CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 26 février 2015, n° 13-12353
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
MPF Diffusion (SARL)
Défendeur :
Bordeaux Loire et Champagne Diffusion (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
MM. Birolleau, Douvreleur
Avocats :
Mes Gazagnes, Grappotte-Benetreau, Boileau
Faits et procédure
Le 3 juillet 2006, la société MPF Diffusion (MPF) a conclu avec la société Bordeaux Loire & Champagne Diffusion (BLD), du groupe Bollinger, un contrat d'agence commerciale à durée indéterminée avec effet au 1er juin 2006, ayant pour objet la vente des produits de la société BLD à l'ensemble des magasins, entrepôts et centrales d'achat Monoprix, ainsi qu'aux magasins Inno et Galeries Lafayette.
Soupçonnant que la société MPF vendait à Monoprix d'autres marques de champagne que les siennes, la société BLD a délivré à la société Monoprix le 3 février 2011 une sommation interpellative par laquelle elle a obtenu confirmation officielle de ses soupçons.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 1er mars 2011, BLD a mis fin, sans préavis et sans indemnité, au contrat d'agence commerciale.
Par acte du 13 avril 2011, la société MPF a fait assigner la société BLD devant le Tribunal de commerce de Paris en paiement d'une indemnité de rupture de contrat. La société BLD s'est portée reconventionnellement demanderesse en condamnation de MPF pour concurrence déloyale.
Selon jugement rendu le 8 avril 2013, le Tribunal de commerce de Paris a :
- déclaré la société MPF mal fondée en ses demandes et l'en a déboutée ;
- déclaré la société BLD mal fondée en sa demande reconventionnelle et l'en déboutée ;
- condamné la société MPF à payer à la société BLD la somme de 3 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- dit les parties mal fondées pour leurs demandes plus amples ou autres ;
- ordonné l'exécution provisoire.
La société MPF a formé appel de cette décision le 20 juin 2013.
Par ses dernières conclusions signifiées le 19 novembre 2014, elle demande à la cour de :
- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 8 avril 2013, sauf en ce qu'il a déclaré la société BLD mal fondée en sa demande reconventionnelle et l'en a déboutée ;
Statuant à nouveau,
- déclarer l'absence de faute grave dans l'exécution du contrat et les demandes de la société MPF recevables et bien fondées ;
- dire les indemnités de préavis, celles réparatrices de fin de contrat, ainsi que les dommages-intérêts en réparation des préjudices économique et moral acquis au profit de MPF a concurrence des montants suivants :
- 6 166,25 euro au titre de l'indemnité de préavis ;
- 30 614 euro au titre de l'indemnité de rupture ;
- 15 307 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice économique ;
- 15 307 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral ;
- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 8 avril 2013 en ce qu'il a constaté que la société MPF n'avait pas commis d'actes de concurrence déloyale et a débouté la société BLD de ses demandes indemnitaires ;
- condamner la société BLD au paiement de la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'appelante affirme n'avoir commis aucune faute en ne précisant pas à la société BLD qu'elle avait des activités propres auprès du groupe Monoprix, que, si elle est intervenue pour les maisons de champagne Drapier et Tribaut, c'est en qualité de revendeur, et non d'agent commercial, de sorte qu'on ne peut lui opposer les dispositions de l'article L 134-3 du Code de commerce. Elle rappelle d'une part, qu'elle a parfaitement respecté les dispositions légales et contractuelles, et d'autre part, que la société BLD avait connaissance de ses activités auprès de la société Monoprix.
Elle considère que la société BLD a violé les dispositions de l'article 1134 du Code civil, rappelant que le contrat a été conclu à durée indéterminée, et que c'est à bon droit qu'elle demande une indemnité compensatrice de préavis et de perte d'activité, ainsi qu'une indemnité réparatrice des préjudices subis au titre des inexécutions contractuelles et du préjudice moral.
Elle fait valoir qu'elle n'a pas commis d'actes de concurrence déloyale car les produits qu'elle a achetés et revendus à Monoprix ne sont en aucun cas concurrents des champagnes Bollinger, et soutient à cet effet que la société BLD en vertu du principe de non-cumul des responsabilités contractuelles et délictuelles, ne peut obtenir réparation que sur le seul fondement de la responsabilité contractuelle.
