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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 20 mars 2015, n° 13-16059

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Compagnie Fruitière Paris (SAS)

Défendeur :

Scardigli (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Touzery-Champion

Conseillers :

Mme Prigent, M. Richard

Avocats :

Mes Etevenard, Delplanque-Bataille de Mandelot, Fertier, Allemand

T. com. Marseille, du 28 mars 2013

28 mars 2013

La société Compagnie Fruitière Paris, importateur de bananes vertes, a racheté la plantation de bananes SCB en Côte d'Ivoire au groupe Rivaud en 1997 et a déposé la marque SCB en 2000.

La société Scardigli exploite une mûrisserie et avait pour activité dominante jusqu'à ces dernières années le mûrissage et la commercialisation de bananes. Sa clientèle est essentiellement locale (située dans un secteur géographique compris entre Marseille, Cavaillon et Cannes).

La société Scardigli est entrée en relations d'affaires, avec la société Compagnie Fruitière aux fins d'assurer le mûrissage et la commercialisation des bananes " SCB ".

En février 2009, les relations commerciales entre la société Compagnie Fruitière et la société Scardigli ont cessé quant à l'approvisionnement en bananes SCB.

Considérant qu'elle était la victime d'une rupture brutale des relations commerciales, la société Scardigli a fait assigner la société Compagnie Fruitière devant le Tribunal de commerce de Marseille en indemnisation du préjudice qu'elle estimait avoir subi.

Par jugement du 28 mars 2013, le Tribunal de commerce de Marseille a :

- dit que la société Compagnie Fruitière Paris a eu un comportement fautif en refusant de façon brutale et sans préavis de livrer des bananes de la marque SCB Premium à la société Scardigli et qu'elle avait engagé sa responsabilité,

- débouté la société Compagnie Fruitière Paris de sa demande reconventionnelle.

- condamné la société Compagnie Fruitière Paris à payer à la Société Scardigli la somme de 185 958,50 euro à titre de dommages et intérêts du fait de la rupture brutale fautive des livraisons de bananes de la marque SCB Premium ainsi que la somme de 3 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Compagnie Fruitière Paris a interjeté appel.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 9 décembre 2014, la société Compagnie Fruitière Paris, demande sur le fondement des articles L. 442-6 du Code de commerce et articles 10, 11, 138 et suivants du Code de procédure civile de :

- infirmer le jugement rendu le 28 mars 2013 en toutes ses dispositions,

- ordonner à l'intimée de communiquer :

La répartition de son chiffre d'affaires Bananes depuis 2005 par origine et par fournisseur validée par un commissaire aux comptes,

Le détail de son compte fournisseur Bananes et l'intégralité de ses commandes et factures Bananes de janvier 2009 à janvier 2010 validés par un commissaire aux comptes

Des tableaux comptables des exercices 2010/2011, 2011/2012, 2012/2013,

Les éléments établissant que les relations commerciales n'ont pas abouti entre l'intimée et l'UGPBAN,

Le dossier relatif au déménagement de la société Scardigli et à son changement d'activité,

Les documents établissant qu'elle occupe toujours les locaux box 428-429-430,

Les documents relatifs aux produits de cessions d'immeuble.

- dire que la société Scardigli s'est reconvertie vers la banane mûre des Antilles au détriment de la banane verte d'Afrique ;

- en conséquence, constater que la société Scardigli a, de son propre fait, interrompu toute commande de bananes auprès de la société Compagnie Fruitière Paris depuis janvier 2010,

- débouter la société Scardigli de l'intégralité de ses demandes.

A titre subsidiaire, sur le préjudice :

- dire que le préjudice allégué revêt une nature parasitaire,

- dire que la demande de la société Scardigli en indemnisation de son préjudice est illicite,

- débouter la société Scardigli de toutes ses demandes,

A titre plus subsidiaire : sur l'absence de préjudice

- dire que le préavis qui aurait dû être accordé au titre de la rupture brutale de relations commerciales ne saurait être de douze mois,

- ordonner à la société Scardigli de produire la comptabilité analytique détaillée sur les exercices 2010/2011 et 2011/2012, afin de permettre à la Compagnie Fruitière Paris de vérifier ses allégations quant à son prétendu préjudice,

A titre encore plus subsidiaire, nommer tel expert qu'il plaira afin de vérifier le calcul du préjudice,

En tout état de cause :

- condamner la société Scardigli au paiement de la somme de 50 000 euro sauf à parfaire au titre de la rupture brutale des relations commerciales qu'elle lui a fait subir,

- la condamner au paiement de 50 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 24 novembre 2014, la société Scardigli demande sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce de :

