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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 19 mars 2015, n° 13-14480

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Knauf Plâtres et Cie (SCS)

Défendeur :

Transports Lamory (SAS), Henneau (ès qual.), Grave (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

MM. Birolleau, Douvreleur

Avocats :

Mes Baechlin, Pivet, Fromantin, Pierlot

T. com. Meaux, du 14 mai 2013

14 mai 2013

Faits et Procédure

La société Knauf Plâtres et Cie (ci-après la société Knauf) est une entreprise spécialisée dans la fabrication de plaques de plâtre. Elle possède plusieurs sites de production et d'exploitation entre lesquels elle fait réaliser de nombreux transports quotidiens et recourt à cette fin à des transporteurs dont, depuis décembre 2006, la société Transports Lamory.

En juin 2011, la société Knauf a cessé toute commande à la société Transports Lamory, au motif que celle-ci aurait augmenté unilatéralement et brutalement ses tarifs. La société Transports Lamory l'a alors assignée devant le Tribunal de commerce de Meaux, sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce.

La société Transports Lamory a été placée en redressement judiciaire le 10 décembre 2010.

Par jugement rendu le 14 mai 2013, le Tribunal de commerce de Meaux a :

- reçu la société Transports Lamory, la SCP Berkowicz-Henneau, ès-qualités d'administrateur judiciaire de la société Transports Lamory et la Selarl Grave-Wallin-Randoux, ès-qualités de mandataire judiciaire de la société Transports Lamory en sa demande, au fond la dit partiellement bien fondée ;

- condamné la société Knauf Plâtres et Cie à payer à la société Transports Lamory la somme de 65 324 euro à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice causé par la rupture brutale des relations commerciales établies entre les deux intéressées ;

- condamné la société Knauf Plâtres et Cie à payer à la société Transports Lamory la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu l'appel interjeté le 16 juillet 2013 par la société Knauf Plâtres et Cie contre cette décision.

Vu les dernières conclusions signifiées par la société Knauf Plâtres et Cie le 5 février 2014, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- réformer le jugement du Tribunal de commerce de Meaux du 14 mai 2013 en toutes ses dispositions ;

- débouter la société Transports Lamory de toutes demandes plus amples ou contraires,

- condamner la société Transports Lamory à verser à la société Knauf Plâtres et Cie la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Knauf Plâtres soutient que la société Transports Lamory a brusquement et unilatéralement augmenté ses tarifs en avril 2011, sans préavis et sans négociation préalable. Elle considère que la société Transports Lamory a eu ainsi un comportement fautif qui est à l'origine de la rupture.

En ce qui concerne le préjudice allégué par la société Transports Lamory, la société Knauf Plâtres fait valoir qu'il n'est pas justifié. Elle critique, en particulier, le taux de marge brute appliqué par le tribunal, lequel s'est fondé sur une attestation de l'expert-comptable de la société Transports Lamory, dont elle critique la pertinence.

Vu les dernières conclusions signifiées par la société Transports Lamory, la SCP Henneau en qualité d'administrateur judiciaire et la Selarl Grave-Randoux, ès-qualités de mandataire judiciaire, le 5 décembre 2013, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- dire et juger la société Knauf Plâtres et Cie mal fondée en son appel.

En conséquence,

l'en débouter,

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Meaux en date du 14 mai 2013, en ce qu'il a condamné la société Knauf Plâtres et Cie à payer à la société Transports Lamory, la société Henneau, et la société Grave Randoux, des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par celles-ci du fait de la rupture brutale, par la société Knauf Plâtres et Cie de leurs relations commerciales établies ;

- infirmer ladite décision quant au quantum, et fixer le montant de dommages intérêts dus à ce titre à la somme de 100 000 euro ;

En conséquence,

- condamner la société Knauf Plâtres et Cie à payer à la société Transports Lamory, la société

Henneau et la société Grave Randoux, la somme de 100 000 euro à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice causé par la rupture brutale des relations commerciales établies entre les deux intéressées ;

- débouter la société Knauf Plâtres et Cie de toutes ses demandes ;

- condamner par ailleurs la société Knauf Plâtres et Cie à payer à la société Transports Lamory, la société Henneau, et la société Grave Randoux, la somme de 5 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Transports Lamory rappelle qu'elle entretenait une relation commerciale établie depuis 2006 avec la société Knauf pour laquelle elle effectuait des transports réguliers de plâtre, à raison de deux transports par jour entre l'Est de la France et la région parisienne. Elle soutient que la société Knauf a subitement, le 20 juin 2011, annulé une commande de transport, alors que celle-ci était déjà en cours de chargement, et que depuis cette date elle ne lui a plus confié de transport. Elle considère que sa responsabilité civile est dès lors engagée par application des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce.

