Cass. com., 3 mars 2015, n° 14-10.907
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Provera France (SAS)
Défendeur :
Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Tréard
Avocat général :
M. Mollard
Avocats :
SCP Roger, Sevaux, Mathonnet, SCP Meier-Bourdeau, Lécuyer
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 novembre 2013), que le ministre chargé de l'Economie (le ministre), reprochant à la société Provera France (la société Provera), centrale d'achat des magasins à l'enseigne Cora, une pratique créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties résultant de deux clauses des conventions régissant les relations entre cette société et ses fournisseurs, l'a assignée en nullité des clauses, cessation des pratiques et paiement d'une amende civile ; que le ministre a renoncé, en cours d'instance, à sa demande de nullité ;
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième, troisième et cinquième branches : - Attendu que la société Provera fait grief à l'arrêt de dire la demande du ministre recevable alors, selon le moyen : 1°) que, dans sa décision n° 2011-126 QPC du 13 mai 2011, le Conseil constitutionnel a déclaré constitutionnel l'article L. 442-6 III, alinéa 2, du Code de commerce, mais, pour ce qui concerne le respect du droit au recours, il a dit " qu'il est loisible au législateur de reconnaître à une autorité publique le pouvoir d'introduire, pour la défense d'un intérêt général, une action en justice visant à faire cesser une pratique contractuelle contraire à l'ordre public ; que ni la liberté contractuelle ni le droit à un recours juridictionnel effectif ne s'opposent à ce que, dans l'exercice de ce pouvoir, cette autorité publique poursuive la nullité des conventions illicites, la restitution des sommes indûment perçues et la réparation des préjudices que ces pratiques ont causés, dès lors que les parties au contrat ont été informées de l'introduction d'une telle action " ; qu'en l'espèce, en faisant sien le constat portant sur la teneur de cette décision, fait par le ministre de l'Economie et tiré de ce " que l'objectif de son action est d'empêcher la réitération des pratiques illicites pour l'avenir s'appuyant nécessairement sur les contrats et clauses qui ont pu exister et qui démontrent un déséquilibre significatif, que le Conseil constitutionnel a seulement précisé que l'information était nécessaire lorsque l'action avait pour objet la nullité, la restitution de l'indu et la réparation du préjudice subi par les pratiques illicites ", et en ajoutant ainsi une restriction pesant sur la réserve posée par le Conseil constitutionnel, tirée de ce que l'information sur l'action engagée ne serait exigée que dans trois cas : en cas de demande en nullité d'un contrat, de demande de restitution de l'indu et de demande de réparation du préjudice subi, la cour d'appel a ajouté à la réserve formulée par le Conseil constitutionnel dans sa décision précitée une condition qui n'y figure pas, dénaturant ainsi cette décision ; 2°) que c'est exclusivement de la teneur des contrats en cours entre Provera et ses fournisseurs, maintenus dans leur substance d'année en année, que la cour d'appel a tiré le constat d'un prétendu déséquilibre significatif, ce dont il se déduit que l'action introduite par le ministre de l'Economie intervenait bien " dans le champ contractuel des parties " ; qu'en affirmant que le ministre de l'Economie, qui demande dans les termes de l'article L. 442-6 III alinéa 2, du Code de commerce, la cessation des pratiques pour l'avenir, sans désormais solliciter la nullité des contrats les comportant, n'intervient pas " dans le champ contractuel des parties ", la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article L. 442-6 III, alinéa 2, du Code de commerce, ayant fait l'objet d'une réserve du Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2011-126 QPC du 13 mai 2011, ensemble l'article L. 442-6 I 2° du même Code ; 3°) qu'il est défendu aux juges de se prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises ; que, saisie par la société Provera d'un moyen d'irrecevabilité de l'action engagée par le ministre de l'Economie, car celle-ci visait à l'interdiction pour l'avenir de deux clauses dans des contrats futurs à conclure par la société Provera, dont les juges comme les parties au litige ignoraient le futur contenu précis et l'environnement économique à venir, contraignait le juge à statuer in abstracto, la cour d'appel a rejeté ce moyen d'irrecevabilité pour les motifs inopérants tirés de la précision de la demande formulée, de la limitation de son objet, des buts poursuivis par le demandeur ainsi que de la question des préjudices, méconnaissant ainsi l'interdiction précitée et violant l'article 5 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'il résulte de la réserve d'interprétation émise par le Conseil constitutionnel dans sa décision 2011-126 QPC du 13 mai 2011 que c'est seulement lorsque l'action engagée par l'autorité publique tend à la nullité des conventions illicites, à la restitution des sommes indûment perçues et à la réparation des préjudices que ces pratiques ont causés que les parties au contrat doivent en être informées ; qu'ayant constaté que le ministre avait renoncé en cours d'instance à poursuivre l'annulation des clauses litigieuses, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que son action, qui ne tendait plus qu'à la cessation des pratiques et au prononcé d'une amende civile, était recevable ;
