CA Grenoble, ch. com., 26 février 2015, n° 11/02880
GRENOBLE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
AMS Papeteries (SARL), AJE (SARL), Selarl AJ Partenaires (ès qual.)
Défendeur :
Val Conseil (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rolin
Conseillers :
Mme Pages, M. Bernaud
Avocats :
Mes Sannier, Penon, SCP Grimaud, SELARL Dauphin et Mihajlovic
Par contrat d'agent commercial du 2 novembre 2004 la société AMS Papeteries a confié à M. Georges Issa la commercialisation de ses produits de papeterie dans un secteur géographique constitué des départements de la Drôme et de l'Ardèche moyennant une rémunération fixée au taux de 40 % de la marge nette.
Par contrat du 4 février 2005 Monsieur Georges Issa s'est substitué la société Val Conseil. À cette occasion le secteur géographique a été étendu au département de l'Isère, mais l'agent a perdu l'exclusivité de représentation initialement consentie.
Par avenant du 6 mars 2005 il a été précisé que la société Val Conseil avait le statut d'agent commercial et que sa rémunération était calculée au taux de 40 % sur la marge entre prix de vente au client et prix d'achat.
Le 28 mars 2008 M. Alain Faure et Mme Monique Faure ont cédé leurs parts dans la société AMS Papeteries à la société AJE représentée par son gérant, M. Fabien Dahan.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 27 février 2009 la société Val Conseil, se plaignant du non paiement de ses commissions et de la tentative de la société AMS Papeteries de remettre en cause le mode de calcul de sa rémunération, a pris l'initiative de la rupture du contrat d'agent commercial pour faute grave du mandant.
La société Val Conseil a réclamé en vain le 24 mars 2009 le paiement d'un arriéré de commissions de 5 483,55 euros ainsi que d'une indemnité de rupture du contrat.
Par acte d'huissier du 17 juillet 2009 elle a fait assigner la société AMS Papeteries en paiement des sommes de 10 222,78 euros au titre des commissions impayées et de 84 867,36 euros au titre de l'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial.
La SARL AJE et M. Fabien Dahan sont intervenus volontairement à l'instance.
Par jugement du 13 avril 2011 le tribunal de commerce de Romans sur Isère a condamné la société AMS Papeteries à payer à la société Val Conseil la somme de 10 222,78 euros au titre de l'arriéré de commissions pour la période de décembre 2008 à février 2009, a dit que la rupture du contrat était imputable à la société AMS Papeteries, a condamné cette dernière au paiement d'une indemnité de fin de contrat de 18 000 euros et a rejeté la demande reconventionnelle en paiement des sommes de 84 867 euros au titre de prétendues erreurs de facturation et de 51 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale du contrat d'agent commercial.
La SARL AMS Papeteries, la SARL AJE et M. Fabien Dahan ont relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 10 juin 2011.
La transmission universelle du patrimoine de la société AMS Papeteries à son associé unique, la société AJE, a été décidée le 25 octobre 2011 en application de l'article 1844-5 du Code civil, ce qui a conduit le 18 janvier 2012 à la radiation de la société dissoute.
Par jugement du 3 septembre 2012 le tribunal de commerce de Romans-sur-Isère a ouvert le redressement judiciaire de la société AJE et a désigné Me Madonna en qualité de mandataire judiciaire.
Par jugement du 14 novembre 2012 le tribunal a désigné la Selarl AJ Partenaires avec pour seule mission de préparer la cession de l'entreprise.
La société Val Conseil a déclaré sa créance le 15 novembre 2012.
Par jugement du 23 octobre 2013 le tribunal a arrêté le plan de continuation de la société AJE et a désigné Me Madonna en qualité de commissaire à l'exécution du plan.
Les organes de la procédure collective ont été appelés en cause et la jonction des procédures a été ordonnée le 22 mai 2014.
Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 19 septembre 2013 par la SARL AJE, M. Fabien Dahan et par Me Madonna es qualité de mandataire judiciaire de la société AJE, qui s'opposent, par voie d'infirmation du jugement, à l'ensemble des demandes formées par la société Val Conseil, qui reconventionnellement sollicitent la condamnation de la société appelante à payer à la société AJE les sommes de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat, de 10 500 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture du contrat sans préavis, de 51 000 euros en restitution d'un trop-perçu de commissions et de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile aux motifs :
que contrairement aux clauses du contrat du 4 février 2005, qui prévoit expressément que la rémunération de l'agent commercial est calculée à partir de la marge nette, la société Val Conseil a facturé sa rémunération en fonction de la marge brute,
que l'avenant du 6 mars 2005, qui avait pour seul objet de compléter le contrat du 4 février 2005 en ce qu'il avait omis d'indiquer qu'il s'agissait d'un contrat d'agent commercial, n'a pas modifié les conditions de la rémunération de l'agent, ce que confirment les anciens dirigeants de la société AMS Papeteries,
que la rupture du contrat est par conséquent imputable à la faute grave de l'agent qui a modifié unilatéralement le mode de calcul de sa rémunération au point de porter atteinte à la rentabilité même de son activité,
que le trop-perçu de commissions peut être estimé à la somme de 51 000 euros,
que la société Val Conseil lui doit un préavis contractuel de trois mois, ainsi que des dommages et intérêts en raison de la nécessité dans laquelle elle s'est trouvée de réorganiser son circuit de vente,
qu'en toute hypothèse la société Val Conseil ne justifie pas de son préjudice alors que le contrat n'a duré que quatre ans, qu'il n'a pas été prévu de clause de non-concurrence et qu'elle ne consacrait qu'une faible partie de son activité à l'exécution du mandat.
Vu les dernières conclusions signifiées et déposées le 14 avril 2014 par la SARL Val Conseil qui sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société AMS Papeteries au paiement de la somme de 10 222,78 euros au titre de l'arriéré de commissions, déclaré la rupture du contrat imputable à la société AMS Papeteries et débouté cette dernière de ses demandes reconventionnelles, qui par voie d'appel incident demande la fixation de sa créance au passif de la société AJE pour les sommes de 10 222,78 euros avec intérêts au taux légal à compter du 24 mars 2009, de 84 867,36 euros au titre de l'indemnité de fin de contrat, et de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et qui sollicite enfin la condamnation de M. Fabien Dahan à lui payer une indemnité de 5 000 euros pour frais irrépétibles aux motifs :
que l'avenant au contrat du 6 mars 2005 prévoit clairement sans nécessité d'interprétation que la commission se calcule sur les différence entre le prix d'achat et le prix de vente, ce qui rend inutile toute discussion sur les notions de marge brute ou de marge nette,
que pendant quatre ans la commission a toujours été calculée sans contestation sur la différence entre le prix d'achat par la société AMS Papeteries et le prix de vente au client, étant précisé que pendant huit mois après le changement d'actionnaires la commission a été calculée sans opposition selon les mêmes modalités,
que c'est au demeurant la société mandante qui a toujours fourni les bases de calcul des commissions, ce qui lui interdit de contester aujourd'hui son propre calcul,
que ce mode de rémunération n'est nullement excessif, alors qu'un taux de 40 % sur la différence entre le prix d'achat et le prix de vente équivaut à 10 % du chiffre d'affaires,
qu'en remettant en cause les modalités de calcul des commissions à compter du mois de décembre 2008 la société AMS Papeteries a modifié unilatéralement les engagements contractuels, ce qui justifiait la résiliation du contrat dont elle a pris l'initiative.
Vu l'assignation à comparaître devant la cour signifiée le 18 décembre 2012 à la personne de la Selarl AJ Partenaires, ès qualités, qui n'a pas constitué avocat.
Vu l'assignation à comparaître devant la cour signifiée le 18 avril 2014 à une personne présente au domicile professionnel de Me Madonna, ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de la société AJE, qui n'a pas constitué avocat en cette qualité.