Elle conteste avoir eu un comportement fautif en cherchant à augmenter ses prix, comme le prétend la société Knauf. Elle rappelle que ses tarifs n'ayant pas été modifiés depuis 2008, elle a, le 16 mars 2011, communiqué à son client ses nouveaux tarifs, lesquels devaient permettre, comme le prévoit la loi d'orientation des transports intérieurs, une juste et raisonnable rémunération du transporteur et couvrir les coûts réels du service rendu dans des conditions normales d'organisation et de productivité. Elle souligne que la société Knauf n'a pas expliqué son refus d'augmentation des tarifs, ni formulé de propositions, comme elle aurait dû le faire dans le cadre d'une négociation.

En ce qui concerne son préjudice, elle considère qu'elle aurait dû bénéficier d'un préavis de six mois ;

Compte tenu du chiffre d'affaires moyen des trois derniers exercices et du taux de sa marge brute, elle évalue son préjudice à la somme de 87 239 euro. Elle soutient qu'elle a, en outre, subi un préjudice résultant des conséquences de la rupture brutale sur la gestion de son personnel, et elle réclame à ces différents titres une somme totale de 100 000 euro.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la rupture

Considérant que la société Knauf ne conteste pas avoir cessé, en juin 2001, de passer des commandes de transport à la société Transports Lamory et avoir ainsi mis fin, sans préavis écrit, à la relation commerciale qui était établie avec celle-ci depuis décembre 2006 ; qu'elle considère, cependant, que sa responsabilité civile ne saurait être engagée car la cessation de cette relation a, selon elle, pour origine le comportement fautif de la société Transports Lamory qui lui a imposé de façon unilatérale et brutale une augmentation de ses tarifs à compter du 1er avril 2011 ;

Mais considérant que cette allégation n'est pas confirmée par les éléments du dossier ; qu'il ressort des pièces produites par les parties que la société Transports Lamory n'ayant pas modifié ses tarifs depuis 2008 a fait part à la société Knauf de son souhait d'augmenter ses tarifs, en portant le prix de la tonne transportée à 25,80 euro, au cours d'une réunion tenue le 15 mars 2011 et par courrier électronique du 16 mars 2011 ainsi rédigé : " Nous faisons suite à notre rencontre d'hier et vous confirmons notre demande de faire évoluer notre tarif au 1er avril 2011 comme suit : Volklingen / St Soupplets 25,80 euro la tonne + Indexation gazole en place. Cette nécessité résulte de 3 années (2008 + 2009 + 2010) sans évolution de prix et la disparition de nos optimisations de 2 destinations en 2010 et 2011. Comme convenu nous vous appellerons avant la fin du mois (...) " (pièce intimé n° 3) ; que la société Transports Lamory a, le 29 mars, renouvelé sa demande par le courrier électronique suivant : " Suite à nos différentes conversations nous vous confirmons notre besoin de faire évoluer nos prix de transport au 1er avril 2011, comme déjà indiqué dans notre mail du 16 mars 2011 ci-dessous. Ce besoin provient principalement de l'ancienneté de notre tarif datant de décembre 2007 (...) " (pièce intimé n° 5) ;

Considérant qu'il résulte des termes mêmes de ces correspondances que la société Transports Lamory tout en faisant connaître sa volonté d'augmenter ses tarifs, n'a pas imposé à son client sa décision de façon unilatérale et brutale, mais a au contraire cherché à en négocier avec lui une évolution ; que la société Knauf ne démontre pas, ni d'ailleurs ne prétend, qu'elle lui aurait fait une contre-proposition ; qu'elle fait seulement état dans ses écritures d'une proposition de prix à 24,50 euro la tonne, d'un montant inférieur au prix pratiqué depuis 2008 ; mais qu'il ressort du dossier que cette proposition n'a été formulée qu'à la fin du mois de juin 2011, puisqu'elle n'est évoquée que dans un courrier électronique de la société Transports Lamory en date du 1er juillet ;

