ADLC, 26 mars 2015, n° 15-D-04
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la boulangerie artisanale
L'Autorité de la concurrence (Section II) ;
Vu la décision n° 08-SO-05 du 23 avril 2008, enregistrée sous le n° 08-0040 F, par laquelle le Conseil de la concurrence s'est saisi d'office de pratiques concernant le secteur des farines alimentaires ; Vu la décision, en date du 26 janvier 2010, par laquelle le rapporteur général adjoint a procédé à la disjonction du volet concernant les pratiques relatives au secteur de la boulangerie artisanale de l'affaire 08-0040 F, et l'a enregistré sous le n° 10-0001 F ; Vu l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu les décisions de secret des affaires n° 12-DSA-244, 12-DSA-245 et 12-DSA-249 du 10 juillet 2012 ; n° 12-DSA-250, 12-DSA-252, 12-DSA-253 et 12-DSA-254 du 11 juillet 2012 ; n° 12-DSA-256 du 17 juillet 2012 ; n° 12-DSA-335, 12-DSA-336, 12-DSA-337, 12-DSA-338 et 12-DSA-339 du 9 octobre 2012 ; n° 12-DSA-257 et 12-DSA-259 du 16 octobre 2012 ; n° 12- DSA-260 et 12-DSA-363 du 23 octobre 2012 ; n° 12-DSA-398 du 28 novembre 2012 ; n° 12-DSA-401 du 10 décembre 2012 ; n° 12-DSA-425, 12-DSA-426, 12-DSA-427, 12-DSA-428, 12-DSA-429 et 12-DSA-430 du 17 décembre 2012 ; n° 13-DSA-231, 13-DSA-232, 13-DSA-233 et 13-DSA-234 du 12 août 2013 ; n° 13-DSA-319 du 17 décembre 2013 ; n° 14-DSA-11 et 14-DSA-12 du 20 janvier 2014 ; n° 14-DSA-18 du 23 janvier 2014 ; n° 14-DSA-211, 14-DSA-230, 14-DSA-235, 14-DSA-236, 14-DSA-237 et 14-DSA-268 du 22 septembre 2014 ; Vu les décisions de déclassement n° 13-DECR-01 du 3 janvier 2013 ; n° 13-DEC-02, 13-DEC-03, 13-DEC-04, 13-DEC-05, 13-DEC-06, 13-DEC-08, 13-DECR-02 et 13-DECR-03 du 18 janvier 2013 ; n° 13-DEC-11 et 13-DEC-12 du 18 février 2013 ; n° 13-DEC-45 du 24 juillet 2013 ; n° 13-DECR-41 du 12 août 2013 ; n° 13-DEC-59, 13-DEC-59, 13-DEC-60 et 13-DEC-61 du 3 décembre 2013 ; n° 13-DECR-52 du 5 décembre 2013 ; n° 14-DECR-04 du 3 février 2014 ; n° 14-DEC-32 du 25 juillet 2014 ; n° 14-DECR-37, 14-DECR-38, 14-DECR-39, 14-DECR-40 et 14-DEC-54 du 5 novembre 2014 ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu les observations et, le cas échéant, les notes en délibéré, présentées par les sociétés Nutrixo, Euromill, Euromill Nord, Grands Moulins de Paris, Grands Moulins Storione, Inter Farine, Ariane, Axiane Groupe, Axiane Meunerie, Minoteries Cantin, Grands Moulins de Strasbourg, Moulins Soufflet, Nicot Meunerie, Moulins Joseph Nicot, Dijon Céréales Meunerie, Minoterie Batigne, Minoterie Estager, Minoterie Forest, Moulin de Sauret, Minoterie Céard, Minoterie du Trièves et par le commissaire du Gouvernement ; La rapporteure, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Nutrixo, Euromill, Euromill Nord, Grands Moulins de Paris, Grands Moulins Storione, Inter Farine, Ariane, Axiane Groupe, Axiane Meunerie, Minoteries Cantin, Grands Moulins de Strasbourg, Moulins Soufflet, Nicot Meunerie, Moulins Joseph Nicot, Dijon Céréales Meunerie, Minoterie Batigne, Minoterie Estager, Minoterie Forest, Moulin de Sauret, Minoterie Céard et Minoterie du Trièves entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 3 décembre 2014 ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. RAPPEL DE LA PROCÉDURE
1. Par procès-verbal du 4 mars 2008, la société Wilh. Werhahn GmbH & Co. KG et ses filiales ont demandé la mise en œuvre de la procédure de clémence prévue au IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce auprès du rapporteur général du Conseil de la concurrence (ci-après, " le Conseil "), devenu l'Autorité de la concurrence (ci-après, " l'Autorité ").
2. Par un avis n° 08-AC-01 du 27 mai 2008, le Conseil a accordé à ces sociétés le bénéfice conditionnel de la clémence, sous forme d'une exonération totale de sanction. Par ailleurs, le Conseil s'est saisi d'office de pratiques mises en œuvre dans le secteur des farines alimentaires par décision n° 08-SO-05 du 23 avril 2008.
3. Par lettre du 23 avril 2008, le rapporteur général du Conseil a saisi le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes afin que soient effectuées des opérations de visite et de saisie. Le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris, par ordonnance du 17 juin 2008, a autorisé ces opérations de visite et de saisie dans les locaux des sociétés France Farine, Farine Grand Public, Groupe Meunier Celbert, Grands Moulins de Paris, Grands Moulins de Strasbourg, Moulins Soufflet SA, Euromill (et ses filiales sises à la même adresse) et Minoteries Cantin.
4. Les pièces saisies et deux rapports concernant l'exploitation de saisies informatiques ont été transmis au Conseil les 24 novembre 2008 et 28 janvier 2009.
5. Par ordonnance du 22 octobre 2009, le magistrat délégué par le premier président de la Cour d'appel de Paris a annulé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, en ce qui concerne les opérations de visite et de saisies ayant eu lieu dans les locaux de la société Moulins Soufflet SA. Le ministre chargé de l'économie a formé un pourvoi en cassation contre cette annulation, qu'il a retiré le 15 octobre 2010.
6. Le 24 avril 2009 et le 15 avril 2011, la directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, a transmis au rapporteur général de l'Autorité de la concurrence des éléments relatifs à l'augmentation du prix de la farine vendue aux boulangeries artisanales en 2007.
7. Par décision du 26 janvier 2010, le rapporteur général adjoint a procédé à la disjonction d'une saisine en plusieurs affaires. Le volet concernant les pratiques relatives au secteur de la boulangerie artisanale a été disjoint de l'affaire 08-0040 F relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des farines alimentaires, laquelle a donné lieu à la décision n° 12-D-09 du 13 mars 2012. Cette nouvelle affaire a été enregistrée sous le n° 10-0001 F.
8. Par procès-verbaux en date des 17 septembre 2010, des 7, 8 et 9 mars 2012, des pièces portant la référence n° 08-0040 F ont été versées au présent dossier n° 10-0001 F.
9. Le 22 février 2013, une notification de griefs pour des pratiques prohibées par les articles L. 420-1 du Code de commerce et 101 du TFUE a été adressée aux parties en application des dispositions des articles L.463-2 et suivants du Code de commerce.
10. Le 14 mars 2014, un rapport a été adressé aux parties, conformément aux dispositions de l'article L. 463-2 du Code de commerce.
11. En novembre 2014, un procès-verbal d'audition des représentants de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française (ci-après, " CNBF ") a été adressé aux parties. 12. La séance contradictoire s'est tenue devant l'Autorité le 3 décembre 2014. À l'issue de la séance, les parties ont été invitées à formuler, avant le 15 janvier 2015, des observations écrites concernant le procès-verbal d'audition évoqué au paragraphe précédent.
B. LE SECTEUR CONCERNÉ
1. LES CARACTÉRISTIQUES DU SECTEUR DE LA COMMERCIALISATION DE LA FARINE DE BLÉ TENDRE
a) Présentation générale de la meunerie
13. La filière de blé tendre est composée en amont par les céréaliers producteurs de blé, en aval par les artisans boulangers et les autres clients de la meunerie, et au centre par la meunerie, dont l'activité consiste à assurer la première transformation du produit agricole brut, le blé tendre, en produit semi-fini, la farine.
14. La meunerie française est le troisième producteur européen de farine de blé tendre après l'Allemagne et le Royaume-Uni. Le volume travaillé en France, c'est-à-dire les quantités de blé écrasées pour produire de la farine, est stable depuis 2002. Ce volume s'élevait en 2013 à 5,62 millions de tonnes, ce qui a permis de produire 4,38 millions de tonnes de farine, dont 615 990 tonnes étaient destinées à l'exportation. La meunerie française a réalisé en 2013 un chiffre d'affaires estimé à 2,24 milliards d'euro, dont environ 254 millions d'euro réalisés à l'export.
15. Malgré un ralentissement notable en 2009 et en 2010, le chiffre d'affaires (exprimé en milliards d'euro) réalisé par la meunerie française est en forte augmentation depuis 2005 :
" Emplacement tableau "
Source : ANMF et ONIGC/FranceAgriMer
b) L'approvisionnement des meuniers en matière première
16. Les modalités d'achat des blés sont très différentes d'un meunier à l'autre. Les modes d'approvisionnement des meuniers varient ainsi selon le vendeur de blé, la puissance d'achat, les modalités d'achat sur le marché à terme et/ou physique, le périmètre de livraison des meuniers, l'existence d'entrepôt de stockage, ou encore selon la durée de couverture des achats de blé qui peut varier d'un mois à un an.
17. Les meuniers peuvent s'approvisionner auprès d'organismes stockeurs (" OS ") et/ou directement auprès des agriculteurs. Les contrats d'approvisionnement peuvent être conclus sur le marché à terme ou sur le marché physique.
- Le marché physique (ou dit classique) est un marché de gré-à-gré non organisé sur lequel le vendeur et l'acheteur se mettent d'accord sur une quantité définie et un prix fixe.
- Le marché à terme est un marché organisé par type de produit sur lequel l'acheteur et le vendeur se mettent d'accord sur une quantité donnée de marchandises, une livraison à échéance donnée et surtout à un prix anticipé à l'avance (par exemple sur la base de l'indice Euronext pour les céréales). Les contrats sur le marché à terme suppriment donc pour l'acheteur le risque de variation de prix de la matière première sur une période déterminée.
18. Les meuniers peuvent aussi conclure des contrats sous forme d'options. Il s'agit de contrats par lesquels celui qui achète la protection achète la possibilité (d'où le qualificatif d'option) d'acheter ou de vendre une quantité donnée de matière première à une échéance donnée et à un prix fixé à l'avance au moment où le contrat est conclu. La différence avec un contrat à terme classique est que dans ce cas l'acheteur est libre d'exercer ou pas son droit d'acheter ou de vendre.
19. Certains meuniers combinent ces différentes formules pour lisser les variations de prix (prix ferme et définitif, à terme ou courant, ou acompte à la livraison et complément) en fonction de l'évolution du cours. À cet égard, la forte volatilité des cours du blé en 2007 n'a pas conduit à un changement radical de la politique d'achat des meuniers concernés par la présente instruction. En 2007-2008, compte tenu de la volatilité des cours, la proportion de contrats à terme est ainsi passée à 50 % des approvisionnements contre 30 % l'année précédente.
20. S'agissant de la couverture des approvisionnements en blé, c'est-à-dire la gestion des volumes nécessaires à la production et des risques financiers liés au type de contrat, la durée de couverture est généralement de 3 à 12 mois, même si, sur le marché physique, les contrats peuvent être de plus courte durée (un mois de couverture). La couverture des besoins en matière première peut aussi être assurée par l'acquisition de gros volumes.
c) Les cours du blé
21. Les coûts de revient de la farine sont corrélés aux variations des cours du blé, dont le poids dans le prix de revient de la farine est - selon les déclarations des meuniers - compris entre 48 et 85 %.
22. Entre 2002 et fin 2006, le cours moyen de la tonne de blé était stable et oscillait entre 100 et 140 euro la tonne. En 2007, le cours du blé a connu une forte variation à la hausse jusqu'à atteindre 280 euro la tonne en septembre 2007. Le cours s'est maintenu aux alentours de 280 euro la tonne jusqu'à l'été 2008 puis est redescendu à 150 euro la tonne en octobre 2008.
23. Plusieurs raisons ont été avancées, notamment par la presse économique, pour expliquer cette augmentation du prix du blé en 2007 :
- baisse de la production due à des conditions climatiques défavorables (sécheresse dans de nombreuses régions du monde), à une réorientation des surfaces cultivées vers le maïs pour les biocarburants et aux prix faibles des années précédentes ;
- hausse de la consommation notamment en Asie qui engendre une baisse des stocks ;
- emballement des acheteurs face à ce déséquilibre offre/demande, ou à l'inverse comportement hésitant des vendeurs du fait de la volatilité des cours ;
- intervention de fonds d'investissement sur le marché ;
- volonté de certains pays de limiter les exportations de blé pour ne pas aggraver la hausse des prix intérieurs.
24. Les cours du blé sont consultables quotidiennement. Le cours du blé fourni par l'Insee est celui de Chicago, qui est le cours du blé de référence au niveau mondial. Ce dernier est toutefois très proche de celui de Rouen, traditionnellement utilisé par la meunerie française :
" emplacement tableau "
Figure 1- Marché à terme de Chicago
" emplacement tableau "
Figure 2 - Cours du blé rendu Rouen
d) La transformation du blé tendre en farine de blé tendre
25. Les farines sont issues de mélanges de différentes variétés de blé et constituent des produits de base dont les techniques de fabrication sont simples, anciennes et bien maîtrisées par les opérateurs. Il ressort des éléments du dossier qu'une tonne de blé permet de produire en moyenne 750 kg de farine. Ainsi, le taux de blutage est généralement d'environ 75 %, c'est-à-dire qu'à partir de 100 kg de blé, on obtient 25 kg d'issues, son et remoulage, et 75 kg de farine blanche. Les issues sont les résidus obtenus après séparation de la farine par tamisage ou blutage.
26. Le décret du 30 août 1938 relatif aux déclarations des stocks de blé, de farine et de semoules et aux redevances compensatrices (modifié en dernier lieu par le décret n° 2002-319 du 20 mars 2009 relatif à la meunerie et modifiant le livre VI du Code rural et de la pêche maritime) a instauré en France une typologie des différents types de farines en fonction du taux de cendre qui rentre dans leur composition. Le taux de cendre correspond au pourcentage de matières issues de l'enveloppe et de débris du germe encore contenus dans la farine après les opérations de mouture. Par ailleurs, un arrêté de 1963 porte homologation des farines selon ces taux, dans la mesure où plus le taux de cendre est élevé, moins la farine est considérée comme " blanche ". À titre d'exemple, la farine la moins fine et la plus " brune " est la T 150, alors que la farine la plus fine et la plus " blanche ", utilisée pour les besoins de la pâtisserie et la biscuiterie, est la T 45.
e) La réglementation spécifique au secteur
27. La meunerie française fonctionne dans un cadre réglementaire spécifique qui organise la filière depuis 1938 (décret du 30 août 1938 relatif aux déclarations des stocks de blé, de farine et de semoules et aux redevances compensatrices). Cette réglementation visait à réduire progressivement les capacités productives de l'industrie meunière pour les farines commercialisées en France.
28. Chaque moulin dispose d'un plafond d'écrasement composé du contingent et des droits de mouture. Ce plafond se traduit par une limitation de la quantité de blé tendre que chaque moulin est autorisé à transformer en farine destinée à la consommation humaine sur le marché intérieur. Le contingent (exprimé en tonnes) peut, sur décision de FranceAgriMer (auparavant " ONIGC "), être transformé, totalement ou partiellement, en droit de mouture affecté aux moulins, ou détachable et ainsi être cédé ou loué à d'autres meuniers.
29. Le corollaire de cette politique de contingentement est qu'aucun nouveau meunier ne peut produire de la farine commercialisée en France autrement que par la réunion de moulins ou l'achat/location de droits de mouture. L'écrasement de blé aux fins de fabrication de farine destinée à l'exportation n'est pas concerné par cette réglementation.
30. La réglementation afférente a été révisée en vue de simplification et codifiée dans le Code rural et de la pêche maritime. Le décret n° 2009-319 du 20 mars 2009 relatif à la meunerie prévoit que la surveillance de cette réglementation est assurée par FranceAgriMer. FranceAgriMer observe, analyse, met en œuvre la politique de régulation de ce marché et gère les stocks. Le plafond d'écrasement des moulins implantés en France était ainsi fixé à 5 216 769 tonnes en décembre 2006.
31. Les petits moulins ont tendance à sous utiliser leurs contingents et droits de mouture, contrairement aux grandes entreprises. Ainsi, la meunerie française n'utilise ses contingents qu'à hauteur de 75 % (données publiques FranceAgriMer).
f) La demande en farine de blé tendre
32. La demande de farine de blé tendre destinée à la consommation humaine peut être décomposée selon l'utilisation qui en est faite :
- la farine en sachets, paquets et mixes, vendus à la grande et moyenne distribution (ci-après, segment " grandes et moyennes surfaces ", objet de la décision n° 12-D-09, précitée) ;
- la farine vendue à la boulangerie semi-industrielle (points chauds en grandes et moyennes surfaces) ;
- la farine utilisée à des fins industrielles pour la biscuiterie ou la confection d'autres produits (ci-après segment " Industrie Utilisatrice " ou " IU ") ;
- la farine et les mixes vendus en vrac ou en gros conditionnement à la boulangerie artisanale (ci-après segment " Boulangerie Artisanale " ou " BA ") ;
- l'exportation, qui peut concerner les quatre segments d'activité ci-dessus, mais qui constitue pour les professionnels un métier à part entière.
33. La boulangerie artisanale constitue le premier débouché de la farine (de type 55 ou 65 essentiellement) produite en France et également - d'après les meuniers auditionnés - un des segments les plus rémunérateurs. En 2013, 1 501 036 tonnes de farine ont été vendues aux boulangeries artisanales, ce qui représente plus de 37 % du volume total vendu sur le marché intérieur, pour près de 60 % de la production de pain sur le marché intérieur. Elles écoulent aussi 116 000 tonnes de préparation pour pains spéciaux ou viennoiseries (préparations dites mixes). Cette activité nécessite un approvisionnement fréquent en raison des faibles capacités de stockage de certains fournils de boulangeries artisanales.
34. Le nombre d'artisans boulangers, après avoir beaucoup chuté, est stabilisé depuis 2006 autour de 32 000 artisans (d'après le panorama 2013 de la Confédération Nationale de la Boulangerie-Pâtisserie Française). Cette stabilisation s'explique par le succès des démarches de qualité (essentiellement des réseaux de distribution de farines spécifiques commercialisées sous différentes marques ou enseignes, qui résultent pour une part de l'initiative d'un seul meunier, mais également pour une autre part de la constitution d'entreprises communes détenues par plusieurs meuniers ; les plus importantes sont Banette, Baguépi, Festival et Copalinemais), mais aussi par l'arrêt des ouvertures de points chauds en grandes et moyennes surfaces, dont le développement avait impacté le débouché artisanal.
35. La meunerie française dispose d'une industrie automatisée, assez largement amortie et sans besoins d'investissement majeurs. Étant donné la difficulté de se différencier, des stratégies marketing ont été développées sur la base d'enseignes, d'appuis techniques et de marques auprès des boulangeries artisanales.
36. Le secteur de la commercialisation de la farine de blé tendre à la boulangerie artisanale est l'objet de la présente décision.
2. LES ACTEURS
37. Les principaux acteurs du secteur de la meunerie sont des coopératives agricoles historiquement sous contrôle familial. Le nombre de ces opérateurs indépendants tend à décroître depuis une vingtaine d'années en raison de regroupements.
a) Les entreprises d'envergure nationale
Le groupe coopératif Champagne Céréales, aujourd'hui Vivescia, Nutrixo et ses filiales
38. Champagne Céréales était un groupe coopératif agro-industriel basé à Reims. Le groupe a fusionné en 2012 avec le groupe coopératif Nouricia pour devenir Vivescia. Ce groupe s'organise autour de deux activités : les métiers de l'agriculture et les métiers de la transformation tels que la meunerie. Le pôle meunerie du groupe est structuré autour de la société Nutrixo SAS sur laquelle Vivescia exerce un contrôle exclusif.
39. Le groupe Nutrixo a été créé en 2001. Ses activités principales sont la meunerie, la production de produits de boulangerie frais et surgelés, ainsi que la semoulerie. Le groupe a réalisé en 2012 un chiffre d'affaires de 1,290 milliard d'euro.
40. Depuis sa création, Nutrixo SAS détient indirectement les sociétés Grands Moulins de Paris, Euromill Nord, Grands Moulins Storione et Inter Farine par l'intermédiaire de ses holdings Société Financière d'Ivry et Euromill. Nutrixo détient l'intégralité du capital de ces deux sociétés intermédiaires.
41. Nutrixo SAS est présidée par M. Alain X., qui a succédé en décembre 2012 à M. Hubert Y.
Grands Moulins de Paris
42. La société Grands Moulins de Paris a été créée en 1919. Grands Moulins de Paris (ci-après " GMP ") exploite actuellement quinze sites de production de farine répartis sur l'ensemble du territoire national, dont onze sont détenus en propre et quatre sont exploités en location gérance.
