Cass. com., 17 mars 2015, n° 13-24.853
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Majuscule (SARL), Sodecob (SARL)
Défendeur :
Tiberghien (ès qual.), Equip'Buro 59 (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Orsini
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP Gatineau, Fattaccini, SCP Piwnica, Molinié, SCP Baraduc, Duhamel, Rameix
LA COUR : - Joint les pourvois n° 13-24.853 et n° 14-10.365 qui attaquent le même arrêt ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, financière et économique, 4 octobre 2011, pourvoi n° 10-20.956), que la société Equip'buro 59 (la société Equip'buro) a conclu avec la société Sodecob un contrat de franchise pour l'exploitation de son fonds de commerce sous l'enseigne "Bureau center", impliquant l'adhésion à une coopérative de commerçants détaillants indépendants constituée par la société Majuscule ; que les résultats obtenus, très inférieurs aux prévisions transmises par le franchiseur, ont conduit rapidement à la mise en liquidation judiciaire de la société Equip'buro, M. Tiberghien étant désigné liquidateur ; que ce dernier, agissant ès qualités, a demandé la nullité du contrat de franchise et la condamnation solidaire des sociétés Sodecob et Majuscule au paiement de dommages-intérêts, en invoquant, notamment, l'insuffisance de l'information précontractuelle fournie au franchisé ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° 14-10.365 : - Attendu que la société Sodecob fait grief à l'arrêt d'annuler le contrat de franchise pour vice du consentement et de la condamner à payer des dommages-intérêts à M. Tiberghien, ès qualités, alors, selon le moyen, que la cour d'appel ne peut statuer que sur les dernières conclusions régulièrement déposées et signifiées par les parties ; qu'en l'espèce, pour confirmer le jugement déféré en ce qu'il avait constaté le vice de consentement de M. Marcant et de la société Equip'buro et prononcé l'annulation du contrat de franchise du 30 août 2002 et pour condamner, en conséquence, la société Sodecob à payer une somme à titre de dommages-intérêts à M. Tiberghien, ès qualités, la cour d'appel s'est prononcée au visa de conclusions déposées par la société Sodecob le 10 avril 2013 ; qu'en statuant ainsi, quand cette société avait déposé ses dernières conclusions d'appel qui complétaient son argumentation antérieure, le 25 avril 2013, la cour d'appel a violé l'article 954, alinéa 2, du Code de procédure civile ;
Mais attendu que le visa des conclusions des parties avec l'indication de leur date n'est nécessaire que si le juge n'expose pas succinctement leurs prétentions respectives et leurs moyens ; que l'arrêt prononce l'annulation du contrat de franchise pour vice du consentement et condamne la société Sodecob au paiement de dommages-intérêts, après avoir rappelé puis discuté les prétentions et moyens de cette société, dont l'exposé correspond à ses dernières conclusions, y compris s'agissant du moyen tiré de la force de chose jugée attachée au chef de l'arrêt du 19 mai 2010 relatif à l'abus de dépendance économique ; que l'ajout qui figure dans les conclusions du 25 avril 2013 n'a pas eu pour effet de modifier l'argumentation développée par la société Sodecob dans ses écritures précédentes et à laquelle la cour d'appel a fait droit ; que le moyen est inopérant ;
Sur le second moyen du pourvoi : - Attendu que la société Sodecob fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen : 1°) que l'erreur substantielle sur la rentabilité de l'activité entreprise suppose qu'il soit établi que la victime de l'erreur ne pouvait douter, au moment de la conclusion du contrat, de l'aptitude de l'objet du contrat à atteindre cette rentabilité ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que, le 27 mai 2002, la société Sodecob avait remis à M. Marcant des observations sur "l'environnement du projet" de franchise en cause soulignant la nécessité de prendre en compte la concurrence exercée par des enseignes spécialisées et alimentaires, la qualité plutôt "minorante" de la population et des petites organisations locales, la nécessité de renforcer la signalétique de notoriété et directionnelle pour pallier le défaut de visibilité du magasin, et le risque que représentait la création d'une zone commerciale en Belgique, concluant sur ses "préoccupations" liés à ces différents facteurs de risque ; qu'en annulant le contrat de franchise litigieux, au prétexte que le déficit d'analyse pertinente du chiffre d'affaires et dans l'analyse des charges n'avaient pas permis au candidat de s'engager en connaissance des risques, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette