Cass. com., 3 mars 2015, n° 13-18.164
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Des Planches (Sté)
Défendeur :
Anabela (EURL), SCP Thévenot-Perdereau-Manière, MJA (ès qual.), MB associés (ès qual.), Camille D (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
M. Gauthier
Avocat général :
M. Mollard
Avocats :
SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, SCP Baraduc, Duhamel, Rameix
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 31 août 2009, la société Camille D a cédé à la société Anabela le fonds de commerce de coiffure qu'elle exploitait et s'est engagée de ne pas se rétablir dans un certain périmètre pendant une durée d'un an ; que Mme Des Planches, ancienne salariée de la société Camille D a créé le 12 octobre 2009 l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée Des Planches (la société Des Planches), pour exploiter un fonds de commerce de coiffure à proximité du fonds acquis par la société Anabela ; qu'estimant que les sociétés Camille D et Des Planches n'avaient pas respecté la clause contractuelle de non-rétablissement de l'acte de cession et avaient commis des actes de concurrence déloyale, la société Anabela les a assignées en paiement de dommages-intérêts ;
Sur le moyen unique, pris en ses troisième, quatrième, cinquième, sixième et septième branches : - Attendu que la société Des Planches fait grief à l'arrêt de faire droit à cette demande alors, selon le moyen : 1°) qu'est licite, l'embauche, même massive, de salariés démissionnaires d'une entreprise concurrente, si aucune incitation au départ de part du nouvel employeur n'est établie de sorte qu'en se bornant à relever, d'une part, que la société Des Planches avait embauché Mmes Petit et Chabot, anciennes salariées de la société Anabela, peu après que celles-ci aient démissionné de leur emploi au sein la société Anabela, d'autre part, qu'elle était animée d'une intention de nuire en procédant à l'embauche de ses anciennes salariées et, enfin, que cette situation avait désorganisé la société Anabela, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si la société Des Planches avait entrepris des démarches tendant à persuader les salariées de quitter leur ancien employeur pour venir travailler à son service, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 2°) que l'embauche d'un salarié démissionnaire d'un concurrent ne peut être considérée comme fautive que si ce salarié est débiteur d'une clause de non-concurrence si bien qu'en se bornant à affirmer, pour décider que la société Des Planches avait commis des actes de concurrence déloyale envers la société Camille D, en embauchant successivement Mmes Petit et Chabot, démissionnaires de la société Camille D, qu'il n'était pas démontré que les clauses de non-concurrence figurant à leurs contrats de travail respectifs avec la société Camille D avaient été annulées, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si les clauses de non-concurrence dont se prévalait la société Camille D étaient nulles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 3°) que le démarchage de la clientèle d'une société, fût-ce par un ancien salarié de celle-ci, est libre, dès lors que ce démarchage ne s'accompagne pas d'un acte déloyal de sorte qu'en se bornant à affirmer, pour décider que la société Des Planches avait exploité le fichier clients de la société Camille D avant sa remise à la société Anabela, que ce n'était qu'à la suite d'une sommation d'huissier en date du 23 septembre 2009 que la société Anabela avait récupéré le fichier clients de la société Camille D et que la société Des Planches avait repris contact avec certains clients, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser un détournement déloyal de clientèle, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 4°) qu'en se fondant sur une attestation de Mme Medjda, produite aux débats par la société Des Planches, pour décider que Mme Des Planches avait mené une politique de dénigrement de la société Anabela en incitant les clientes à dénigrer son ancien salon, sans s'expliquer sur l'absence d'indépendance de Mme Medjda à l'égard de la société Anabela, dont elle est salariée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 5°) que la mise en œuvre de la responsabilité délictuelle pour concurrence déloyale est subordonnée à la preuve de l'existence d'un lien de causalité entre les agissements reprochés et le préjudice dont il est demandé réparation si bien qu'en se bornant à affirmer, pour décider que la société Anabela avait subi un préjudice économique du fait de la violation de la clause de non concurrence et des actes de concurrence déloyale retenus à l'encontre de la société Des Planches, que les chiffres d'affaires réalisés par la société Anabela étaient inférieurs de moitié par rapport aux prévisions annexées à l'acte de cession, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si cette baisse de chiffre d'affaires était imputable aux actes de concurrence déloyale reprochés à la société Des Planches, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que constitue un acte de concurrence déloyale le débauchage massif du personnel d'une société, entraînant sa désorganisation ; que l'arrêt relève que l'acte de cession mentionne que le cédant employait trois salariées, constituant l'intégralité de l'équipe technique du fonds cédé et ayant régulièrement bénéficié de formation à des techniques de coiffure spécifiques, qui ont été, dans un délai réduit, réembauchées par la société Des Planches ; qu'il ajoute que la société Anabela s'est trouvée ainsi privée de la totalité de son personnel en moins d'un an, et ce au profit de la société Des Planches dont l'activité concurrente s'exerçait à quelques centaines de mètres de la sienne ; qu'en cet état, la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer d'autre recherche, a légalement justifié sa décision ;
Attendu, en deuxième lieu, qu'après avoir relevé que c'est à la suite d'une sommation d'huissier du 23 septembre 2009 que la société Anabela a récupéré le fichier clients du fonds cédé, et qu'il résulte des pièces produites que la société Des Planches avait pris contact avec certains clients, l'arrêt en déduit que la société Des Planches a exploité le fichier de la société Camille D avant sa restitution ; que par ces constatations et appréciations, faisant ressortir l'existence d'un démarchage fautif de clientèle, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
Attendu, en troisième lieu, que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve que la cour d'appel, qui a relevé que la société Des Planches ne rapportait pas la preuve des contradictions qu'elle invoquait ni celle d'un litige l'opposant à Mme Medjdan, a considéré qu'il résultait de l'attestation de cette dernière que les actes de dénigrement imputés à la société Des Planches étaient établis ; Et attendu, en quatrième lieu, qu'ayant relevé que les agissements déloyaux de la société Des Planches lui ont permis de détourner la clientèle attachée au fonds de commerce de la société Anabela, la cour d'appel a effectué la recherche prétendument omise ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Mais, sur le moyen, pris en sa deuxième branche : - Vu l'article 1165 du Code civil ; - Attendu que pour condamner la société Des Planches à verser une indemnité de 73 000 euros pour violation de l'interdiction de rétablissement prévue par la cession du fonds de commerce, l'arrêt constate que le contrat de cession du fonds de commerce de la société Camille D à la société Anabela, conclu le 31 août 2009, stipulait une interdiction de se rétablir dans un rayon de un kilomètre et demi du lieu d'exploitation du fonds cédé et ce pendant un an ; qu'il retient que Mme Des Planches était la créatrice et l'unique associée de la société Camille D, en assurait la gestion de fait lors de la cession du fonds de commerce, et que, ayant créé le 12 novembre 2009 la société Des Planches pour reprendre le fonds de commerce d'un autre salon de coiffure, elle a ainsi, en connaissance de cause, procédé à la cession de son fonds de commerce moyennant un engagement de non-rétablissement ; qu'il en déduit que la société Des Planches a violé cet engagement contractuel ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il résulte de ses constatations que la société Des Planches n'avait pas souscrit l'engagement de non-rétablissement contenu dans cet acte, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief : casse et annule, mais seulement en ce qu'il condamne la société Des Planches à payer à la société Anabela la somme de 73 000 euros au titre de la violation de l'obligation de non-rétablissement contenue dans l'acte de cession du 31 août 2009, l'arrêt rendu le 14 mars 2013, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée ; Condamne la société Anabela aux dépens.