43. Depuis la création du groupe Nutrixo, l'ensemble du capital et des droits de vote de la société GMP SA ont été ou sont actuellement détenus par les sociétés holding Financière d'Ivry ou Euromill SAS. Depuis le 17 décembre 2010, l'actionnaire principal de GMP est Euromill SAS en lieu et place de la Société Financière d'Ivry. Euromill SAS détient 99,99 % du capital. Jusqu'en 2009, GMP détenait elle-même 100 % du capital d'Inter Farine.
44. Depuis janvier 2013 M. Frédéric Z est président du conseil d'administration et M. Dominique A. directeur général. Jusqu'en janvier 2013, et en fonction des différentes modifications de la structure de direction de GMP, M. Hubert Y., qui était également président de Nutrixo, était à la tête de GMP. M. Michel B. dirigeait son activité meunerie depuis 1999 et a exercé les fonctions d'administrateur entre le 8 octobre 2001 et le 20 novembre 2013. Par ailleurs, M. B. est aujourd'hui membre de droit du conseil d'administration de l'Association nationale de la meunerie française (ci-après, " ANMF ") après avoir été président de la branche régionale PACA Languedoc de l'ANMF.
45. Le chiffre d'affaires réalisé dans le secteur de la boulangerie artisanale est en très forte augmentation depuis 2006, il s'élève à 112 775 122 euro en 2012.
Euromill Nord
46. Euromill Nord exploite deux sites de production de farine de blé tendre, qu'elle détient en propre à Reims et à Saint-Quentin, et une usine d'ensachage.
47. Son actionnariat est inchangé depuis au moins 2003. La société holding Euromill SAS détient 100 % du capital d'Euromill Nord.
48. M. Arnaud C est président de la société Euromill Nord depuis juin 2013, il a succédé à M. Yves D. qui occupait cette fonction depuis 1999. M. Michel B en est administrateur.
49. Le chiffre d'affaires réalisé dans le secteur de la boulangerie artisanale s'élève à 11 142 107 euro en 2012. Grands Moulins Storione
50. Grands Moulins Storione est une société anonyme qui dispose d'un site de production à Marseille.
51. Son actionnariat est inchangé depuis au moins 2003. La société holding Euromill SAS en détient 99,76 % du capital, le reste de son capital social étant réparti entre la société Euromill Nord (0,07 %) et certains de ses administrateurs.
52. Le 13 décembre 2010, une nouvelle société dénommée Société d'exploitation des Grands Moulins Storione a été constituée et la société Grands Moulins Storione y a transféré l'ensemble de son activité le 1er juillet 2011.
53. À la même date, la société Grands Moulins Storione a changé de nom pour s'appeler Société Foncière de Marseille et la nouvelle Société d'Exploitation des Grands Moulins Storione a changé de dénomination sociale en Grands Moulins Storione.
54. Ainsi, Grands Moulins Storione nouvellement dénommée Société Foncière de Marseille a exploité le site de production de 2007 au 30 juin 2011. Depuis le 1er juillet 2011, le moulin est géré par Grands Moulins Storione anciennement dénommée Société d'exploitation des Grands Moulins Storione.
55. Entre 2002 et 2007 la société a connu plusieurs dirigeants :
- jusqu'en 2004 : MM. Yves D. (président) et Jean-Claude E. (directeur général) ;
- entre 2004 et 2005 : MM. Yves D. (président), Jean-Claude E. (directeur général) et Arnaud C. (directeur général délégué) ;
- entre 2005 et 2014 : MM. Michel B. (président-directeur général) et Arnaud C. (directeur général délégué) ;
- depuis 2014 : MM. Pierre F (président-directeur général) et Arnaud C. (directeur général délégué).
56. Le chiffre d'affaires réalisé par Grands Moulins Storione dans le secteur de la boulangerie artisanale s'élève en 2012 à 21 410 762 euro. Inter Farine
57. Inter Farine est une société anonyme créée en 1990. Son siège social est situé à Troyes. Elle exploite le moulin Inter Farine à Brienne-Le-Chateau.
58. L'intégralité du capital (99,99 %) d'Inter Farine est directement détenue par Euromill SAS depuis le 26 juin 2009. Auparavant, l'intégralité de son capital était détenue par GMP.
59. Le président du conseil d'administration est M. Frédéric Z. qui a succédé en décembre 2012 à M. Hubert Y. Le directeur général est M. Yves D., tandis que M. Michel B. en est administrateur.
60. La société dispose d'une capacité annuelle de production de 100 000 tonnes de farine ainsi que de 6 000 tonnes de mixes et pré-mixes.
61. Le chiffre d'affaires réalisé par Inter Farine en boulangerie artisanale était de 11 792 556 euro en 2012. La coopérative Épis-Centre, aujourd'hui Axéréal, Ariane et ses filiales
62. Épis-Centre était un groupe coopératif agricole et agro-industriel basé à Bourges. Ses activités se développaient autour de trois métiers, aussi bien en France qu'à l'international : les métiers du grain, le négoce européen (achat/vente de grains et services de logistique) et la transformation du grain, dont fait partie la meunerie. M. Bruno G en était président.
63. Épis-Centre était le troisième groupe meunier français. Ses produits étaient notamment commercialisés sous les marques Francine, Lemaire et Treblec. La coopérative a réalisé pour l'exercice comptable complet 2007-2008 un chiffre d'affaires consolidé de 1,77 milliard d'euro pour un résultat net de 23 millions d'euro.
64. Le pôle meunerie du groupe Epis-Centre a fait l'objet de plusieurs restructurations internes entre 2008 et 2010. Il est constitué autour de la société Ariane qui contrôle indirectement les sociétés Axiane Meunerie (ex-Groupe Meunier Celbert) et Minoteries Cantin par l'intermédiaire de la société holding Axiane Groupe dont elle détient l'intégralité du capital. Au 31 décembre 2013, Ariane était détenue à 79,55 % par Axereal (ex-Epis-centre), et à 4,79 % par Pasiphae (fond détenu majoritairement par les agriculteurs), le reste du capital appartenant à des établissements bancaires.
65. En juillet 2009, le groupe Epis-Centre a constitué avec le groupe coopératif agricole Agralys une union de coopératives agricoles dénommée Axéréal.
66. Le pôle meunerie comprend aujourd'hui 8 moulins et des plates-formes de distribution sur le grand Ouest et le Centre de la France. Le Groupe Meunier Celbert, devenu Axiane Meunerie
67. Le Groupe Meunier Celbert était un groupe familial situé à Maure-de-Bretagne. Fondé en 1922, il était actif dans le secteur de la boulangerie artisanale, avant de se diversifier à partir de 1954 dans le secteur de la farine en sachets. Il a ensuite poursuivi une stratégie de développement par acquisition de moulins familiaux dans l'ouest de la France.
68. La société holding Groupe Meunier Celbert holding détenait l'ensemble des participations des filiales du groupe (sept sociétés, dont la société Amo Moulin de la Gare), toutes actives dans le secteur de la meunerie. Le 3 avril 2008, la société Ariane a fait acquisition de l'intégralité du capital du Groupe Meunier Celbert.
69. À la date de son acquisition par la coopérative Épis-Centre via la société Ariane le 3 avril 2008, le Groupe Meunier Celbert exploitait 11 moulins et une usine d'ensachage située à Maure-de-Bretagne.
70. Le 31 décembre 2009, Groupe Meunier Celbert a changé de dénomination pour devenir Axiane Meunerie. L'intégralité du capital d'Axiane Meunerie a été transféré à la société holding Axiane Groupe en 2010.
71. Le pôle meunerie a été dirigé jusqu'en 2009-2010 par les frères H., MM. Jean-Christophe et Jean-François H. (respectivement en charge des débouchés grandes et moyennes surfaces et boulangerie artisanale). M. Thierry I. (représentant la holding familiale Hébert) a pris la direction du pôle meunerie en mars 2009. M. Tanguy J. a pris à son tour la direction du pôle en 2012 après le départ de M. Thierry I. Axiane Meunerie est aujourd'hui présidé par M. Philippe K.
72. Le chiffre d'affaires réalisé en boulangerie artisanale en 2012 s'élève à 46 735 195 euro. Minoteries Cantin
73. La société Minoteries Cantin, acquise par la coopérative Epis-Centre en 2002, est une société par actions simplifiées dont le siège est situé Moulin de la Cour à Reuilly.
74. Jusqu'à sa prise de contrôle en 2002 par Epis-Centre via la société Ariane, les sociétés Minoteries Cantin, Poirier, Thivat Meunerie et Grands Moulins de Semblançay formaient le groupe Cantin. En 2005, Epis-Centre a restructuré son pôle meunerie en regroupant les sociétés Thivat Meunerie et Poirier sous les Minoteries Cantin.
75. Jusqu'alors directement détenue par la société Ariane, Minoteries Cantin est devenue filiale à 100 % d'Ariane Meunerie à compter du 13 juin 2008 (date de constitution d'Ariane meunerie), nouvelle société mère du pôle meunerie, elle-même détenue à 100% par la société Ariane. Le 20 avril 2010, la société Ariane Meunerie a changé de dénomination sociale pour s'appeler Axiane Groupe SAS.
76. Minoteries Cantin détient, directement ou indirectement, quatre moulins : les moulins de Reuilly (qui est également une usine d'ensachage), de Semblançay, de Saint-Germain-de-Salles (fermé depuis janvier 2010) et de Meung-sur-Loire (fermé depuis octobre 2008). En avril 2010, les moulins de Reuilly et de Semblançay ont été mis en location gérance auprès d'Axiane Meunerie (ex-Groupe Meunier Celbert).
77. En 2010, le chiffre d'affaires réalisé dans le secteur de la boulangerie artisanale par les Minoteries Cantin était de 1 722 472 euro.
Le groupe Grands Moulins de Strasbourg
78. Actif depuis 1955, le groupe Grands Moulins de Strasbourg est un groupe familial dirigé par la famille L. Il est actif dans tous les domaines de la meunerie en France et dispose aussi de quelques sites de production en Allemagne. Son siège social est situé à Paris, 67 avenue de Iéna et son siège administratif à Strasbourg.
79. Le groupe Grands Moulins de Strasbourg est structuré autour de sa holding industrielle, la société Grands Moulins de Strasbourg, de la façon suivante: la société Sofracal, société holding dont l'actionnaire majoritaire est indirectement M. Bertrand L., détient 61,17% de la société Grands Moulins de Strasbourg, qui détient 100 % du capital de l'ensemble des filiales du groupe.
80. Le reste du capital de la société Grands Moulins de Strasbourg est détenu par la famille L. (à hauteur de 5,19 %), et par Moulins Soufflet qui a augmenté sa participation à hauteur de 30,74 % (jusqu'en décembre 2008 cette participation était de 24,82 %), le pourcentage restant est détenu par le public.
81. M. Bertrand L. est le président-directeur général de la société Grands Moulins de Strasbourg et M. Jean-Paul M. le directeur général délégué. René N, décédé en novembre 2012, était le directeur commercial de GMS depuis 2000 ainsi que le président de la région Alsace Lorraine de l'ANMF.
82. Le groupe détient plusieurs filiales dans la meunerie, GMS meunerie (commercialisation de la farine en sachets), la Toulousaine des farines, Moulins Deligne, Moulins Réunis de la Sarthe, Grands Moulins Aubry, Minoterie Mercier Capla, les Meules de Flandre. Le 25 janvier 2012, les Grands Moulins de Strasbourg ont fait l'acquisition de la minoterie Estager.
83. Le groupe a réalisé un chiffre d'affaires de 281 millions d'euro en 2011, dont 80 % correspond à la seule activité meunerie.
84. Le chiffre d'affaires réalisé en boulangerie artisanale s'élevait en 2011 à 27 146 000 euro.
Le groupe Soufflet et sa filiale Moulins Soufflet
85. Le groupe Soufflet, créé en décembre 1946, est détenu à 100 % par la famille Soufflet via la holding Groupe Familial Soufflet. Ce groupe agro-industriel opère principalement sur deux filières céréalières, l'orge et le blé, tant en France que dans le reste de l'Europe. Spécialisé dans la première transformation, il est actif sur le marché mondial du malt et exerce une activité de meunerie dans toute l'Europe. Le groupe détient 100 % de la société Ceres/UBEMI qui est le leader du secteur de la meunerie en Belgique. Moulins Soufflet détient également une participation dans Grands Moulins de Strasbourg à hauteur de 30,74 % (elle s'élevait à 24,82 % jusqu'en décembre 2008).
86. Les fonctions de président du directoire du Groupe Soufflet sont exercées par M. Jean-Michel O. Les fonctions de président du conseil d'administration et de directeur général sont assurées par Éric P. depuis le 29 juillet 2010. M. Jean-Philippe Q. était directeur général jusqu'en 2008.
87. Le pôle meunerie du groupe est principalement représenté par sa filiale Moulins Soufflet qui a réalisé un chiffre d'affaires de 291 millions d'euro en 2011 et produit 1 090 000 tonnes de farine. Elle est détenue à 95 % par les Établissements Jean Soufflet eux-mêmes contrôlés à hauteur de 85 % par la holding Groupe Familial Soufflet.
88. La société Moulins Soufflet SA exploitait en 2008 neuf sites de production situés en France : à Châtellerault, Saint Genest de Contest, Thor, Lozanne, Corbeil, Rouen, Dienville, Pornic et Strasbourg. Le pôle meunerie du groupe est en constante progression, deux sites de production ont été acquis en 2009 et 2010, il s'agit de Grands Moulins Becker et de Grands Moulins d'Ozon.
89. Moulins Soufflet a réalisé en 2012 un chiffre d'affaires de 77 573 826 euro dans le secteur de la boulangerie artisanale.
b) Les entreprises d'envergure régionale ou départementale
Le groupe Nicot Meunerie et sa filiale Moulins Joseph Nicot
90. Créé en 1972, le groupe Nicot est un groupe familial actif dans la meunerie et la nutrition animale. Il est principalement implanté en Bourgogne, Franche-Comté et dans la région Rhône-Alpes.
91. Ce groupe est détenu par la holding Philibert Nicot et est dirigé par M. Joseph R qui est également président de l'ANMF et de la région Rhône Alpes de l'ANMF.
92. La minoterie est la principale activité du groupe. Elle contribue à la moitié du chiffre d'affaires consolidé du groupe, soit environ 70 millions d'euro. Elle est représentée par la holding Nicot Meunerie SAS qui intervient dans ce secteur via cinq moulins : Moulins Joseph Nicot, Moulins du Bion, Moulins de Parcey, Moulins Clechet, et les Moulins Michelot.
93. Les sites de production sont détenus par les filiales Moulins Joseph Nicot, SNMP/ Moulins de Parcey et Moulins du Bion. Les Moulins Clechet ont cessé leur activité et leur fonds de commerce a été repris dans le cadre d'une location gérance par les Moulins du Bion.
94. SNMP est une holding financière qui possède 99,99 % de parts des Moulins de Parcey SARL. Les Moulins Michelot, société anonyme rachetée en 2000 par Moulins Joseph Nicot SAS, sont devenus un établissement des Moulins Joseph Nicot SAS après fusion. Leur chiffre d'affaires est donc intégré dans le chiffre d'affaires des Moulins Joseph Nicot SAS. La société Boivin Cie est une filiale de Moulins Joseph Nicot SAS qui effectue des prestations de collectes de céréales pour le compte de la Coopérative Bourgogne du Sud et loue ses silos et entrepôts à sa maison mère, Moulins Joseph Nicot.
95. En 2009, Nicot Meunerie SAS est entrée à hauteur de 5 % au capital du Moulin Decollogne, spécialisé dans les farines biologiques.
96. Le chiffre d'affaires consolidé de Nicot Meunerie s'élevait en 2010/2011 à 59 millions d'euro dont 35 millions d'euro réalisés sur le segment de la boulangerie artisanale. Sa filiale Moulins Joseph Nicot a réalisé à elle seule un chiffre d'affaires de 19 844 109 euro dans le secteur de la boulangerie artisanale en 2012.
Le groupe Dijon Céréales et sa filiale Dijon Céréales Meunerie
97. Le groupe coopératif Dijon Céréales a été créé en 1991. Il est composé d'une dizaine de sociétés actives dans la culture des céréales, la meunerie mais aussi la distribution et la logistique.
98. Dijon Céréales intervient dans le secteur de la meunerie via deux principales filiales :
- Moulin Decollogne produit 8 000 tonnes de farines biologiques par an pour un chiffre d'affaires de 6,5 millions d'euro ;
- Dijon Céréales Meunerie produit 85 000 tonnes de farine par an et a réalisé en 2012 un chiffre d'affaires annuel d'environ 44 millions d'euro.
99. Dijon Céréales Meunerie (" DCM ") est dirigée depuis octobre 2012 par Mme Valérie 11 en qualité de directeur général. Elle a succédé à M. Étienne 12 Auparavant et jusqu'en 2008, ce poste a été occupé par M. David 13, puis par M. Pierre 14 qui a assuré les fonctions de directeur général par intérim jusqu'à la nomination de M. 12 Le capital variable de la coopérative est détenu par plusieurs coopératives agricoles et des moulins, dont le Moulin Joseph Nicot, et les Moulins Pyrénéens (filiale de Grands Moulins de Strasbourg).
100. Le chiffre d'affaires réalisé par DCM dans le secteur de la boulangerie artisanale était en 2012 de 17 666 593 euro.
Minoterie Batigne
101. Minoterie Batigne est une SAS familiale créée en 1934. Le capital est entièrement détenu par la famille Batigne. Son siège est situé à Réalmont dans le Tarn. La société est dirigée par les frères Batigne : M. Jean-Marc 15 est président et M. Christian 15 est directeur général.
102. Elle dispose d'un moulin situé à Réalmont, d'un entrepôt et de plusieurs sites de stockage à partir desquels sont effectuées les livraisons dans un rayon de 150 km.
103. Le moulin a été entièrement reconstruit en 2008, sa capacité de production a été triplée et les droits de mouture ont doublé. En 2011, ce moulin a vendu 44 000 tonnes de farines.
104. La Minoterie Batigne a réalisé en 2012 un chiffre d'affaires de 9 555 536 euro dans le secteur de la boulangerie artisanale.
Minoterie Estager
105. La société Estager SA était une société familiale créée en 1976. Le 5 janvier 2012, l'intégralité du capital détenu par la famille W a été reprise par les Grands Moulins de Strasbourg via la holding SMD participations.
106. La minoterie Estager est dirigée par M. Jean-Marie W qui occupe les fonctions de directeur général. M. W est également président de l'ANMF pour la région Limousin.
107. Son siège et son unique site de production se situent à Égletons en Corrèze. Sa clientèle est composée de plus de 250 boulangeries situées dans un rayon de 200 km. Les volumes vendus concernent principalement de la farine de type 65 et s'élèvent par an entre 7000 et 8000 tonnes.
108. Le chiffre d'affaires réalisé par la minoterie Estager dans le secteur de la boulangerie artisanale s'élevait à 4 477 000 euro en 2011.
Minoterie Forest
109. Cette minoterie fondée en 1921, basée à Bray, est exploitée par la famille 1 qui détient toujours la majorité du capital. M. Alain 1 en est le président et Mme Karine 1 a succédé en 2010 à M. André 1 au poste de directeur général.
110. Elle dispose d'un site de production situé à Bray et de cinq entrepôts à partir desquels les livraisons sont réparties entre trois zones de chalandise : le secteur nord, le secteur sud et le centre sur lesquelles interviennent une trentaine de commerciaux. Sa capacité de production est d'environ 65 000 tonnes par an.
111. Son chiffre d'affaires varie de 30 à 40 millions d'euro par an, dont 65 à 75 % sont générés par le secteur de la boulangerie artisanale. Sa production est commercialisée auprès de 1 200 artisans boulangers situés dans un rayon de 250 km autour des entrepôts ou du moulin.
112. Le chiffre d'affaires réalisé en boulangerie artisanale est de 27 581 000 euro en 2012.
Moulin de Sauret
113. Le Moulin de Sauret, acquis par la famille 2 en 1967, est situé chemin de Sauret à Montpellier. Son capital est toujours détenu par la famille 2 et son président est M. Jean-Pierre 2 qui est aussi en charge de la politique commerciale et des achats du moulin.
114. Il commercialise 80 références de farines et dispose d'une station de mélange pour produire des pains spéciaux.
115. Son chiffre d'affaires annuel, en progression depuis 2006, est passé de 3 millions d'euro à 5 millions d'euro en 2011 pour un volume d'environ 6 000 tonnes de farine vendues par an. Environ 75 % de ce chiffre est réalisé sur le secteur de la boulangerie artisanale.
Minoterie Céard
116. La SAS Céard exploite un moulin situé dans les Hautes-Alpes à Saint André d'Embrun. Cette société familiale est présidée par M. Paul 3 et son fils M. Guillaume 3 est en charge de la direction commerciale.
117. Elle dessert plus de 250 clients dans 10 départements.
118. Son chiffre d'affaires annuel s'élevait en 2012 à 3 788 601 euro, dont 2 631 934 euro réalisé en boulangerie artisanale.
Minoterie du Trièves
119. La Minoterie du Trièves - Correard et Fils a été créée en 1952 par le grand-père de M. Philippe 4, actuel dirigeant de la société. Le capital est aujourd'hui toujours détenu par la famille 4 Son moulin est situé à Clelles en Trièves dans l'Isère. Depuis les années 2000, le moulin a continuellement procédé à l'achat de droits de mouture. Ils s'élèvent aujourd'hui à 80 000 quintaux.
