CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 26 mars 2015, n° 13-19922
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Press up international (SARL)
Défendeur :
Graphi-centre (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Perrin
Conseillers :
MM. Birolleau, Douvreleur
Avocats :
Mes de la Taille, Fedon, Touffait, Hebbert
Faits et procédure
La société Press Up International (ci-après la société Press Up) exerce à Rennes l'activité d'éditeur et elle confiait à la société Graphi Centre la fabrication de deux magazines portant les titres " Brune " et " Ben " et particulièrement destinés à une clientèle féminine en Afrique, Guadeloupe et Martinique. Alors qu'elle avait en janvier 2012 adressé à la société Graphi Centre son planning de fabrication pour l'année 2012, elle lui a fait savoir en mai 2012 qu'elle mettait fin à leur relation commerciale. Par acte du 26 septembre 2013, la société Graphi Centre l'a assignée devant le Tribunal de commerce de Rennes.
Par jugement rendu le 17 septembre 2013, le Tribunal de commerce de Rennes a :
- constaté la rupture brutale et sans préavis des relations commerciales à l'initiative de la société Press Up International ;
- condamné la société Press Up International à payer à la société Graphi Centre la somme totale de 9 817,60 euro (8 331,40 euro + 1 636,20 euro) à titre de dommages et intérêts pour les préjudices subis ;
- condamné la société Press Up International à payer à la société Graphi Centre la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu l'appel interjeté par la société Press Up International le 16 octobre 2013 contre cette décision.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Press Up International le 6 janvier 2015 par lesquelles il est demandé à la cour de :
- réformer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
A titre principal :
- débouter la société Graphi Centre de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
A titre subsidiaire :
- fixer le préavis à neuf semaines ;
- fixer le montant des dommages et intérêts dus par la société Press Up International à la société Graphi Centre à la somme de mille cent trente-quatre euro et trente et un centimes (1 134,31 euro) ;
- donner acte à la société Press Up International de son offre de verser la somme de mille cent trente-quatre euro et trente et un centimes (1 134,31 euro) à la société Graphi Centre et la déclarer satisfactoire ;
En tout état de cause :
- débouter la société Graphi Centre de ses demandes de dommages et intérêts à hauteur de 515 euro et 7 966 euro à raison des pertes qu'elle prétend avoir subies ;
- dire que la demande en paiement de la facture n° 201203.069 du 29 mars 2012 présentée par la société Graphi Centre est sans objet pour avoir été réglée intégralement par la société Press Up International ;
- condamner la société Graphi Centre à payer à la société Press Up International la somme de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Press Up soutient que les relations qu'elle entretenait avec la société Graphi Centre ne présentaient pas les caractères de stabilité, de suivi et d'ancienneté propres à en faire une " relation commerciale établie " au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce. Elle fait valoir, en effet, que la publication de ses deux magazines a subi de nombreux aléas et qu'il en résultait une grande souplesse tant dans l'importance des tirages - les magazines n'étant publiés qu'à raison d'un ou deux exemplaires par an, voire aucun exemplaire -, que des délais de fabrication. La société Press Up en conclut que la société Graphi Centre ne pouvait s'attendre à une stabilité de cette relation.
A titre subsidiaire, la société Press Up demande l'application des usages professionnels du secteur de l'imprimerie et à ce titre considère qu'elle ne serait redevable que d'une indemnité égale à 8 % du chiffre d'affaires qui aurait été réalisé pendant le préavis. Elle soutient que sa relation avec la société Graphi Centre n'a duré que deux ans et deux mois, de mars 2010 à mai 2012, et qu'on ne peut tenir compte des relations qui ont précédemment existé entre la société Graphi Centre et l'association
Press Up International, de 2007 à 2010. Elle demande dans ces conditions à la cour de fixer à neuf semaines la durée du préavis susceptible d'être accordé à la société Graphi Centre.
En ce qui concerne la demande en paiement de la facture n° 201203.069 du 29 mars 2012, elle considère que cette demande est sans objet car elle a réglé le montant de cette facture. Elle soutient, par ailleurs, que la demande de dommages et intérêts à raison de prétendues pertes subies doit être rejetée car la société Graphi Centre ne prouve pas qu'il lui était impossible de réutiliser les supports qu'elle qualifie de " spécifiques ".
