurs ; que c'est donc à juste titre que l'Administration répond que raisonner différemment remettrait en cause le principe du double degré de juridiction et qu'elle affirme que le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence devenu Autorité de la concurrence est d'une toute autre nature que celui de la légalité des ordonnance autorisant les visites domiciliaires et saisies, quand bien même l'annulation de l'autorisation querellée entraînerait des conséquences en cascade sur les sanctions déjà prises ; que ces contentieux sont, par ailleurs, examinés par des formations de jugement différentes, excluant tout conflit d'intérêts, alors qu'aucun juge composant la cour n'a eu à connaître précédemment des faits qui sont soumis à son examen ; que ce moyen sera donc rejeté ;
"alors que le recours en contestation de l'autorisation de visites et de saisies prévu par l'article 5, IV, al. 2 de l'ordonnance n° 2008-1161, intervenant après une décision de condamnation du Conseil de la concurrence et une décision de rejet de la Cour de cassation du pourvoi contre l'ordonnance d'autorisation des visites et saisies, en ce qu'il implique nécessairement un pré-jugement, ne respecte pas le principe d'impartialité exigée par l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'Homme ; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a violé cette disposition" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, par ordonnance du 15 juin 1989, le président du Tribunal de grande instance de Draguignan a autorisé le chef de la brigade interrégionale d'enquête de la concurrence de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, Languedoc-Roussillon et Corse à effectuer des opérations de visite et saisies notamment dans les locaux de la société Y, situés aux Arcs, afin de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des travaux routiers, de l'assainissement, des terrassements et canalisations dans le département du Var ; que ces opérations se sont déroulées le 6 juillet 1989 ; que, saisi à la suite de l'enquête diligentée par le ministre de l'Economie et des Finances, de pratiques d'ententes sur divers marchés publics dans le département du Var, le Conseil de la concurrence, devenu l'Autorité de la concurrence, a, par décision du 30 octobre 1996, prononcé des sanctions pécuniaires contre plusieurs entreprises, dont les sociétés Y et X, la seconde venant désormais aux droits de la première ;
Attendu que la société X a introduit un recours contre la décision du Conseil de la concurrence et contesté, à cette occasion, la validité de l'ordonnance autorisant les opérations de visite et saisie, ainsi que le lui permet l'article 5, IV, alinéa 2, de l'ordonnance n° 2008-1161, du 13 novembre 2008 ; que, par ordonnance du 3 juillet 2012, le premier président de la cour d'appel a ordonné la disjonction des recours formés respectivement contre l'autorisation des opérations de visite et contre la décision du Conseil de la concurrence ; que l'arrêt attaqué a prononcé sur la contestation de l'ordonnance ayant autorisé les opérations de visite et saisie ;
Attendu qu'en statuant sur cette contestation dans une composition différente de celle appelée à se prononcer sur le recours formé contre la décision de l'Autorité de la concurrence, la cour d'appel s'est conformée à l'exigence d'impartialité ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le second moyen de cassation reprochant à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société X de ses demandes, et déclaré régulière l'ordonnance rendue le 15 juin 1989 par le président du Tribunal de grande instance de Draguignan ;
"aux motifs que chacun a droit à un procès équitable, lequel exige que l'on soit jugé dans un délai raisonnable ; que ce délai doit s'apprécier au regard de la complexité de l'affaire, du comportement des parties et de celui des autorités compétentes ; que, d'autre part, la durée excessive de la procédure ne peut que donner lieu à une indemnisation sans pouvoir, en aucun cas, entraîner sa nullité ; Que la société requérante fait grief aux dispositions transitoires instaurées par l'ordonnance du 13 novembre 2008, d'autoriser un recours intervenant près de vingt années après les opérations de saisie (6 juillet 1989) qui ne respecte pas l'exigence du délai raisonnable ; que le délai particulièrement long, plus de vingt années, qui s'est écoulé depuis l'ordonnance déférée, s'explique, non pas tant par la complexité de l'affaire, que par l'évolution progressive de la jurisprudence qui, à chaque étape de la procédure, a accordé aux parties des garanties nouvelles : recours effectif, juge impartial, mesures transitoires à effet rétroactif, permettant la mise en œuvre de dispositions plus protectrices ; que le caractère rétroactif de l'annulation sollicitée entraînerait par ailleurs, s'il y était fait droit, par voie de conséquence, l'annulation des sanctions prises par le Conseil de la concurrence, de sorte que le long délai écoulé les mesures contestées n'est pas de nature à entraîner des conséquences irrémédiables pour la société requérante, laquelle ne sollicite d'ailleurs pas l'allocation de dommages et intérêts ; qu'il résulte donc de l'enchaînement des procédures successives ayant conduit à la présente décision, tel qu'il résulte de l'énumération figurant au début de celle-ci, qu'aucun manquement de l'Etat à son devoir de protection juridictionnelle de l'individu n'est établi et que le délai écoulé n'a pas entraîné une atteinte personnelle, effective et irrémédiable à la partie requérante dont le comportement est au demeurant paradoxal, la société X ayant obtenu à force de ténacité, le bénéfice de mesures transitoires lui permettant d'exercer, enfin, un recours effectif contre la décision d'autorisation de visite domiciliaire, et se prévalant du délai ayant conduit au succès obtenu, pour réfuter l'examen tant désiré de la décision déférée ; que ce moyen sera donc rejeté ;
"alors que, dans ses arrêts du 21 décembre 2010 (Société Canal Plus et autres c. France, requête n° 29408-08, § 40 ; Compagnie des gaz de pétrole Primagaz c. France, requête n° 29613-08, § 28), la Cour européenne des droits de l'Homme a dit pour droit que le recours contre la décision d'autorisation des visites et saisies doit fournir un redressement approprié, ce qui implique nécessairement la certitude, en pratique, d'obtenir un contrôle juridiquement effectif de la mesure litigieuse et ce, dans un délai raisonnable ; qu'il ressort des propres constatations de l'arrêt qu'un délai particulièrement long, plus de vingt années, s'est écoulé depuis l'ordonnance déférée ; qu'un tel délai a pour effet que le recours en contestation prévu par l'ordonnance du 13 novembre 2008 ne répondait pas, en l'espèce, aux exigences de l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'Homme ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé cette disposition" ;
Attendu que la méconnaissance du droit à être jugé dans un délai raisonnable, à supposer qu'elle puisse résulter de la création, par l'ordonnance du 13 novembre 2008 précitée, d'une nouvelle voie de recours, n'est pas une cause de nullité ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli,
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme,
Rejette le pourvoi.