120. Son chiffre d'affaires qui avoisine 4 millions d'euro par an est réalisé intégralement sur le segment de la boulangerie artisanale. Sa clientèle active est composée de 300 artisans boulangers livrés dans un rayon de 150 à 250 km autour du moulin (région grenobloise, Alpes de Hautes Provence et Hautes-Alpes).
121. Son chiffre d'affaires, qui avoisine 5 millions d'euro par an, est réalisé pour l'essentiel sur le segment de la boulangerie artisanale.
c) Les organisations professionnelles nationales
122. L'ANMF, association nationale de la meunerie française, est une fédération de syndicats régionaux qui regroupe 289 unités de production, ce qui représente 95 % de la production française de farine. Les moulins adhèrent directement aux syndicats régionaux même s'ils sont filiales de grands groupes. Les présidents de région sont élus par les moulins qui disposent en fonction de leur contingentement d'un nombre de voix non strictement proportionnel. Depuis novembre 2006, le président de l'ANMF est M. Joseph R Le siège de l'association est situé au 66 rue La Boétie à Paris.
123. La MPMF (moyenne et petite meunerie française) a été créée en 1976 et regroupe des meuniers commercialisant moins de 50 000 quintaux de farine par an. L'association, qui compte plus de 120 adhérents, œuvre ainsi pour la reconnaissance de la petite et moyenne meunerie, et pour la défense de l'artisanat. La MPMF représente ses adhérents au sein de l'ANMF.
124. L'ensemble des meuniers concernés par la présente affaire sont adhérents de l'ANMF soit directement, soit par l'intermédiaire des syndicats régionaux ou de la MPMF.
C. LES COMPORTEMENTS MIS EN OEUVRE PAR LES MEUNIERS
125. Seront successivement examinés la réunion du 11 juin 2007 (1.), les contacts relevés par les services d'instruction (2.), la mise en œuvre de l'objectif de hausse du prix de vente de la farine (3.), les hausses constatées (4.) et enfin les éléments de surveillance (5.).
1. LA RÉUNION DU 11 JUIN 2007, AVENUE D'IÉNA À PARIS
a) La tenue de la réunion
126. Il résulte des documents saisis, et notamment de l'agenda de M. Jean-Christophe H, des notes manuscrites de M. Éric S (Minoteries Cantin), ainsi que des déclarations de M. Bernard U (Minoteries Cantin), qu'une réunion informelle s'est tenue entre représentants de meuniers le 11 juin 2007.
127. À la date du 11 juin 2007, l'agenda de M. Jean-Christophe H comporte la mention " Réunion ANMF Av d'Iéna " :
" emplacement tableau "
128. Sur cet agenda, est également inscrit sous l'adresse de la réunion : " Hausse (+12/15) ".
129. M. S, ancien directeur général de Minoteries Cantin, a confirmé lors de son audition du 3 avril 2009 l'existence et le lieu de cette réunion en déclarant : " J'ai assisté à cette réunion. Je ne me souviens plus dans quel cadre elle a eu lieu. [...] Il y avait probablement M. N [Grands Moulins de Strasbourg], c'est lui qui recevait ".
130. Lors de son audition du 2 avril 2009, M. Jean-Christophe H a reconnu avoir participé le 11 juin 2007 à une réunion " exceptionnelle et informelle compte tenu de la hausse exceptionnelle des cours qui bouleversait la profession ".
131. Sur le caractère informel de cette réunion, il ressort des pièces du dossier que les réunions de l'ANMF ont toujours lieu au siège du syndicat, et non chez un des adhérents comme cela a été le cas le 11 juin 2007. À cet égard, M. Joseph R, président de l'ANMF a ainsi déclaré : " Toutes les réunions ANMF ont toujours lieu rue de la Boétie et pas avenue d'Iéna. En tant qu'adhérent, je n'ai jamais participé à une réunion ANMF en dehors des locaux de l'ANMF ". Cette mention indique néanmoins que la réunion du 11 juin 2007 concernait des sociétés adhérentes de l'ANMF.
b) L'objet de la réunion
132. Un document manuscrit, datant du lendemain de la réunion, a été saisi chez Minoteries Cantin. Les notes, rédigées par M. Éric S, révèlent que lors de cette réunion les participants ont débattu du montant et de la date de deux hausses de prix de la farine " à faire passer ". Cette note comporte plusieurs points, dont le premier est rédigé dans les termes suivants :
" RV B. U. du 12-06-07 Réunion " marchés farines " av. d'Iéna. Volonté de la profession de monter les prix de 50 euro sur tous les marchés qui se négocient actuellement. - En BA sur juillet + 5 euro - En Indus sur les contrats qui se négocient actuellement : +50euro Pour la suite + 50 euro base Matif nov 07 à 165 Pour Cantin : les commerciaux tournent depuis 15 jours pour parler de la hausse à venir (formation blé réalité) Objectifs :+5 euro/ql à passer dans l'été ANMF Nicot communique largement sur les meuniers et la presse pour lancer la démarche de hausse des matières premières hausse des farines Lancement Harry's, la négo est en cours et Soufflet a lâché à +30euro/T. Il sera difficile de faire mieux " (soulignements ajoutés).
133. M. Éric S a déclaré lors de son audition du 3 avril 2009 que ce document est " un compte rendu que j'ai fait d'un échange entre M. U et moi " qui " ne relate pas complètement la réunion marchés farine avenue d'Iéna qui s'est tenue le 11 juin 2007 ".
134. Concernant la mention " volonté de la profession de monter les prix de 50 euro sur tous les marchés actuellement En BA sur juillet +5euro ", M. S précise qu'il s'agit d'" un échange avec Bernard U sur les informations issues des équipes commerciales. Nous constations que la hausse de la plupart des meuniers était de 50 euro le quintal à cette période ". Il résulte pourtant des éléments recueillis par l'instruction que, à la date du 12 juin 2007, aucun meunier n'avait encore augmenté ses prix, de sorte qu'il est matériellement impossible que la société Minoteries Cantin ait pu constater une hausse " de 50 euro le quintal à cette période ".
135. M. S a par ailleurs indiqué : " Il s'agissait d'aborder des points techniques et surtout la communication sur la hausse des prix du blé se répercutant sur les prix de la farine à destination de nos clients car le contexte était exceptionnel. La profession souhaitait que le syndicat reprenne la communication sur le sujet de la hausse des prix du blé car nos équipes commerciales étaient fébriles. L'autre point technique abordé était celui de la qualité des blés ". Selon lui, la politique tarifaire n'était pas abordée.
136. M. Bernard U, PDG de Cantin, lors de son audition du 3 février 2009 a également déclaré que la réunion était une " conséquence de la hausse du prix du blé " car " la profession était très inquiète de la hausse des prix des blés ".
137. Sur les raisons nécessitant une réunion de la profession M. Bernard U a ajouté : " Ce n'est pas seulement pour constater la hausse mais pour constater une hausse du prix de revient. L'analyse portait également sur l'évolution future des cours du blé et les conséquences sur les sociétés car le prix du blé constitue 80 à 85 % du prix de la farine ".
c) Les participants à la réunion
138. M. S ne se souvient plus quels étaient les participants à cette réunion mais déclare: " Il y avait une quinzaine de représentants de la profession ".
139. M. Jean-Christophe H a pour sa part indiqué que : " probablement MM. R, S, N et moi-même étions présents à cette réunion " et " je ne me souviens pas de la présence de GMP ou Soufflet ". S'agissant de la présence de M. Joseph R, M. Jean-Christophe H précise toutefois: " je ne me souviens pas avec certitude qu'il ait été présent. Le cas échéant il agissait en tant que président de l'ANMF ".
140. En sus des déclarations de M. Jean-Christophe H, la présence de M. Joseph R à la réunion du 11 juin 2007 est également attestée par les notes de M. S qui indiquent " ANMF Nicot communique largement sur les meuniers et la presse pour lancer la démarche de hausse des matières premières hausse des farines ", et par M. Joseph R lui-même qui a affirmé, lors de son audition, qu'il ne s'agissait pas d'une réunion syndicale. Ces éléments indiquent ainsi la présence de M. R à cette réunion non pas au titre de l'ANMF, mais de ses propres moulins.
141. Par ailleurs, un ancien salarié du groupe Celbert (selon ses dires, dans la branche " grandes et moyennes surfaces "), M. Guy V, a sollicité de lui-même une audition par courrier électronique du 16 mai 2012, à la suite de sa prise de connaissance, par voie de presse, de la décision n° 12-D-09 de l'Autorité. M. Guy V s'estimait en effet " utile " à l'Autorité de la concurrence dans la perspective des recours formés contre sa décision n° 12-D-09. Lors de son audition du 21 juin 2012, M. Guy V a déclaré : " Je n'étais pas présent à cette réunion [il est fait référence à la réunion du 11 juin 2007], me trouvant à l'extérieur devant animer une autre réunion. Je me trouvais dans les locaux de GMS au 61 avenue d'Iéna avec M. 5, salarié Celbert, quand les participants à cette première réunion de concertation sont sortis. Il y avait : pour Soufflet Jean-Philippe Q, pour GMP Michel B et toutes les sociétés qu'il dirige, pour les Grands Moulins de Chartres Thierry I, pour GMS René N, pour le groupe Celbert Jean-Christophe H, pour Minoterie Cantin Episcentre Éric S et Philippe T, il y avait peut-être un représentant de GFF ".
2. LES AUTRES CONTACTS RELEVÉS PAR LES SERVICES D'INSTRUCTION
a) Les contacts antérieurs au 11 juin 2007
142. Deux agendas saisis le 26 juin 2008 dans les locaux de Groupe Meunier Celbert, aujourd'hui Axiane Meunerie, attestent de contacts préalables à la réunion du 11 juin 2007.
143. L'agenda 2007 de M. Jean-Christophe H indique ainsi que plusieurs échanges téléphoniques ou physiques avec des représentants de moulins concurrents ont eu lieu au cours de la période précédente:
- avec Grands Moulins de Strasbourg : " 9h30 av d'Iéna " le 18 avril 2007, " 15h René N " le 5 juin 2007 ;
- avec Moulins Soufflet : " Rue du Louvre "J.Philippe Q" Paris " le 9 mai 2007 ; " Tel J.P Q " le 6 juillet 2007.
b) L'assemblée générale France Farine du 6 juin 2007
144. Des notes manuscrites saisies chez Groupe Meunier Celbert indiquent qu'une réunion a eu lieu le 6 juin 2007 en marge d'une assemblée générale de France Farine entre plusieurs actionnaires du groupe, dont M. Jean-Christophe H.
145. France Farine est une structure de commercialisation de farine en sachet (activité grandes et moyennes surfaces) créée le 18 décembre 1965 par plusieurs entreprises françaises de meunerie, la plupart également actives sur le débouché de la boulangerie artisanale.
146. La lecture de ces notes révèle qu'il a été discuté à cette occasion du principe d'une hausse des prix et des montants d'augmentation envisagés. Cette hausse concerne non seulement la farine en sachet - objet de France Farine - mais aussi les autres débouchés de la meunerie, et notamment la boulangerie artisanale (" BA "). S'agissant de la boulangerie artisanale, il apparaît toutefois que le montant de la hausse n'était pas acté à cette date.
c) La réunion du 28 août 2007
147. L'agenda de M. J-C H indique en date du 28 août 2007 une " réunion à 4 " en mentionnant " Matif 190.25 (le 18-07-07) " et " +100 en BA au 1.10 ".
148. Cette pièce atteste qu'au 28 août 2007 le montant de la seconde hausse (" +100 ") était décidé et sa date de passage prévue pour le 1er octobre (mention " au 1.10 "). En se référant aux dates de passage de la seconde hausse effectuée par le Groupe Meunier Celbert, il est constaté que celle-ci a bien été organisée fin septembre/début octobre 2007, avant d'être définitivement annoncée aux artisans boulangers le 17 octobre 2007.
d) La réunion du 17 octobre 2007
149. L'agenda de M. Jean-Christophe H indique en date du 17 octobre 2007 une " Réunion Hausse Av d'Iéna " dans les locaux de Grands Moulins de Strasbourg.
150. L'agenda de M. Jean-Christophe H atteste ainsi, à tout le moins, d'une rencontre entre les représentants de Celbert et de GMS relative à la " hausse ".
151. Il est par ailleurs constaté que cette réunion a eu lieu le jour de l'annonce du montant de la seconde hausse par M. Jean-François H à ses clients artisans boulangers.
e) Les autres échanges
152. Les documents issus des opérations de visite et de saisies, ainsi que les déclarations de M. Guy V, indiquent que d'autres échanges entre meuniers ont eu lieu au cours des périodes d'augmentation du prix de la farine.
153. L'agenda de M. Jean-Christophe H indique en effet plusieurs échanges téléphoniques ou physiques avec des moulins concurrents :
- avec Grands Moulins de Strasbourg : " Tel N " le 1er octobre 2007, " Déjeuner René N " le 18 septembre 2007 ;
- avec Grands Moulins de Strasbourg et Minoteries Cantin : " 14h chez L. - 16 - 17 + M. S " le 4 septembre 2007 à 14h. Cette réunion initialement prévue dans les locaux des Grands Moulins de Strasbourg (puisque la mention est barrée dans l'agenda) aurait été remplacée par une réunion téléphonique à 15h (mention ajoutée au-dessus " 15h Réunion téléphonique ").
154. Les agendas 2007 et 2008 de M. Jean-François H indiquent eux aussi plusieurs contacts avec des concurrents :
- avec Minoteries Cantin : le 5 octobre 2007, le 28 novembre 2007 avec M. U avec la mention " U/perso ", le 21 février 2008, le 4 mars 2008, le 28 mars 2008, le 29 avril 2008 et le 14 mai 2008 avec MM. U et S " 9h30 U Éric S" ;
- avec Moulins Joseph Nicot : le 23 septembre 2007 ;
- avec Grands Moulins de Strasbourg : le 18 mars 2008 " GMS 9h30 ".
155. Ces contacts ont donc eu lieu au cours de la même période que celle des réunions relatives aux hausses, des passages de hausses, et de la surveillance de la mise en œuvre effective de l'objectif de hausses.
156. Il est par ailleurs souligné qu'à tout le moins une partie de ces contacts entre concurrents pourraient être relatifs au passage des hausses. Dans ses déclarations, M. Guy V a ainsi indiqué : " concernant Joseph R, j'ai assisté à des conversations téléphoniques entre J-C H et J.R sur des fixations de prix ".
3. LA MISE EN OEUVRE DE L'OBJECTIF DE HAUSSE DU PRIX DE VENTE DE LA FARINE AUX ARTISANS BOULANGERS EN 2007
a) La communication uniformisée par voie de circulaires
157. La plupart des meuniers ont généralisé à l'été 2007 l'envoi de courriers aux clients afin d'annoncer le passage de la hausse.
158. Ce mode de communication n'est pas exceptionnel pour certaines des sociétés en cause, notamment les sociétés du groupe Ariane et du groupe GMS. Certains meuniers ont toutefois déclaré qu'il ne leur était pas usuel de procéder à l'envoi de circulaires lors des propositions de hausse de prix.
159. Auditionné le 3 mai 2012, M. Jean-Marie W a ainsi déclaré : " D'habitude, nous ne procédions pas de la sorte. C'est uniquement en raison du contexte particulier de 2007 que nous avons envoyé les circulaires ".
160. Ces courriers ou circulaires présentent une rédaction similaire (introduction, causes de l'augmentation, phrase annonçant l'augmentation, conclusion, style, mise en forme). À titre d'illustration, les circulaires envoyées à l'été 2007 par GMP, Inter Farine, Minoterie Forest, Euromill Nord, Estager, Dijon Céréales Meunerie débutent toutes par la même phrase d'introduction :
- " Comme vous le savez, les cours du blé (GMP) ;
- " Comme vous le savez certainement " (Inter Farine) ;
- " Comme vous le savez sans doute, les cours du blé " (Forest) ;
- " Vous l'avez sans doute entendu par voie de presse (Euromill Nord) ;
- " Vous avez sûrement entendu parler dans les médias " (Estager) ;
- " Vous n'êtes pas sans avoir entendu parler " (Dijon céréales meunerie).
161. De plus, les arguments de hausse avancés par les meuniers sont identiques et présentés de la même façon :
- " Par l'augmentation de la consommation mondiale du blé et notamment en Chine et en Inde, par le développement des biocarburants, mais également par les aléas climatiques. " (GMP) ;
- " La conjonction des principaux facteurs à l'échelle mondiale : stocks mondiaux très bas, augmentation de la consommation en Chine et en Inde, aléas climatiques, développement des biocarburants " (Inter Farine) ;
- " La demande internationale (pays d'Asie en particulier) et la mutation du blé panifiable en biocarburant " (Forest) ;
- " Elle s'explique par la conjonction de trois facteurs à l'échelle mondiale : les stocks de blé sont au plus bas dans le monde et la demande est forte (Chine, Inde), le développement du bioéthanol, les aléas climatiques de plus en plus fréquents et imprévisibles viennent aggraver les tensions sur les marchés " (Euromill Nord) ;
- " Les raisons de ces hausses s'expliquent notamment : des stocks mondiaux au plus bas, une consommation en hausse, des prévisions de récolte en baisse, la mise en place biocarburants avec des volumes triturés très importants mais aussi : une spéculation sur les marchés financiers, le fait que les céréales deviennent aujourd'hui un équivalent pétrole " (Estager) ;
- " Le marché des céréales ne déroge pas à ces mouvements qui sont même amplifiés par l'augmentation de la demande, tant à la consommation alimentaire, que pour les besoins de production énergétique " (Dijon céréales meunerie).
162. Mais surtout, certaines circulaires annoncent expressément une hausse de 5 euro au quintal :
- " Nous sommes aujourd'hui dans l'obligation d'augmenter nos tarifs de 5 euro par quintal " (GMP) ;
- " Nous appliquerons une majoration de 5 euro le quintal " (Inter Farine) ;
- " Nous sommes contraints d'appliquer une hausse que nous limitons à 5 euro le quintal " (Forest) ;
- " Nous sommes amenés à passer une hausse de 5 euro le quintal " (Euromill Nord) ;
- " Nous sommes dans l'obligation de répercuter une partie de cette augmentation, à savoir 5 euro le quintal " (Estager) ;
- " Nous avons décidé l'application d'une hausse de 5 euro le quintal " (Dijon céréales meunerie).
163. Par ailleurs, un modèle de circulaire Soufflet, c'est-à-dire vierge de tout destinataire, intitulé " Lettre envoyée à nos artisans boulangers ", daté du 13 juin 2007 et signé par M. Jean Philippe Q, directeur meunerie de Moulins Soufflet, a été saisi dans le bureau de M. Nicolas 6, directeur commercial de GMP.
164. Il s'agit d'un document type expliquant la hausse du prix du blé et destiné à être personnalisé avant envoi à chacun des boulangers clients de Moulins Soufflet.
165. Des justifications différentes ont été apportées par les responsables de Soufflet afin d'expliquer la présence de ce document chez GMP.
166. Lors de son audition du 6 février 2009, M. Jean-Michel O a indiqué que cette circulaire avait pu être obtenue " par divers canaux mais moi je ne l'ai pas remis. J'ai parfois des documents de la concurrence que je récupère par le biais d'un consultant ou de mes commerciaux sur le terrain. " Il a par ailleurs ajouté que " le marché de la farine est assez transparent car on récupère souvent des factures de concurrents chez des clients. On connaît donc leurs tarifs ".
167. Dans son courrier du 18 mars 2009, Moulins Soufflet a donné une autre explication : " Il convient de noter que ces variations de prix n'ont pas fait l'objet d'un envoi systématique et centralisé de circulaires aux clients par Moulins Soufflet. Les directions régionales se sont en revanche parfois vu proposer un projet de lettre de hausse qu'elles ont discrétionnairement choisi ou non d'adresser à certains clients (voir pour illustration les annexes 2 et 3) ".
168. Auditionné le 30 mars 2009, M. Jean-Philippe Q a quant à lui expliqué qu'il n'a pas " communiqué ce document à une quelconque personne de GMP. Ce projet de circulaire a été envoyé aux commerciaux en leur soumettant la possibilité de faire un mailing. Ce document n'a jamais été envoyé en clientèle car il a été décidé d'expliquer la hausse de vive voix. Ce document était à la disposition des directeurs et des commerciaux, il a pu être communiqué en l'état à certains clients et finir par ce biais chez la concurrence ".
169. Ces explications variées n'expliquent par les raisons pour lesquelles un boulanger situé à Barjols a remis à la DGCCRF une copie de la circulaire Soufflet qui lui a été envoyée le 11 juin 2007 et qui est commune en tous points avec le modèle de circulaire Soufflet saisi chez GMP, mais cette fois personnalisé avec les références de la boulangerie et dénué de la mention " lettre envoyée à nos artisans boulangers ".
170. M. Michel B, Directeur délégué meunerie de GMP a quant à lui indiqué lors de son audition du 26 janvier 2009 qu'il n'a " jamais eu connaissance de ce courrier et je ne m'explique pas sa présence dans le bureau de notre directeur commercial M. 6. Il est à ce poste depuis 3 ans. Nous avions décidé la hausse fin mai 2007. Je retrouverai la date. Nous avions réuni tous les commerciaux à cette occasion. Je demanderai à M. 6 les raisons pour lesquelles cette lettre figurait dans ses dossiers ".