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Graphi Centre le 23 décembre 2014 par lesquelles il est demandé à la cour de :
- confirmant le jugement, dire et juger que la société Press Up International a rompu brutalement la relation commerciale faute d'avoir respecté un délai de préavis tenant compte de sa durée ;
- le réformant, dire et juger que la société Press Up International devait respecter un préavis de rupture de 6 mois compte tenu de l'ancienneté de la relation commerciale et la condamner en conséquence à payer à la société Graphi Centre la somme de 19 601,40 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du manque à gagner subi ;
- condamner la société Press Up International à payer à la Société Graphi Centre les sommes de 515 euro et de 7 666 euro à titre de dommages et intérêts en indemnisation des pertes subies de matières ;
- condamner la Société Press Up International à verser en cause d'appel à la société Graphi Centre une indemnité de 4 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, s'ajoutant à celle allouée sur le même fondement par le tribunal.
La société Graphi Centre soutient que sa relation commerciale avec la société Press Up a débuté non en 2010, mais en 2007 et que la circonstance que ce client était alors une association " ce qu'elle ignorait " est sans effet sur la continuité de cette relation qui s'est poursuivie depuis l'origine sans interruption.
Elle rappelle que la société Press Up lui passait chaque début d'année une commande pour la fabrication des numéros pour l'année en cours et qu'elle pouvait donc espérer qu'en cas de rupture, lui serait accordé un préavis expirant au terme de la campagne de fabrication et de l'année civile en cours. Elle fait valoir que le 3 janvier 2012, la société Press Up a adressé, comme les années précédentes, le planning des fabrications à prévoir pour l'année 2012 mais qu'elle n'en a pas moins mis fin définitivement à ses commandes au mois de mai suivant. Elle considère que ce faisant, la société Press Up a rompu sans préavis leurs relations commerciales et qu'elle engage sa responsabilité civile. Elle demande en réparation l'allocation de dommages et intérêts calculés sur la base de la marge brute qu'elle aurait réalisée pendant une durée de six mois, qui constitue le préavis raisonnable auquel, selon elle, elle avait droit, soit la somme de 19 601,40 euro, le tribunal ayant à tort fixé la durée de ce préavis à trois mois. Elle ajoute qu'elle a subi un préjudice distinct, consistant dans la perte de papiers spécifiques, commandés pour fabriquer les magazines de la société Press Up, et qui sont devenus inutilisables ; elle demande à ce titre l'allocation des sommes de 515 euro et 7 666 euro.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Sur l'existence d'une relation commerciale établie
Considérant qu'il est établi que jusqu'en mai 2012, la société Press Up, qui précédemment revêtait la forme juridique d'une association, confiait à la société Graphi Centre la fabrication de ses magazines " Brune " et " Ben " ; que si cette relation commerciale n'a été encadrée par aucun contrat écrit, elle s'est poursuivie durant cette période sans interruption et qu'elle avait, en fait, un caractère exclusif puisque la société Press Up n'a confié cette fabrication qu'à la seule société Graphi Centre ;
Considérant que cependant, la société Press Up soutient que cette relation ne présentait pas les caractères d'une " relation commerciale établie " au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, dans la mesure où elle s'inscrivait dans un secteur " celui de l'édition de magazines " soumis à de forts aléas et fragile, car tributaire de l'évolution de marché publicitaire, lequel a été marqué par une baisse des recettes ; qu'elle souligne qu'elle a, de surcroît, dû faire face aux crises politiques africaines, qui ont préjudicié à sa diffusion, et à la perte d'annonceurs, notamment la société Havas Medias ; qu'elle en conclut que la relation qu'elle entretenait avec la société Graphi Centre ne présentait pas le caractère de stabilité requis pour l'application de l'article L. 442-6 I 5° précité ;
Mais considérant que cette analyse est démentie par les chiffres d'affaires représentant cette activité ; que de 2007 à 2010, l'activité confiée à la société Graphi Centre a représenté des chiffres d'affaires d'un montant HT, respectivement, de 41 324 euro, 74 114 euro, 72 907 euro, 74 623 euro et 47 608 euro ; qu'il en ressort qu'en dépit des spécificités et de la fragilité du marché de l'édition de magazines et de la variation affectant d'une année à l'autre le nombre de numéros publiés, la relation qu'entretenaient les sociétés Press Up et Graphi Centre présentait des caractères de stabilité et de continuité propres à en faire une " relation commerciale établie " au sens de l'article L. 442-6 I 5° précité ;
