CA Caen, 2e ch. civ. et com., 12 mars 2015, n° 14-01157
CAEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
HPCR Entreprise (SARL)
Défendeur :
Lechartier (Epoux)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Briand
Conseillers :
Mmes Beuve, Boissel-Dombreval
Avocats :
Mes Mialon, Levionnais, Riera, Favre
La SARL HPCR Entreprise qui exploite, par l'intermédiaire d'un réseau de franchise, une activité consistant à éditer et commercialiser des guides touristiques de réduction payants sous la marque Passtime, a conclu, par acte sous seing privé du 8 juillet 2010, un contrat de franchise à durée indéterminée portant sur le département de la Manche, avec M. Régis Lechartier.
Ce dernier a, par lettre recommandée du 15 mars 2012, notifié à la SARL HPCR Entreprise qu'il mettait fin au contrat au terme du préavis conventionnel de 6 mois.
Faisant valoir que M. Régis Lechartier commercialisait, par l'intermédiaire de son épouse, un guide de réduction à l'enseigne " Les guides de Zoé " qui est la copie servile du guide Passtime et que ces agissements constituaient tant une violation du contrat de franchise que des actes de concurrence déloyale par confusion et de parasitisme, la SARL HPCR Entreprise a, par acte du 16 septembre 2013, fait assigner M. Régis Lechartier et Mme Marie-Françoise Mace, son épouse, aux fins de voir :
- ordonner, sous astreinte de 1 000 euro par infraction, d'une part, la cessation des agissements illicites et, d'autre part, la cessation de la publication et de la commercialisation du " Guide de Zoé " ainsi que l'exploitation du site Internet www.lesdecouvertesdezoe.fr,
- ordonner la remise du stock et sa destruction sous le contrôle d'un huissier de justice,
- condamner solidairement M. Régis Lechartier et Mme Marie-Françoise Mace, son épouse au paiement d'une indemnité provisionnelle de 20 000 euro.
Vu l'ordonnance de référé rendue le 25 mars 2014 par le Vice-Président du Tribunal de commerce de Coutances rejetant les prétentions de la demanderesse ;
Vu les conclusions déposées au greffe pour :
- la SARL HPCR Entreprise, appelante, le 21 novembre 2014,
- M. Régis Lechartier et Mme Marie-Françoise Mace épouse Lechartier, intimés, le 28 janvier 2015,
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 29 janvier 2015 suite à la révocation de celle en date du 28 janvier 2015.
Un rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience, avant les plaidoiries.
MOTIFS
Il est constant que, même en l'absence d'urgence et en présence de contestation sérieuse, il appartient au juge des référés commerciaux de faire cesser à titre conservatoire les actes de concurrence déloyale en application de l'article 873 alinéa 1 du Code de procédure civile, dès lors que ceux-ci constituent des troubles manifestement illicites.
La SARL HPCR Entreprise conteste les dispositions ayant retenu que la preuve de troubles manifestement illicites liés aux agissements des époux Lechartier n'était pas rapportée.
Il est constant que Mme Lechartier a édité et commercialisé, à compter de l'année 2013, un guide de réductions dénommé " Le Guide de Zoé " diffusé dans le département de la Manche.
L'inscription de Mme Lechartier sur le répertoire SIRENE en tant qu'entrepreneur exerçant une activité de " vente à domicile " mentionne un début d'activité au 8 avril 2012.
M. Lechartier a pour sa part créé le site Internet de réduction de prix www.lesdecouvertesdezoe.fr ainsi que la carte adossés au guide de réduction, site créé le 26 mars 2012 et mis en ligne le 15 octobre de ladite année.
L'appelante fait valoir qu'il s'est approprié le concept qu'elle a décliné et l'a reproduit servilement, développant une activité parasitaire sous couvert d'un prête-nom, son épouse.
Il n'est pas contesté qu'il existe de nombreux guides de réduction sur le marché, fondés sur le concept de la publicité inversée, et que le guide Passtime n'est pas le plus ancien.
Les premiers juges qui ont justement relevé que les techniques commerciales de vente étaient communes dans le franchisage de distribution, ont exactement retenu que la SARL HPCR Entreprise ne rapporte pas la preuve d'un savoir-faire propre résultant d'un travail de recherche et d'efforts intellectuels importants.
La circonstance que le réseau de franchise de la SARL HPCR Entreprise puisse être le plus important pour cette activité n'est pas significatif pas plus que le fait qu'elle ait pu engager des poursuites dont les résultats sont inconnus contre les éditeurs d'autres guides.
S'il est certain que les deux guides présentent des similitudes nombreuses, il n'est pas contesté que d'autres guides de réduction ont également la même présentation.
Par ailleurs, le nom du guide édité par Mme Lechartier est totalement différent du guide Passtime et l'apposition sur la couverture du " Guide de Zoé " du dessin original déposé en tant que marque est un élément certain de distinction.
L'appelante fait valoir qu'au-delà des similitudes matérielles, M. Régis Lechartier a entretenu une confusion intellectuelle auprès des partenaires du réseau de franchise qu'il a continué à démarcher.