171. M. Michel B n'a cependant jamais transmis les raisons pour lesquelles le modèle de circulaire de Moulins Soufflet figurait dans les dossiers de M. 6.
b) Les échanges internes entre meuniers
172. Des courriels ont été saisis lors de l'opération du 26 juin 2008 dans les locaux des Grands Moulins de Paris et d'Euromill Nord. Les échanges internes de ces deux meuniers confirment l'objectif de " +5euro/ql à passer dans l'été " retenu par M. Éric S dans ses notes relatives à la réunion du 11 juin 2007, ainsi que le mode de communication du passage de hausse.
173. Le 22 juin 2007, M. 6, directeur commercial de GMP, envoie un message à ses équipes dont l'objet est intitulé " prime hausse farine ". Ce message avait été précédé le 18 juin d'un envoi annonçant en pièce jointe le règlement de la prime exceptionnelle " hausse farine 2007 ". Le document explicatif de la prime exceptionnelle sur la hausse farine 2007 dispose " l'objectif est d'arriver à une hausse durable de minimum 5 euro /QL net (cad après RAPD et promo pub). farine 2007 ". Cette hausse correspond à une augmentation de 50 euro la tonne.
174. Le 28 juin 2007, M. Christophe 7, responsable commercial d'Euromill Nord, adresse un courriel à M. Yves D, alors président-directeur général d'Euromill Nord, dont l'objet est la " hausse en Belgique " et indique " Suite à la réunion de la meunerie belge fin de semaine dernière, il est acquis qu'une hausse de 4,50euro/qtl sur la blanche et sur les mixes sera passée au 1er août 2007. Seul Deinze augmente le premier juillet et Geel le 1er août, quant à Ceres (Soufflet) ils appliquent la même politique qu'en France : un mail d'information, et du personnalisé. Je pense qu'il faut être en adéquation avec les autres meuniers pour le tarif mais passer la hausse au 15/07 ".
175. M. D a indiqué lors de son audition du 30 janvier 2009 ne pas savoir à quoi ce courriel faisait référence et a indiqué " Je ne m'intéresse pas aux hausses des autres meuniers. Je fais ma propre politique : tous les ans nous réajustons nos prix aux alentours du 14 juillet en BA, si je n'augmentais pas je me trouverai dans le rouge vif en compte de résultat ".
4. LES HAUSSES CONSTATÉES
a) Les éléments transmis par la DGCCRF
176. Les 24 avril 2009 et 12 avril 2011, la DGCCRF a transmis à l'Autorité des éléments relatifs à l'augmentation du prix de la farine vendue aux boulangeries artisanales par les meuniers en 2007.
177. Les enquêteurs de la DGCCRF ont recueilli auprès d'artisans boulangers les factures de leurs meuniers respectifs.
178. Les meuniers concernés sont les suivants : Grands Moulins Storione, Minoterie Forest, Verdon Farine, Grands Moulins de Paris (pour la Minoterie Chevalier, le Moulin de Bordeaux et le Moulin du Pontet), Moulins Soufflet, Minoterie du Trièves, Minoterie Céard, Moulin de Sauret, Minoterie Batigne, Inter Farine et Minoterie Estager. Tous ces moulins adhèrent directement ou indirectement à l'ANMF.
179. Les boulangeries visitées étaient situées dans plusieurs régions différentes : Corse, Provence Alpes Côte d'Azur, Rhône Alpes, Midi Pyrénées, Aquitaine.
180. L'enquête met en évidence la similarité des hausses de prix pratiquées par les différents meuniers au niveau national sur l'année 2007. En effet, on observe une première hausse à l'été 2007 qui se situe entre 5 et 6 euro le quintal, précédent une seconde hausse de 10 à 13 euro environ à l'automne 2007.
181. Ce constat d'homogénéité est aussi souligné par les déclarations de M. Cyril 8, exploitant de la boulangerie Falco située 42 avenue Sadi Carnot à La Garde qui a précisé : " J'ai indiqué au représentant de Batigne que cela faisait beaucoup d'augmentation. Il m'a indiqué que de toutes façons je ne pourrais pas trouver moins cher car les meuniers se sont réunis et ont tous les mêmes prix ".
182. Cette déclaration pourrait toutefois être contredite par celle des représentants de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française qui ont affirmé, lors de leur audition de septembre 2012, que le sujet d'une hausse commune du prix de la farine vendue aux artisans boulangers en 2007 n'a jamais été évoqué avec ces derniers et que de surcroît " les présidents départementaux n'ont pas remonté à Paris de hausse commune en 2007 ".
183. Au total, entre juillet et décembre 2007, les prix de la farine ont majoritairement augmenté entre 15 et 20 euro le quintal. Les hausses ont été assez homogènes, quelles que soient les régions visées par l'enquête de la DGCCRF.
184. Le tableau ci-après répertorie les boulangeries visitées, leurs meuniers correspondants, les dates, et les montants des hausses constatées ou déclarées :
" emplacement tableau "
b) L'analyse statistique
185. Une analyse statistique du prix moyen pondéré de la farine vendue aux boulangeries artisanales par les meuniers en cause dans la présente décision a été conduite afin de confirmer que les évolutions des prix de vente effectifs sont cohérentes avec les indices de concertation recueillis, ainsi qu'avec les montants de la hausse des prix décidés lors de cette concertation.
186. Les sociétés en cause dans la présente décision ont produit sous forme de fichiers leurs factures de vente de farine de blé pour la période de janvier 2007 à décembre 2008. La minoterie de Trièves n'ayant pas produit ses données au format requis, celles-ci n'ont pas été traitées.
Méthodologie
187. Par farine de blé, on entend tous les types de farine de blé vendus (type 45, type 55, type 65, etc.), les mixes sont donc exclus de cette analyse.
188. La période étudiée s'étend de janvier 2007 à juin 2008, soit 78 semaines et correspond à la période pour laquelle l'instruction dispose de données pour tous les meuniers mis en cause, à l'exception de la minoterie du Trièves.
189. Afin d'analyser l'évolution des prix de la farine durant cette période, les données de ventes ont été agrégées par semaine pour les 13 meuniers pour lesquels les services d'instruction disposent de données sur les facturations quotidiennes. Concernant les 2 meuniers pour lesquels les services d'instruction ne disposent pas de telles données quotidiennes, ce sont les ventes mensuelles qui sont étudiées.
190. Pour chaque meunier, le prix moyen pondéré de la farine de blé à la semaine (ou au mois) en euro par quintal a été calculé.
191. Le prix moyen pondéré a été préféré au prix moyen en ce qu'il rend compte de la recette moyenne là où le calcul du prix moyen accorde le même poids à toutes les factures quels que soient les volumes vendus correspondants.
Résultats
192. Les résultats sont présentés sous forme de 17 graphiques (reproduits en annexes de la présente décision) et d'un tableau où chacun des 15 meuniers ayant produit ses données au format requis est désigné par un chiffre entre 1 et 15.
193. Les graphiques 1 à 13 amènent à identifier clairement, pour chaque meunier, deux ruptures dans l'évolution hebdomadaire des prix moyens pondérés. L'identification de ces dates de rupture a été confortée par l'analyse de l'évolution du prix moyen pondéré des articles les plus vendus lorsque celle-ci était disponible.
194. La première rupture se situe, selon les meuniers, entre les semaines 27 et 32 incluses, soit entre le 2 juillet et le 12 août 2007. La seconde rupture se situe entre les semaines 40 et 49 incluses, soit entre le 1er octobre et le 9 décembre 2007. Une analyse plus en détail révèle en outre que 11 meuniers (sur 13) ont augmenté leurs prix entre les semaines 40 et 45, soit entre le 1er octobre et le 11 novembre 2007.
195. Autrement dit, les 13 meuniers de cet échantillon ont pratiqué une première hausse de prix entre les semaines 27 et 32, puis une seconde hausse de prix entre les semaines 40 et 49. On note également que l'intervalle entre la première et la seconde rupture est d'une durée significative : il est compris entre 9 et 17 semaines.
196. Aussi, distingue-t-on 3 périodes par meunier :
- la période 1, qui s'étend de la première semaine de janvier 2007 à la semaine précédant la première hausse de prix ;
- la période 2, qui s'étend de la semaine de la première hausse de prix à la semaine précédant la seconde hausse de prix ;
- la période 3, qui s'étend de la semaine de la deuxième hausse de prix à la dernière semaine de la période considérée, soit la semaine 78.
197. Pour les deux meuniers n'ayant fourni que de données mensuelles, deux ruptures dans l'évolution mensuelle des prix moyens pondérés peuvent être également observées, comme le montrent les graphiques 14 à 15. La première rupture se situe au mois d'août 2007, soit entre les semaines 31 et 35 incluses, et la seconde rupture au mois d'octobre 2007, soit entre les semaines 40 et 44 incluses.
198. Le graphique 16 présente le niveau du prix hebdomadaire moyen pondéré des farines de blé par période pour les 13 meuniers pour lesquels des données hebdomadaires sont disponibles.
199. Le graphique 17 présente quant à lui le niveau du prix mensuel moyen pondéré des farines de blé par période pour les 2 meuniers pour lesquels l'Autorité ne dispose que de données mensuelles. Synthèse
200. Le niveau des hausses de prix observées à chacune des deux périodes est présenté dans le tableau ci-après. La variation de prix y est calculée comme la différence entre le prix moyen pondéré de la période 2 (respectivement période 3 après la seconde hausse) et le prix moyen pondéré de la période 1 (respectivement période 2 après la première hausse de prix). En outre, pour chaque meunier, est indiquée la semaine (ou le mois) identifiée comme étant la semaine de rupture.
" emplacement tableau "
201. Il est observé que les hausses ont pu être passées à des périodes différentes (mais pour autant dans un intervalle de temps restreint) dans la mesure où les commandes et les renégociations de prix se font au gré des visites des commerciaux. Comme l'ont souligné de nombreux meuniers, les boulangers ne sont pas " visités " au même moment. Ainsi que l'a, par exemple, indiqué Moulins Joseph Nicot dans ses observations en réponse : " Les représentants nouent des relations très étroites avec les boulangers, et annoncent eux-mêmes l'évolution des prix des produits, que des hausses ou des baisses soient annoncées, et ce par oral ou par écrit. C'est la raison pour laquelle, d'une part, il existe un décalage entre les annonces de hausse ou de baisse et leur mise en œuvre et, d'autre part, que ces annonces ne sont pas faites durant la période estivale, le boulanger et/ou le représentant étant en congé à cette période ".
202. L'analyse de l'évolution des prix moyens pondérés des farines de blé montre que 13 des 16 meuniers mis en cause ont pratiqué une hausse de prix entre les semaines 27 et 32 et qu'en moyenne cette première hausse de prix était de 4,2 euro par quintal. Ils ont également tous pratiqué une hausse de prix entre les semaines 40 et 49 d'un montant moyen de 9,6 euro par quintal. Au total, sur l'ensemble de la période étudiée, allant de janvier 2007 (semaine 1) à juin 2008 (semaine 78), la hausse moyenne du prix de la farine de blé a été de 13,8 euro par quintal.
5. LES ÉLÉMENTS DE SURVEILLANCE
203. Il résulte des documents saisis lors de l'opération du 26 juin 2008, ainsi que des éléments transmis par la Minoterie Forest et la Minoterie Céard, que certains meuniers ont opéré une surveillance des hausses passées par les concurrents.
204. Le compte rendu du comité de direction de Minoterie Forest du 10 juillet 2007 indique ainsi : " Hausse des farines : se déroule bien à l'exception des moulins Nicot qui pour l'instant applique une hausse de 3 euro même chez des clients partiels ".
205. Le rapport journalier en date du 19 juillet 2007 de M. Yannick 9, commercial de la Minoterie Céard, indique également : " scandale sur l'augmentation de 5euro, Storione augmente de 2euro ".
206. Un courriel en date du 18 septembre 2007, adressé par M. 10, directeur commercial de Grands Moulins de Paris, à M. Jean-François H indique par ailleurs : " Bonsoir, J'ai plusieurs attaques chez mes clients de la part de vos équipes. Pourriez-vous me contacter afin d'éviter une " guerre " inutile et dévastatrice pour nos marges ? ".
D. LE GRIEF NOTIFIÉ
207. Par courrier en date du 5 février 2013, la rapporteure générale de l'Autorité a notifié le grief suivant aux parties :
" Au vu de l'ensemble des éléments analysés ci-dessus, il est fait grief à :
- La société Nutrixo SAS et ses filiales Euromill SAS, Grand Moulins de Paris SA, Euromill Nord SA, Grands Moulins Storione SA et Inter-Farine SA ;
- La société Ariane SA et ses filiales Axiane groupe SAS, Axiane meunerie et Minoteries Cantin SAS ;
- La société Moulins Soufflet SA ;
- La société Les Grands Moulins de Strasbourg SA et sa filiale la société SA Estager (pour la Minoterie Estager) ;
- La société Nicot meunerie SAS et sa filiale la société Moulins Joseph Nicot SAS ;
- La société Dijon Céréales Meunerie SA ;
- La société Minoterie Forest SAS ;
- La société Minoterie du Trièves Corréard et fils SARL ;
- La société SAS Céard (pour le Moulin Céard) ;
- La société SARL Minoterie Batigne ;
- La société Moulin de Sauret SAS ;
d'avoir déterminé en 2007 de manière concertée un objectif de hausse de prix de la farine à proposer en deux temps aux boulangeries artisanales. Ces hausses, mises en œuvre par les meuniers entre le 2 juillet 2007 et le 9 décembre 2007, ont permis d'atteindre un niveau de prix qui ne résulte pas du libre jeu de la concurrence. Les effets économiques de cette pratique perdurent à ce jour. Cette pratique, qui a pour objet de faire obstacle à la fixation des prix par l'exercice de la concurrence, est contraire aux dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 101§1 du traité ".
II. Discussion
A. SUR LE DÉROULEMENT DE LA PROCÉDURE
208. Les parties mises en cause contestent la régularité de la procédure sur les points suivants :
- la régularité de la saisine (1.) ;
- la durée excessive de la procédure (2.) ;
- la disjonction et le versement de pièces issues d'un autre dossier (3.) ;
- la violation du secret des affaires (4.) ;
- les principes de loyauté et d'impartialité de l'instruction (5.) ;
- le respect du contradictoire (6.).
1. SUR LA RÉGULARITÉ DE LA SAISINE
209. Les parties mises en cause avancent différents arguments tendant à contester la régularité de la saisine de l'Autorité en ce qu'elle n'aurait pas été annexée à la notification de grief, que son champ serait trop large, ou encore qu'elle n'aurait pas été proposée par le rapporteur général de l'Autorité.
a) Sur la décision d'auto-saisine
Arguments des parties
210. Les parties mises en cause critiquent le principe même de l'auto-saisine et prétendent que l'absence de transmission, avec la notification de grief, de la décision d'auto-saisine n° 08-SO-05 du 23 avril 2008 serait de nature à porter atteinte aux droits de la défense.
Réponse de l'Autorité
211. En premier lieu, il convient de relever que les décisions par lesquelles l'Autorité - lorsqu'elle a des raisons de craindre que des pratiques anticoncurrentielles sont ou ont été commises - décide de se saisir d'office, ne peuvent faire l'objet d'aucune voie de recours prévue par les textes.
212. En effet, une décision d'auto-saisine, en ce qu'elle permet à l'Autorité de mener une instruction puis, le cas échéant, de rendre une décision finale, n'est qu'une mesure préparatoire interne ne pouvant faire l'objet d'un recours de plein contentieux (en ce sens, voir Cass. com., 17 juin 2011, n° 10-17.044). Une telle décision peut toutefois être soumise à un contrôle de licéité du juge, dans le cadre d'un recours de plein contentieux contre la décision finale de l'Autorité.
213. En second lieu et en tout état de cause, la décision d'auto-saisine n° 08-SO-05 et le procès-verbal de versement de cette pièce au dossier 10-0001 F ont été joints au rapport, ainsi que l'exige l'article L. 463-2 du Code de commerce qui dispose que le rapport doit être " accompagné des documents sur lesquels se fonde le rapporteur ". Les parties mises en cause ont ainsi eu connaissance de cette décision, aucune d'entre elles n'alléguant ni ne démontrant avoir été dans l'impossibilité de formuler des observations, tant écrites en réponse au rapport qu'orales au cours de la séance devant l'Autorité, sur cette décision.
214. Par conséquent, les arguments soulevés par les mises en cause sur la régularité formelle de la décision d'auto-saisine n° 08-SO-05 du 23 avril 2008 doivent être écartés.
b) Sur l'étendue de la saisine
Arguments des parties
215. Les parties mises en cause font valoir que le champ de la saisine serait trop large et constituerait un détournement de la procédure de clémence. À cet égard, elles prétendent que la demande de clémence ayant conduit l'Autorité à prendre la décision d'auto-saisine n° 08-SO-05 du 23 avril 2008 ne concernait pas la boulangerie artisanale, mais uniquement le secteur de la farine en sachets et que, en s'autosaisissant sur des pratiques concernant l'ensemble du secteur des farines alimentaires, l'Autorité aurait outrepassé ses droits et porté atteinte aux droits de la défense des parties.
Réponse de l'Autorité
216. Par un arrêt du 24 juin 2008, la cour d'appel de Paris a estimé que " le Conseil apprécie souverainement l'opportunité de se saisir d'office ; qu'il n'est tenu de rendre compte, ni des informations qui ont emporté sa décision de se saisir, ni des conditions dans lesquelles ces informations sont parvenues à sa connaissance " (CA Paris, 24 juin 2008, société France Travaux /e.a., n° 2006/06913, p.12).
217. De surcroît, l'Autorité est toujours saisie - in rem - de l'ensemble des faits et pratiques affectant le fonctionnement d'un secteur. Ainsi, ni la saisine par un tiers ni la formulation d'une demande de clémence ne sauraient avoir pour effet de limiter la compétence que le législateur a attribuée à l'Autorité. Admettre le contraire reviendrait à méconnaître la nature même de la saisine d'office qui est une procédure engagée dans l'intérêt général, sans aucun préjugé, et ayant pour simple effet d'ouvrir une phase d'examen (voir, en ce sens, CA Paris, 26 janvier 2012, Beauté Prestige International e.a., n° 2010/23 945, p.16-17.).
218. Il est ainsi de jurisprudence constante que l'Autorité est souveraine dans l'appréciation de l'opportunité de se saisir d'office et n'a pas à rendre compte des circonstances dans lesquelles elle décide d'exercer ce pouvoir. Elle n'a donc pas à justifier son auto-saisine, ni à produire les éléments factuels au vu desquels elle a pris sa décision.
219. Dès lors, le fait que le champ de l'auto-saisine soit plus large que le champ de la demande de clémence initiée par une entreprise n'entraîne pas de conséquence quant à sa régularité.
c) Sur l'absence de proposition par le rapporteur général de l'Autorité
Arguments des parties
220. Les parties mises en cause relèvent que l'auto-saisine serait irrégulière en ce qu'elle a été adoptée avant l'ordonnance du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence qui prévoit, depuis cette date, que l'auto-saisine est proposée au collège de l'Autorité par le rapporteur général. Elles avancent que, depuis l'ordonnance du 13 novembre 2008, l'Autorité ne peut se saisir d'office que sur proposition du rapporteur général, afin de respecter le principe d'impartialité qui impose une stricte séparation des fonctions d'instruction et de poursuite.
221. Ainsi, ce serait parce que l'ordonnance du 13 novembre 2008 a introduit cette séparation que le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2012-280 QPC, Société Groupe Canal Plus, du 12 octobre 2012, aurait validé l'auto-saisine de l'Autorité concernant l'instruction du respect des engagements de ce groupe. Dès lors, étant antérieure à cette réforme, par un raisonnement a contrario, les parties estiment que la décision d'auto-saisine en cause dans la présente affaire serait inconstitutionnelle en ce qu'elle ne s'est pas faite sur proposition du rapporteur général.
Réponse de l'Autorité
222. La faculté de se saisir d'office est l'un des principes constitutifs du droit des autorités administratives indépendantes, ainsi que l'une des conditions essentielles de l'efficacité de leurs pouvoirs, et cette faculté, s'agissant du Conseil de la concurrence, a toujours été déclarée conforme aux principes d'indépendance et d'impartialité, comme cela ressort de l'arrêt de la Cour de cassation Société Générale e.a. du 23 juin 2004 (n° 01-17896).
223. Cette position a été en outre régulièrement rappelée par la cour d'appel de Paris qui estime que la faculté de se saisir d'office attribuée par la loi au Conseil de la concurrence ne caractérise " aucun risque d'atteinte au principe d'impartialité " (CA Paris, 24 juin 2008, n° 2006/06913, p. 13 ; voir également, en ce sens, CA Paris, 1ère ch., sect. H, 27 novembre 2001, dont la position est confirmée par CA Paris, 27 janvier 2011, n° 2010-08945, p. 8, CA Paris, 1ère ch. sect. H, 18 février 2003, Secteur de la distribution de l'eau et CA Paris, 1ère ch. sect. H, 24 juin 2003, Conseil supérieur des géomètres experts).
224. S'agissant de cette faculté de saisine d'office attribuée au Conseil de la concurrence, la Cour de cassation a reconnu, dans l'arrêt Société Générale précité, le rôle du rapporteur général comme un préalable nécessaire inhérent à la mise en mouvement de cette faculté. Cette mission confiée au rapporteur, alors même qu'il se verrait ultérieurement chargé de l'instruction de l'affaire, est de surcroît considérée comme compatible avec le principe de la séparation des fonctions de poursuite et d'instruction et le principe d'impartialité.
