ADLC, 23 février 2015, n° 15-DCC-15
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à la prise de contrôle exclusif de la société Nobia Holding France SAS par la société Fournier SA
L'Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 19 janvier 2015, relatif à la prise de contrôle exclusif par la société Fournier SA de la société Nobia Holding SAS, formalisé par un contrat de cession d'actions signé le 30 octobre 2014 ;
Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;
Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l'instruction ;
Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l'opération
1. La société Financière des Alpes (" FINALP ") est une société par actions simplifiée quasi-exclusivement détenue par les membres de la famille Fournier. FINALP est la société holding du groupe Fournier, fabricant de meubles de cuisine, associés ou non à des appareils électroménagers, ainsi que des meubles de salle de bain, et qui les commercialise par l'intermédiaire de ses réseaux de détaillants. En France, la société Fournier SA, détenue à 100 % par FINALP et les membres de la famille Fournier, anime trois réseaux de magasins (Perene, Mobalpa et Socoo'c) dédiés à la distribution de cuisines intégrées, de salles de bain et d'éléments de rangements, auprès d'une clientèle de particuliers. En France, l'enseigne Perene est un réseau de 138 magasins, dont deux sont exploités en propre par le groupe Fournier et 136 en concessions. Pour sa part, l'enseigne Mobalpa est un réseau de 270 magasins dont 12 sont exploités en propre par le groupe Fournier. Enfin, l'enseigne Socoo'c est un réseau de 39 magasins dont 36 franchisés et trois exploités en propre par le groupe Fournier. Les magasins intégrés sont quasiment tous détenus par la société Sodimob, filiale à 100 % de la société Fournier SA.
2. Nobia Holding France est une société par actions simplifiée entièrement détenue par la société suédoise Nobia Sverige AB, elle-même détenue à 100 % par la société Nobia AB, leader européen dans la conception et la distribution de cuisines intégrées. En France, le groupe Nobia est présent au travers de sa filiale la société Hygena Cuisines SAS, filiale à 100 % de Nobia Holding France. Hygena Cuisines est active dans le secteur de la distribution de cuisines intégrées auprès d'une clientèle de particuliers. A fin 2014, Hygena Cuisines exploitait 125 magasins intégrés en France métropolitaine.
3. Selon les termes du contrat de cession d'actions signé le 30 octobre 2014 et son amendement en date du 13 janvier 2015, l'opération consiste en l'acquisition par la société Fournier SA de l'ensemble des titres de la société Nobia Holding France SAS, en ce inclus les titres de la société Hygena Cuisines SAS. En ce qu'elle se traduit par la prise de contrôle exclusif de Nobia Holding France SAS et de sa filiale Hygena Cuisines SAS par la société Fournier SA, la présente opération constitue une opération de concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce.
4. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d'affaires hors taxe total sur le plan mondial de plus de 150 millions d'euro (FINALP : [...] d'euro pour l'exercice clos le 31 décembre 2013 ; Nobia Holding France SAS : [...] d'euro pour ce même exercice). Chacune de ces entreprises a réalisé en France un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euro (FINALP : [...] d'euro pour l'exercice clos le 31 décembre 2013 ; Nobia Holding France SAS : [...] d'euro pour ce même exercice). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, l'opération ne relève pas de la compétence de l'Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
5. Le groupe Fournier (Socoo'c, Mobalpa, Perene) et Hygena Cuisines sont simultanément actifs dans le secteur de la vente de cuisines intégrées, associées ou non à des appareils électroménagers.
6. Au sein du secteur de la vente de cuisines intégrées l'Autorité de la concurrence distingue deux catégories de marchés (1) :
- le marché amont de l'approvisionnement, sur lequel les entreprises actives sur le marché aval sont en contact, en tant que clientes, avec les fabricants des produits qu'elles distribuent ;
- le marché aval de la distribution, sur lequel les distributeurs au détail de cuisines intégrées sont en contact avec les consommateurs finals.
7. En l'espèce, les parties sont toutes deux actives sur le marché aval de la distribution de cuisines intégrées. Hygena Cuisines intervient également sur le marché amont de l'approvisionnement en cuisines intégrées en tant que cliente, marché sur lequel le groupe Fournier est présent en tant que fournisseur. Ce marché sera par conséquent analysé au titre des effets verticaux.