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

- en conséquence, débouter la Compagnie Fruitière de sa demande de communication de pièces de sa demande subsidiaire d'expertise et de sa demande reconventionnelle à hauteur de 50 000 euro,

- condamner la société Compagnie Fruitière au paiement de la somme de 15 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture :

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 18 décembre 2014 ; par conclusions signifiées le 29 décembre 2014, la société Scardigli a sollicité la révocation de l'ordonnance de clôture afin que soient admises aux débats ses conclusions et pièces signifiées le 19 décembre 2014 ; par conclusions signifiées le 6 janvier 2015, la société Compagnie Fruitière a conclu au rejet de cette demande. Les conclusions de l'appelante datant du 9 décembre 2014, la société Scardigli disposait du temps nécessaire pour conclure en réponse par un troisième jeu de conclusions, l'audience ayant été fixée au 8 janvier 2015. La demande de révocation de l'ordonnance de clôture sera en conséquence rejetée.

Sur la demande de communication de pièces :

Par ordonnance du 27 février 2014, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de communication de pièces formée par la société Compagnie Fruitière ; au fond, il appartiendra à la cour de déterminer si les pièces de nouveau réclamées sont nécessaires à la résolution du litige.

Au fond

L'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce dispose :

" Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (...) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale, établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminé en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ".

La société Compagnie Fruitière ne conteste pas entretenir des relations commerciales avec la société Scardigli en l'approvisionnant en bananes vertes ; elle fixe le début des relations en 2006 selon les chiffres produits par l'intimée ; elle précise que la marque SCB n'est inscrite que depuis 2000 ;

La société Scardigli réplique qu'elle est en relation commerciale avec la société Compagnie Fruitière depuis l'année 1970 en arguant que la jurisprudence adopte une conception extensive de la notion de relations commerciales ;

La société Scardigli verse des pièces comptables établissant qu'à compter de l'année 2006, la société Compagnie Fruitière lui vendait des bananes SCB ; elle ne communique aucun autre document démontrant qu'antérieurement la société Compagnie Fruitière l'approvisionnait en bananes de la marque SCB, marchandise sur laquelle porte le litige ; l'appelante indique qu'antérieurement, elle fournissait la société Scardigli en bananes Bouba. L'existence de relations commerciales établies entre les deux sociétés n'est pas contestée et est corroborée par le volume d'affaires réalisé depuis l'année 2006, portant sur les bananes de la marque SCB ;

La société Scardigli fait valoir qu'à compter de février 2009, la société Compagnie Fruitière a refusé de lui livrer des bananes SCB ce que conteste cette dernière ;

M. Gilles Scardigli atteste que sur le marché de Rungis au mois de février 2009, il a rencontré le responsable commercial de la société Compagnie Fruitière qui lui a indiqué que celle-ci ne commercialisait plus de bananes SCB aux mûrisseurs indépendants et il lui était proposé en remplacement des bananes du label Bouba qu'il considérait comme un produit non équivalent.

Le 12 janvier 2010, le PDG de la société Arbona, propriétaire de la mûrisserie Scardigli, écrivait au PDG de la société Compagnie Fruitière pour solliciter l'indemnisation du préjudice subi à la suite de la décision de celle-ci d'interrompre brutalement la fourniture de la marque SCB ce qui avait entraîné une diminution du chiffre d'affaires de 1 299 977 euro en 2008 à 509 660 euro en 2009. La société Compagnie Fruitière n'a pas répondu à ce courrier n'en contestant pas ainsi les termes.

Les deux sociétés ont échangé des mails entre le 10 et le 26 juillet 2012 aux termes desquels, la société Scardigli demande à être livrée en bananes du label SCB, la société Compagnie Fruitière lui proposant des bananes de la marque Bouba.

La lettre en date du 12 janvier 2010 corroborée par les mails et la chute du chiffre d'affaires établissent que la société Compagnie Fruitière a cessé brutalement en 2009 d'approvisionner la société Scardigli en bananes de la marque SCB alors que celle-ci n'avait pas la possibilité de trouver un autre fournisseur pour ce label.

La société Compagnie Fruitière n'explique pas pour quel motif elle propose à la société Scardigli des bananes du label Bouba qu'elle ne lui vendait auparavant qu'en petit nombre et refuse de lui fournir les bananes de la marque SCB qu'elle réclame et qu'elle lui a vendu en grande quantité pendant trois ans.

La société Compagnie Fruitière n'est pas fondée à opposer à la société Scardigli sa restructuration alors qu'en refusant de l'approvisionner en bananes d'une marque spécifique qu'elle est seule à détenir comme elle le reconnaît, elle est à l'origine de la rupture des relations commerciales.