Motifs de l'arrêt
Par avenant du 6 mars 2005 au contrat d'agent commercial conclu le 4 février 2005 entre les sociétés AJE et Val Conseil les parties ont modifié la clause déterminant le mode de calcul de la rémunération de l'agent, initialement fixé à " 40 % de la marge nette ".
Les nouvelles modalités de cette rémunération ont été fixées en ces termes, toutes les autres clauses du contrat demeurant inchangées :
" Val Conseil perçoit sur toutes les ventes directes et indirectes réalisées dans son secteur sur son portefeuille clients une commission calculée sur la marge entre prix de vente au client et le prix d'achat.
Le taux de la commission est fixé à 40 % de la marge.
Les commissions sont payables mensuellement par chèque adressé par AJE en même temps que le bordereau récapitulatif des affaires commissionnables. Les factures de Val Conseil seront établies par retour, selon ces bordereaux récapitulatifs. Les affaires commissionnables sont considérées comme les affaires facturées aux clients par AJE ".
Par cet avenant ayant force obligatoire entre les parties, le mode de rémunération de l'agent commercial a été modifié par une clause dépourvue de toute ambiguïté ne nécessitant aucune interprétation.
C'est ainsi qu'à la marge nette, constituant initialement l'assiette du taux de commission de 40 %, a été substituée la marge entre le prix de vente au client et le prix d'achat.
Il est donc faux de prétendre que l'avenant, qui aurait eu pour seul objet de préciser la nature du contrat, n'a pas modifié les conditions de la rémunération de l'agent.
La marge nette qui constitue un ratio financier permettant de déterminer la rentabilité d'une entreprise une fois payées toutes ses charges, se distingue en effet de la marge entre le prix de vente et le prix d'achat, qui correspond plus à la notion de marge brute, laquelle représente la différence entre le prix de vente (chiffre d'affaires) et le coût de fabrication des produits hors charges variables.
Dès lors que la réalité et l'authenticité de l'avenant signé le 6 mars 2005 ne sont pas contestées, c'est à tort que la société AJE a écrit le 4 février 2009 que le taux de commission contractuel était de 40 % de la marge nette et qu'elle était néanmoins disposée à renégocier les termes du contrat " dans l'intérêt bien compris de chacune de nos sociétés ".
Quant aux attestations non conformes aux dispositions de l'article 202 du Code de procédure civile, aux termes desquelles les anciens actionnaires de la société AJE (les époux Faure) affirment, en contradiction totale avec l'avenant qu'ils ont eux-mêmes régularisé, que la commission d'agent commercial a toujours été fixée au taux de 40 % de la marge nette, elles sont dépourvues de toute valeur probante.
Outre le fait que ces témoins avaient intérêt à dégager leur responsabilité à l'égard du cessionnaire de l'entreprise, il résulte en effet des pièces du dossier(bordereaux mensuels des affaires commissionnables établis par la société AJE, factures conformes établies par la société Val Conseil et bordereaux de remise des chèques de règlement des commissions) que durant les quatre années postérieures à l'avenant du 6 mars 2005, au cours desquelles le contrat a été exécuté sans contestation de part et d'autre, c'est à partir des informations fournies par la société mandante elle-même que d'un commun accord les commissions ont été facturées et payées sur la base de la différence entre le prix de vente et le prix d'achat, étant observé que cette méthode de calcul, qui n'a été remise en cause qu'à compter du mois de décembre 2008, a été également appliquée par le nouveau propriétaire de la société AJE pendant une période de huit mois.
C'est enfin faussement que la société AJE affirme qu'une rémunération calculée au taux de 40 % sur la différence entre le prix de vente et le prix d'achat des marchandises porterait atteinte à la rentabilité de son activité, alors qu'il résulte des bordereaux mensuels des affaires commissionnables que la rémunération de la société Val Conseil représentait environ 10 % du chiffre d'affaires, ce qui est conforme aux usages professionnels dans cette branche d'activité, ainsi qu'il en est justifié.
