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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 5 mars 2015, n° 13-02822

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Velati Srl (Sté)

Défendeur :

Etablissements Poulard (SARL), Bermond (ès qual.), Selarl Bauland Gladel & Martinez (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

MM. Birolleau, Douvreleur

Avocats :

Mes Flauraud, Briatta, Belfayol-Broquet, Andreo

T. com. Lyon, du 11 oct. 2012

11 octobre 2012

Faits et procédure

Par contrat du 5 avril 2002, avec effet rétroactif au 1er janvier 2002, la société de droit italien Velati, qui fabrique et commercialise des machines industrielles destinées au travail de la viande, et la société Établissements Poulard (Poulard), ayant pour activité le négoce de matériels industriels dans le domaine agroalimentaire, ont conclu un contrat dit " d'agence pour l'étranger ", à durée indéterminée, octroyant à la société Poulard l'exclusivité sur le territoire français pour la vente des machines-outils et des installations de production fabriquées par Velati.

Ce contrat prévoyait un commissionnement de 25 % sur les ventes au profit de l'agent.

Fin d'année 2009, la société Velati, constatant une baisse d'activité, s'est rendue dans les locaux de la société Poulard afin d'obtenir des explications sur l'évolution de leur partenariat.

La société Velati, souhaitant modifier son mode de distribution en France, va dans un premier temps informer l'ensemble de ses clients par lettre en date du 23 novembre 2009 et dans un second temps, mettre fin au contrat d'agent commercial la liant à la société Poulard, son mandataire, le 4 décembre 2009.

Considérant cette décision comme une rupture brutale de leurs relations commerciales, la société Poulard a demandé à Velati à être indemnisée.

La société Poulard a été placée en redressement judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Vienne du 22 décembre 2009, procédure convertie en liquidation judiciaire le 23 février 2010, Maître Bermond étant désigné en qualité de liquidateur judiciaire.

Par acte du 22 décembre 2009, la société Poulard a fait assigner la société Velati devant le Tribunal de commerce de Lyon pour rupture abusive des relations commerciales.

Par jugement rendu le 11 octobre 2012, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Lyon a :

- dit que les relations entre la société Velati et la société Poulard sont établies ;

- dit que la société Velati a rompu brutalement ses relations commerciales avec son agent, la société Poulard ;

- dit que la société Velati a commis une faute au sens de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce ;

- dit que l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce trouve application en l'espèce ;

En conséquence,

- condamné la société Velati à payer à la société Poulard, représentée par Maître Bermond, en qualité de liquidateur judiciaire, la somme de 386 000 euro HT à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies, outre intérêts au taux légal a compter de la date de la signification de la présente décision ;

- débouté la société ETS Poulard de sa demande de dommages et intérêts complémentaires ;

- ordonné la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du Code civil ;

- condamné la société Velati à payer à la société Poulard représentée par Maître Bermond, en qualité de mandataire liquidateur, la somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Velati a interjeté appel le 12 février 2014 contre cette décision.

Par ses dernières conclusions signifiées le 10 décembre 2014, elle demande à la cour de :

A titre principal

- dire et juger que la rupture du contrat d'agent par la société Velati n'entre pas dans le champ d'application de l'article L. 442-6 I 5e du Code de commerce ;

Subsidiairement

- dire et juger que la société Velati n'a commis aucun abus dans l'exercice de sa faculté de résiliation du contrat en raison des manquements graves commis par la société Poulard ;

- dire et juger également que le montant du préjudice allégué par Me Bermond Mandataire Judiciaire de la société Poulard demeure pour le moins contestable ;

En conséquence

- réformer intégralement le jugement du Tribunal de commerce de Lyon du 11 octobre 2012 ;

- condamner Maître Bermond Mandataire Judiciaire de la société Poulard à verser à la société Velati la somme de 10 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir que le tribunal a opéré une confusion entre deux contrats : le contrat d'agent commercial et le contrat de vente des pièces détachées, ce dernier étant accessoire par rapport au contrat de mandat ainsi que le démontre la part des ventes de pièces détachées très inférieure à celle générée par la vente des machines, que l'action introduite par Poulard est une action fondée sur l'article L. 442-6 I 5e du Code de commerce visant à faire sanctionner la rupture du contrat principal d'agence commerciale, que l'intimée ne peut soutenir que Poulard est intervenue en qualité de distributeur et non d'agent commercial, de sorte que la demande de Poulard n'entre pas dans le champ de l'article L. 442-6 I 5e.