Sur la rupture de la relation commerciale établie et ses conséquences
Considérant que la société Press Up ne conteste pas avoir rompu en mai 2012, sans préavis écrit, la relation commerciale qu'elle entretenait avec la société Graphi Centre ; qu'elle doit donc, par application des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, réparer le préjudice qui en est résulté pour la société Graphi Centre ;
Sur l'ancienneté de la relation commerciale établie
Considérant qu'il est constant que les magazines " Brune " et " Ben " ont été édités d'abord par l'association Press Up International, déclarée en préfecture le 9 janvier 2007 (pièce Press Up n° 23), puis par la société du même nom qui a été constituée le 2 février 2010 ; qu'il est constant également que l'association puis la société ont l'une et l'autre confié la fabrication de ces magazines à la société Graphi Centre, comme en attestent les factures versées au dossier (pièces Press UP n° 26 à 47) ;
Considérant que la société Press Up soutient que la société Graphi Centre a ainsi noué deux relations successives et distinctes, et que la relation commerciale établie avec elle-même n'a débuté qu'en mars 2010 ;
Mais considérant que si l'association Press Up et la société Press Up constituent deux entités juridiques distinctes, sans continuité de la personnalité morale ni transmission universelle de patrimoine, il n'en reste pas moins que la relation commerciale nouée avec elles par la société Graphi Centre avait exactement le même objet, lequel consistait dans la fabrication des mêmes magazines ;
que la société a pris la même dénomination que l'association et a conservé la même adresse à laquelle la société Graphi Centre faisait parvenir ses factures ; qu'il n'est pas démontré que la création de la société Press et sa substitution à l'association du même nom ont été notifiées à la société Graphi Centre, qui prétend n'en avoir pas été avertie ; qu'à partir de la création de la société, la relation commerciale s'est poursuivie sans interruption avec les mêmes interlocuteurs ; qu'en effet, il ressort des échanges de courriers électroniques versés aux débats que la société Graphi Centre traitait avec Mme Marie-Jeanne Serbin-Thomas, trésorière de l'association devenue gérante de la société, laquelle utilisait la même adresse électronique [email protected] que précédemment (pièce Press Up n° 6) ;
Considérant, dès lors, qu'il y a lieu de considérer que la société Graphi Centre a entretenu depuis 2007 une relation commerciale ininterrompue avec l'association Press Up, puis la société Press Up ; que c'est donc au vu de cette ancienneté de la relation commerciale établie entre les parties qu'il y a lieu de déterminer le préjudice subi par la société Graphi Centre du fait de la rupture intervenue en 2012 sans préavis écrit ;
Sur le calcul du préjudice
Considérant que la société Press Up soutient qu'il convient, pour le calcul du préjudice subi par la société Graphi Centre, de faire application des règles contenues dans les " Usages professionnels et conditions générales de vente " publiés par la Fédération de l'Imprimerie et de la Communication Graphique, dont elle verse un extrait aux débats (pièce n° 13) ; que l'article 204 de ce document prévoit qu'à défaut de stipulations contractuelles, il convient d'accorder à l'imprimeur une indemnité égale à 8 % du chiffre d'affaires qui aurait été réalisé " pendant la période qui aurait dû être celle du préavis " ; que selon ce même document, le délai de préavis qui doit être accordé est fonction du chiffre d'affaires réalisé et qu'il s'établit en l'espèce à neuf semaines ;
Considérant que la société Graphi Centre s'oppose à l'application de ces dispositions ; qu'elle conteste la représentativité de la fédération dont elles émanent, laquelle, selon elle, ne constitue qu'un syndicat professionnel parmi d'autres, et souligne qu'elle n'en est pas membre ;
