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Décisions

Cass. com., 31 mars 2015, n° 14-12.391

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Société générale (sté)

Défendeur :

Diop

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Avocat général :

Me Pénichon

Conseillers :

Mmes Orsini, Riffault-Silk

Avocats :

SCP Célice, Blancpain, Soltner, Texidor, SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois

Toulouse, du 29 janv. 2014

29 janvier 2014

LA COUR : - Sur le moyen unique : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 29 janvier 2014), que, dans son mémoire de fin d'études à l'école supérieure de commerce de Toulouse, M. Diop a présenté un projet de création d'entreprise dans lequel il décrivait un système, baptisé " transcompte ", destiné à faciliter les transferts de fonds des étrangers, résidents en France, vers leur pays d'origine ; que, soutenant que la Société générale, à laquelle il avait présenté son projet, avait copié toutes les composantes de son concept " transcompte ", M. Diop l'a assignée en paiement de dommages-intérêts pour concurrence déloyale et parasitaire ;

Attendu que la Société générale fait grief à l'arrêt de déclarer M. Diop recevable en son action en parasitisme et de la condamner au paiement de dommages-intérêts alors, selon le moyen : 1°) que seule la reprise servile d'une idée innovante peut être sanctionnée au titre du parasitisme économique ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'avant que M. Diop ne lui présente son mémoire de master, les clients de la Société générale avaient d'ores et déjà la possibilité de transférer, depuis leur compte ouvert en France, des sommes d'argent à destination d'un compte qu'ils avaient ouvert dans une filiale de la Société générale à l'étranger, et ce au profit de destinataires désignés par avance ; qu'en qualifiant cependant d' " innovante " l'idée évoquée par M. Diop dans son mémoire de master consistant à proposer à la clientèle immigrée la création d'un compte en France et à l'étranger afin, notamment, de faciliter le transfert d'argent au bénéfice de destinataires préalablement désignés au motif que " la Société Générale, qui n'en avait perçu l'intérêt, ne mettait pas en avant cet avantage et n'en facilitait pas l'usage, le titulaire devant déjà avoir créé un compte dans son pays, sur place ", la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations desquelles il résultait que l'idée du " double compte " était d'ores et déjà contenue dans les services proposés par la Société générale et que M. Diop n'avait rien inventé ; qu'elle a ainsi violé l'article 1382 du Code civil ; 2°) que la cour d'appel a également constaté que la Société générale avait déjà développé, bien avant que M. Diop ne lui présente son mémoire de master, une stratégie de proximité à destination de sa clientèle immigrée, que ses filiales disposaient en France d'agences de représentation, composées de personnel étranger et que ces agences, si elles ne proposaient pas directement de services bancaires, étaient chargées de faire la promotion de la gamme de produits élaborée par la Société générale ; qu'en jugeant cependant que l'idée évoquée par M. Diop dans son mémoire de master, consistant à développer une stratégie de proximité vis-à-vis de la clientèle immigrée par la création d'agences bancaires dédiées aux communautés étrangères, était " innovante ", la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations desquelles il résultait que la Société générale avait d'ores et déjà mis en place une stratégie de proximité à destination de sa clientèle immigrée, dont la création d'agences bancaires dédiées n'était qu'une déclinaison, et que M. Diop n'avait là encore, rien inventé ; que la cour d'appel a ainsi violé l'article 1382 du code civil ; 3°) que les idées sont de libre parcours ; que nul ne peut se voir reprocher, au titre du parasitisme économique, la seule mise en pratique d'une idée générique de stratégie commerciale ou de service bancaire ; qu'en considérant que la Société générale s'était livrée à des actes de parasitisme en mettant en pratique deux idées évoquées par M. Diop dans son mémoire de master, consistant dans la création d'agences dédiées à la clientèle immigrée et dans le fait de proposer, depuis la France, la création d'un compte en France et dans une filiale à l'étranger, au seul motif que ces idées seraient " innovantes " puisque la banque ne les aurait jamais mises en pratique avant 2005, quand ces propositions ne constituaient que de simples idées génériques de stratégie commerciale ou de service bancaire dont M. Diop ne pouvait en aucun cas revendiquer l'exclusivité vis-à-vis de la banque ou de quiconque, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil et le principe de la liberté du commerce et de l'industrie ; 4°) qu'en considérant que la Société générale s'était livrée à des actes de parasitisme en reprenant deux éléments du projet de M. Diop au seul motif qu'ils étaient " innovants ", sans s'interroger sur le point de savoir si la Société générale ne s'était pas bornée à mettre en pratique des idées génériques de service ou de stratégie commerciale insusceptibles d'appropriation, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil et du principe de la liberté du commerce et de l'industrie ; 5°) que ne relève pas du parasitisme l'offre à la clientèle d'une banque de prestations ou produits qui relèvent des caractéristiques indispensables à la mise en œuvre d'un service commercial propre à toute activité bancaire et sur lequel nul ne peut revendiquer d'exclusivité ; que tout établissement bancaire doit pouvoir proposer à sa clientèle étrangère ou émigrée, des services ou prestations propres qui passent nécessairement par la création d'agences dédiées et la faculté de disposer d'un " double compte " dont l'arrêt lui-même relève au demeurant qu'il est un " support indispensable à la phase épargne et investissement dans le pays d'origine ; qu'en jugeant qu'en proposant ces services, la Société générale avait commis des actes de parasitisme au préjudice de M. Diop, au motif qu'il en avait le premier émis l'idée, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; 6°) que le parasitisme économique se définit comme l'ensemble des comportements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire ; que l'action en parasitisme économique a pour objet de sanctionner les procédés déloyaux auxquels peuvent avoir recours les opérateurs économiques entre eux de sorte que n'est pas fondé à agir en parasitisme celui qui se borne à émettre une idée mais qui n'en fait aucun usage commercial ni même aucun usage ; qu'en reprochant à la Société générale d'avoir mis en pratique deux idées, génériques, de service et de stratégie commerciale émises par M. Diop tout en constatant que l'intéressé avait fait état de ces deux idées dans le cadre d'une demande de stage, qu'il n'avait pas fait commerce ou usage de celles-ci en créant une société ou un partenariat avec d'autres banques, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil, ensemble le principe de la liberté du commerce et de l'industrie ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant constaté que le service " I-Transfert " que proposait la Société générale, avant que M. Diop ne lui présente son projet, permettait seulement d'effectuer des virements en faveur d'un bénéficiaire, déjà titulaire d'un compte ouvert dans une filiale de la banque à l'étranger, tandis que le concept de " double compte " imaginé par M. Diop et repris par la Société générale dans son service " votre banque ici et là-bas ", consistait en l'ouverture simultanée gratuite, à partir d'une agence en France, d'un compte en France et d'un compte dans le pays d'origine et permettait, sur simple appel téléphonique ou par internet, soit d'effectuer des transferts au profit des proches désignés dans le pays d'origine, soit de procéder à des virements sur le compte du pays d'origine aux fins d'épargne, la cour d'appel a pu en déduire que le concept de " double compte " contenu dans le projet de M. Diop présentait un caractère novateur par rapport au service " I-Transfert " ;