Subsidiairement, elle soutient que le mandant conservait la possibilité de rompre sans préavis le contrat d'agent pour inexécution fautive par l'agent de ses obligations, inexécution fautive caractérisée en l'espèce par un désintérêt de Poulard de son activité de prospection sur les machines-outils, une dégradation de la qualité d'exécution de sa mission et d'importants retards de paiement sur les factures de pièces détachées.

Elle soutient enfin que les éléments d'appréciation pris en compte pour le chiffrage du préjudice allégué par Maître Bermond demeurent contestables dans la mesure où il s'agit de réparer le préjudice qui découle du caractère brutal de la rupture, en prenant en considération la seule marge brute de la société Poulard et que la liquidation judiciaire ne saurait être imputée à la seule rupture de ses relations contractuelles avec la société Velati.

La société Poulard et Maître Bermond ès qualités, par leurs dernières conclusions signifiées le 15 décembre 2014, demandent à la cour de :

- dire et juger infondé l'appel interjeté par la société Velati à l'encontre du jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lyon le 11 octobre 2012 ;

En conséquence,

- débouter la société Velati de l'intégralité de ses conclusions ;

- constater que la société Poulard, qui intervenait essentiellement en qualité de distributeur de la société Velati et en tant que fournisseur de prestations de service liées aux machines fournies par cette société, a bien été victime d'une rupture brutale de la relation commerciale établie qui liait les parties, laquelle dépassait largement du cadre du contrat, qui était pour sa part limité à la vente d'un type de produits définis ;

- dire que l'article L. 442-6 du Code de commerce est applicable au présent litige ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Velati à payer à la société

Poulard, représentée par Maître Bermond, ès qualités, la somme de 386 813 euro hors taxes, en compensation du préjudice résultant de la rupture abusive de la relation commerciale établie, outre intérêts au taux légal à compter du 7 décembre 2009, date de la mise en demeure ;

- recevoir la société Poulard et Maître Bermond ès qualité en leur appel incident ;

Et, statuant à nouveau,

- condamner la société Velati à payer à la société Poulard, représentée par Maître Bermond ès qualités la somme de 50 000 euro, à titre de dommages-intérêts complémentaires, en compensation du préjudice résultant des conditions particulièrement vexatoires dans lesquelles la rupture est intervenue, faisant perdre toute crédibilité commerciale à la société Poulard, la clientèle ayant été informée de la rupture avant même cette société, outre intérêts au taux légal à compter du 7 décembre 2009, date de la mise en demeure ;

- condamner la société Velati à payer à la société Poulard, représentée par Maître Bermond, ès qualités, la somme de 15 000 euro, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Ils exposent que la société Velati a rompu brutalement une relation commerciale établie, au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce, sans permettre à la société Poulard de bénéficier du moindre préavis, qu'un délai d'un an était tout à fait justifié au regard de l'ancienneté des relations, de plus de 7 sept ans, et de la dépendance de la société à l'égard de la société Velati, Poulard réalisant la quasi-totalité de son chiffre d'affaires avec cette dernière.

Ils font valoir que l'argument développé pour la première fois en cause d'appel par la société Velati, qui soutient que l'article L. 442-6 du Code de commerce ne pourrait trouver à s'appliquer, ne pourra qu'être rejeté, dans la mesure où la société Poulard est essentiellement intervenue en tant que distributeur et non en tant qu'agent commercial.

Ils demandent enfin la condamnation de la société Velati à indemniser la société Poulard de l'entier préjudice subi résultant de la privation d'un délai de préavis suffisant et résultant des conditions vexatoires dans lesquelles la société Poulard a été informée de la rupture.

La Selarl Bauland Gladel & Martinez ès qualités d'ancien administrateur de redressement judiciaire de la société Poulard n'a pas constitué avocat.

MOTIFS

Considérant que l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce dispose qu' "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, (...) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure" ;

Considérant que l'article L. 134-11 du même Code dispose, en son alinéa 2, que " lorsque le contrat d'agence est à durée indéterminée, chacune des parties peut y mettre fin moyennant un préavis " et, en son alinéa 3, que " la durée de préavis est d'un mois pour la première année du contrat, de deux mois pour la deuxième année, de trois mois pour la troisième année commencée et les années suivantes " ;

Considérant que l'article 1er du contrat du 1er janvier 2002 stipule que " la délégatrice confère à l'agent, qui accepte, la tâche de promouvoir pour son propre compte la conclusion de contrats de vente des machines-outils et des installations de production de sa fabrication " ; que cette mission correspond à celle de l'agent commercial ; que toutefois Poulard n'intervenait pas seulement en qualité d'agent commercial de Velati, mais aussi en celle de distributeur, ainsi que cela ressort :

- de l'article 4.2 de ce contrat qui prévoit que " sur la vente des pièces détachées aux clients qui jusqu'à présent ont fait l'objet de commandes directes, il ne vous sera reconnu aucun pourcentage.

