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Décisions

CA Aix-en-Provence, 17e ch., 10 mars 2015, n° 14-08396

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Lefez

Défendeur :

Accleaner (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bourgeois

Conseillers :

Mme Verhaeghe, M. Truc

Avocats :

Mes Medina, Avenas

Cons. prud'h. Nice, du 5 mars 2014

5 mars 2014

PROCÉDURE

Par déclaration faite le 25 avril 2014 au secrétariat-greffe de la cour, M. Lefez a relevé appel du jugement prononcé le 5 mars 2014 par le juge départiteur du Conseil de prud'hommes de Nice, à lui notifié le 17 avril 2014, rejetant ses demandes formées à l'encontre de la société Accleaner.

M. Lefez demande à la cour de requalifier en un contrat de travail le contrat de franchise l'ayant lié à la société Accleaner aux fins d'obtenir le paiement des sommes suivantes :

69 000 euro en rappel de salaire, sans préjudice des congés payés afférents,

133 200 euro pour rupture abusive,

15 000 euro pour harcèlement moral,

33 488 euro en remboursement des frais induits par l'obtention de la franchise.

Son conseil conclut à la nullité d'une clause de non-concurrence.

La société Accleaner conclut à la confirmation de ce jugement ; son conseil réclame 15 000 euro pour procédure abusive, ainsi que 4 000 euro pour ses frais irrépétibles.

LA COUR renvoie pour plus ample exposé aux écritures reprises et soutenues par les conseils des parties à l'audience d'appel tenue le 12 janvier 2015.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Contrairement à ce que soutient le conseil de M. Lefez, les premiers juges étaient fondés à relever, comme il l'admet, que le contrat de franchise par lui signé le 2 avril 2010 fut exécuté pendant 17 mois sans difficultés pour en déduire que les conditions propres à caractériser un contrat de travail n'étaient réunies lors de la conclusion de ce contrat de franchise.

Cette constatation ne fait cependant pas obstacle à rechercher, comme la cour y est invitée, si durant la poursuite des relations contractuelles l'intrusion du franchiseur dans la vie du contrat a pu dégénérer au point d'enserrer le franchisé dans un lien de subordination propre à caractériser un contrat de travail.

Inventeurs d'une méthode originale de nettoyage et de désinfection des systèmes de refroidissement, les fondateurs de la société Accleaner livrent au franchisé un appareil dont l'utilisation par ce franchisé nécessite une formation initiale de 10 jours et un savoir-faire technique explicité dans un manuel dit "bible du franchisé".

Le système de commercialisation instauré par ces inventeurs est basé sur un réseau de franchisés chargés de prospecter à l'échelle du département.

Cette sectorisation est mentionnée dans le contrat de franchise signé le 2 avril 2010 par M. Lefez dont l'article 9.1 stipulait :

" Pendant toute les durée du présent contrat, le Franchisé s'interdit : de prospecter en dehors du territoire contractuel ".

Existent parallèlement des franchisés dénommés " masters " dont le secteur d'intervention géographique est à l'échelle de la région, lesquels ont vocation à gérer les grands comptes.

L'expérience de ces masters étant jugée plus importante que l'expérience du franchisé débutant, cette organisation doit permettre une optimisation de la pénétration du marché tout en assurant la pérennité des acquis.

Cette architecture fait qu'un franchisé " master région PACA " a pu se réserver la gestion de " grands comptes " de clients installés en région PACA et empiéter de ce fait sur le "territoire contractuel" de M. Lefez limité au département des Alpes-Maritimes.

S'ensuivirent des observations sévères du franchiseur à l'endroit du franchisé Lefez sur le respect des zones d'intervention de chacun.

Pour autant, comme l'énoncent les premiers juges, le grand contrôle du franchiseur sur ses franchisés n'a pour autre finalité que de permettre une offensive commerciale interactive synchronisée par un " master ".