Considérant que s'il était loisible à la société Knauf de refuser, pour des raisons tarifaires, de poursuivre la relation commerciale qu'elle entretenait avec la société Transports Lamory, il lui appartenait alors de notifier sa décision dans les formes prévues par l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, donc en lui accordant un préavis d'une durée suffisante, et d'en négocier avec elle les conditions financières ; que tel n'ayant pas été le cas, la société Knauf a engagé sa responsabilité à l'égard de la société Transports Lamory et doit réparer le préjudice né de la rupture, sans préavis d'une durée suffisante, de la relation commerciale établie qu'elle entretenait avec elle ;

Sur le préjudice

Considérant qu'il est constant que les parties ont entretenu depuis décembre 2006 et jusqu'en juin 2007, une relation commerciale établie, la société Knauf confiant, de façon continue et régulière, à la société Transports Lamory des prestations de transport ; que compte tenu de l'ancienneté de cette relation, c'est à juste titre que le tribunal a fixé à quatre mois et demi la durée du préavis dont aurait dû bénéficier la société Transports Lamory ; que le préjudice subi par celle-ci sera donc réparé par l'allocation de dommages et intérêts à hauteur de la marge brute qui aurait été réalisée sur cette durée ;

Considérant que la société Transports Lamory produit une attestation de son expert-comptable qui évalue à 67,07 % le taux de sa marge brute ; que la société Knauf conteste ce taux en faisant valoir, d'une part, qu'il correspond à l'ensemble de l'activité de la société Transports Lamory, alors que celle-ci ne réalisait avec elle que 10 % de son chiffre d'affaires et, d'autre part, qu'il conviendrait de tenir compte, ce que n'a pas fait l'expert-comptable, des coûts de personnel ; qu'elle prétend, enfin, que la société Transports Lamory ne produit pas de données comptables susceptibles de justifier le taux de marge brute certifié par l'expert-comptable ;

Mais considérant qu'il résulte des termes mêmes de l'attestation de l'expert-comptable que la marge brute qu'il a évaluée correspond, contrairement à ce que prétend la société Knauf, à l'activité réalisée avec celle-ci par la société Transports Lamory ; qu'il n'y a pas lieu, par ailleurs, d'appliquer aux lieu et place de la marge brute une autre notion comptable qui exclurait les dépenses de personnel, lesquelles étant, en tout état de cause, supportées par la société Transports Lamory ; qu'enfin, la société Transports Lamory a versé aux débats son compte de résultat 2010 (pièce n° 20) et ses Grands Livres Fournisseurs pour les années 2008 à 2010 (pièces n° 29, 30 et 31), sans que la société Knauf n'indique quels sont les documents comptables qu'il conviendrait, selon elle, de produire pour démontrer que la marge brute attestée par l'expert-comptable n'est pas pertinente ;

Considérant, dès lors, que c'est à juste titre que, compte tenu du chiffre d'affaires moyen réalisé de 2008 à 2010, soit 260 144 euro, le tribunal a fixé à la somme de 65 324 euro le montant de la marge brute que la société Transports Lamory aurait réalisée pendant la durée du préavis auquel elle avait droit ;

Considérant que la société Transports Lamory soutient que la rupture sans préavis de la relation commerciale établie avec la société Knauf a entrainé un préjudice supplémentaire " en terme de gestion du personnel " ; qu'elle fait valoir que l'un de ses chauffeurs qui était affecté aux transports avec la société Knauf a démissionné puis a été embauché par une société concurrente qui effectue pour celle-ci les mêmes prestations ;

Mais considérant que ces seules affirmations ne démontrent pas que la société Transports Lamory aurait subi un autre préjudice que celui que l'allocation de dommages et intérêts à hauteur de la marge brute ci-dessus définie vient réparer ;

Considérant qu'il en résulte que c'est à juste titre que les premiers juges ont, en application des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, condamné la société Knauf à payer la somme de 65 324 euro à la société Transports Lamory à titre de dommages et intérêts ; que le jugement déféré sera donc confirmé ;

Sur les frais irrépétibles

Considérant qu'au regard de l'ensemble de ce qui précède, il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Transports Lamory la totalité des frais irrépétibles engagés pour faire valoir ses droits et la société Knauf sera condamnée à lui verser la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement attaqué en toutes ses dispositions, Condamne la société Knauf Plâtres et Cie à payer à la société Transports Lamory la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Knauf Plâtres et Cie aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.