Au fur et à mesure où ces clients passeront par votre bureau, la Velati sera déchue de ce droit. " ;

- du grief fait par Velati à Poulard de rester redevable d'un solde de factures impayées de ventes de pièces détachées ;

- de la décision de Velati, selon courrier du 10 novembre 2009, de reprendre la distribution des pièces détachées : " A compter de novembre, nous procéderons à la livraison des pièces détachées ainsi qu'à la facturation correspondante aux clients " (pièce n° 2 communiquée par Velati) ;

Que la relation contractuelle justifie en conséquence l'application, non de l'article L. 134-11 du Code de commerce, qui concerne les contrats portant sur la seule qualité d'agent commercial, mais de l'article L. 442-6-I, 5° du même Code ;

Considérant que, par courrier en date du 4 décembre 2009, la société Velati a notifié à la société Poulard la rupture du contrat qui la liait à cette dernière, avec effet immédiat ; que cette lettre ne fait mention d'aucun reproche à Poulard ; que Velati ne fait état d'aucune lettre d'avertissement antérieure à la notification de la rupture ; qu'en toute hypothèse, ne saurait être constitutive d'une faute grave justifiant la rupture immédiate du contrat la baisse du chiffre d'affaires réalisé par l'agent, baisse au demeurant non établie au vu de l'attestation en date du 10 décembre 2009 de Monsieur Alban de la Croix-Vaubois, expert-comptable de Poulard, qui atteste de la régularité du chiffre d'affaires réalisé par Poulard : 789 591 euro au 31 décembre 2005, 700 520 euro au 31 décembre 2006, 1 031 841 euro au 31 décembre 2007, 763 507 euro au 31 décembre 2008 (pièce n° 9 communiquée par Poulard) ; que les retards de règlement, dont Velati n'établit, ni même ne soutient qu'ils aient donné lieu à mise en demeure de paiement, ne peuvent présenter une gravité suffisante pour justifier une résiliation unilatérale immédiate du contrat ; qu'aucun des reproches invoqués n'est dès lors de nature à priver Poulard du préavis de l'article L. 442-6-I, 5° ;

Considérant qu'un préavis d'une durée de 12 mois doit être regardé comme adapté au regard de l'ancienneté de la relation commerciale de 7 ans ;

Considérant qu'en cas d'insuffisance de préavis, le préjudice en résultant est évalué en considération de la marge brute correspondant à la durée du préavis jugé nécessaire ; que, Poulard justifiant, par la production d'une attestation de son expert-comptable (pièce n° 9 communiquée par Poulard), d'une marge brute annuelle moyenne de 386 813 euro HT, c'est à raison que les premiers juges ont condamné Velati au paiement de la somme de 386 000 euro HT à titre de dommages et intérêts ;

Que le jugement sera confirmé sur ce point ;

Considérant que Poulard réclame par ailleurs réparation du préjudice que lui auraient occasionné les conditions vexatoires de la rupture, intervenue avant même que la résiliation ne lui ait été notifiée et ayant entraîné une perte de crédibilité auprès de ses clients ; que toutefois, il ressort de la pièce n° 5 communiquée par Poulard que Velati a informé ses clients le 23 novembre 2009 - soit après que Poulard ait été elle-même informée de la rupture le 10 novembre 2009 (pièce n° 2 communiquée par Velati) - de ce qu'elle reprenait directement la gestion des commandes de pièces détachées ; que les termes de ce courrier ne révèlent aucun propos vexatoire à l'endroit de Poulard ; qu'au surplus, cette dernière ne rapporte pas la preuve d'un préjudice distinct de celui indemnisé au titre du défaut de préavis ; que la décision déférée sera également confirmée en ce qu'elle a débouté Poulard de sa demande de ce chef ;

Considérant qu'il convient de confirmer le jugement sur les condamnations accessoires ; que l'équité commande de condamner la société Velati à payer à Maître Bermond ès qualités la somme de 2 000 euro au titre des frais hors dépens exposés en cause d'appel ;

Par ces motifs LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris, Condamne la société Velati à payer à Maître Bermond ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Établissements Poulard la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, Condamne la société Velati aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.