connaissance ne résultait pas des réserves adressées au candidat le 27 mai 2002 par la société Sodecob, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1110 et 1382 du Code civil ; 2°) que le franchiseur n'est pas tenu de fournir au candidat à la franchise un chiffre d'affaires prévisionnel et que s'il lui communique néanmoins un tel chiffre d'affaires, il ne lui appartient pas de déterminer l'ensemble des charges que le franchisé serait susceptible d'assumer, ni de fournir un chiffre d'affaires prévisionnel pour l'hypothèse dans laquelle le franchisé débuterait l'exploitation à une autre date que celle initialement prévue ; qu'en l'espèce, en reprochant au contraire au franchiseur de n'avoir pas intégré dans la détermination d'un chiffre prévisionnel le niveau de la masse salariale et des investissements ainsi que le risque représenté par un retard dans l'ouverture du magasin franchisé, pour en déduire que "le prévisionnel" n'était pas sérieux et annuler le contrat de franchise, la cour d'appel a violé les articles 1110 et 1382 du Code civil ; 3°) que si le franchiseur a l'obligation de fournir au candidat à la franchise la liste et l'adresse des entreprises franchisées, il n'est pas tenu de retracer l'historique de ces franchises et les conditions dans lesquelles ils exploitent leur commerce ; qu'en faisant reproche au franchiseur de n'avoir pas communiqué au candidat à la franchise les conditions spécifiques dans lesquelles les autres franchisés du réseau avaient rejoint celui-ci, pour en déduire que le consentement du franchisé avait été vicié, la cour d'appel a violé les articles 1110 et 1382 du Code civil, ensemble l'article R. 330-1 du Code de commerce ; 4°) que dans ses conclusions récapitulatives, la société Sodecob soutenait que le déficit de la société Equip'buro résultait notamment de la circonstance qu'elle s'était acquittée d'un droit d'entrée au profit du bailleur du centre commercial où le magasin était exploité et dont elle avait questionné la pertinence, ce dont témoignaient les pièces qu'elles produisait en ce sens, et que cette charge l'avait privée du fonds de roulement nécessaire à son expansion ; qu'en se bornant à affirmer que le franchiseur ne démontrait pas que le franchisé avait commis des fautes de gestion qui seraient à l'origine de ses résultats, sans répondre au moyen déterminant de la société Sodecob, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'effectuant la recherche, prétendument omise, mentionnée à la première branche, la cour d'appel a retenu que la société Sodecob, à laquelle M. Marcant avait confié, à titre onéreux, la réalisation d'une étude portant sur la viabilité technique et économique de l'implantation d'une franchise sur le site considéré, avait évalué le chiffre d'affaires prévisionnel à 5 583 719 euros en période haute et à 1 759 078 euros en période basse et fourni des données chiffrées dont il résultait que le projet était rentable ;
Attendu, en second lieu, qu'ayant constaté que le chiffre d'affaires de la société Equib'buro n'avait jamais dépassé 30 % du prévisionnel établi par la société Sodecob dans le cadre de l'étude qui lui avait été confiée, l'arrêt relève que cet écart est particulièrement important et que le manque de chiffre d'affaires ainsi que le défaut de rentabilité se sont révélés, dès les premiers mois d'activité, entraînant rapidement le dépôt de bilan puis la liquidation judiciaire de la société ; qu'il retient que les données prévisionnelles fournies par la société Sodecob reposent sur des données propres aux autres franchisés, qui n'étaient pas comparables au cas de M. Marcant, dépourvu d'expérience personnelle dans ce type d'activité et qui, contrairement aux entités existantes du réseau, ne reprenait pas un fonds de commerce ayant eu une activité similaire mais créait un nouveau fonds et s'installait dans une galerie marchande, elle-même en cours de création; qu'il retient, ensuite, que le déficit d'analyse pertinente du chiffre d'affaires a été aggravé par un manque de rigueur dans l'analyse des charges prévisibles auxquelles le franchisé allait devoir faire face, parmi lesquelles celles relatives au niveau de la masse salariale et des investissements ; qu'il retient, encore, que les circonstances invoquées par le franchiseur pour expliquer le déficit de la société Équip'buro, telles le retard dans l'ouverture du magasin ou le paiement d'un droit d'entrée au profit du bailleur du centre commercial, sont des éléments qui auraient dû être pris en compte dans un prévisionnel sérieux et qu'il n'est pas établi que le franchisé aurait commis des