La société BLD, par ses dernières conclusions signifiées le 12 novembre 2014, demande à la cour de :
A titre principal,
- déclarer l'appel interjeté par la société MPF mal fondé ;
- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 8 avril 2013 en ce qu'il dit que la société MPF a commis une faute grave dans l'exercice de son mandat ;
- confirmer ledit jugement en ce qu'il a débouté la société MPF de l'ensemble de ces demandes ;
- infirmer ledit jugement en ce qu'il a débouté la société BLD de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts pour concurrence déloyale ;
En conséquence,
- constater l'omission volontaire de la société MPF de la mention complète des maisons dont elle distribuait les produits concurrents de ceux de la société BLD, dans le contrat du 3 juillet 2006 ;
- déclarer que cette omission portait sur une clause essentielle du contrat, et que le défaut de réponse exhaustive dans le contrat par la société MPF est constitutif d'une faute grave, justifiant la rupture par la société BLD du contrat de mandat à effet immédiat et sans indemnité ;
- constater le défaut d'information en cours de contrat de la société MPF à l'égard de la société BLD en ce qui concerne la vente de marques de champagnes concurrentes de cette dernière ;
- déclarer que le défaut d'information par la société MPF est constitutif d'une faute grave ; justifiant la rupture par la société BLD du contrat de mandat à effet immédiat et sans indemnité ;
- constater l'exercice d'activités similaires par la société MPF portant sur la vente de produits concurrents par la société MPF auprès du client Monoprix sans l'accord de son mandant, la société BLD ;
- déclarer que la société MPF n'a jamais sollicité l'accord de la société BLD pour se faire autoriser à exercer auprès de l'enseigne Monoprix, une activité similaire portant sur des produits directement concurrents, ce qui constitue une faute grave au sens des dispositions de l'article L. 134-3 du Code de commerce, justifiant la rupture du contrat de mandat à effet immédiat et sans indemnité ;
En conséquence,
- débouter MPF de l'ensemble de ses demandes indemnitaires ;
A titre reconventionnel,
- constater que la société MPF a distribué, auprès de l'enseigne Monoprix, des produits concurrents de ceux de la société BLD, sans en informer cette dernière, caractérisant ainsi un acte de concurrence déloyale ;
- constater que la société BLD a subi un préjudice résultant du comportement fautif de la société MPF ;
- déclarer que la société MPF a commis une faute et a engagé sa responsabilité pour le préjudice causé à la société BLD ;
En conséquence,
- condamner la société MPF à verser la somme de 413 313 euro à la société BLD à titre de dommages et intérêts pour préjudice financier.
- condamner la société MPF à verser la somme de 10 000 euro à la société BLD à titre de dommage et intérêts pour préjudice d'image ;
En tout état de cause,
- condamner la société MPF à payer au profit de la société BLD la somme de 5 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'intimée soutient que la société MPF a violé son obligation d'information en ce que le contrat lui imposait de l'informer des marques de champagnes concurrentes qu'elle distribuait auprès des magasins Monoprix, et cela malgré l'absence de relation d'exclusivité entre la société BLD et la société MPF, et que ce manquement est constitutif d'une faute grave justifiant la privation de toute indemnité de rupture.
Elle affirme que la vente de produits concurrents par la société MPF sans son autorisation constitue une faute grave, et rappelle à cet effet que l'agent commercial ne peut pas concurrencer son mandant sans l'accord de ce dernier, en application de l'article L. 134-3 du Code de commerce. Elle considère que la société MPF a commis des actes de concurrence déloyale, en favorisant les intérêts des maisons de champagne concurrentes au détriment des produits de BLD, lui causant alors un préjudice financier et moral.
MOTIFS
Sur la demande principale de MPF
Considérant que l'article L. 134-3 du Code de commerce dispose que " l'agent commercial peut accepter sans autorisation la représentation de nouveaux mandants. Toutefois il ne peut accepter la représentation d'une entreprise concurrente de celle de l'un de ses mandants sans l'accord de ce dernier " ; que l'article L. 134-4 du même Code prévoit que " les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties. Les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information. L'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel (...) " ; que l'article L. 134-12 du même Code prévoit qu' " en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, et que l'indemnité n'est pas due à l'agent commercial lorsque la cessation est provoquée par une faute grave de sa part " ;
Considérant que, par le contrat d'agent commercial conclu le 3 juillet 2006, MPF a été chargée de vendre les produits de la société BLD France, à savoir : " Champagne Bollinger, Champagne Montvillers, Vins de Loire Longlois-Château, Bourgogne Chanson, Cognac Delamain, Calvados Drouin, Armagnac Larresingle, Whisky Mackinlay, Porto Fonséca, Rhum Bally, Bordeaux Cazes, et autres Bordeaux, Château de Jau, Vins du Monde ", dans le secteur suivant :