Enfin, pour les besoins de leurs activités, le groupe Fournier et Hygena Cuisines sont présents en qualité d'acheteurs sur les marchés amont de l'approvisionnement en produits électrodomestiques et sur les marchés des équipements sanitaires.
A. LE MARCHE DE PRODUITS
1. LES MARCHES AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT EN CUISINES INTEGREES
8. A l'occasion de sa décision n° 03-D-39, le Conseil de la concurrence a estimé que le concept de cuisine intégrée présente une spécificité pour les fournisseurs qui prévoient parfois des conditions générales de vente différentes pour les cuisinistes et pour les distributeurs de produits en " pose libre " (petits détaillants ou grandes surfaces spécialisées) (2). Dans le prolongement de la décision du Conseil, l'Autorité a retenu l'existence d'un marché de l'approvisionnement en cuisines intégrées qui met en relation les fabricants et distributeurs au détail (3).
9. La partie notifiante considère, pour sa part, qu'il n'est pas pertinent d'identifier un marché spécifique de l'approvisionnement en cuisines intégrées. Selon son analyse, les cuisines intégrées appartiendraient au marché plus large de l'approvisionnement en meubles de cuisine, sans distinction selon que les meubles sont conçus comme partie d'un modèle prédéfini ou pour être vendus à l'unité.
10. En l'espèce, la question de la délimitation exacte de ce marché peut toutefois être laissée ouverte, les conclusions de l'analyse demeurant inchangées quelle que soit l'hypothèse retenue.
2. LE MARCHE AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT EN PRODUITS ELECTRODOMESTIQUES
11. En ce qui concerne les marchés amont de l'approvisionnement en produits électrodomestiques, la pratique décisionnelle a relevé que " les producteurs fabriquent des produits ou groupes de produits particuliers et ne sont pas techniquement en mesure de se reconvertir facilement dans la fabrication d'autres produits sans coûts conséquents " (4). De plus, " au niveau des approvisionnements, on peut considérer qu'il existe autant de marchés que de familles de produits sur lesquels porte la négociation, chaque distributeur mettant en concurrence les divers fournisseurs sur chacun des marchés " (5). Aussi, une répartition par groupe de produits a été considérée comme la plus pertinente.
12. En se basant sur l'organisation des divisions " achat " des distributeurs, la pratique décisionnelle a envisagé une segmentation selon les groupes de produits suivants : (i) meubles ; (ii) bazar-décoration ; (iii) gros électroménager ; (iv) petit électroménager ; (v) appareils photo / cinéma ; (vi) appareils hi-fi / son ; (vii) appareils TV / vidéo ; (viii) ordinateurs / périphériques (6).
13. En l'espèce, les parties s'approvisionnent toutes deux en produits " gros électroménager ". S'agissant de ce type de produit la Commission européenne a estimé qu'il n'était pas nécessaire de distinguer la fourniture d'électroménager encastrable de celle en pose libre en raison de la substituabilité du côté de l'offre dans la mesure où tous les principaux producteurs d'électroménager offrent une gamme élargie de produits, d'une part, et que l'outil industriel est commun à la production des deux types d'électroménager (7). La partie notifiante a néanmoins retenu un marché restreint aux seuls produits électroménagers encastrables pour le calcul de ses parts de marché.
14. Il n'y a pas lieu de remettre en cause les délimitations retenues par la pratique décisionnelle à l'occasion de la présente opération.
3. LE MARCHE AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT EQUIPEMENTS SANITAIRES
15. Les parties interviennent simultanément sur le marché amont de l'approvisionnement en produits sanitaires (baignoires, bacs à douche, WC, lavabos, etc.), principalement en évier et robinetterie ; la commercialisation de cuisines intégrées incorporant de tels éléments. Les parties identifient un marché du négoce d'articles sanitaires qui regrouperait la robinetterie, l'hydrothérapie, la porcelaine, les baignoires et la céramique sanitaire (lavabos, cuvettes, réservoirs, etc.).
16. Dans sa décision Sanitec/Sphinx du 1er décembre 1999 (8), la Commission européenne a envisagé, tout en laissant la question ouverte, l'existence d'un marché pertinent constitué de l'ensemble des équipements sanitaires en céramique à l'exception des baignoires, parois de douche et bacs à douche qui constituent chacun un marché distinct. Pour sa part, l'Autorité a constaté dans une décision récente qu'il conviendrait d'effectuer une distinction selon la destination des équipements (cuisine, salle de bain, toilettes) ou selon le type de produits, ceux-ci n'ayant, pour la plupart, pas de substitut. Il n'en reste pas moins que la plupart des fabricants d'équipements sanitaires commercialisent une large gamme d'équipements et que la plupart des clients achètent l'ensemble de la gamme (9).