Il est établi que des exploitants de fonds de commerce qui avaient contracté avec M. Lechartier dans le cadre de la franchise ont été par la suite démarchés pour le compte du guide de Zoé dont certains par M. Lechartier lui-même.
Il est certain que la clientèle locale avait été créée par les moyens mis en œuvre par M. Lechartier de sorte que le simple démarchage de cette clientèle dans le cadre de la nouvelle activité, postérieurement au terme du contrat de franchise, n'est pas fautif sauf emploi de procédés déloyaux.
L'appelante verse aux débats trois sommations interpellatives concernant des clients ayant contracté successivement avec les deux entreprises.
Le représentant de la SARL Pizza Mega fait état de ce qu'il lui a été indiqué par M. Lechartier que le guide de Zoé " remplaçait Passtime pour qui il ne travaillait plus " et celui de la SARL Subway Saint-Lô que le nouveau guide était la " continuité " du guide Passtime.
Ce dernier a rédigé une attestation postérieure dans laquelle il indique que les propos rapportés par l'huissier de justice ne reflètent pas la réalité de ses déclarations, affirmant que M. Lechartier lui avait indiqué qu'il " quittait la société Passtime pour créer son propre support de publicité Internet ".
Le contenu des sommations interpellatives est insuffisant pour retenir, dans le cadre du référé, l'existence d'agissements déloyaux constitutifs de concurrence déloyale.
La SARL HPCR Entreprise soutient, par ailleurs, que M. Lechartier a contrevenu aux clauses de confidentialité et de non-concurrence contenus dans le contrat de franchise.
C'est à juste titre que les premiers juges n'ont pas retenu une violation de la clause de confidentialité dès lors notamment que l'existence d'un savoir-faire propre à la SARL HPCR Entreprise n'est pas établi.
L'appelante fait valoir que M. Lechartier a dissimulé ses agissements illicites en faisant apparaître son épouse comme l'exploitante du guide.
Il est constant que la clause de non-concurrence s'applique exclusivement pendant le cours du contrat de franchise.
Elle ne peut donc servir de fondement aux mesures d'interdiction réclamées.
Toutefois, la demande en paiement d'une provision de 20 000 euro est pour partie fondée sur la violation de cette clause.
Il est certain que l'interdiction posée par la clause de non-concurrence visait la détention d'intérêts, l'exercice de fonctions et la participation directe mais aussi par personne interposée à une entreprise ayant des activités de nature comparables à celle du franchiseur.
S'il est établi que le site Internet n'a été mis en ligne qu'au mois d'octobre 2012, il est également certain que le site, la carte et le guide de promotion sont les éléments complémentaires d'une même entreprise commerciale fonctionnant sous une marque unique " les découvertes de Zoé ", le guide faisant d'ailleurs référence au site.
Or, il résulte du procès-verbal de constat établi le 27 juillet 2013 que le premier " Guide de Zoé " est paru en octobre 2012 et que les commerçants partenaires ont été démarchés par les deux époux à partir de juin 2012.
Un contrat signé le 13 juillet 2012 est d'ailleurs joint audit procès-verbal.
Ce démarchage et la prise de contrats qui s'en est suivie démontrent l'exercice d'une activité antérieure au terme du préavis.
La participation de M. Lechartier, par personne interposée, avant le 30 septembre 2012, à une entreprise ayant une activité comparable n'est pas sérieusement contestable.
L'exercice de ce démarchage anticipé a causé à la SARL HPCR Entreprise un préjudice relatif à l'édition du guide Passtime 2013 dès lors que les commerçants qui ont été démarchés par M. Lechartier au cours du préavis l'ont été pour son propre compte.
Il convient d'allouer à la SARL HPCR Entreprise une indemnité provisionnelle fixée à la somme de 6 000 euro qui n'est pas supérieure au préjudice subi.
Mme Lechartier qui a fautivement et en toute connaissance de cause permis la violation de la clause de non-concurrence par son conjoint est condamnée in solidum avec ce dernier au paiement de ladite somme.
Dès lors que l'instance est pour partie fondée, les époux Lechartier supportent les dépens de première instance et d'appel et ne peuvent bénéficier des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Ils doivent, en revanche, régler sur ce fondement à la SARL HPCR Entreprise qui a exposé des frais irrépétibles, une indemnité qu'il est équitable de fixer à la somme de 2500 euro.
Par ces motifs, Statuant contradictoirement, Réforme partiellement la décision déférée, Condamne in solidum M. Régis Lechartier et Mme Marie-Françoise Mace épouse Lechartier à régler à la SARL HPCR Entreprise la somme provisionnelle de 6 000 euro, Confirme la décision déférée en ses autres dispositions non contraires à celles du présent arrêt, Y Ajoutant, Condamne in solidum M. Régis Lechartier et Mme Marie-Françoise Mace épouse Lechartier à régler à la SARL HPCR Entreprise une indemnité de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute M. Régis Lechartier et Mme Marie-Françoise Mace épouse Lechartier de leur demande présentée sur ce même fondement, Condamne in solidum M. Régis Lechartier et Mme Marie-Françoise Mace épouse Lechartier aux dépens de première instance ainsi que d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.