225. Ainsi, la jurisprudence a considéré - sans avoir besoin de s'appuyer sur un texte explicite - que la faculté de saisine d'office était en fait subordonnée, avant la précision apportée en 2008, à l'intervention préalable des services d'instruction qui, sous la forme d'observations orales présentées devant le collège, faisaient état d'éléments rassemblés par eux et justifiant, selon eux, une saisine d'office.
226. Il convient en outre de relever que la présente affaire a été initiée par une demande de clémence, dispositif introduit dans le Code de commerce par la loi sur les nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001 au IV de l'article L. 464-2. L'article 44 du décret du 30 avril 2002, désormais codifié à l'article R. 464-5 du Code de commerce, a complété la disposition législative.
227. Or il doit être rappelé que, selon les textes, dans le cadre d'une procédure de clémence, la démarche est engagée à l'initiative de l'entreprise auprès du Conseil de la concurrence ou du ministre chargé de l'économie. Le rapporteur général du Conseil ou le ministre chargé de l'économie demande au Conseil d'adopter un " avis de clémence ", " qui précise les conditions auxquelles est subordonnée l'exonération envisagée ". Avant d'adopter son avis, le Conseil de la concurrence prend connaissance des observations du commissaire du Gouvernement et de l'entreprise. Cet avis est transmis à l'entreprise ainsi qu'au ministre chargé de l'économie et n'est pas publié. La loi indique ainsi que l'avis de clémence est un acte par nature conditionnel, dépourvu de caractère public. Il s'agit en effet d'un acte préparatoire à la décision.
228. Il apparaît dès lors que dans le cadre d'une procédure de clémence le Conseil de la concurrence ne pouvait s'autosaisir qu'après l'avis de clémence pris sur proposition du rapporteur général, cette proposition constituant donc le préalable nécessaire, et de surcroît légalement prévu, à la saisine d'office du Conseil.
229. Cette analyse a été consacrée par la cour d'appel de Paris dans un arrêt du 27 novembre 2014 (n° 2013-22 215), qui a affirmé que " dans le cas d'espèce, soumis à l'article L. 462-5 ancien du Code de commerce, l'ouverture de la procédure a été initiée par une demande de clémence, à l'initiative d'une entreprise du secteur concerné ; que dans le cadre de cette procédure, c'est sur proposition du rapporteur général que le Conseil de la concurrence, devenu l'Autorité de la concurrence, rend son avis de clémence ; que ces dispositions n'ont pas été modifiées par l'ordonnance du 13 novembre 2008 ; que par suite, la saisine d'office n'est qu'une modalité nécessaire pour permettre la dévolution des faits concernés par la dénonciation, à l'Autorité de la concurrence, et pour permettre le déclenchement de l'instruction du dossier ".
230. En conséquence, les arguments déployés par les sociétés mises en cause, tendant à faire reconnaître l'irrégularité de l'auto-saisine dans la présente affaire, doivent être écartés.
2. SUR LA DURÉE DE LA PROCÉDURE
Arguments des parties
231. Certaines parties contestent la durée de l'instruction, qu'elles estiment excessive. Selon elles, la période qui s'est écoulée entre la saisine d'office du 23 avril 2008 et la notification de grief portant sur les pratiques dans le secteur de la boulangerie artisanale est beaucoup trop longue et ne serait justifiée ni par la complexité du dossier ni par le nombre de parties. Elles considèrent que l'instruction du dossier de la boulangerie artisanale n'a vraiment repris, avec l'envoi de nouvelles demandes d'information et l'organisation de nouvelles auditions, qu'après l'envoi de la notification de grief le 15 février 2010 concernant le dossier des farines en sachets enregistré sous le n° 08-0040 F.
232. Grands Moulins de Strasbourg ajoute que ses droits de la défense sont irrémédiablement compromis par le caractère tardif de la notification de grief puisqu'il ressort de celle-ci que les indices de sa participation à la réunion qui s'est tenue entre les meuniers le 11 juin 2007 reposent sur la présence supposée à cette réunion de René N, décédé le 25 novembre 2012.
Réponse de l'Autorité
233. Le caractère raisonnable de la durée de la procédure garanti par l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales s'apprécie au regard de la complexité et de l'ampleur de l'affaire en cause comme du comportement des autorités compétentes (Cass. com., 6 mars 2007, Demathieu et Bard SA, n° 06-13501, p. 13 et CA Paris, 26 janvier 2012, Beauté prestige international, précité, p.18).
234. En outre, la sanction qui s'attache à la violation de l'obligation pour l'Autorité de se prononcer dans un délai raisonnable n'est pas l'annulation de la procédure ou sa réformation, mais la réparation du préjudice résultant éventuellement du délai excessif, sous réserve que ce délai n'ait pas causé à chacune des parties, formulant un grief à cet égard, une atteinte personnelle, effective et irrémédiable à son droit de se défendre (Cass. com., 6 mars 2007, précité, et Cass. com., 23 novembre 2010, n° 09-72031, p. 5).
235. En l'espèce, la durée de la procédure qui a conduit à la présente décision résulte du nombre des parties impliquées, du nombre de pièces versées au dossier (plus de 145 000 cotes) et de la complexité du secteur en cause. L'instruction a nécessité la conduite de nombreuses auditions, l'envoi de multiples questionnaires et l'analyse minutieuse des réponses et données communiquées (parfois avec la nécessité de relancer certaines parties). La durée de la procédure n'est donc pas excessive compte tenu de l'ampleur du dossier.
236. Du reste, la longueur de la procédure n'a pas privé les parties de l'exercice normal de leurs droits de la défense. Sur ce point, il convient de rappeler qu'il incombe à chaque partie mise en cause d'apporter la preuve d'une violation concrète, effective et irrémédiable de ses droits de la défense. Il ressort au contraire de la longueur et du caractère détaillé des observations des parties qu'elles ont pu jouir du plein exercice de leurs droits de la défense.
237. En outre, il est de la responsabilité de chaque société de veiller à la bonne conservation de ses documents comme de tous éléments permettant de retracer la licéité de ses pratiques en cas d'action judiciaire ou administrative (Cass. com., 23 novembre 2010, précité et CA Paris, 26 janvier 2012, précité, p.19). Or, les parties mises en cause ne démontrent pas que la durée de la procédure les aurait privées de la possibilité de se défendre utilement contre le grief qui leur est reproché.
238. S'agissant ainsi du cas particulier du décès de René N invoqué par Grands Moulins de Strasbourg comme une circonstance de nature à nuire à sa défense, Grands Moulins de Strasbourg n'explique pas en quoi l'absence de cette personne ne lui permet pas de se défendre puisqu'il n'est pas envisageable que René N ait pu organiser des réunions dans les locaux parisiens de la société à l'insu de tous les autres collaborateurs de la société et de ses supérieurs hiérarchiques. L'Autorité ne peut considérer qu'il est porté atteinte aux droits de la défense d'une société " d'une manière personnelle, effective et irrémédiable " dès lors qu'une personne qui a mis en œuvre une entente est décédée ou a simplement quitté la société. En effet, la jurisprudence de l'Union a écarté l'argument selon lequel l'invocation du décès d'un employé suffirait à justifier une atteinte aux droits de la défense (Trib. UE, 27 juin 2012, Bolloré c/ Commission, aff. T-372-10, ECLI:EU:T:2012:325, point 182).
239. Dès lors, les parties mises en cause ne sont pas fondées à contester la durée de la procédure ayant conduit à l'adoption de la présente décision.
3. SUR LA DISJONCTION ET LE VERSEMENT DE PIÈCES ISSUES D'UN AUTRE DOSSIER
Arguments des parties
240. Les parties mises en cause estiment que la décision de disjonction en date du 26 janvier 2010 serait irrégulière car elle ne serait pas motivée. Quant aux sociétés qui n'étaient pas mises en cause dans le précédent dossier enregistré sous le n° 08-0040 F, elles considèrent qu'elles sont privées de l'accès à l'entier dossier dans la mesure où - contrairement aux autres destinataires de la notification de grief qui étaient déjà mis en cause dans le précédent dossier - elles ne peuvent consulter que les pièces versées dans le dossier 10-0001 F relatif à des pratiques dans le secteur de la boulangerie artisanale, résultat de la disjonction.
Réponse de l'Autorité
241. Aux termes de l'article R. 463-3 du Code de commerce : " Le rapporteur général ou un rapporteur général adjoint peut (...) procéder à la disjonction de l'instruction d'une saisine en plusieurs affaires ". La cour d'appel de Paris a jugé que les décisions prises en application de ce texte constituaient des décisions insusceptibles de recours, et que les moyens visant à contester la disjonction opérée étaient irrecevables à l'appui d'un recours dirigé contre la décision au fond du Conseil de la concurrence (CA Paris, 29 juin 2004, Syndicat des professionnels européens de l'automobile, confirmé par Cass. com, 17 janvier 2006, n° 04-19092).
242. S'agissant des pièces du dossier 08-0040 F versées dans le dossier 10-0001 F relatif au secteur de la boulangerie artisanale, il est précisé que le versement consécutif à une décision de disjonction n'a pas à être justifié. Au cas d'espèce, il s'agit des pièces listées par les procès-verbaux de versement de pièces datés des 17 septembre 2010, et des 7, 8 et 9 mars 2012.
243. Il résulte de ce qui précède que les décisions de disjonction et de versement de pièces d'un dossier à un autre ne s'analysent qu'en des mesures préparatoires internes réalisées " pour une bonne administration de la justice ", qui n'ont pas à être motivées et ne sont pas susceptibles de recours (en ce sens, voir Cass. com., 17 juin 2011, précité au paragraphe 212 de la présente décision ; voir également décision n° 07-D-15 du 9 mai 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans les marchés publics relatifs aux lycées d'Île-de-France, paragraphe 211). Ainsi, les parties mises en cause ne sont, devant l'Autorité, ni fondées à critiquer la décision de disjonction en date du 26 janvier 2010 ni le versement des pièces.
4. SUR LA VIOLATION DU SECRET DES AFFAIRES
244. Certaines parties mises en cause invoquent une violation du secret des affaires en ce que le déclassement des pièces opéré avant l'envoi de la notification de grief aurait été ni sélectif ni proportionné, portant sur la quasi-totalité des pièces les concernant.
245. Toutefois, la sanction qui s'attache en principe à la violation du secret des affaires n'est pas la nullité de la procédure, mais le versement éventuel d'une indemnité, dans l'hypothèse où la divulgation de telles informations serait de nature à créer un préjudice direct et certain aux entreprises concernées (voir notamment la décision du Conseil n° 07-D-50 du 20 décembre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de jouets, paragraphe 470). La nullité de la procédure n'est encourue que si la violation du secret des affaires porte une atteinte irrémédiable et concrète aux droits de la défense de l'entreprise concernée, à charge pour elle d'en rapporter la preuve (CA Paris, 23 septembre 2010, Orange Caraïbe, p. 11).
246. Au cas d'espèce, les parties n'exposent nullement en quoi la violation alléguée de leur droit à la protection du secret des affaires aurait porté atteinte à leurs droits de la défense en les empêchant de répondre utilement au grief qui leur a été notifié.
247. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'écarter les arguments soulevés par les parties selon lesquels des violations du secret des affaires auraient entravé leurs droits de la défense.
5. SUR LES PRINCIPES DE LOYAUTÉ ET D'IMPARTIALITÉ DE L'INSTRUCTION
Arguments des parties
248. Les parties mises en cause soutiennent tout d'abord que la procédure suivie par les services d'instruction serait déloyale en ce qu'un rapport d'enquête de la DGCCRF de l'Aude, contredisant selon elles le grief, aurait été écarté.
249. Elles invoquent ensuite l'incomplétude du dossier, en ce qu'un procès-verbal d'audition, présenté comme étant à décharge, aurait été irrégulièrement soustrait du dossier.
250. Elles prétendent enfin que ces éléments seraient de nature à entacher la procédure de déloyauté à raison d'une partialité des services d'instruction.
Réponse de l'Autorité
251. D'emblée, il y a lieu de rappeler que l'impartialité subjective est présumée jusqu'à preuve du contraire (voir, en ce sens les arrêts CEDH du 26 octobre 1984, De Cubber c. Belgique, n° 9186-80, paragraphe 25, et du 1er octobre 1982, Piersack c. Belgique, n° 8692-79, paragraphe 30) et que la partialité objective se démontre, mais ne s'allègue pas.
252. S'agissant, en premier lieu, du rapport d'enquête de la DGCCRF de l'Aude évoqué par les parties, s'il est certes établi que les rapporteures n'ont pas utilisé cette pièce pour conduire leur réflexion, il n'en demeure pas moins que cet élément a été versé au dossier et que les parties mises en cause ont été mises en mesure de formuler à cet égard toutes les observations qu'elles jugeaient utiles, dans le cadre du débat contradictoire.
253. De surcroît, le collège, qui n'est pas tenu par l'analyse des rapporteures pour apprécier si le grief notifié est établi, se fonde, pour rendre sa décision, sur l'ensemble des éléments qui ont été soumis au débat contradictoire. Dès lors, les parties mises en cause ne peuvent utilement invoquer le caractère supposé déloyal de la procédure au seul motif que les rapporteures ont écarté de leur analyse un document, alors même, d'une part, qu'il est de jurisprudence constante que les rapporteurs fondent la notification de griefs sur les faits qui leur paraissent de nature à en établir le bien-fondé et disposent d'un pouvoir d'appréciation quant à la conduite de leurs investigations (voir en ce sens, décision n° 08-D-30 du 4 décembre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre par les sociétés des Pétroles Shell, Esso SAF, Chevron Global Aviation, Total Outre-Mer et Total Réunion, paragraphe 204) et, d'autre part, que ce document figure dans le dossier soumis à l'appréciation du collège.
254. S'agissant, en second lieu, du versement tardif au dossier d'un procès-verbal - isolé - d'audition des représentants des boulangers, que les parties mises en cause présentent comme un élément susceptible d'être à décharge, il y a lieu de considérer que cette pièce n'est en tout état de cause pas de nature à modifier ou à remettre en cause le grief notifié, mais seulement d'influer, le cas échéant, sur l'appréciation que le collège pourrait porter sur l'ampleur d'une pratique anticoncurrentielle qui aurait préalablement été établie.
255. Par ailleurs, dès lors que les parties mises en cause ont non seulement été mises en mesure de discuter le procès-verbal litigieux lors de la séance devant l'Autorité, mais ont également été autorisées à produire des notes en délibéré concernant ce procès-verbal d'audition dans un délai raisonnable après la séance (voir supra, paragraphe 12), il ne saurait ultérieurement être reproché au collège de ne pas avoir tenu compte, dans la présente décision, de ce document qui figure au dossier soumis à son appréciation.
256. Il résulte de ce qui précède que les arguments présentés par les sociétés mises en cause, tendant à faire valoir une violation des principes de loyauté et d'impartialité de l'instruction, doivent être écartés.
6. SUR LE RESPECT DU CONTRADICTOIRE
Arguments des parties
257. Les parties mises en cause prétendent que le principe du contradictoire aurait été violé, en ce que des accusations nouvelles auraient été ajoutées au stade du rapport.
Réponse de l'Autorité
258. Il résulte du caractère contradictoire de la procédure que l'analyse faite dans le rapport peut évoluer par rapport à celle développée dans la notification des griefs (voir, à cet égard, la décision du Conseil de la concurrence n° 07-D-23 du 12 juillet 2007, point 52). Par analogie, la cour d'appel de Paris admet que soit utilisé tout élément de preuve qui a fait l'objet d'un débat contradictoire, y compris lorsqu'il est présenté après la notification des griefs (CA Paris, 13 septembre 2005, société OGF). Elle a également jugé qu'une entreprise pouvait être sanctionnée à raison d'un grief dont le rapporteur a proposé l'abandon partiel au stade du rapport, sans que les droits de la défense soient méconnus (CA Paris, 19 juin 2007, Philips France).
259. Dans la présente affaire, force est de constater que le grief, tel que synthétisé, n'a souffert d'aucune modification entre la notification de grief et le rapport.
260. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré du non-respect du contradictoire à raison d'une modification supposée du grief en cours de procédure manque en fait et doit être écarté.
B. SUR LE DROIT APPLICABLE
1. PRINCIPES
261. L'article 101 du TFUE dispose : " Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur ".
262. Selon la jurisprudence constante des juridictions européennes, la notion d'affectation des échanges entre États membres est interprétée largement, dans la mesure où, " pour être susceptibles d'affecter le commerce entre États membres, une décision, un accord ou une pratique doivent, sur la base d'un ensemble d'éléments de fait et de droit, permettre d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'ils puissent exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre États membres, et cela de manière à faire craindre qu'ils puissent entraver la réalisation d'un marché unique entre États membres " (CJCE, 15 décembre 1994, DLG, aff. C-250-92, Rec. p. I-5641, point 54, CJCE, 25 octobre 2001, Ambulanz Glöckner, aff. C-475-99, Rec. p. I-8089, point 48). Cette approche est reprise par la cour d'appel de Paris (voir, en dernier lieu, CA Paris, 4 juillet 2013, Orange Caraïbe e. a., n°2012-5160, notamment p. 11).
263. Se fondant sur la jurisprudence constante de l'Union, et à la lumière de la communication de la Commission européenne portant lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité [devenus les articles 101 et 102 du TFUE] (JOCE C 101, du 27 avril 2004, p. 81), l'Autorité considère avec constance que trois éléments doivent être réunis pour que des pratiques soient susceptibles d'affecter sensiblement le commerce entre États membres : l'existence d'échanges entre États membres portant sur les produits ou les services en cause, l'existence de pratiques susceptibles d'affecter ces échanges et le caractère sensible de cette possible affectation.
264. La circonstance que des ententes ou abus de position dominante ne soient commis que sur le territoire d'un seul État membre ne fait pas obstacle à ce que les deux premières conditions soient remplies. À cet égard, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 31 janvier 2012, que les termes " susceptibles d'affecter " énoncés par les articles 101 et 102 TFUE " supposent que l'accord ou la pratique abusive en cause permette, sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre États membres, sans que soit exigée la constatation d'un effet réalisé sur le commerce intracommunautaire " (Cass. com., 31 janvier 2012, Orange Caraïbe e.a., n° 10-25.772, page 6).
265. S'agissant du troisième élément, aux termes de l'arrêt du 31 janvier 2012 précité, la Cour de cassation a en outre jugé que " le caractère sensible de l'affectation directe ou indirecte, potentielle ou actuelle, du commerce intracommunautaire résulte d'un ensemble de critères, parmi lesquels la nature des pratiques, la nature des produits concernés et la position de marché des entreprises en cause " (page 6 ; en ce sens, voir également CA Paris, 28 mars 2013, Société des pétroles Shell e.a., n° 2011-18245, CA Paris, 4 juillet 2013, précité et, en dernier lieu, Cass. com., 20 janvier 2015, Société Chevron Products Company e.a., n° 13-16.745).
266. Le paragraphe 52 des lignes directrices précitées se réfère à deux seuils cumulatifs en deçà desquels un accord est présumé, du point de vue de la Commission européenne, ne pas affecter sensiblement le commerce entre États membres :
- la part de marché totale des parties sur le marché communautaire affecté par l'accord n'excède pas 5 % ;
- et, dans le cas d'accords horizontaux, le chiffre d'affaires annuel moyen réalisé dans l'Union par les entreprises en cause avec les produits concernés par l'accord n'excède pas 40 millions d'euro.
2. APPLICATION AU CAS D'ESPÈCE
267. En l'espèce, le grief notifié l'a été au regard de l'article 101 du TFUE aussi bien que de l'article L. 420-1 du Code de commerce. Plusieurs éléments permettent en effet de considérer que la pratique en cause est susceptible d'affecter sensiblement le commerce entre États membres de l'Union européenne.
268. En premier lieu, les meuniers mis en cause sont répartis sur l'ensemble du territoire. Les parties ayant participé à la pratique reprochée représentent par ailleurs une part substantielle de la production de farine en France.
269. En deuxième lieu, le chiffre d'affaires annuel moyen réalisé dans l'Union européenne par les entreprises en cause avec les produits concernés par l'accord excède 40 millions d'euro. Sans qu'il soit besoin de faire état du chiffre d'affaires réalisé dans l'Union européenne par l'ensemble des parties, ce seuil est inférieur au seul chiffre d'affaires de certains des meuniers mis en cause dans le secteur de la boulangerie artisanale (voir supra, paragraphes 37 et suivants).
270. En troisième et dernier lieu, la décision des parties mises en cause de fixer un objectif de hausse de prix par la mise en œuvre de deux hausses similaires du prix de la farine à des dates voisines au cours de l'année 2007, au motif d'une hausse soudaine des cours mondiaux du blé, est constitutive d'un accord anticoncurrentiel qui est considéré par nature comme une restriction sensible du jeu de la concurrence. À cet égard, les juridictions de l'Union considèrent en effet que l'entente qui s'étend à l'ensemble du territoire d'un État membre a, par sa nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l'interpénétration.
271. Il résulte de ce qui précède que la pratique en cause doit être examinée au regard non seulement des dispositions du droit national, notamment de l'article L. 420-1 du Code de commerce, mais aussi au regard du droit de l'Union, et notamment de l'article 101 du TFUE.
C. SUR LA DÉLIMITATION DU MARCHÉ PERTINENT
1. PRINCIPES
272. Afin de définir le marché de produits ou de services, il convient de rechercher si les produits ou les services en cause sont considérés par les acheteurs " comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de leur usage " (à cet égard, voir par exemple Cass. com., 13 juillet 2010, Vedettes inter-îles vendéennes, n° 09-67439, p. 5).