17. Enfin, la pratique décisionnelle (10) distingue la robinetterie des autres produits sanitaires. Au sein du marché de la robinetterie, la Commission européenne a laissé ouverte la question de savoir si les robinets et mitigeurs appartenaient à des marchés distincts.
18. Au cas d'espèce, la définition exacte du marché amont de produits sanitaires peut être laissée ouverte dans la mesure où les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurent inchangées, quelles que soient les hypothèses retenues.
4. LE MARCHE AVAL DE LA DISTRIBUTION AU DETAIL DE CUISINES INTEGREES
19. Les cuisines intégrées consistent en un ensemble composé d'éléments de nature et de provenance différentes (meubles, équipements électroménagers, produits sanitaires que sont les éviers et la robinetterie), associés à des services annexes (visite à domicile, établissement d'un devis, conseils, pose des éléments, réalisation de travaux de diverse nature, tels que menuiserie, plomberie, électricité, cimenterie, carrelage, etc.). Le cuisiniste réunit ces éléments et services et les offre au client dans le cadre d'une prestation globale, ce dernier obtenant ainsi un produit " clef en main " qu'il accepte de payer à un prix supérieur à celui représenté par la somme des différents équipements en raison du service apporté (11).
20. Il ressort du test de marché qu'un cuisiniste-spécialiste propose, au-delà du choix des meubles et de l'électroménager encastrable, un service de conseil, de livraison, de pose à domicile et de métrage. A l'exception des services de conseil et de conception, la plupart des services associés sont, au regard des évolutions du marché, optionnels et facturés en plus. Les répondants au test de marché ont par ailleurs indiqué avoir recours à la sous-traitance (artisans et installateurs agréés) pour la pose des cuisines intégrées.
21. Les opérateurs interrogés dans le cadre du test de marché ont, dans leur très grande majorité, confirmé l'existence d'un marché de la commercialisation de cuisines intégrées distinct de la vente d'éléments de cuisine à l'unité. Les acteurs interrogés considèrent en effet que la vente d'une cuisine intégrée ne consiste pas seulement à vendre des meubles mais s'inscrit dans un projet global avec des services et conseils adossés au projet d'achat.
22. La partie notifiante estime pour sa part que les meubles de cuisines intégrées qu'elle commercialise ne présentent aucune spécificité par rapport aux meubles de cuisine en général car ils exerceraient la même fonction du point de vue consommateur. Celui-ci peut en effet remplacer un seul meuble de sa cuisine ou la moderniser plutôt que de la changer entièrement. Des lors, la partie notifiante considère que ses cuisines intégrées appartiennent au marché plus large des meubles de cuisine qui inclut également les meubles vendus à l'unité.
23. Toutefois, le positionnement commercial des enseignes du groupe Fournier est bien celui d'un cuisiniste-spécialiste proposant, du point de vue de la demande, une prestation complète de la conception à l'installation de cuisines intégrées. Ce positionnement ressort notamment des contrats de franchise et d'affiliation du groupe Fournier, qui visent principalement une activité de cuisiniste intégré. En outre, la partie notifiante indique elle-même que l'ensemble des commandes de meubles à l'unité représente environ 1 % de son chiffre d'affaires. Il s'agit donc d'une activité commerciale marginale, principalement dans le cadre d'un complément de commande.
24. Par ailleurs, s'agissant de la vente au détail des produits d'ameublement, les autorités de concurrence ont envisagé de segmenter le marché aval en fonction du canal de distribution (12) et de la gamme de produits proposés (13).
25. En l'espèce, il ressort du test de marché que les principaux cuisinistes-spécialistes telle la partie notifiante, font face à la concurrence des grandes surfaces spécialisées de l'ameublement (Ikea, But, Alinéa, Conforama), de l'électrodomestique (Darty, Boulanger), de certaines grandes surfaces de bricolage (" GSB ") et négoces (Castorama, Leroy Merlin, Bois&Matériaux, Gedimat, Batiman), de l'enseigne multi-spécialiste Lapeyre, et enfin de très nombreux artisans et indépendants. L'ensemble de ses opérateurs propose en effet des produits similaires, parfois en provenance d'un même fabricant, entre lesquels le consommateur arbitre avant d'arrêter son choix. Une segmentation par canal de distribution du marché aval de la distribution au détail de cuisines intégrées n'apparaît donc pas pertinente.