Considérant, d'une part, que si la société Press Up affirme que l'Union Nationale de l'Imprimerie et de la Communication qui a succédé à la Fédération de l'Imprimerie et de la Communication Graphique représente près des trois quarts du chiffre d'affaires de l'ensemble de la profession, elle n'apporte cependant pas d'élément qui démontrerait que les " Usages professionnels et conditions générales de vente " dont elle demande l'application constituent, au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, un " accord professionnel " dont le contenu serait déterminé " en référence aux usages du commerce " ; que d'autre part, à supposer que tel soit le cas, il convient de vérifier que le délai prévu tient compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances de l'espèce ; qu'au vu de ces éléments, c'est à juste titre que le tribunal, la relation commerciale établie entre les parties ayant duré cinq ans, a fixé à trois mois la durée du préavis qui aurait dû être accordé à la société Graphi Centre et a jugé que le préjudice devait être réparé sur la base du taux de marge brute de 70 % attesté par l'expert-comptable de la société Graphi Centre (pièce Graphi Centre n° 8) ;
que compte tenu du planning de fabrication convenu pour l'année 2012, le tribunal s'est justement référé au chiffre d'affaires de l'année 2011, d'un montant de 47 608 euro ; qu'il en résulte que l'indemnité due à la société Graphi Centre s'élève à la somme de 8 331,40 euro (47 608 euro : 4 X 0,7) ; que le jugement déféré sera donc confirmé ;
Sur le préjudice supplémentaire allégué par la société Graphi Centre
Considérant que la société Graphi Centre expose qu'elle a commandé des supports papiers pour la fabrication des magazines que lui commandait la société Press Up et que ces supports ne correspondant pas aux standards courants en matière de format et de grammage, ils sont inutilisables
et ne peuvent être employés pour d'autres fabrications ; qu'elle considère qu'elle subit ainsi un préjudice supplémentaire, outre celui qui vient d'être réparé, et qu'elle demande en réparation les sommes de 515 euro et 7 666 euro représentant le prix qu'elle a payé à son fournisseur de papier ;
Considérant qu'à l'appui de cette demande, la société Graphi Centre produit une attestation délivrée par son responsable de fabrication (pièce n° 10) ; que celui-ci indique que les magazines de la société Press Up étaient imprimés sur du papier " couché brillant 100g " et que cette qualité est utilisée pour 25 à 30 % de ses fabrications totales, le reste étant imprimé sur du " couché semi mat " ; qu'il ajoute que le grammage 100g est rarement demandé et que les magazines de la société Press Up étaient imprimés dans un format peu demandé par la clientèle ;
Mais considérant, d'une part, que la société Press Up conteste avoir exigé que ce type de papier soit utilisé pour la fabrication de ses magazines et qu'elle soutient qu'elle s'en est remise, en ce qui concerne la qualité de ce papier, au choix de son imprimeur ; que d'autre part, il résulte de l'attestation produite du responsable de la société Graphi Centre, non que le papier en cause ne pourrait être utilisé pour d'autres fabrications, mais qu'il ne correspond pas à la qualité la plus couramment demandée ; qu'aussi, est-ce à juste titre que le tribunal a jugé que la société Graphi Centre ne justifiait pas qu'elle ne pouvait réutiliser le papier en cause, mais qu'il a cependant relevé que le réemploi de ce papier générerait des coûts de rebut et de découpes d'adaptation, dont la société Graphi Centre devait être indemnisée à hauteur de 20 %, soit la somme de 1 636,20 euro ; que le jugement sera donc confirmé ;
Sur la demande relative à la facture n° 201203.069 du 29 mars 2012
Considérant que la société Press Up demande à la cour de " dire que la demande en paiement de la facture n° 201203.069 du 29 mars 2012 présentée par la société Graphi Centre est sans objet pour avoir été réglée intégralement par la société Press Up International " ; qu'il résulte du jugement déféré que la société Graphi Centre a devant les premiers juges renoncé à cette demande au motif que la facture lui avait été intégralement payée ; que dès lors la demande de la société Press Up est sans objet ;
Sur les frais irrépétibles
Considérant qu'au regard de l'ensemble de ce qui précède, il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Graphi Centre la totalité des frais irrépétibles engagés pour faire valoir ses droits et la société Press Up sera condamnée à lui verser la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme dans toutes ses dispositions le jugement déféré ;Condamne la société Press Up International à payer à la société Graphi Centre la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Press Up International aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.