273. Dans le même sens, la Commission européenne a rappelé, dans sa communication n° 97-C 372-03 du 9 décembre 1997 sur la définition du marché en cause, que le marché de produits " comprend tous les produits et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l'usage auquel ils sont destinés " (JOCE C 372 du 9 décembre 1997, p. 5, point 7).
274. Le marché géographique, quant à lui, comprend : " le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans l'offre des biens et des services en cause, sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes et qui peut être distingué de zones géographiques voisines parce que, en particulier, les conditions de concurrence y diffèrent de manière appréciable " (communication de la Commission sur la définition du marché en cause précitée, point 8).
275. Il ressort de la jurisprudence que l'obligation d'opérer une délimitation du marché en cause dans une décision adoptée en application de l'article 101 du TFUE s'impose uniquement lorsque, sans une telle délimitation, il n'est pas possible de déterminer si l'accord, la décision d'association d'entreprises ou la pratique concertée en cause est susceptible d'affecter le commerce entre les États membres et a pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun (arrêt du Tribunal du 12 septembre 2007, William Prym/Commission, aff. T-30-05, Rec. p. II-107, point 86, et la jurisprudence citée).
276. De même en droit interne, lorsque les pratiques en cause sont examinées au titre de la prohibition des ententes horizontales, comme c'est le cas en l'espèce, il n'est pas nécessaire de définir le marché avec précision dès lors que le secteur a été suffisamment identifié pour qualifier les pratiques observées et permettre de les imputer aux opérateurs qui les ont mises en œuvre (décision n° 05-D-27 du 15 juin 2005 relative à des pratiques relevées dans le secteur du thon blanc, point 28 et décision n° 13-D-12 du 28 mai 2013 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation de commodités chimiques, point 575 ; voir également CA Paris, 26 septembre 2013, société Roland Vlaemynck, n° 2012-08948, p. 6).
2. APPLICATION AU CAS D'ESPÈCE
277. S'agissant des produits en cause, il a été constaté que " le marché de produits est celui de la farine de blé tendre livrée en vrac ou en conditionnement de plus de 20 kg aux boulangeries artisanales. La farine vendue aux artisans boulangers correspond le plus souvent à de la farine de type 55 ou 65 (mais d'autres types de farine sont concernés). Ce marché inclut les mixes destinés à la production de viennoiserie ou autre pâtisserie vendus en boulangeries " (paragraphe 326 de la notification de griefs).
278. C'est un produit de consommation courante qui n'est substituable à aucun autre produit, ni même à une farine de blé dur, de maïs ou encore de châtaigne, qui ne pourraient entrer dans la composition des mêmes produits (pains, viennoiseries, pâtisseries).
279. Sur ce marché, les offreurs sont les meuniers et les demandeurs les artisans boulangers qui s'approvisionnent en farine à destination du consommateur final.
280. S'agissant de la dimension géographique de ce marché, dans leurs mémoires en réponse au rapport, certaines parties soutiennent qu'elle doit être définie de façon précise, au motif notamment qu'il existe des variétés régionales de pains.
281. La délimitation d'un marché de produit, selon une jurisprudence constante, s'entend sur une zone géographique définie, soit parce que l'analyse du comportement de la demande n'est valable que sur cette zone géographique, soit parce qu'il s'agit de la zone géographique à l'intérieur de laquelle les demandeurs se procurent ou peuvent se procurer le produit ou le service en question.
282. En l'espèce, l'homogénéité des usages et des habitudes de consommation sur l'ensemble du territoire national et la présence, sur tout le territoire national, de certains grands groupes a pour conséquence une homogénéité des conditions de concurrence sur l'ensemble du territoire national. Même si, à raison des coûts de transport, il n'est pas exclu que les boulangeries artisanales s'adressent prioritairement à des meuniers implantés dans une relative proximité, il n'en demeure pas moins que les conditions de concurrence étant homogènes sur l'ensemble du territoire, un marché géographique de dimension nationale peut être retenu pour qualifier les pratiques observées et les imputer aux entreprises qui les ont mises en place.
283. La circonstance évoquée par certaines parties que la farine travaillée par les artisans boulangers soit vendue sous différentes formes ou appellations selon les régions importe peu sur le caractère national de la demande de farine et par conséquent sur la dimension nationale de ce marché.
284. Il résulte de ce qui précède que le marché concerné par les pratiques peut être défini dans la présente affaire comme celui de la commercialisation aux boulangeries artisanales de la farine de blé tendre livrée en vrac ou en conditionnement de plus de 20 kg et des mixes destinés à la production de viennoiserie ou autre pâtisserie vendue en boulangeries à destination d'une consommation effectuée principalement en France.
D. SUR LE BIEN-FONDÉ DU GRIEF
285. Le grief reproche aux parties mises en cause " d'avoir déterminé en 2007 de manière concertée un objectif de hausse de prix de la farine à proposer en deux temps aux boulangeries artisanales ".
286. En vertu de l'article 101, paragraphe 1, du TFUE, sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence au sein du marché intérieur. L'article L. 420-1 du Code de commerce prohibe, de façon similaire, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites entre entreprises lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché.
287. Ainsi que l'a souligné le Conseil dans son rapport annuel pour 2007, " les articles d'incrimination [ci-dessus visés] ne donnent pas de définition de l'entente, mais se limitent à une énumération non limitative des formes que peut revêtir le concours de volontés : accords, pratiques concertées, association d'entreprises en droit de l'Union, actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions en droit national " (voir notamment l'étude thématique " La preuve des accords de volontés constitutifs d'ententes ", p. 77 à 138).
288. Il est ainsi de jurisprudence constante que la notion d'entente au sens de l'article 101, paragraphe 1, du TFUE renvoie à " l'expression, par les entreprises participantes, de la volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée ", c'est-à-dire l'expression par laquelle elles " consentent à limiter leur liberté d'action plutôt que de déterminer indépendamment leur comportement sur le marché " (CJCE, 8 juillet 1999, Anic Partecipazioni/Commission, aff. C-49-92 P, Rec. p. I-4125, point 130, et TPICE, 20 avril 1999, LVM/Commission, aff. jointes T-305-94, T-306-94, T-307-94, T-313-94 à T-316-94, T-318-94, T-325-94, T-328-94, T-329-94 et T-335-94, Rec. p. II-931, point 715).
289. S'agissant plus précisément de la notion de pratique concertée, elle vise " une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu'à la réalisation d'une convention proprement dite, substitue sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence " (CJCE, 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, aff. 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73 à 56-73, 111-73, 113-73 et 114-73, Rec. p. 1663, points 26, 173 et 174). Cette définition rejoint celle donnée à la notion d'action concertée par la jurisprudence interne (CA Paris, 28 juin 2012, Deloitte Conseil, n° 2012-04990, p. 7).
290. Après avoir rappelé le standard de preuve requis pour démontrer l'existence d'une entente horizontale (1.), seront analysés les indices matériels retenus à charge par les rapporteures (2.), puis le comportement des entreprises mises en cause (3.), l'objet anticoncurrentiel de la pratique (4.) ainsi que sa durée (5.).
1. SUR LE STANDARD DE PREUVE D'UNE ENTENTE HORIZONTALE
291. Les pratiques concertées résultent du concours de volontés de plusieurs entreprises, qui sont toutes coauteurs de l'infraction.
292. Concernant la preuve des pratiques de concertation, la Cour de justice a jugé que " l'interdiction de participer à des pratiques et à des accords anticoncurrentiels ainsi que les sanctions que les contrevenants peuvent encourir étant notoires, il est usuel que les activités que ces pratiques et ces accords comportent se déroulent de manière clandestine, que les réunions se tiennent secrètement, le plus souvent dans un pays tiers, et que la documentation y afférente soit réduite au minimum. Même si la Commission découvre des pièces attestant de manière explicite une prise de contact illégitime entre des opérateurs, telles que les comptes rendus d'une réunion, celles-ci ne seront normalement que fragmentaires et éparses, de sorte qu'il se révèle souvent nécessaire de reconstituer certains détails par des déductions. Dans la plupart des cas, l'existence d'une pratique ou d'un accord anticoncurrentiel doit être inférée d'un certain nombre de coïncidences et d'indices qui, considérés ensemble, peuvent constituer, en l'absence d'une autre explication cohérente, la preuve d'une violation des règles de la concurrence. " (CJCE, 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, aff. jointes C-204-00 P, C-205-00 P, C-211-00 P, C-213-00 P, C-217-00 P et C-219-00 P, Rec. p. I-123, points 55 à 57).
293. Dans le même sens, la Cour de cassation a jugé que " la cour d'appel, après avoir relevé que l'existence d'une entente n'était habituellement pas établie par des documents formalisés, datés et signés, émanant des entreprises auxquelles ils étaient opposés, en a déduit, à bon droit, que la preuve ne pouvait résulter que d'indices variés dans la mesure où, après recoupement, ils constituent un ensemble de présomptions suffisamment graves, précises et concordantes " (Cass. com., 8 décembre 1992, Etablissements Phibor).
294. S'agissant de la valeur probante qu'il convient d'accorder aux différents éléments de preuve, utilisés comme indices, le critère pertinent réside dans leur crédibilité et partant, selon le tribunal de l'Union, " la valeur probante d'un document dépend de son origine, des circonstances de son élaboration, de son destinataire et du caractère sensé et fiable de son contenu " (Trib. UE, 3 mars 2011, Siemens AG c/Commission, aff. T-110-07, Rec. p. II-477, point 54).
295. Parmi les indices pouvant constituer un tel faisceau, les déclarations recueillies au cours de l'instruction revêtent une importance particulière, dont la valeur probante dépend de divers éléments. Dans un arrêt du 12 juillet 2011, le Tribunal a indiqué : " Quant aux déclarations, une valeur probante particulièrement élevée peut par ailleurs être reconnue à celles qui, premièrement, sont fiables, deuxièmement, sont faites au nom d'une entreprise, troisièmement, proviennent d'une personne tenue de l'obligation professionnelle d'agir dans l'intérêt de cette entreprise, quatrièmement, vont à l'encontre des intérêts du déclarant, cinquièmement, proviennent d'un témoin direct des circonstances qu'elles rapportent et, sixièmement, ont été fournies par écrit, de manière délibérée et après mûre réflexion " (Trib. UE, 12 juillet 2011, Hitachi e.a./Commission, aff. T-112-07, Rec. p. II-3871, point 71, et la jurisprudence citée).
296. Le parallélisme de comportements peut aussi constituer un indice de concertation mais la simple constatation d'un parallélisme de comportements n'est pas en elle-même suffisante pour établir ou même présumer l'existence d'une pratique prohibée (CJCE, 16 décembre 1975, Suiker Unie, aff. 40-73 ; décision du Conseil n° 92-D-43 du 30 juin 1992). En effet, ce parallélisme peut résulter de la mise en œuvre de stratégies autonomes par des entreprises souhaitant s'adapter aux évolutions du marché.
297. Comme le rappelait le Conseil de la concurrence dans son rapport annuel 2006, " même si ce comportement d'alignement peut avoir le même objet ou effet restrictif de concurrence qu'une entente, le concours de volonté, dont il a été souligné qu'il constituait un élément constitutif de l'infraction d'entente anticoncurrentielle, fait défaut. L'infraction n'est donc pas caractérisée. Les oligopoles ne constituent pas en eux-mêmes des atteintes à la concurrence " (voir, en ce sens, décision n° 09-D-38 du 17 décembre 2009 relative à des pratiques mises en œuvre par les sociétés Ethicon SAS, Tyco Healthcare France et le syndicat national des industries des technologies médicales, paragraphe 38).
298. Ainsi que l'exposait également le Conseil de la concurrence dans son avis n° 01-A-14 du 23 octobre 2001 : " Des réponses parallèles mais indépendantes peuvent se produire [lorsque] un événement extérieur affecte de façon identique l'ensemble des concurrents, qui en sont tous également informés ".
299. Par ailleurs il convient de rappeler qu'une entreprise doit s'abstenir rigoureusement de participer à des prises de contact, directes ou indirectes, avec ses concurrents en vue d'échanger sur leurs politiques commerciales, et notamment sur le prix des biens ou des services qu'elles offrent sur le marché. Ce type de réunion n'appelle qu'une réponse de la part des entreprises : refuser d'y participer ou, si la bonne foi des participants est surprise, se distancier sans délai et publiquement du mécanisme anticoncurrentiel dont la réunion est le support. La participation à une seule de ces réunions, même si elle est passive, suffit en effet à conforter le mécanisme de l'entente puisqu'elle renseigne sur le comportement commercial que les autres acteurs ont décidé d'adopter sur le marché, alors que l'autonomie qu'exige la concurrence entre entreprises suppose que ces dernières restent dans l'incertitude sur la stratégie de leurs concurrents (décision n° 07-D-48 du Conseil du 18 décembre 2007, paragraphe 180, précité ; CJCE, 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a. aff. C-8-08, Rec. p. I-4529, point 60).
2. SUR LES PREUVES MATÉRIELLES D'UNE CONCERTATION EN 2007
300. Seront successivement examinés les différents éléments qui permettent d'attester de l'existence d'une concertation en 2007. Le premier élément matériel qui concourt à la preuve de l'existence d'une concertation en 2007 est l'agenda de M. Jean-Christophe H qui, à la date du 11 juin 2007, comporte la mention " Réunion ANMF Av d'Iéna ". Le second élément matériel apportant la preuve de l'existence d'une concertation en 2007 est la prise de notes manuscrites de M. Éric S.
301. Les autres éléments matériels figurant au dossier sont décrits précisément aux paragraphes 142 et suivants de la présente décision.
a) L'agenda de M. Jean-Christophe H
302. Le premier élément matériel opposé aux entreprises est l'agenda de M. Jean-Christophe H qui, à la date du 11 juin 2007, comporte la mention " Réunion ANMF Av d'Iéna ". Ce document et les éléments permettant sa compréhension sont décrits aux paragraphes 127 et suivants de la présente décision.
303. Il est donc incontestable et incontesté qu'à cette date, certains meuniers mis en cause dans la présente affaire se sont rencontrés.
Arguments des parties
304. S'agissant de l'agenda de M. Jean-Christophe H, les parties mises en cause estiment que les montants de hausse inscrits ne correspondent pas aux hausses observées et que les services d'instruction ont commis une erreur d'interprétation de la pièce en corrélant la mention " hausse +12/15 " à la mention " réunion ANMF, av d'Iéna ".
305. Elles arguent également du fait qu'il s'agissait non pas d'une réunion à caractère anticoncurrentiel mais d'une simple réunion syndicale.
Réponse de l'Autorité
306. S'agissant de la mention " hausse +12/15 5%" inscrite à la date du 11 juin 2007 dans l'agenda de M. Jean-Christophe H sous l'intitulé " réunion ANMF av. d'Iéna ", et qui ne correspondrait pas aux hausses observées, il convient de souligner que le grief vise un objectif de hausses, lesquelles peuvent donc différer sensiblement du montant des hausses effectivement passées. En effet, les meuniers facturent des hausses différentes à leurs clients selon le pouvoir de négociation de ces derniers. Par ailleurs, le montant des hausses effectivement passées en 2007 par la plupart des parties en cause se situe bien dans cette fourchette (voir, à cet égard, les paragraphes 200 et suivants de la présente décision). L'argument soulevé n'emporte donc pas la conviction.
307. L'affirmation de quelques meuniers selon laquelle la réunion du 11 juin 2007 avait un caractère statutaire est par ailleurs contredite tant par les déclarations précitées de MM. H et S que par celle de M. Joseph R, président de l'ANMF (à cet égard, voir supra, paragraphes 138 et suivants), qui a indiqué que toutes les réunions ANMF ont toujours lieu rue de la Boétie, et pas avenue d'Iéna, et ajouté qu'en tant qu'adhérent, il n'a jamais participé à une réunion ANMF en dehors des locaux de l'ANMF.
b) Les notes manuscrites de M. Éric S
308. Le deuxième indice retenu est un document manuscrit datant du lendemain de la réunion du 11 juin 2007.
309. Ce document et les éléments permettant sa compréhension sont décrits aux paragraphes 132 et suivants de la présente décision. Ces notes reflètent, notamment, la teneur des échanges qui ont eu lieu au cours de la réunion du 11 juin 2007.
Arguments des parties
310. Plusieurs parties soutiennent que les notes de M. Éric S datées du 12 juin 2007, et relatives à la réunion du 11 juin 2007, ne permettraient pas de démontrer l'accord de volontés puisqu'il s'agirait d'un simple compte-rendu d'une réunion interne entre deux collaborateurs des Minoteries Cantin. Réponse de l'Autorité
311. Divers éléments attestent que le compte rendu de M. S à M. U reflète fidèlement le contenu de la réunion du 12 juin, et notamment le fait que les mentions manuscrites litigieuses correspondent aux indications portées sur l'agenda de M. H. L'indication de la " volonté de la profession " permet aussi de retenir qu'il ne pouvait s'agir du compte rendu d'une simple réunion interne.
312. La précision des informations contenues dans les notes de M. Éric S ôte toute vraisemblance à l'hypothèse selon laquelle il s'agirait uniquement de rumeurs de marché ou d'informations totalement erronées ou inventées de toute pièce (voir en ce sens, TPICE, 10 mars 1992, Shell International Chemical Company Ltd c/ Commission, aff. T-11-89, paragraphe 86).
313. Il se déduit de ce qui précède que l'objet de la réunion du 11 juin 2007 était bien de se concerter sur les hausses de prix à intervenir dans le secteur de la boulangerie artisanale.
c) Les autres indices matériels
314. S'agissant des déclarations de M. Guy V, les circonstances dans lesquelles celles-ci ont été recueillies (voir supra, paragraphe 141) doivent inciter à la plus grande prudence. En effet, ces propos d'un ancien salarié incriminant l'entreprise qui l'a licencié - et à laquelle l'oppose un litige prud'homal - et citant d'autres noms sans plus de précision, alors même que l'intéressé reconnaît ne pas avoir assisté à la réunion, ne peuvent être regardés qu'avec réserve.
315. En conséquence, ces propos ne sont pas suffisamment fiables pour pouvoir être retenus comme indice à charge. La même conclusion peut être tirée s'agissant des déclarations de M. Cyril 8, relatées au paragraphe 181 de la présente décision.
316. Dans leur rapport, les rapporteurs ont par ailleurs fait état, pour la première fois, de plusieurs contacts qui seraient intervenus entre certains meuniers et qui prouveraient le caractère concerté des hausses de prix en juillet et à l'automne 2007. Il s'agirait de notes dans l'agenda de M. Jean-Christophe H faisant état d'une réunion le 6 juin 2007, puis d'une réunion à 4 le 28 août 2007 et d'une réunion le 17 octobre 2007, ainsi que de contacts bilatéraux entre meuniers.
317. Toutefois, et en l'espèce, ces notes sont trop imprécises pour pouvoir être utilisables, étant en outre précisé que les entreprises mises en cause n'ont jamais été appelées à s'expliquer sur l'existence et l'objet de ces réunions ou rencontres. Elles n'apportent notamment aucune précision sur les participants aux réunions dont il est fait état, dont l'existence même, pour celles des 28 août et 17 octobre 2007 n'est conforté par aucun autre élément.
318. De la même manière, les éléments relatifs à des échanges internes entre meuniers, décrits aux paragraphes 172 et suivants de la présente décision, tout autant que la découverte d'une circulaire vierge, sur laquelle ne figure aucun montant de hausse, émanant de Soufflet (supra, paragraphes 163 et suivants), sont trop imprécis pour être exploitables et ne permettent pas un rapprochement avec la pratique concertée en l'espèce reprochée.
319. En conséquence, ces éléments ne peuvent être utiles à la caractérisation de la pratique reprochée, sans qu'il soit besoin de statuer sur les moyens de procédure soulevés par certaines entreprises tirés d'une prétendue violation du respect du principe du contradictoire et des droits de la défense pour avoir fait état de certains éléments factuels seulement au stade du rapport, après que les pièces utilisées eurent fait l'objet de décisions de déclassement.
d) Conclusion sur les indices matériels
320. L'examen combiné de ces documents ne permet de conclure à suffisance de droit qu'à la participation à la réunion du 11 juin 2007 de M. Jean-Christophe H (Axiane Meunerie, ex-Celbert), de M. Éric S (Minoteries Cantin SAS), de M. Joseph R (Nicot Meunerie SAS) et de René N (Grands Moulins de Strasbourg SA), même s'il peut raisonnablement être craint que d'autres représentants d'entreprises participaient à cette réunion.
3. SUR LE COMPORTEMENT DES MEUNIERS PENDANT L'ANNÉE 2007
321. L'instruction a relevé, au cours de l'année 2007, une similitude des comportements des principaux meuniers mis en cause.
322. Ce parallélisme de comportements a consisté à :
- communiquer, de façon harmonisée, par voie de circulaires ;
- appliquer des hausses similaires à des dates proches.
323. Dans leurs observations, les parties, qui contestent toutes leur participation à la concertation, donnent une explication de leur conduite pendant l'année 2007 qui contredirait l'existence même d'une concertation.
324. En l'espèce, il est constant que l'évolution des cours du blé en 2007, telle qu'exposée aux paragraphes 22 et suivants de la présente décision, a perturbé le fonctionnement normal du marché et a donné aux meuniers mis en cause les indications suffisantes pour qu'ils modifient leurs comportements, les cours du blé étant l'un des déterminants essentiels du prix de la farine (à cet égard, voir supra, paragraphe 21).