26. La majorité des réponses obtenues dans le cadre du test de marché indique également qu'à l'exception de certains cuisinistes-spécialistes (Poggenpohl, Eggersmann, Siematic, etc.) et artisans positionnés sur des offres de très haut de gamme, l'ensemble des distributeurs de cuisines intégrées se font concurrence en proposant une offre qui couvre des niveaux de gamme similaires.
27. Les cuisinistes-spécialistes se positionnent en effet désormais sur des offres d'entrée et moyenne gammes, à l'instar de Socoo'c et Hygena avec un prix moyen inférieur à [...] euro TTC pose incluse, alors que certaines enseignes de l'ameublement, de l'électrodomestique, ou du bricolage montent en gamme en élargissant leur offre (Darty, But, Leroy Merlin).
28. En l'espèce, l'opération sera analysée sur le marché aval de la distribution au détail de cuisines intégrées tout canaux de distribution et gammes confondus. En tout état de cause, la question de la délimitation exacte de ce marché peut-être laissée ouverte en l'absence de problème concurrentiel.
B. LA DELIMITATION GEOGRAPHIQUE DES MARCHES
1. LE MARCHE AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT EN CUISINES INTEGREES
29. Les parties estiment que le marché géographique de l'approvisionnement en meubles de cuisine revêt une dimension européenne.
30. En ce qui concerne les marchés de l'approvisionnement en produits d'ameublement, la pratique décisionnelle des autorités de concurrence a retenue une dimension au moins nationale voire européenne (14).
31. Il n'y a pas lieu de remettre en cause cette délimitation à l'occasion de la présente opération.
2. LE MARCHE AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT EN PRODUITS ELECTRODOMESTIQUES
32. En ce qui concerne le marché de l'approvisionnement en produits électrodomestiques dont fait partie l'électroménager, la pratique décisionnelle des autorités de concurrence a retenue une dimension au moins nationale, voire européenne (15).
33. Il n'y a pas lieu de remettre en cause cette délimitation à l'occasion de la présente opération.
3. LE MARCHE AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT EN PRODUITS SANITAIRES
34. En ce qui concerne la délimitation géographique du marché de la robinetterie, la Commission a considéré que plusieurs facteurs, et notamment l'existence de différences tarifaires selon les pays et le constat de positions différentes des acteurs sur les marchés, indiquaient l'existence de marchés nationaux, sans toutefois trancher définitivement la question (16).
35. S'agissant de la délimitation géographique du marché des autres équipements sanitaires, la pratique décisionnelle considère que les marchés de l'approvisionnement en produits sanitaires sont de dimension au moins nationale (17).
36. Il n'y a pas lieu de se prononcer sur la délimitation géographique exacte de ces marchés à l'occasion de la présente opération, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurant inchangées quelle que soit la délimitation retenue.
4. LE MARCHE AVAL DE LA VENTE AU DETAIL DE CUISINES INTEGREES
37. Dans le secteur du commerce de détail en points de vente physiques, la concurrence s'exerce du point de vue du consommateur principalement au niveau local sur des marchés dont la dimension varie en fonction du type de produits concernés et de l'attractivité des magasins. En ce qui concerne la distribution de produits d'ameublement et d'électrodomestique, les autorités de concurrence françaises estiment que le consommateur est, en principe, prêt à réaliser un trajet d'une durée de 20 à 45 minutes pour atteindre un magasin et comparer les produits et les prix d'une enseigne à l'autre (18).
38. En l'espèce, la partie notifiante estime que pour l'achat d'une cuisine intégrée le consommateur est prêt à réaliser un trajet en voiture d'une durée au moins égale à 40 minutes. La majorité des distributeurs de cuisines intégrées interrogés dans le cadre du test de marché, enseignes de la GSS de l'ameublement comme cuisinistes-spécialistes, confirme cette estimation. Le test de marché corrobore le fait que les consommateurs consentent à des déplacements relativement longs pour un " bien durable " dont le prix moyen facturé avec ou sans pose est de plusieurs milliers d'euro.