Attendu, en deuxième lieu, qu'ayant constaté que le projet de M. Diop prévoyait la création d'agences dédiées aux communautés étrangères avec des interlocuteurs maîtrisant la langue et la culture du pays, l'arrêt relève que la banque ne disposait pas, avant la présentation de ce projet, de telles agences et que l'ouverture en France d'une agence de la filiale Société générale du Sénégal était une initiative différente de la création d'agences dédiées, s'agissant pour la filiale de promouvoir directement ses services ; qu'il relève encore que la banque a, elle-même, dans différents articles publiés en 2008, présenté la création d'agences dédiées comme une nouveauté ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu retenir le caractère innovant du projet de M. Diop ;

Attendu, en troisième lieu, qu'il ne résulte ni des conclusions ni de l'arrêt que la Société générale ait soutenu, devant la cour d'appel, que le concept développé par M. Diop n'était qu'une " simple idée générique de stratégie commerciale ou de service bancaire " dont il ne pouvait pas revendiquer l'exclusivité et dont la mise en pratique était insusceptible de constituer un acte de parasitisme ; qu'il s'ensuit que l'argumentation développée par la troisième branche est nouvelle et mélangée de fait et de droit et que la cour d'appel n'avait pas à effectuer la recherche, visée à la quatrième branche, qui ne lui était pas demandée ;

Attendu, en quatrième lieu, qu'il ne résulte ni des conclusions ni de l'arrêt que la banque ait soutenu, devant la cour d'appel, que la création d'agences dédiées et la faculté de disposer d'un double compte étaient des prestations ou produits indispensables à la mise en œuvre d'un service commercial, propres à toute activité bancaire et sur lesquels nul ne pouvait revendiquer d'exclusivité ; que l'argumentation développée par la cinquième branche est nouvelle et mélangée de fait et de droit ;

Et attendu, en dernier lieu, qu'ayant constaté que M. Diop, qui avait décrit un concept intitulé " transcompte " dans son mémoire de master, dans le cadre d'un projet de création d'entreprise, avait présenté ce concept, à leur demande, aux responsables de la direction de la stratégie et du marketing de la Société générale et relevé que la banque avait repris et intégré, dans son offre de services aux étrangers, deux éléments innovants de ce concept, la création d'un " double compte " et celle d'agences dédiées, l'arrêt retient, par des motifs qui ne sont pas critiqués, que la valeur économique de l'emprunt de ces éléments par la banque est établie ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu retenir que M. Diop, qui n'avait tiré aucun profit du produit de ses recherches, dont l'intérêt économique était réel et qu'il ne pouvait plus valoriser, avait subi un préjudice dont il devait être indemnisé ; d'où il suit que le moyen, irrecevable en ses troisième et cinquième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.