325. En outre, comme les meuniers l'ont expliqué, le marché de la commercialisation aux boulangeries artisanales de la farine de blé tendre est un marché suffisamment transparent pour que les multiples offreurs puissent pratiquer une veille concurrentielle permanente.
326. Ainsi, l'application de hausses similaires des prix à des dates proches, telles que présentées aux paragraphes 176 à 202 de la présente décision, dans le contexte particulier de la volatilité des cours du blé en 2007, peut résulter de stratégies individuelles.
327. De même, la communication par voie de circulaires dans ce contexte particulier de la volatilité des cours du blé en 2007 et alors que les organisations professionnelles du secteur communiquaient publiquement au niveau national sur cette hausse des cours et ses conséquences (voir, à cet égard, supra, paragraphe 140), permettant ainsi à leurs membres d'adopter les mêmes éléments de langage, ne suffit pas à démontrer que ce comportement, présenté par les entreprises mises en cause comme constituant une réponse rationnelle et proportionnée à l'évolution des cours, résulte d'une concertation anticoncurrentielle.
328. Il résulte de ce qui précède que le grief fondé sur une concertation anticoncurrentielle plus large que celle nouée à l'occasion de la réunion du 11 juin 2007 ne peut, dans les circonstances très particulières de l'espèce, être retenu.
4. SUR L'OBJET ANTICONCURRENTIEL DE LA PRATIQUE
a) Principes applicables
329. Il résulte des termes des articles L. 420-1 du Code de commerce et 101 du TFUE, qu'une pratique anticoncurrentielle est prohibée dès lors qu'elle a un objet anticoncurrentiel et même si elle n'a pas eu d'effet réel. La faiblesse éventuelle des effets réellement constatés ou leur caractère éventuellement peu sensible n'est en effet qu'un facteur pris en compte dans l'évaluation du dommage à l'économie et par conséquent lors du calcul de la sanction. Aux fins de l'application de l'article 101, paragraphe 1, du traité, il suffit ainsi qu'un accord ait pour objet de restreindre, d'empêcher ou de fausser le jeu de la concurrence, indépendamment de ses effets concrets.
330. Il est à cet égard de jurisprudence constante que sont considérés comme ayant un objet anticoncurrentiel tous les accords consistant à fixer de manière directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction (voir, notamment, CJCE, 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands, point 37).
331. La Cour de justice a récemment confirmé sa jurisprudence dans son arrêt du 11 septembre 2014, Groupement des cartes bancaires. Elle reconnaît dans cet arrêt (point 51) que " certaines formes de collusion entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence ", à l'exemple de " certains comportements collusoires, tels que ceux conduisant à la fixation horizontale des prix par des cartels, [qui] peuvent être considérés comme étant tellement susceptibles d'avoir des effets négatifs sur, en particulier, le prix, la quantité ou la qualité des produits et des services qu'il peut être considéré inutile, aux fins de l'application de l'article 81, paragraphe 1, CE, de démontrer qu'ils ont des effets concrets sur le marché ", dès lors que " l'expérience montre que de tels comportements entraînent des réductions de la production et des hausses de prix, aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment, en particulier, des consommateurs ".
b) Appréciation de l'Autorité
332. L'objet anticoncurrentiel de la réunion du 11 juin 2007, est attesté par le compte-rendu saisi chez Minoteries Cantin, l'agenda de M. Jean-Christophe H, et les déclarations de M. Joseph R, président de l'ANMF, qui a lui-même reconnu qu'il ne s'agissait pas d'une réunion syndicale.
333. Ces éléments confirment que les meuniers se sont rencontrés pour déterminer un objectif commun de hausse du prix de la farine passé en deux temps auprès des artisans boulangers. Peu importe à cet égard que toutes les parties n'aient pas atteint l'objectif puisque les éléments du dossier démontrent que les entreprises se sont concertées sur un objectif de hausse commun.
334. En s'entendant sur un objectif de hausse du prix à pratiquer à l'égard des boulangeries artisanales, les parties en cause ont imposé sur le marché français de la farine vendue aux boulangeries artisanales un mode d'organisation substituant sciemment au libre jeu de la concurrence, à l'autonomie et à l'incertitude des opérateurs, une collusion entre les opérateurs.
335. Un tel comportement contrevient au principe d'autonomie dont les entreprises doivent faire preuve lorsqu'elles sont en concurrence sur un marché. Chaque entreprise doit en effet s'abstenir rigoureusement de participer à des prises de contact, directes ou indirectes, avec ses concurrents en vue d'échanger sur les politiques commerciales et notamment sur les prix des biens et services qu'elle envisage d'offrir sur le marché.
336. En outre, contrairement à ce qu'affirment certaines parties, cette pratique a bien été examinée au regard du contexte économique et juridique dans lequel elle s'inscrit. Ainsi, s'il est vrai qu'à la date des faits tous les meuniers étaient confrontés à la hausse des cours du blé, l'impact de cette hausse sur leurs coûts de production dépendait pour partie de leur situation propre et notamment du type de contrats conclus avec leurs fournisseurs. En conséquence, et quand bien même la hausse du prix du blé en 2007 s'appliquerait à tous les meuniers, celle-ci ne peut justifier une concertation afin de répercuter la hausse de manière identique et simultanée dans le prix de vente de la farine aux artisans boulangers.
337. L'objet des pratiques est donc établi en ce que les participants menaient une stratégie concertée de hausse du prix de vente sur le marché.
5. SUR LA DURÉE DE L'ENTENTE
a) Principes applicables
338. Dans la plupart des cas, l'existence d'une pratique ou d'un accord anticoncurrentiel doit être inférée d'un certain nombre de coïncidences et d'indices qui, considérés ensemble, peuvent constituer, en l'absence d'une autre explication cohérente, la preuve d'une violation des règles de la concurrence. De tels indices et coïncidences permettent, lorsqu'ils sont évalués globalement, de révéler non seulement l'existence de comportements ou d'accords anticoncurrentiels, mais également la durée d'un comportement anticoncurrentiel qui poursuit une même finalité.
339. Pour déterminer la durée d'une infraction aux règles de la concurrence, il convient de rechercher la période qui s'est écoulée entre la date de sa conclusion et la date à laquelle il y a été mis fin (TPICE, 27 juillet 2005, Brasserie nationale e.a. c/ Commission, aff. jointes T-49-02 à T-51-02, Rec. p. II-3033, point 185, et TPICE, 5 décembre 2006, Westfalen Gassen Nederland c/ Commission, aff. T-303-02, Rec. p. II-4567, point 138). En l'absence d'éléments de preuve susceptibles d'établir directement la durée de cette infraction et sa continuité, l'autorité de concurrence doit se fonder, au moins, sur des éléments de preuve se rapportant à des faits suffisamment rapprochés dans le temps, de façon qu'il puisse être raisonnablement admis que cette infraction s'est poursuivie de façon ininterrompue entre deux dates précises (TPICE, 7 juillet 1994, Dunlop Slazenger c/ Commission, aff. T-43-92, Rec. p. II-441, point 79, et TPICE, 16 novembre 2006, Peróxidos Orgánicos c/ Commission, aff. T-120-04, Rec. p. II-4441, point 51).
340. Pour autant, la détermination de la durée d'une pratique, en particulier concernant la date à laquelle elle prend fin, dépend en premier lieu de ses résultats économiques ou de sa finalité et non de sa forme juridique, y compris dans l'hypothèse où l'accord formel a cessé d'être en vigueur. Ainsi le juge de l'Union, rappelant à la Commission que la charge de la preuve de l'existence de l'entente, mais aussi de sa durée lui incombe, a précisé, s'agissant de la preuve de la continuation de l'infraction, " que le régime de concurrence instauré par les articles 85 et suivants du traité s'intéresse aux résultats économiques des accords, ou de toute forme comparable de concertation ou de coordination, plutôt qu'à leur forme juridique. Par conséquent, dans le cas d'ententes qui ont cessé d'être en vigueur, il suffit, pour que l'article 85 du traité soit applicable, qu'elles poursuivent leurs effets au-delà de leur cessation formelle " (voir en ce sens TPICE, 11 décembre 2003, Ventouris Group Entreprises c/ Commission, aff. T-59/99, Rec. p. II-5257, points 182 et 193 ; CJCE, 3 juillet 1985, Binon, aff. 243-83, Rec. p. 2015, point 17 ; TPICE, 14 mai 1998, SCA Holding c/ Commission, aff. T-327-94, Rec. p. II-1373, point 95).
b) Appréciation de l'Autorité
341. Le grief notifié reproche aux parties mises en cause " d'avoir déterminé en 2007 de manière concertée un objectif de hausse de prix de la farine à proposer en deux temps aux boulangeries artisanales. "
342. La date du 11 juin 2007 correspondant à la réunion au cours de laquelle s'est manifestée " la volonté de la profession de monter les prix [...] ". Il y a donc lieu de considérer que celle-ci constitue, au plus tard, le début de l'entente.
343. Les parties mises en cause estiment, à rebours de l'analyse menée par les services d'instruction, que la durée de la pratique ne peut s'étendre au-delà du passage de la deuxième hausse, à la fin de l'année 2007, en l'absence de la démonstration d'effets qui auraient perdurés en 2008.
344. L'analyse statistique figurant aux paragraphes 185 et suivants de la présente décision fait apparaître une " première rupture [qui] se situe, selon les meuniers, entre les semaines 27 et 32 incluses, soit entre le 2 juillet et le 12 août 2007 [et une] seconde rupture se situe entre les semaines 40 et 49 incluses, soit entre le 1er octobre et le 9 décembre 2007 " (supra, paragraphe 194).
345. Elle confirme que l' " objectif de hausse de prix de la farine à proposer en deux temps aux boulangeries artisanales " s'étend du 11 juin 2007 à mi-décembre de la même année.
346. Ni le maintien au même niveau des prix de la farine au premier semestre 2008, qui trouve son explication dans le fait que les cours du blé sont restés très élevés au cours de cette période, ni l'exercice d'une prétendue " surveillance " de l'entente pendant les premiers mois de 2008, qui n'est pas confirmée par l'examen des pièces du dossier, ne justifie de retenir une durée plus longue.
E. SUR L'IMPUTABILITÉ DES PRATIQUES EN CAUSE
1. RAPPEL DES PRINCIPES
347. Il résulte d'une jurisprudence constante que les articles L. 420-1 du Code de commerce et 101 TFUE visent les infractions commises par des entreprises.
348. La jurisprudence a précisé que la notion d'entreprise doit être comprise comme désignant une unité économique, même si, du point de vue juridique, celle-ci est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales. C'est cette entité économique qui doit, lorsqu'elle enfreint les règles de concurrence, répondre de cette infraction, conformément au principe de responsabilité personnelle (voir, notamment, CJCE, 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a. c/ Commission, aff. C-97-08 P, et CA Paris, 29 mars 2012, Lacroix Signalisation e.a., n° 2011-01228, p. 18 et 20).
349. Ainsi, au sein d'un groupe de sociétés, le comportement d'une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu'ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l'essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques (arrêts Akzo Nobel e.a. c/ Commission précité, point 58, et Lacroix Signalisation e.a. précité, pp. 18 et 19).
350. Dans le cas particulier où une société mère détient, directement ou indirectement par le biais d'une société interposée, la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale auteur d'un comportement infractionnel, il existe une présomption selon laquelle cette société mère exerce une influence déterminante sur le comportement de sa filiale. Dans cette hypothèse, il suffit pour l'autorité de concurrence de rapporter la preuve de cette détention capitalistique pour imputer le comportement de la filiale auteur des pratiques à la société mère. Il est possible à la société mère de renverser cette présomption en apportant des éléments de preuve susceptibles de démontrer que sa filiale détermine de façon autonome sa ligne d'action sur le marché. Si la présomption n'est pas renversée, l'Autorité de concurrence sera en mesure de tenir la société mère solidairement responsable pour le paiement de la sanction infligée à sa filiale (Akzo Nobel e.a. c/ Commission précité, points 60 et 61, et Lacroix Signalisation e.a. précité, pp. 19 et 20).
351. La jurisprudence exige également que lorsqu'une décision d'application de l'article 101 TFUE concerne une pluralité de destinataires et pose un problème d'imputabilité de l'infraction, celle-ci doit comporter une motivation suffisante à l'égard de chacun des destinataires, particulièrement pour ceux d'entre eux qui, aux termes de cette décision, doivent supporter la charge de cette infraction. Ainsi, pour être suffisamment motivée à l'égard des sociétés mères des filiales ayant commis l'infraction, la décision doit contenir un exposé circonstancié des motifs de nature à justifier l'imputabilité de l'infraction à ces sociétés (Trib. UE, 17 mai 2011, Elf Aquitaine c/ Commission, aff. T-299-08, Rec. p. II-2149, point 217).
352. Plus précisément, le juge de l'Union considère qu'il importe, sous peine de violation des droits de la défense des parties mises en cause, que la communication des griefs indique précisément en quelle qualité une entreprise se voit reprocher les faits allégués (CJCE, 3 septembre 2009, Papierfabrik August Koehler AG e.a. c/ commission, aff. C-322-07 P, Rec. p. I-7191, point 39), la notification de griefs ne devant à cet égard souffrir d'aucune ambigüité (en ce sens, voir CJUE, 27 mars 2014, Ballast Nedam NV c/ Commission, aff. C-612-12 P, ECLI:EU:C:2014:193, point 28).
2. APPLICATION EN L'ESPÈCE
353. Dans la présente affaire, la notification de griefs adressée aux parties mises en cause le 22 février 2013 ne comporte aucun développement spécifique relatif à l'imputabilité aux sociétés mères des pratiques relevées.
354. Dès lors, et en application des principes ci-dessus rappelés, les comportements des parties mises en cause, à les supposer appartenant à des groupes de sociétés, ne pourraient être imputés aux autres sociétés des groupes auxquelles elles appartiendraient.
355. Ainsi, seules les sociétés auteures de l'infraction en cause dans la présente procédure peuvent être poursuivies, sans qu'il ne soit possible d'engager la responsabilité, dérivée, des autres sociétés des groupes auxquels elles appartiennent.
3. CONCLUSION SUR LES PARTICIPANTS À L'ENTENTE
356. Il ressort de tout ce qui précède que si l'existence d'une concertation d'une certaine ampleur visant à faire augmenter, en deux temps, le prix de la farine vendue aux boulangeries artisanales ne peut être exclue, il n'en demeure pas moins que ne peuvent, compte tenu du standard de preuve rappelé dans la présente affaire, être sanctionnées que les seules parties mises en cause dont la participation à la réunion du 11 juin 2007 est établie.
357. La participation à la réunion du 11 juin 2007 de M. Jean-Christophe H, M. Éric S, M. Joseph R et René N est établie. Elle est de nature à engager les responsabilités respectives des sociétés Axiane Meunerie SAS (ex-Celbert), Minoteries Cantin SAS, Nicot Meunerie SAS et Grands Moulins de Strasbourg SA.
358. S'agissant toutefois du cas particulier de M. Joseph R, si sa participation à la réunion du 11 juin 2007 est établie, il n'en demeure pas moins que ce dernier ne pouvait représenter que la société Nicot Meunerie SAS et non sa filiale, la société Moulins Joseph Nicot SAS. En effet, les éléments figurant au dossier ne permettent pas de connaître avec précision les fonctions occupées par M. Joseph R au sein de la société Moulins Joseph Nicot SAS. Au stade du rapport, les services d'instruction ont exposé, pour la première fois, que le grief a été notifié à la société Nicot Meunerie SAS en sa qualité de société mère de la société Moulins Joseph Nicot SAS, elle-même considérée comme l'auteur des pratiques reprochées. Compte tenu de tout ce qui précède, la responsabilité de la société Nicot Meunerie SAS, mais aussi celle de sa filiale Moulins Joseph Nicot SAS, ne peuvent, dans la présente affaire, être retenues.
F. SUR LES SANCTIONS
359. Le I de l'article L. 464-2 du Code de commerce et l'article 5 du règlement n° 1/2003 habilitent l'Autorité à imposer des sanctions pécuniaires aux entreprises et aux organismes qui se livrent à des pratiques anticoncurrentielles interdites par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce ainsi que 101 et 102 du TFUE.
360. Le troisième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce dispose que " les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation individuelle de l'organisme ou de l'entreprise sanctionnée ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le [titre VI du livre IV du Code de commerce]. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ".
361. Par ailleurs, aux termes du quatrième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, le montant maximal de la sanction qui peut être imposé à une entreprise est " de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante ".
362. En l'espèce, l'Autorité apprécie ces critères légaux selon les modalités pratiques décrites dans son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (ci-après, le " communiqué sanctions ").
363. Les parties mises en cause ont été mises en mesure de formuler des observations, en réponse au rapport, sur les principaux éléments de droit et de fait du dossier susceptibles, selon les services d'instruction de l'Autorité, d'influer sur la détermination de la sanction pouvant leur être infligée. La présentation de ces différents éléments qui leur a été faite par les services d'instruction ne préjuge pas de l'appréciation du collège sur les déterminants de la sanction, appréciation qui relève de sa seule délibération.
1. SUR LA DÉTERMINATION DU MONTANT DE BASE
a) Sur la valeur des ventes
364. La valeur des ventes de l'ensemble des ventes de farine de blé tendre livrée en vrac ou en sacs aux boulangeries artisanales au cours de l'exercice comptable clos au 31 décembre 2007 peut être utilement retenue comme assiette de la sanction. Certes, le Code de commerce, en ne se référant pas au chiffre d'affaires lié au secteur ou au marché en cause, mais uniquement au chiffre d'affaires mondial consolidé ou combiné, n'impose pas à l'Autorité de procéder de la sorte (Cass. com., 13 mai 1997, Société française de transports Gondrand frères, n° 95-16378). Pour autant, ce paramètre constitue généralement une référence appropriée et objective permettant de proportionner au cas par cas l'assiette de la sanction à la réalité économique de l'infraction en cause, et plus précisément à son ampleur ainsi qu'au poids relatif sur le secteur concerné de chacune des entreprises qui y a participé (voir, en ce sens, CA Paris, 11 octobre 2012, Entreprise H. Chevalier Nord e.a., n° 2011-03298, p. 72 ; voir également CA Paris, Lacroix Signalisation e.a. précité, pp. 37 et 38), comme cela ressort aussi de la jurisprudence constante des juridictions de l'Union (CJCE, 7 juin 1983, Musique diffusion française c/ Commission, aff. 100/80, Rec. p. 1825, points 119 à 121, et CJCE, 3 septembre 2009, Papierfabrik August Koehler e.a. c/ Commission, aff. jointes C-322-07 P, C-327-07 P et C-338-07 P, Rec. p. I-7191, point 114).
Arguments des parties
365. Les parties considèrent que la valeur des ventes à prendre en compte pour déterminer l'assiette de la sanction doit être la valeur des ventes de l'ensemble des ventes de farine de blé tendre livrée en vrac ou en sacs aux boulangeries artisanales au cours de l'année 2007, à l'exclusion des mixes destinés à la production de viennoiseries ou de pâtisseries.
Appréciation de l'Autorité
366. Au cas d'espèce, l'Autorité retiendra la valeur des ventes de l'ensemble des ventes de farine de blé tendre livrée en vrac ou en sacs aux boulangeries artisanales au cours de l'année 2007.
367. Sont exclus de cette valeur des ventes, dès lors que les analyses ont porté principalement sur la seule farine et au bénéfice des entreprises mises en cause, les mixes destinés à la production de viennoiseries ou de pâtisseries.
368. Grands Moulins de Strasbourg n'a communiqué qu'une valeur des ventes pour l'année 2007 qui intègre les mixes destinés à la production de viennoiseries ou de pâtisseries. Les services d'instruction ayant estimé, sans que cela soit contesté, la part de ces mixes à 20% du chiffre d'affaires réalisé en farine de blé tendre livrée en vrac ou en sacs aux boulangeries artisanales (à cet égard, voir § 458 du Rapport), il convient d'appliquer au chiffre communiqué par cette entreprise un coefficient de 0,8.
369. Par ailleurs, les éléments transmis par les mises en cause sur la valeur des ventes réalisées en 2007 ne permettent pas de considérer que ces entreprises présentent les caractéristiques, qu'elles revendiquent, d'entreprises mono-produit au sens du point 48 du communiqué sanctions.
370. Compte tenu de ces éléments, et des données chiffrées à la disposition de l'Autorité, les valeurs des ventes, en euro, servant d'assiette à la sanction, sont les suivantes :
" emplacement tableau "
b) Sur la proportion de la valeur des ventes retenue au titre de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie
371. En application du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, le montant de base de la sanction imposée à chacune des entreprises en cause sera déterminé en fonction de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, critères qui se rapportent tous deux aux pratiques constatées. Les appréciations de l'Autorité à cet égard trouveront une traduction chiffrée dans le choix d'une proportion de la valeur des ventes retenue pour chaque entreprise en cause, démarche qui permettra de proportionner l'assiette de la sanction à la réalité économique des infractions, d'une part, et au poids relatif sur le secteur concerné de chacun des participants, d'autre part. L'Autorité procèdera ensuite à l'appréciation de la situation de chaque entreprise et sa contribution personnelle aux pratiques (CA Paris, 11 octobre 2012, précité, p. 68).