39. Par ailleurs, la majorité des répondants au test de marché estime que la délimitation des zones de chalandise devrait être plus restreinte (20 minutes de déplacement) pour les magasins situés en centre-ville. Toutefois, cette question peut être laissée ouverte dans le cadre de la présente opération dans la mesure où l'analyse concurrentielle demeure inchangée pour les deux points de vente cibles concernés par l'opération et situés en centre-ville, quelle que soit la délimitation retenue.
40. En l'espèce, l'analyse sera donc menée sur des zones de chalandise de 40 minutes de déplacement en voiture autour des points de vente concernés.
III. Analyse concurrentielle
A. ANALYSE DES EFFETS HORIZONTAUX
1. SUR LES MARCHES AMONT DE L'APPROVISIONNEMENT
41. En ce qui concerne les marchés de l'approvisionnement, il ressort des données fournies par la partie notifiante qu'à l'issue de l'opération les achats de la nouvelle entité en produits électrodomestiques et produits sanitaires représenteront au plus 5 % du marché, quelle que soit la délimitation retenue.
42. Par conséquent, la présente opération n'est pas susceptible de soulever des problèmes de concurrence sur l'ensemble des marchés amont concernés.
2. MARCHES AVAL DE LA DISTRIBUTION AU DETAIL DE CUISINES INTEGREES
a) Point méthodologique
43. L'Autorité et le Conseil d'Etat ont rappelé que le pouvoir de marché d'un distributeur doit s'apprécier en tenant compte des magasins détenus en propre et de ceux exploités en réseau, quel que soit leur statut juridique, dès lors que leur politique commerciale n'est pas suffisamment autonome par rapport à la tête de réseau. Il convient donc de déterminer si les distributeurs franchisés et concessionnaires des réseaux Socoo'c, Mobalpa et Perene doivent être rattachés aux activités de distribution des parties aux fins de l'analyse concurrentielle.
44. L'Autorité a notamment considéré que les critères suivants permettaient d'inférer l'absence d'autonomie des membres d'un réseau : (i) la possibilité de la tête de réseau de fixer des prix maximum à ses adhérents affectant la liberté de l'adhérent de fixer ses prix de manière indépendante, (ii) les obligations d'approvisionnement des adhérents auprès du groupement pour une part importante de leurs achats, (iii) l'obligation de respecter des clauses de préemption, de substitution et de préférence au profit du groupement en cas de cession de leur magasin en dehors du périmètre familial, (iv) l'obligation de participer à un certain nombre d'opérations promotionnelles par an, durant lesquelles les adhérents doivent mettre en vente les produits au prix indiqué sur les documents publicitaires, (v) l'obligation de référencer plus de 50 % des lignes de produits de la tête de réseau, (vi) la durée plus ou moins longue des contrats.
45. Au cas d'espèce, l'analyse des contrats-types de concession des réseaux concernés confirme que les concessionnaires doivent être intégrés au pouvoir de marché du groupe acquéreur. Il convient par ailleurs de noter que, comme le précise la partie notifiante, à l'issue de l'opération les points de vente Hygena seront intégrés au réseau Socoo'c, lequel basculera principalement vers un modèle succursaliste. En outre, les points de vente Socoo'c qui resteront exploités sous franchise seront liés à la tête de réseau par les termes d'un contrat de franchise qui encadre étroitement leur politique commerciale.
46. Il résulte de ce qui précède que les franchisés et concessionnaires des réseaux Socoo'c, Mobalpa et Perene disposent d'une faible autonomie commerciale par rapport à la tête de réseau. L'analyse concurrentielle locale tiendra donc compte des franchisés et concessionnaires des trois réseaux du groupe Fournier.
b) Au niveau national
Poids de la nouvelle entité à l'issue de l'opération
47. Les parties sont simultanément actives sur le marché de la vente au détail de cuisines intégrées via des magasins détenus en propre pour Hygena et des magasins principalement gérés sous franchise et concession par le groupe Fournier. A l'issue de l'opération, la nouvelle entité sera présente dans ce secteur à travers 572 points de vente (dont 125 fonds de commerce actuellement exploités sous enseigne Hygena) (19). Elle disposera donc, en tant que cuisiniste-spécialiste, d'un réseau dense maillant toute la France, et notamment des villes moyennes.