" Monoprix et Centrale d'achat (Boulogne-Billancourt), Entrepôts Monoprix (Thiais/Gonesse), l'ensemble des magasins sous l'enseigne Monoprix sur l'ensemble du territoire national, l'ensemble des magasins sous l'enseigne Inno sur l'ensemble du territoire national, l'ensemble des magasins sous l'enseigne Galeries Lafayette sur l'ensemble du territoire national, et toute opportunité sur le territoire national pour la clientèle des particuliers ou entreprises " ; que le contrat mentionne, en son article 9 " non-concurrence " : 1/ En cours de contrat : L'agent déclare représenter actuellement les Maisons suivantes : Produits : Champagne Maisons : Ayala, Ayala étant membre du même groupe Bollinger ;
Considérant que MPF reconnaît avoir travaillé pour les maisons de champagne Drapier et Tribaut ; qu'il est constant qu'elle n'a pas mentionné ces deux marques parmi les marques que représentait MPF ;
Considérant que l'exigence d'accord préalable du mandant à la représentation d'une autre entreprise par l'agent commercial s'étend à toute entreprise concurrente quelle que soit le fabricant, la marque ou le mode d'intervention de l'agent ; que, si le contrat stipule en son article 6 " Mode d'exercice de la représentation " que " l'agent aura le droit d'effectuer des opérations commerciales pour son compte personnel ", cette disposition n'était pas exclusive de l'obligation prescrite par le principe de loyauté de l'article L. 134-4 et par l'article 9 de la convention d'informer le mandant des établissements pour lesquels intervenait MPF ;
Considérant que les sociétés Drapier et Tribaut sont des producteurs de vin de champagne ; qu'il ressort des tarifs communiqués par MPF (pièces n° 9 et 10) que certains des produits proposés par les marques Drapier et Tribaut se situent dans la même gamme de prix que les produits Bollinger : 31,40 euro pour La Cuvée René de Tribaut, 40,20 euro pour L'Authentique de Tribaut, 29,96 euro pour Drappier, 39,48 euro pour Bollinger ; que l'ensemble de ces produits intéressent une même clientèle, ne présentent pas de caractéristiques différentes et ne se prêtent pas à des utilisations distinctes ; que les produits Drapier et Tribaut sont dès lors des produits concurrents de ceux de Bollinger ;
Considérant que MPF ne saurait soutenir que BLD était informée de son activité de revendeur pour d'autres marques de champagne que ceux du Groupe Bollinger et l'aurait durablement toléré ; que la référence, par l'appelante, à la connaissance de l'activité de MPF par la société Ayala est en effet inopérante, Ayala étant une société distincte de BLD - peu important qu'elles appartiennent au même groupe - et aucun élément ne démontrant que le mandant aurait été informé de l'activité de distributeur de MPF ;
Considérant que les chiffres communiqués par BLD sur l'importance des quantités vendues des produits concurrents de ceux de Bollinger ne sont pas contestés : 50 640 bouteilles de vin de champagne de marque Tribaut vendues par MPF en 2006 auprès du groupe Monoprix, 15 165 bouteilles Champagne de marque Drappier vendues par MPF auprès de Monoprix en 2008, pour des ventes de vin de Champagne de marque Bollinger par MPF auprès du même groupe de 5 466 équivalents bouteilles (sur 7 mois) en 2006, 4 494 équivalents bouteilles en 2007, 3 780 équivalents bouteilles en 2008, 3 975 équivalents bouteilles en 2009 et 7 705 équivalents bouteilles en 2010, éléments qui établissent la part essentielle prise par les marques concurrentes de Bollinger dans l'activité de MPF et le chiffre d'affaires significatif réalisé par MPF sur des produits concurrentiels de ceux de BLD ; que la dissimulation par l'agent commercial de son intervention pour des sociétés concurrentes caractérise le manque de loyauté dans l'exécution du contrat ; que ces agissements sont constitutifs d'une faute grave rendant impossible le maintien du lien contractuel et excluant le bénéfice d'une indemnité compensatrice de préavis ; que le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté MPF de ses demandes ;
Sur la demande reconventionnelle de BLD
Considérant que BLD invoque, au soutien de sa demande de condamnation de MPF pour concurrence déloyale, l'exercice dissimulé, par l'agent, d' " une activité parallèle de distribution de produits concurrents auprès du client Monoprix, laquelle est nécessairement incompatible avec l'exercice plein et entier d'une mission de représentation " ; que toutefois la faute invoquée ne présente aucun caractère distinct par rapport à celle constituée par la violation des articles L. 134-3 et L. 134-4 du Code de commerce justifiant la rupture du contrat d'agent commercial sans indemnité ; qu'il ne peut en outre être en l'espèce reproché à l'agent commercial un comportement constitutif de concurrence déloyale dès lors que l'activité qu'il a développée au profit de concurrents de son mandant n'a pas été accompagnée de manœuvres destinées à détourner irrégulièrement la clientèle de ce dernier, à entraîner une confusion dans l'esprit de cette clientèle ou à désorganiser son entreprise ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté BLD de sa demande de ce chef ;
Considérant que l'équité commande de condamner MPF à payer à BLD la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris, Condamne la SARL MPF Diffusion à payer à la SA BLD France la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SARL MPF Diffusion aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.