Le fait que la société Scardigli, au vu de l'évolution du marché de la banane devenu moins favorable pour les mûrisseurs indépendants, tel qu'il ressort des articles de journaux, versés aux débats, ait cherché à diversifier son activité, ne dispensait pas la société Compagnie Fruitière de respecter un délai de préavis raisonnable au regard du nombre d'années de relations et de la quantité de marchandises achetée ; or, elle n'a pas avisé son cocontractant de sa décision de cesser l'approvisionnement. Elle ne peut soutenir qu'elle a proposé une autre marque de bananes en compensation ; en effet comme le souligne et le décrit précisément le tribunal de commerce, les deux labels ne sont pas de qualité équivalente, les bananes de la marque SCB font l'objet d'un soin particulier, la réputation commerciale de la société Compagnie Fruitière reposant sur la grande qualité de la banane SCB.

La société Compagnie Fruitière qui a désormais fait le choix de commercialiser elle-même les bananes de la marque SCB qu'elle importe devait respecter un préavis avant de cesser les relations commerciales avec la société Scardigli ; compte tenu du nombre d'années de collaboration fixé à 3 ans et de la quantité de marchandises achetée qui constituait la moitié du chiffre d'affaires de l'intimée, la société Compagnie Fruitière devait respecter un préavis de 6 mois.

Le tribunal de commerce a détaillé les ventes, achats et marge réalisés de 2006 à 2009 ; l'analyse de ces comptes établit que la société Scardigli a réalisé une marge similaire entre 150 000 euro et 200 000 euro pour les bananes SCB et les bananes d'autres marques et environ 10 % de cette marge pour les bananes Bouba ; les bananes SCB ont représenté 42 % du total des ventes de la société Scardigli sur l'exercice 2006/2007 et 53 % sur l'exercice 2007/2008 ; le tribunal a à juste titre retenu un état de dépendance économique de la société Scardigli, à l'égard de la société Compagnie Fruitière qui détient la propriété de la marque SCB, dans la mesure où elle ne peut se procurer ces produits auprès d'un autre fournisseur ; cette dépendance n'est pas totale puisque ces achats représentent la moitié de ceux effectués par la société Scardigli.

Aucun préavis n'a été accordé puisque la société Compagnie Fruitière a rompu les relations sans en informer son cocontractant ; durant la période de préavis, le fournisseur doit assurer le même volume de livraison pour des produits similaires ; la société Compagnie Fruitière ne peut donc soutenir qu'elle a livré des marchandises de substitution en l'espèce des bananes de la marque Bouba alors que le litige résulte du fait qu'elle ne livre plus à sa cliente des bananes de la marque SCB ;

La société Scardigli est fondée à obtenir l'indemnisation du préjudice subi ; le fait que dans les mois qui ont suivi la rupture, la société Scardigli ait effectué des investissements afin de réorienter son activité ne supprime pas le préjudice subi dont elle est fondée à solliciter l'indemnisation ;

Le tribunal de commerce a justement évalué le préjudice subi en se fondant sur la marge brute réalisée par la société Scardigli en commercialisant les bananes SCB au cours des deux derniers exercices 2006/2007 : 167 999 euro et 2007/2008 : 203 918 euro soit une moyenne de 185 958,50 euro correspondant à une marge d'environ 11 % ; il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de communication de pièces de la société Compagnie Fruitière, la société Scardigli produisant des pièces suffisantes qu'elle est en mesure de vérifier puisqu'elle est son fournisseur ; une mesure d'expertise ne se justifie pas en l'absence de technicité de l'évaluation du préjudice ; la cour ayant diminué le délai de préavis à 6 mois, le préjudice sera également réduit de moitié soit 185 958 euro : 2 = 92 979 euro ; le jugement sera infirmé de ce chef et le montant des dommages et intérêts alloués fixé à la somme de 92 979 euro.

Dans la mesure où il a été retenu que la rupture brutale des relations commerciales lui était imputable, la société Compagnie Fruitière sera déboutée de sa demande d'indemnisation de ce chef ;

Il n'y a pas lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

La société Compagnie Fruitière qui demeure débitrice assumera les dépens de la procédure d'appel ;

Par ces motifs, Rejette la demande de révocation de l'ordonnance de clôture formée par la société Scardigli et la demande de communication de pièces de la société Compagnie Fruitière Paris, Infirme le jugement sur le montant de la somme allouée à titre de dommages et intérêts, Le confirme pour le surplus, Statuant à nouveau de ce chef, Condamne la société Compagnie Fruitière Paris à payer à la société Scardigli la somme de 92 979 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de la rupture brutale des relations commerciales, Rejette toute autre demande, Condamne la société Compagnie Fruitière Paris aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.