48. Il n'existe aucune donnée publique ou d'études spécifiques à la vente de cuisines équipées permettant de déterminer les parts de marché des parties. Selon l'étude Meubloscope 2014 réalisée par l'IPEA et fournie par la partie notifiante, le marché global des meubles de cuisine représentait 2,36 milliards d'euro en 2013, en légère baisse par rapport à 2012, mais avec un taux de croissance annuel moyen sur la période 2003-2013 de l'ordre de 3,5 %. D'après cette étude, la vente de " cuisines complètes " représente 55 % (en valeur) du marché, soit 1,3 milliard d'euro. Toutefois, la partie notifiante conteste la pertinence de ces données pour le seul marché de la vente de cuisines intégrées.
49. Sur la base des informations transmises par la partie notifiante et sur les données collectées par les services d'instruction lors du test de marché, il ressort que la nouvelle entité disposera d'une part de marché de l'ordre de [10-20] % ([10-20] % pour Fournier et [0-5] % pour Hygena) sur le marché national de la distribution de cuisines intégrées. Ikea, leader du marché, dispose d'une part de marché de l'ordre de [20-30] % grâce à 30 magasins en France. Darty à travers ses 70 magasins " Darty cuisines " et Lapeyre (environ 130 magasins) ont une part de marché de l'ordre de 2 à 3 %. Parmi les réseaux de cuisinistes-spécialistes, SALM (Cuisinella et Schmidt) dispose d'une part de marché d'environ 15 % et FBD International (Ixina, Cuisines Plus, Cuisines Références) de l'ordre de 6 à 8 %. Enfin, il convient de souligner que les artisans et indépendants, dont la part de marché au niveau national n'est pas pertinente en soi, exercent sur certains marchés locaux une pression concurrentielle réelle.
c) Analyse locale des marchés
Sur le calcul des parts de marché
50. Au cas d'espèce, l'estimation des parts de marché des parties et des concurrents se heurtent à la difficulté pour les parties de recueillir les chiffres d'affaires réalisés par les magasins concurrents dans chaque zone, soit parce qu'il s'agit de magasins indépendants qui n'ont pas l'obligation de déposer leurs comptes annuels, soit parce qu'il n'est pas possible d'isoler les chiffres d'affaires réalisés sur le segment de la vente de cuisines intégrées par les grandes enseignes.
51. En outre, les parties considèrent qu'il n'existe que très peu de corrélation entre le chiffre d'affaires réalisé par un point de vente et la surface de vente allouée à la vente de cuisines. Les données des parties ainsi que le test de marché confirment qu'il ne peut être déduit une corrélation directe entre la surface de vente et le chiffre d'affaires du point de vente. Dès lors, une estimation des parts de marché des parties sur la base de la surface de vente apparaît peu fiable.
52. La partie notifiante a proposé une estimation de sa position ainsi que celles de ses concurrents à partir d'une base de données d'un cabinet d'étude en marketing et géostratégie permettant d'évaluer la taille du marché de la vente de cuisines par zone de chalandise en fonction de différents critères, tels que le nombre de logements dans la zone, les achats moyens de cuisine par logement et un indice de consommation. Cette méthode n'est toutefois pas recevable car elle fait dépendre l'évaluation des parts de marché des parties essentiellement de l'étendue de la zone et ne tient nullement compte des points de vente effectivement présents dans cette zone. De plus, les résultats n'ont été fournis que pour 12 zones, et non sur tous les marchés géographiques pertinents.
53. Comte tenu de ces difficultés méthodologiques, les parts de marchés des parties et celles de leurs concurrents ont été calculées dans chaque zone locale sur la base du nombre de points de vente des opérateurs présents dans la zone, pondéré selon leur chiffre d'affaires moyen recueilli à l'occasion du test de marché (20).
Sur l'identification des zones de chalandise
54. Parmi les 125 zones de chalandise identifiées par la partie notifiante autour des magasins Hygena, les activités des parties se chevauchent sur 121 zones.