Et attendu, en second lieu, qu'ayant relevé que l'action introduite par le ministre se fondait sur des clauses précises issues de contrats conclus entre distributeur et fournisseurs, reprises chaque année, et sur le déséquilibre, identifié, qui en résultait , la cour d'appel a justement écarté le moyen tiré de l'interdiction des arrêts de règlement ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deuxième, troisième, quatrième et cinquième branches, le troisième moyen, pris en sa deuxième branche et le quatrième moyen, réunis : - Attendu que la société Provera fait grief à l'arrêt de retenir l'existence d'un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties à son profit, résultant de deux clauses contrevenant aux dispositions de l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce, de lui enjoindre de cesser pour l'avenir les pratiques consistant à mentionner ces clauses dans ses contrats et de la condamner au paiement d'une amende civile alors, selon le moyen : 1°) que la cour d'appel a considéré que les fournisseurs de la société Provera auraient été dans une situation de soumission par rapport à celle-ci, au motif que " la société Provera met à la disposition de ses fournisseurs des trames type de contrats, que le principe même de cette pratique n'est pas contestable et peut en effet répondre à des nécessités exemptes de critiques ; que ce qui est en cause est l'absence de modification de ces clauses figurant dans ces trames types ; qu'en effet, la société Provera ne fait jamais connaître son accord ou son désaccord sur les réserves ou des avenants proposés par les fournisseurs (Mac Cain, Lactalis, Mars, par exemple), de sorte que, le contrat étant néanmoins exécuté, les modifications n'interviennent jamais ; qu'il peut être ainsi constaté que, si la négociation est possible, elle n'est pas effective et que les contrats soumis aux fournisseurs sont de véritables contrats d'adhésion " ; qu'en se bornant ainsi à de simples affirmations, non fondées sur des pièces soumises au débat contradictoire, la cour d'appel a méconnu les exigences de motivation de l'article 455 du Code de procédure civile ; 2°) que l'existence d'un contrat d'adhésion ne suffit pas à elle seule à établir l'existence d'une soumission au sens de l'article L. 442-6 2° du Code de commerce ; qu'en déduisant l'existence d'une soumission des fournisseurs concernés à la société Provera du constat de l'existence de véritables contrats d'adhésion, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce ; 3°) que, pour admettre l'existence d'un déséquilibre significatif, la cour d'appel s'est fondée sur ce que " l'article L. 442-6 [...] ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté du commerce au regard de la nécessité de maintenir un équilibre entre les relations commerciales ; que l'abus est établi in abstracto, sans qu'il y ait besoin de justifier des effets de celui-ci, dès lors que les pratiques sont contraires à l'ordre public en raison du préjudice qu'elles portent nécessairement à l'économie par l'élimination de partenaires commerciaux et par la nuisance à l'investissement " ; qu'en se prononçant ainsi in abstracto, elle a violé l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce, qui ne l'exigeait nullement, ensemble l'article 5 du Code civil ; 4°) que le déséquilibre prohibé par l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce doit être significatif ; qu'en ne recherchant pas si le prétendu déséquilibre allégué par le ministre de l'Economie avait été significatif, comme la société Provera le lui demandait, la cour d'appel a entaché son arrêt d'un défaut de base légale au regard de l'article précité ; 5°) que pour déduire l'existence d'un déséquilibre significatif des droits et obligations des parties dans la clause 7.3 de la convention fournisseur marque nationale, la cour d'appel s'est fondée sur ce que " la réciprocité de la mise en jeu de la clause, son utilisation par le fournisseur restent grandement théoriques (les exemples contraires donnés par la société Provera concernent des sociétés qui ont un poids économique certain, Sodebo, Ferrero, Panzani, Campbells) " ; que toutefois, soit la cour d'appel considérait que les clauses litigieuses devaient être analysées