372. La durée des pratiques, qui constitue un facteur pertinent pour apprécier tant la gravité des faits (Cass. com., 30 mai 2012, Orange France, n° 11-22144) que l'importance du dommage causé à l'économie (Cass. com., 12 juillet 2011, Lafarge ciments e.a., n° 10-17482 et 10-17791), fera l'objet d'une prise en compte sous ces deux angles selon les modalités pratiques décrites dans le communiqué sanctions.
Sur la gravité des faits
Arguments des parties
373. Les parties mises en cause contestent l'analyse des services d'instruction selon laquelle la pratique qui leur est reprochée serait d'une " extrême gravité ". À cette fin, elles avancent que le rapport reposerait, pour apprécier la gravité de la pratique, sur des informations non démontrées et erronées qui doivent conduire le collège à reconsidérer sérieusement la gravité alléguée de la pratique en cause.
Appréciation de l'Autorité
374. Afin d'apprécier la gravité des faits au cas d'espèce, il convient d'évoquer successivement la nature de l'infraction en cause, la nature du secteur et du produit concerné et les caractéristiques concrètes de cette pratique.
375. S'agissant, en premier lieu, de la nature de l'infraction en cause, celle-ci doit être considérée comme une entente horizontale entre concurrents dont l'objet était de fixer les mêmes hausses de prix, au lieu de laisser ce paramètre à la libre appréciation de chacune des entreprises, dans le cadre d'une détermination autonome de sa politique commerciale et de son comportement sur le marché. En particulier, les parties mises en cause ont déterminé en commun les montants et les dates des hausses de la farine vendue aux boulangeries artisanales.
376. Cette pratique concertée horizontale portant sur le comportement tarifaire futur des concurrents constitue une violation d'une particulière gravité, même si elle n'aboutit pas à des accords de fixation des prix stricto sensu, dans la mesure où elle ne peut tendre qu'à confisquer, au profit des auteurs de l'infraction, le bénéfice que les opérateurs en aval de la chaîne de valeur et les consommateurs - en l'espèce les boulangeries artisanales et leurs clientèles - sont en droit d'attendre d'un fonctionnement concurrentiel de l'économie.
377. S'agissant, en deuxième lieu, de la nature du secteur et du produit concerné, il convient de relever que la farine de blé tendre est un produit de consommation courante qui n'est substituable à aucun autre produit. Elle est l'ingrédient de base du pain, qui représente une dépense quasi contrainte dans le budget des ménages français. Chaque jour, près d'un million de consommateurs franchit la porte d'une boulangerie pour acheter du pain. Ces éléments sont de nature à renforcer la gravité concrète de l'infraction commise par les entreprises en cause sur le marché considéré.
378. S'agissant, en troisième et dernier lieu, des caractéristiques concrètes des pratiques, il y a lieu de considérer que cette infraction est d'autant plus grave qu'elle a revêtu un caractère secret, élément la rendant particulièrement difficile à détecter et traduisant, dans une certaine mesure, son caractère délibéré.
379. Il résulte de ce qui précède que la pratique en cause présente à tout le moins un caractère de gravité certain.
Sur l'importance du dommage causé à l'économie
Arguments des parties
380. Les parties mises en cause contestent l'importance jugée " très significative " par les services d'instruction du dommage causé à l'économie. Elles font valoir, à cet égard, que la courte durée de la pratique ainsi que l'absence de démonstration d'effets postérieurs à cette pratique ne sont pas, par nature, susceptibles d'avoir produit un dommage à l'économie significatif.
Appréciation de l'Autorité
381. Il est de jurisprudence constante que l'importance du dommage causé à l'économie s'apprécie de façon globale pour les pratiques en cause, c'est-à-dire au regard de l'action cumulée de tous les participants, sans qu'il soit besoin d'identifier la part imputable à chacun d'entre eux pris séparément (Cass. com., 18 février 2004, CERP e.a., n° 02-11754, et CA Paris, 17 septembre 2008, Coopérative agricole L'ardéchoise, n° 2007-10 371, p. 6).
382. Ce critère légal ne se confond pas avec le préjudice qu'ont pu subir les victimes des pratiques en cause, mais s'apprécie en fonction de la perturbation générale qu'elles sont de nature à engendrer pour l'économie (voir, par exemple, CA Paris, 8 octobre 2008, SNEF, n° 2007/18 040, p. 4).
383. L'Autorité, qui n'est pas tenue de chiffrer précisément le dommage causé à l'économie, doit procéder à une appréciation de son existence et de son importance, en se fondant sur une analyse aussi complète que possible des éléments du dossier et en recherchant les différents aspects de la perturbation générale du fonctionnement normal de l'économie engendrée par les pratiques en cause (CA Paris, 30 juin 2011, Orange France, n° 2010-12 049, p. 5, confirmé sur pourvoi par Cass. com., 30 mai 2012, précité ; CA Paris, 26 janvier 2012, Beauté Prestige International e.a., n° 2012-23 945, p. 89). L'existence du dommage à l'économie ne saurait donc être présumée (Cass. com., 7 avril 2010, Orange France e.a., n° 09-12984, 09-13163 et 09-65940).
384. En se fondant sur une jurisprudence établie, l'Autorité tient notamment compte, pour apprécier l'incidence économique de la pratique en cause, de l'ampleur de l'infraction, telle que caractérisée, entre autres, par sa couverture géographique ou par la part de marché cumulée des participants sur le secteur ou le marché concerné, de sa durée, de ses conséquences conjoncturelles ou structurelles, ainsi que des caractéristiques économiques pertinentes du secteur ou du marché concerné (voir, par exemple, CA Paris, 30 juin 2011, précité, p. 5 et CA Paris, 26 janvier 2012, précité, p. 89 ; voir également, en ce sens, de la Cass. com., 30 mai 2012, précité). Les effets tant avérés que potentiels de la pratique peuvent être pris en considération à ce titre (voir, en ce sens, Cass. com., 28 juin 2005, Novartis Pharma, n° 04-13910).
385. L'Autorité peut s'appuyer sur des estimations relatives aux conséquences directes des pratiques, lorsqu'elles sont observables, notamment en ce qui concerne le surprix qu'elles ont pu engendrer (voir, en ce sens, CA Paris, 26 janvier 2010, Adecco France e.a., n° 2009-03532, p. 17). Ces estimations sont, comme toute estimation, affectées par un degré d'incertitude ; elles peuvent néanmoins être prises en considération si elles sont fondées sur une méthode scientifiquement reconnue, qui tient compte de l'influence éventuelle d'autres facteurs explicatifs de l'estimation fournie (voir, en ce sens, Cass. com., 12 juillet 2011, Lafarge e.a., n° 10-17482 et 10-17791).
386. Au cas d'espèce, s'agissant en premier lieu de l'ampleur des pratiques en cause, les auteurs identifiés, qui ne représentent que quelques meuniers, détenaient des parts de marché cumulées relativement modérées au regard de celles des concurrents, tant en volume (les trois entreprises sanctionnées représentaient ensemble plus de 8 % du total du volume de farine de blé vendu aux boulangeries artisanales en France en 2007 ; voir, à cet égard, le paragraphe 192 de la notification de grief) qu'en valeur.
387. De plus, l'infraction en cause concerne un bien intermédiaire sans substitut proche et a visé l'ensemble du territoire national. L'objectif de hausse de prix visé par le grief devait en effet s'appliquer à tout le territoire.
388. En deuxième lieu, afin d'apprécier l'importance du dommage causé à l'économie, il convient de prendre en compte les caractéristiques économiques objectives du secteur en cause, dans la mesure où ces dernières sont de nature à influer sur les conséquences conjoncturelles ou structurelles des pratiques. À cet égard, il convient de tenir compte de la présence de barrières à l'entrée dues à la réglementation quant aux droits de mouture et à l'existence de réseaux de marque auxquels les trois meuniers sanctionnés participaient. De même, la demande tant de farine de blé par les boulangers que de pains par les consommateurs finaux présentait une élasticité-prix faible, ce qui est de nature à faciliter la mise en place de hausses de prix sans craindre une baisse de la demande trop importante.
389. Enfin, par rapport à l'ampleur des hausses de prix décidées en concertation, l'ampleur du dommage est également limitée du fait de la progression indéniable des coûts d'achats effectifs du blé, que reflètent également les hausses de prix mises en œuvre par les meuniers dont il n'a pas été démontré qu'ils ont pris part à l'entente, et de l'incapacité dans laquelle se sont trouvés certains des meuniers mis en cause de faire passer l'intégralité de l'objectif de hausses.
Conclusion sur la proportion de la valeur des ventes
390. Compte tenu de l'appréciation qu'elle a faite ci-dessus de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, l'Autorité retiendra, pour déterminer le montant de base de la sanction infligée aux entreprises mises en cause, une proportion de 10 % de la valeur des ventes de l'ensemble des ventes de farine de blé tendre livrée en vrac ou en sacs aux boulangeries artisanales au cours de l'année 2007.
c) Sur la durée de la pratique
391. Comme indiqué précédemment, la durée d'une infraction aux règles de concurrence est un facteur qu'il convient de prendre en compte dans le cadre de l'appréciation tant de la gravité des faits que de l'importance du dommage causé à l'économie. En effet, plus une telle infraction est longue, plus l'atteinte qu'elle porte au jeu de la concurrence et la perturbation qu'elle entraîne pour le fonctionnement du secteur ou du marché en cause, et plus généralement pour l'économie, peuvent être substantielles et persistantes. La jurisprudence de l'Union sur ce point relève d'ailleurs que " [s]i une entente fixe l'état du marché au moment où elle est conclue, sa longue durée peut en rigidifier les structures [...]. Le retour à l'état de libre concurrence sera d'autant plus difficile et long que la durée de l'entente aura elle-même été longue " (CJUE, 8 décembre 2011, KME Germany e.a. c/ Commission, aff. C-389-10 P, Rec. p. I-13125, point 75).
392. Dans le cas d'infractions qui se sont prolongées plus d'une année, l'Autorité s'est engagée à prendre en compte leur durée selon les modalités pratiques suivantes : la proportion retenue, pour donner une traduction chiffrée à la gravité des faits et à l'importance du dommage causé à l'économie, est appliquée une fois, au titre de la première année complète de mise en œuvre du comportement en cause, à la valeur des ventes de référence, puis à la moitié de cette valeur, au titre de chacune des années complètes de mise en œuvre suivantes. Au-delà de cette dernière année complète, la période restante est prise en compte au mois près, dans la mesure où les éléments du dossier le permettent. Cette méthode se traduit par un coefficient multiplicateur, défini proportionnellement à la durée de mise en œuvre des comportements en cause et appliqué à la proportion de la valeur des ventes retenue comme assiette.
393. Dans chaque cas d'espèce, cette méthode se traduit par un coefficient multiplicateur, défini proportionnellement à la durée individuelle de participation de chacune des parties aux pratiques et appliqué à la proportion de la valeur des ventes effectuées par chacune d'entre elles pendant l'exercice comptable retenu comme référence. À titre exceptionnel et au large bénéfice des entreprises mises en cause, dans certains cas particuliers d'infractions dont la durée est inférieure à une année, l'Autorité peut décider de retenir un coefficient multiplicateur inférieur à 1.
394. Dans la présente affaire, il est établi que la pratique en cause s'étend du 11 juin 2007 à mi-décembre de la même année (à cet égard, voir supra, paragraphes 339 et suivants). La durée de la pratique étant, pour l'ensemble des parties mises en cause, de 6 mois, le coefficient multiplicateur appliqué en l'espèce sera de 0,5.
d) Conclusion sur la détermination du montant de base
395. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que, eu égard à la gravité des faits et à l'importance du dommage causé à l'économie par les pratiques en cause, le montant de base de la sanction pécuniaire déterminé en proportion des ventes de produits en relation avec l'infraction effectuées par chacune des entreprises en cause, d'une part, et de sa durée individuelle de participation aux pratiques, d'autre part, est le suivant :
" emplacement tableau "
2. SUR L'INDIVIDUALISATION
396. L'Autorité s'est engagée à adapter les montants de base retenus au regard du critère légal tenant à la situation individuelle de chacune des parties en cause, qu'il s'agisse d'organismes ou d'entreprises, appartenant le cas échéant à des groupes plus larges.
397. À cette fin, et en fonction des éléments propres à chaque cas d'espèce, elle peut prendre en considération différentes circonstances atténuantes ou aggravantes caractérisant le comportement de chaque entreprise dans le cadre de sa participation à l'infraction, ainsi que d'autres éléments objectifs pertinents relatifs à sa situation individuelle. Cette prise en considération peut conduire à ajuster la sanction tant à la hausse qu'à la baisse.
398. Au cas présent, les éléments du dossier ne font pas ressortir d'éléments propres à la situation ou au comportement individuel des parties qui seraient de nature à augmenter ou à diminuer leur sanction respective, sous réserve de l'appréciation de difficultés financières particulières alléguées par elles, qui sera examiné ultérieurement.
3. SUR LES AJUSTEMENTS FINAUX
a) Sur la vérification du respect du maximum légal
399. Conformément au I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, lorsque le contrevenant est une entreprise, le montant maximum de la sanction pécuniaire est de 10 % du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante.
400. Le chiffre d'affaires mondial consolidé hors taxes le plus élevé connu réalisé par le groupe Axéréal, qui consolide les chiffres d'affaires des sociétés Axiane Meunerie et Minoteries Cantin, était de 3 709 000 000 euro en 2013, année correspondant au chiffre d'affaires le plus élevé pendant la période comprise entre l'année précédant le début de l'infraction et le jour de la décision. Le montant maximum de la sanction pour les sociétés Axiane Meunerie et Minoteries Cantin s'élève à 10 % du chiffre d'affaires mondial hors taxes d'Axéréal pour l'année 2013, soit 370 900 000 euro. Ce montant est supérieur aux montants des sanctions mentionnés au paragraphe 395 ci-dessus, qui n'ont dès lors pas lieu d'être réduits à ce titre.
401. Le chiffre d'affaires mondial consolidé hors taxes le plus élevé connu réalisé par le groupe Grands Moulins de Strasbourg était de 284 583 000 euro en 2012, année correspondant au chiffre d'affaires le plus élevé pendant la période comprise entre l'année précédant le début de l'infraction et le jour de la décision. Le montant maximum de la sanction pour Grands Moulins de Strasbourg s'élève à 10 % de ce chiffre d'affaires mondial hors taxes pour l'année 2012, soit 28 458 300 euro. Ce montant est supérieur au montant de la sanction mentionné au paragraphe 395 ci-dessus, qui n'a dès lors pas lieu d'être réduit à ce titre.
b) Sur la prise en compte des difficultés financières affectant la capacité contributive des entreprises mises en cause
402. L'Autorité s'est en dernier lieu engagée à apprécier les difficultés financières particulières de nature à diminuer leur capacité contributive dont les parties invoquent l'existence, selon les modalités pratiques indiquées dans le communiqué du 16 mai 2011 précité.
403. Il appartient à l'entreprise en cause de justifier l'existence de telles difficultés en s'appuyant sur des preuves fiables, complètes et objectives attestant de leur réalité et de leurs conséquences concrètes sur sa capacité contributive (voir, en ce sens, CA Paris, 11 octobre 2012, précité, p. 73).
404. Par ailleurs, dans l'hypothèse où l'entreprise qui les allègue appartient à un groupe, c'est au regard des ressources financières dont ce groupe dispose que de telles difficultés peuvent être appréciées (en ce sens, voir notamment Cass. com., 22 octobre 2013, n° 12-23486, Cass. com., 22 octobre 2013, n° 12-23487 et Cass. com., 18 février 2014, n° 12-27643).
405. À cet égard, l'existence de liens capitalistiques unissant un grand nombre d'entreprises dans un groupe très important au sein duquel elles consolident leurs comptes respectifs, atteste de ce que l'autonomie patrimoniale des personnes juridiques qui le composent s'appuie sur des synergies, et que le groupe peut compter sur des partenariats qui en justifient l'intérêt même. C'est à ce titre qu'il peut être considéré comme suffisamment établi qu'une filiale a bien les moyens de mobiliser les fonds nécessaires au règlement de la sanction auprès du groupe auquel elle appartient, au développement et à la puissance duquel elle contribue.
406. Il incombe, le cas échéant, à la mise en cause ou au groupe auquel elle appartient d'apporter la preuve des raisons pour lesquelles ce dernier ne serait pas en mesure d'aider sa filiale, rompant ainsi avec la solidarité et l'entraide qui président normalement aux relations entre les sociétés d'un même groupe. Ainsi, un refus unilatéral d'assistance opposé par une société-mère serait dénué de pertinence, dès lors que rien ne permet de présumer le désintérêt d'un groupe porté à la survie de sa filiale, et qu'admettre ce désengagement sans autres explications, reviendrait à méconnaître l'objectif de dissuasion qui préside au prononcé de sanctions pécuniaires.
Sur la capacité contributive d'Axiane Meunerie
407. Axiane Meunerie a invoqué l'existence de difficultés financières particulières de nature, selon elle, à limiter sa capacité contributive.
408. L'examen des éléments financiers et comptables communiqués par Axiane Meunerie à l'appui de sa demande conduit l'Autorité à constater qu'ils constituent des preuves fiables, complètes et objectives attestant de l'existence de difficultés financières particulières et actuelles affectant sa capacité à s'acquitter de la sanction que l'Autorité envisage de lui imposer, comme indiqué au paragraphe 395 ci-dessus. Il convient donc de réduire sa sanction dans la mesure nécessaire pour qu'elle puisse s'en acquitter.
409. Eu égard à sa capacité contributive, mais aussi à son appartenance au groupe Axéréal, la sanction d'Axiane Meunerie sera réduite à 300 000 euro.
Sur la capacité contributive de Minoteries Cantin et de Grands Moulins de Strasbourg
410. Minoteries Cantin et Grands Moulins de Strasbourg ont invoqué l'existence de difficultés financières particulières de nature, selon elles, à limiter leur capacité contributive.
411. Toutefois, l'analyse des éléments financiers et comptables communiqués par Minoteries Cantin et par Grands Moulins de Strasbourg à l'appui de leurs demandes conduisent l'Autorité à considérer qu'ils n'attestent pas de difficultés financières particulières empêchant les intéressés de s'acquitter de la sanction envisagée au paragraphe 395 ci-dessus. En particulier, les ratios de solvabilité et d'endettement qu'ils permettent d'établir conduisent à conclure que Minoteries Cantin et Grands Moulins de Strasbourg ont capacité contributive suffisante pour acquitter le montant des sanctions figurant au paragraphe 395 ci-dessus.
4. SUR LE MONTANT FINAL DES SANCTIONS
412. Eu égard à l'ensemble des éléments décrits plus haut, il y a lieu d'imposer les sanctions suivantes à chacune des entreprises :
" emplacement tableau "
DÉCISION
Article 1er : Il est établi que les sociétés Axiane Meunerie SAS (ex-Celbert), Minoteries Cantin SAS et Grands Moulins de Strasbourg SA ont enfreint les dispositions de l'article 101 du TFUE et de l'article L 420-1 du Code du commerce en participant en 2007 à une entente anticoncurrentielle, nouée à l'occasion d'une réunion du 11 juin 2007, visant à fixer en commun un objectif de hausse de prix de la farine à proposer aux boulangeries artisanales.
Article 2 : L'Autorité de la concurrence considère, sur la base des informations dont elle dispose, que les conditions d'une interdiction au titre des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce ne sont pas réunies s'agissant de la société Nutrixo SAS et ses filiales Euromill SAS, Grands Moulins de Paris SA, Euromill Nord SA, Grands Moulins Storione SA et Inter-Farine SA, de la société A.R.I.A.N.E. SA et sa filiale Axiane groupe SAS, de la société Moulins Soufflet SA, de la société SA Estager, de la société Nicot meunerie SAS et sa filiale Moulins Joseph Nicot SAS, de la société Dijon Céréales Meunerie SA, de la société Minoterie Forest SAS, de la société Minoterie du Trièves Corréard et fils SARL, de la société SAS Céard, de la société SARL Minoterie Batigne et de la société Moulin de Sauret SAS. Il n'y a donc pas lieu de poursuivre la procédure à leur encontre.
Article 3 : Sont infligées, au titre de la pratique visée à l'article 1er, les sanctions pécuniaires suivantes :
- 300 000 euro à la société Axiane Meunerie SAS ;
- 320 000 euro à la société Minoteries Cantin SAS ;
- 518 000 euro à la société Grands Moulins de Strasbourg SA.
Délibéré sur le rapport oral de Madame Frédérique Laporte, rapporteure, et l'intervention de Monsieur Nicolas Deffieux, rapporteur général adjoint, par Madame Claire Favre, vice-présidente, présidente de séance, Madame Séverine Larere et Monsieur Olivier d'Ormesson, membres.
ANNEXES
Ci-dessous sont reproduits les 17 graphiques évoqués au paragraphe 192 de la décision n° 15-D-04 du 26 mars 2015 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la boulangerie artisanale.
Graphiques 1 à 13 : Évolution du prix moyen pondéré hebdomadaire des farines de blé par meunier entre janvier 2007 et juin 2008
Graphiques 14 et 15 : Évolution du prix moyen pondéré mensuel des farines de blé par meunier entre janvier 2007 et janvier 2008.
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Graphique 16 : Prix moyen pondéré des farines de blé par période (euro par quintal) (données hebdomadaires de 13 meuniers)
" emplacement tableau "
Graphique 17 : Prix moyen pondéré des farines de blé par période (euro par quintal) (données mensuelles de 2 meuniers)
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