55. A partir de la méthode de calcul des parts de marché explicitée ci-dessus, les risques d'atteinte à la concurrence peuvent être écartés pour 112 zones dans lesquelles la part de marché de la nouvelle entité est inférieure à 40 %. Dans ces zones, la nouvelle entité fera toujours face à au moins quatre concurrents nationaux, enseignes de la GSS de l'ameublement, de l'électrodomestique ou du bricolage, ainsi que de cuisinistes-spécialistes. La présence, au minimum, de quatre concurrents nationaux garantit en effet aux consommateurs l'accès à une offre alternative à celles de la nouvelle entité. Cette diversité de l'offre est à même de garantir le libre jeu de la concurrence.
56. Les risques d'atteinte à la concurrence ont également été écartés dans six zones supplémentaires (Vichy (03), Saintes (17), Quetigny (21), Le Val-Saint-Père (50), Fayet (63), Albi et Castres (81)) où la part de marché de la nouvelle entité, à partir des données disponibles et retraitées par les services d'instruction, apparaît comme étant légèrement supérieure à 40 %. En effet, dans ces zones, la nouvelle entité fera face à au moins quatre concurrents nationaux, enseignes de la GSS de l'ameublement, de l'électrodomestique ou du bricolage ainsi que de cuisinistes-spécialistes. La présence, au minimum, de quatre concurrents nationaux garantit en effet aux consommateurs l'accès à une offre alternative à celles de la nouvelle entité. Cette diversité de l'offre est à même de garantir le libre jeu de la concurrence.
57. Une analyse plus poussée est ainsi nécessaire uniquement dans deux zones restantes où la part de marché de la nouvelle entité est susceptible, sur la base des données disponibles, d'être supérieure à 50 %.
58. Dans la zone de Dieppe (76), à l'issue de l'opération, le groupe Fournier détiendra une part de marché d'environ 50 % grâce à la présence d'un point de vente Mobalpa, Socoo'c et Hygena. La nouvelle entité y restera toutefois confrontée à la concurrence de quatre enseignes nationales, à savoir un point de vente Schmidt (10-20 %), un magasin Conforama (5-10°%) et deux magasins But (5-10°%). En outre, il convient de prendre en compte le magasin Darty Cuisines de Barentin situé en bordure de zone et qui se trouve sur l'axe routier menant à Rouen, chef-lieu du département.
59. Dans la zone de Flers (61), à l'issue de l'opération, le groupe Fournier détiendra une part de marché d'environ 50 % grâce à la présence d'un point de vente Hygena (environ [40-50]°%) et d'un point de vente Perene (environ [5-10] %). Dans la zone de Flers, le groupe Fournier y restera toutefois confronté à la concurrence d'un magasin Conforama (20-30 %), d'un magasin Mr Meuble (0-5 %), d'un magasin Batiman (5-10 %) ainsi que d'un indépendant Meubles Batillat (10-20 %). En outre, il convient de prendre en compte la forte attractivité (21) du magasin Ikea situé en périphérie de la ville de Caen qui se trouve à moins d'une heure en voiture du magasin cible. [Confidentiel]. La pression concurrentielle exercée par cette enseigne est donc supérieure à ce que ne le laisse envisager sa seule part de marché.
60. Compte tenu de ces circonstances, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence dans la zone de Flers.
B. ANALYSE DES EFFETS VERTICAUX
61. Une concentration verticale peut restreindre la concurrence en rendant plus difficile l'accès aux marchés sur lesquels la nouvelle entité sera active, voire en évinçant potentiellement les concurrents ou en les pénalisant par une augmentation de leurs coûts. Ce verrouillage peut viser les marchés aval, lorsque l'entreprise intégrée refuse de vendre un intrant à ses concurrents en aval.
62. En acquérant la société Hygena Cuisines, active sur les marchés aval de la commercialisation de cuisines intégrées, le groupe Fournier, présent sur le marché amont de l'approvisionnement en cuisines intégrées à la fois en tant qu'acheteur et vendeur, renforce son intégration verticale. En effet, le groupe Fournier fabrique, via son unité Docmatis, des meubles de cuisines intégrées pour le compte de quelques distributeurs concurrents situés en aval. A l'issue de l'opération ces derniers pourraient ne plus pouvoir s'approvisionner auprès du groupe Fournier si ce dernier décidait de restreindre l'accès à son unité de production.
63. Toutefois, au regard de la part de marché limitée du groupe Fournier sur le marché français de la fabrication de meubles de cuisine (environ [5-10] %), du caractère marginal de cette activité dans le chiffre d'affaires du groupe Fournier [0-5] %, et enfin des alternatives d'approvisionnement existantes pour les distributeurs concernés (notamment SALM, Snaidero, Parisot, Nobia et Nobilia), la mise en œuvre d'une stratégie de verrouillage à l'égard des concurrents situés en aval apparaît peu vraisemblable.