La rupture du contrat d'agent commercial, dont la société Val Conseil a pris l'initiative le 27 février 2009 du fait de la remise en cause unilatérale du mode de calcul de sa rémunération, était donc justifiée par des circonstances imputables au mandant au sens de l'article L.134-13 2° du Code de commerce, ainsi qu'en a justement décidé le tribunal.
La société AJE est par conséquent redevable de l'indemnité compensatrice de fin de contrat prévue à l'article L.134-12 du Code de commerce.
Déclarée responsable de la rupture du contrat, elle a par ailleurs justement été déboutée de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles en dommages et intérêts pour rupture abusive et brutale du contrat et en restitution d'un prétendu trop-perçu de commissions, étant observé sur ce dernier point que les commissions ont été facturées sur la base des éléments qu'elle a elle-même fournis à l'agent commercial et qu'à aucun moment avant la résiliation du contrat elle n'a formé une quelconque réclamation à ce titre.
Eu égard à la durée de la relation contractuelle (quatre années) et au fait que la représentation commerciale de la société AJE constituait une part importante du chiffre d'affaires total de la société Val Conseil (53 % sur l'année 2008 selon l'attestation de son expert-comptable), le préjudice subi doit être fixé à une année de commissions sur la base de la rémunération moyenne perçue par l'agent au cours des trois années ayant précédé la rupture, soit 3 000 EUR par mois ainsi qu'il résulte de l'ensemble des bordereaux mensuels des affaires commissionnables, des factures conformes et des bordereaux de remise des chèques de règlement.
Par voie de réformation du jugement sur ce point, la créance de la société Val Conseil, à inscrire au passif de la société AJE, à laquelle le patrimoine de la société AMS Papeteries a été transmis à titre universel, sera par conséquent fixée à la somme de 36 000 EUR (3 000 X 12).
Il résulte par ailleurs du bordereau des affaires commissionnables établi par la société AJE au titre du mois de décembre 2008 que les commissions revenant à l'agent commercial se sont élevées pour cette période à la somme de 3 127,40 euros, sur laquelle un acompte de 1 343,85 euros a été réglé, d'où un solde restant dû de 1 783,55 euros.
Au titre des deux mois suivants ayant immédiatement précédé la résiliation du contrat la société Val Conseil verse au dossier l'ensemble des bons de commande et des factures attestant des ventes directes et indirectes intervenues sur son secteur. Elle réclame donc à bon droit un arriéré de commissions de 4 492,42 euros au titre du mois de janvier 2009 et de 3 946,80 euros au titre du mois de février 2009.
C'est donc une somme totale de 10 222,78 euros qui est due à la société Val Conseil au titre des commissions impayées, ce qui conduit à la confirmation du jugement sur ce point, sauf à substituer à la condamnation prononcée la fixation de cette créance au passif de la société AJE avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 24 mars 2009.
L'équité commande enfin de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de l'intimée. La condamnation prononcée de ce chef sera toutefois mise à la charge exclusive de la société AJE, alors que Monsieur Dahan, intervenant volontaire au soutien de la société qu'il dirige, n'est pas personnellement redevable des sommes dues à l'agent commercial.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant par arrêt réputé contradictoire par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a dit et jugé que la résiliation du contrat d'agent commercial conclu entre les parties est imputable à la SARL AJE venant aux droits et obligations de la société AMS Papeteries, et débouté cette dernière de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles, Réforme le jugement déféré pour le surplus et statuant à nouveau en y ajoutant : Fixe la créance de la SARL Val Conseil à inscrire au passif de la SARL AJE aux sommes de 36 000 EUR à titre d'indemnité de fin de contrat et de 10 222,78 euros avec intérêts au taux légal pour cette dernière somme à compter du 24 mars 2009 au titre de l'arriéré de commissions, Condamne la SARL AJE à payer à la SARL Val Conseil une indemnité de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SARL AJE aux entiers dépens dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP d'avocats Grimaud.