fautes de gestion qui seraient à l'origine de ses résultats ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations dont elle a déduit que la société Equip'buro avait été déterminée à conclure le contrat de franchise sur la base d'informations erronées et trompeuses et d'un prévisionnel non sérieux, laissant escompter des résultats bénéficiaires qui n'étaient pas réalisables, et que son consentement avait dès lors été vicié, la cour d'appel, qui a répondu aux conclusions prétendument omises et qui n'a pas déduit le vice du consentement d'un défaut d'information portant sur l'historique des franchises, a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le moyen unique, pris en ses première et deuxième branches, du pourvoi n° 13-24.853 : - Attendu que la société Majuscule fait grief à l'arrêt d'annuler le contrat conclu entre M. Marcant et la société Sodecob, de condamner la société Sodecob à payer la somme de 560 000 euros à M. Tiberghien, ès qualités, et de la condamner à ce paiement, in solidum, avec la société Sodecob alors, selon le moyen : 1°) que l'annulation d'un contrat doit entraîner la remise des parties en l'état antérieur, mais n'implique pas, par elle-même, l'indemnisation de celle des parties qui aurait subi un préjudice ; qu'une telle indemnisation ne peut être fondée que sur une faute extérieure au contrat annulé ; que l'erreur n'est pas, en elle-même, source de responsabilité ; qu'en déduisant de la seule annulation du contrat de franchise, fondée sur l'erreur du franchisé, l'obligation pour le franchiseur d'indemniser ce dernier, in solidum avec la société Majuscule, sans caractériser de faute extérieure au contrat annulé, la cour d'appel a violé les articles 1108 et 1382 du Code civil ; 2°) que le conseiller qui réalise une étude prévisionnelle n'est tenu qu'à une obligation de moyens ; qu'il revient à celui qui invoque une faute dans l'exécution d'une telle étude, d'établir celle-ci ; que la cour d'appel ne pouvait mettre à la charge de la société Sodecob, qui avait réalisé l'étude prévisionnelle commandée par M. Marcant, la preuve de la bonne exécution de celle-ci ; qu'en statuant ainsi, pour condamner la société Majuscule avec la société Sodecob, la cour d'appel a violé les articles 1315 et 1139 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant retenu que la société Sodecob, chargée d'une étude portant sur la viabilité et la rentabilité du projet de franchise, avait réalisé une étude dépourvue de caractère sérieux et fourni au futur franchisé des éléments trompeurs lui laissant escompter des résultats bénéficiaires et relevé que la société Équip'buro, contre laquelle aucune faute de gestion n'était démontrée, avait été contrainte de déposer son bilan quelques mois après le démarrage de son activité, son chiffre d'affaires n'ayant jamais dépassé 30 % du chiffre d'affaires prévisionnel, la cour d'appel a, sans inverser la charge de la preuve, caractérisé la faute du franchiseur ayant concouru à la réalisation du préjudice subi par le franchisé ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche : - Vu l'article 1382 du Code civil ; - Attendu que pour condamner la société Majuscule, in solidum avec la société Sodecob, à payer au franchisé la somme de 560 000 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt retient que, si la société Majuscule, associée à 49 % au capital social de la société Sodecob et bénéficiaire d'une option d'achat des 51 % restants, est une société indépendante qui n'a pas signé le contrat de franchise, il apparaît, néanmoins, au regard des accords intervenus entre les deux sociétés lors de la création du réseau de franchise, qu'elle a imposé le fait de devenir le fournisseur quasi-exclusif des franchisés, lesquels devaient, de ce fait, régler des frais d'adhésion et obtenir une caution bancaire pour garantir les encours, et en déduit que les contrats de franchise et de distribution sont ainsi parfaitement liés et qu'il en résulte que la société Majuscule a concouru à la réalisation du dommage subi par le franchisé ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser une faute propre à la société Majuscule ayant concouru à la réalisation du dommage subi par la société Equip'buro, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi n° 14-10.365 ; et sur le pourvoi n° 13-24.853 : casse et annule, mais seulement en ce qu'il condamne la société Majuscule, in solidum avec la société Sodecob, à payer à M. Tiberghien, ès qualités, la somme de 560 000 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 12 septembre 2013, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Versailles.