64. Compte tenu des éléments qui précèdent, l'opération n'est pas susceptible d'entraîner une atteinte à la concurrence par le biais d'effets verticaux.
DECIDE, Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 14-172 est autorisée.
Note :
1 Décision n° 09-DCC-22 du 20 juillet 2009 relative à la prise de contrôle conjoint de la société Groupe Arthur Bonnet par les sociétés Snaidero et Nobilia. 3
2 Décision n° 03-D-39 du 4 septembre 2003 relative à la situation de la concurrence dans le réseau de franchise créé par la société Plus International.
3 Voir la décision n° 09-DCC-22 précitée.
4 Voir l'avis n° 07-A-06 du 16 juillet 2007 relatif à l'acquisition par la société Cafom du pôle distribution de la société Fincar dans le secteur de la vente d'équipement de la maison et les décisions de l'Autorité de la concurrence n° 09-DCC-21 du 23 juillet 2009 relative à la prise de contrôle exclusif de la société DVMM par le groupe But et décision, n° 09-DCC-62 du 2 novembre 2009 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Modera par le groupe But et n° 11-DCC-87 du 10 juin 2011 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Media Concorde SNC par la société High Tech Multicanal Group.
5 Id.
6 Décision n° 14-DCC-39 du 24 mars 2014 relative à la prise de contrôle exclusif de 12 points de vente sous enseigne Atlas et Fly par Conforama Développement, point 19.
7 Voir la décision de la Commission européenne COMP/M.6717 Whirlpool/Alno du 19 décembre 2012, points 13 et 14.
8 Voir la décision de la Commission européenne n° IV/M.1578 Sanitec/Sphinx du 1er décembre 1999.
9 Décision n° 14-DCC-190 du 22 décembre 2014 relative à la prise de contrôle exclusif de Sanitec Corporation par Geberit AG, point 24.
10 Voir les décisions de la Commission européenne COMP/M.2397 BC Funds/Sanitec du 6 juin 2001 et COMP/M.3045 Masco/Hansgrohe du 19 décembre 2002 ; voir également la décision de l'Autorité n° 14-DCC-190 précitée, point 7.
11 Décision n° 03-D-39 du 4 septembre 2003 relative à la situation de la concurrence dans le réseau de franchise créé par la société Plus International.
12 Voir les décisions n° 11-DCC-136 précitée, point 11 et 14-DCC-39 précitée, point 25.
13 Voir notamment la lettre du ministre C2006-155 précitée, et les décisions n° 14-DCC-39 précitée, point 23, et n° 11-DCC-131 précitée, point 10. 6
14 Voir la décision n° 09-DCC-22 précitée ; voir également les décisions de la Commission européenne COMP/M.4392 DSGI/FR-Invest/F-Group JV et COMP/M.4226 DGSI/Fotovista du 29 juin 2006 et les décisions n° 11-DCC-123 du 14 septembre 2011 relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés Habitat France SAS, Compania de Equipamientos del Hogar - Habitat SA et Habitat Deutschland GmbH par la société Cafom, et n° 14-DCC-39 précitée, point 34.
15 Voir la décision n° 14-DCC-28 du 5 mars 2014 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Mistergooddeal SA par le groupe Darty, point 33.
16 Voir la décision n° 14-DCC-190 précitée, point 8.
17 Voir la décision n° 12-DCC-41 du 23 mars 2012 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Brossette par la société Point P, point 54.
18 Voir les décisions n° 14-DCC-39, 11-DCC-78, 11-DCC-87 précitées et l'avis du Conseil de la concurrence n° 07-A-06 précité.
19 Dans l'hypothèse où le groupe Fournier conserve l'intégralité des points de vente.
20 Le même type d'indicateur a été utilisé pour l'analyse locale des marchés de la distribution de produits et services de téléphonie mobile (voir les décisions n° 14-DCC-179 du 27 novembre 2014 relative à la prise de contrôle d'Omer Telecom Limited par Numéricable Group et n° 14-DCC-160 du 30 octobre 2014 relative à la prise de contrôle exclusif de SFR par le groupe Altice).
21 [Confidentiel].