in abstracto, et, dans ce cas, la clause 7.3 était irréprochable, car totalement réciproque puisque les cause et procédure de résiliation valent pour chacune des parties, soit la cour d'appel considérait que les clauses litigieuses devaient être analysées in concreto, mais, alors cette analyse concrète devait être faite dans l'ensemble de l'arrêt, et pas seulement sur un point précis qui lui permet de se prononcer en défaveur de la société Provera ; que cette contradiction révèle une violation manifeste, par la cour d'appel, de l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce ; 6°) que la cour d'appel a considéré que la " clause de délais de paiement de la convention de prestations de services " comportait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au sens de l'article L. 442-1 I 2°, du Code de commerce, au motif principal que " l'existence d'un délai de quarante-cinq jours au profit de Provera alors qu'il est de trente jours net pour les fournisseurs, soit supérieur de moitié à l'avantage de Provera et le paiement d'acomptes mensuels par lesquels le fournisseur fait l'avance des frais de promotion qui peuvent intervenir plusieurs mois plus tard entraînent mécaniquement la création d'un solde commercial à la charge de la plupart des fournisseurs, et ce sans qu'il y ait lieu à se livrer à des études pour rechercher l'impact réel sur la trésorerie des parties " ; qu'en se prononçant ainsi in abstracto alors que l'article précité ne l'y autorisait pas, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant relevé l'existence d'un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, résultant de deux clauses litigieuses, qu'aucune autre stipulation ne permettait de corriger, et constaté qu'aucune suite n'était donnée aux réserves ou avenants proposés par les fournisseurs pour les modifier, la cour d'appel, qui a procédé à une analyse globale et concrète du contrat et apprécié le contexte dans lequel il était conclu ou proposé à la négociation, et qui n'était pas tenue de rechercher les effets précis du déséquilibre significatif auquel la société Provera avait soumis ou tenté de soumettre ses partenaires, a satisfait aux exigences de l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce ;
Attendu, en deuxième lieu, qu'ayant relevé, par motifs adoptés, que l'article 7-3 offre au distributeur la possibilité de déréférencer un fournisseur unilatéralement, sans préavis ni indemnisation, en raison d'une sous-performance du produit qui est directement liée aux conditions dans lesquelles le distributeur le présente à la vente, et que la clause relative aux délais de paiement lui permet de facturer ses prestations avant même leur réalisation quand ses achats sont payés de trente à soixante jours après réception des marchandises, les délais impartis pour le règlement des marchandises du fournisseur étant négociables tandis que ceux impartis pour le paiement des prestations du distributeur restent intangibles, ce dont elle a déduit un déséquilibre significatif au détriment du fournisseur, la cour d'appel a procédé à la recherche prétendument omise ;
Et attendu, en dernier lieu, qu'ayant constaté, en se référant à la situation de fournisseurs, qu'elle a identifiés, que les contrats étaient exécutés sans qu'il soit donné suite aux réserves ou propositions d'avenants, de sorte qu'ils constituaient de véritables contrats d'adhésion ne donnant lieu à aucune négociation effective des clauses litigieuses, la cour d'appel, qui a souverainement apprécié les éléments de la cause, a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le cinquième moyen : - Attendu que la société Provera fait grief à l'arrêt de la condamner au paiement d'une amende civile alors, selon le moyen, que pour condamner la société Provera à payer une amende civile, la cour d'appel s'est fondée sur l'existence d'un préjudice causé à l'économie et sur ce que les pratiques relatives aux délais de paiement et à la résiliation automatique soumettent les fournisseurs, sans qu'ils puissent en discuter réellement, à des conditions de paiement qui tendant nécessairement à obérer leur trésorerie, et à des conditions d'exécution du contrat qui les exposent à un anéantissement de la relation commerciale, ce dont il aurait résulté que ces pratiques portent un trouble réel à l'ordre public économique ; qu'en se fondant ainsi sur des constats in abstracto faits précédemment dans l'arrêt et qui encourent la cassation, cette partie de l'arrêt encourt la cassation par voie de conséquence ;
Mais attendu que le rejet des autres moyens rend ce moyen sans objet ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen, pris en ses première et quatrième branches, le deuxième moyen, pris en sa première branche, le troisième moyen, pris en ses première, troisième et quatrième branches, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.