Le franchisé Lefez, dans son périmètre de prospection, avait toute latitude pour organiser son temps de travail comme il l'entendait et pour exploiter sa franchise personnellement ou sous la forme d'une société commerciale.

Il est inopérant de souligner que ce franchisé était tenu par une clause d'exclusivité d'approvisionnement et qu'il devait se plier aux contrôles de qualité prévus au contrat, l'insertion de ces stipulations dans un contrat de franchise étant banales.

Le conseil du franchisé fait en particulier cas d'un courriel daté du 24 novembre 2011 par lequel le franchiseur lui reprochait vertement son démarchage auprès d'un client " grand compte " - l'hôtel Le Majestic - dont l'exploitation était réservée à un master, lui rappelant en outre qu'il devait faire parvenir son tableau de prospection.

En démarchant un client réservé à un franchisé master, M. Lefez savait contrevenir à la lettre du manuel opérationnel qui contient un organigramme du réseau faisant apparaître très clairement que les "masters concession" coiffent les " franchisés techniciens ".

Reste qu'un "master" ne donne pas d'ordre à un franchisé technicien, tous deux étant des salariés travaillant de conserve, de telle sorte que le lien de subordination que le conseil de M. Lefez tente d'accréditer est rompu à sa base sans pouvoir jamais remonter jusqu'au sommet.

S'agissant de rendre compte des prospections auprès du franchiseur, cette demande du codirecteur Claude Baillon excède les obligations faites au franchisé, le contrat de franchise étant sur ce point muet, mais elle ne peut à elle seule caractériser l'existence d'un lien de subordination, ce d'autant que ce courriel précise : " Quand on vous demande de nous faire parvenir vos fichiers de prospection ce n'est pas pour vous contraindre à quoi que ce soit mais juste pour nous assurer un développement conforme à nos perspectives... ", cette formulation étant exclusive d'un ordre pouvant être suivi d'une sanction en cas de non-respect.

Plus généralement, l'obligation faite au franchisé de travailler en équipe avec le réseau des autres franchisés techniciens et les franchisés " masters " ne relevait pas de l'exécution d'un contrat de travail mais, comme le stipulait l'article 8.2 de la convention ayant lié les parties, s'inscrivait dans le cadre d'un contrat conclu " entre commerçants indépendants, gardant l'entière responsabilité de leurs activités commerciales et autres ".

En effet, la synergie voulue par les inventeurs du procédé commercialisé sous la marque Accleaner suppose une interaction de chaque partenaire pour éviter de doublonner dans la recherche des prospects, tout en assurant à chacun le soutien de tous comme l'écrivait M. Baillon dans son courriel daté du 24 novembre 2011, la cour cite : " Le réseau et les Masters sont vos alliés et non vos concurrents, sachez vous en servir ".

Si M. Lefez, pour des raisons qui lui appartiennent, n'a plus souhaité être un acteur au sein de cette organisation contraignante, bien que libérale, il doit assumer les conséquences de son choix.

Il appartiendra, éventuellement, à une juridiction distincte d'un conseil de prud'hommes d'apprécier si le franchiseur a ou n'a pas outrepassé ses pouvoirs dans le cadre de l'exécution du contrat de franchise ayant lié les parties.

Pour ces motifs, et ceux non contraires des premiers juges, la cour confirmera le jugement déféré à sa censure.

Sur les fins de l'appel incident, M. Lefez n'a pas outrepassé la mesure du droit supranational d'un plaideur à être entendu en sa cause par un tribunal, en conséquence de quoi sa présente action en justice ne sera pas jugée abusive.

Cet appelant supportera les entiers dépens.

Par ces motifs LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l'article 450 du Code de procédure civile, Confirme le jugement, Rejette l'appel incident, Condamne l'appelant aux entiers dépens, Vu l'article 700 du Code de procédure civile, condamne M. Lefez à verser 1 800 euro à la société Accleaner.