CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 1 avril 2015, n° 12-09494
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Algeco GmbH (Sté), Algeco (SAS)
Défendeur :
Steelform (SAS) , Herbaut (ès qual.) , Declercq (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mmes Luc, Nicoletis
Avocats :
Mes Olivier, Steinmetz, Grappotte-Benetreau, Fenaert, Carter, Regnier, Croset
Vu le jugement du 12 janvier 2012, par lequel le Tribunal de commerce de Lille a débouté la société SAS Algeco de sa fin de non-recevoir, basée sur l'article 31 du Code de procédure civile, débouté la société SAS Algeco de son exception de prescription, fixé au 31 décembre 2008 la date de rupture brutale, sans écrit ni préavis, des relations commerciales établies avec la société Steelform par la société SAS Algeco, fixé au 31 juillet 2008 la date de rupture brutale, sans écrit et préavis entre les sociétés Algeco GmbH et Steelform GmbH, fixé à 18 mois le préavis à charge de chacune des sociétés défenderesses, et dit que le chiffre d'affaires perdu doit s'apprécier par référence à la moyenne dudit chiffre d'affaires sur les 3 ans précédant la rupture partielle diminué du chiffre d'affaires maintenu postérieurement jusqu'à la rupture totale, ordonné une mesure d'expertise judiciaire, désigné M. Bruno Duponchelle, expert judiciaire inscrit près de la Cour de cassation demeurant 51, Boulevard de Valmy à 59653 Villeneuve d'Ascq, avec la mission décrite dans les moyens, réservé les frais irrépétibles et les dépens ;
Vu l'appel interjeté par la société Algeco GmbH le 24 mai 2012 et ses conclusions signifiées le 17 février 2015 par lesquelles il est demandé à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau, à titre principal, débouter la société Steelform de sa demande au titre de la prétendue rupture brutale des relations commerciales établies, à titre subsidiaire, modifier la mission d'expertise, en ramener à neuf mois la durée de préavis, ordonner une expertise financière sur le préjudice, à titre infiniment subsidiaire, si aucune expertise financière ne devait être ordonnée, enjoindre à la société Steelform de communiquer les états financiers relatifs aux exercices clos les 31 mars 2009, 2010 et 2011, ainsi que d'autres éléments mentionnés dans les conclusions, en toute hypothèse, constater que le préjudice de la société Steelform n'est pas démontré, et que la méthode de calcul de la société Steelform pour déterminer son préjudice est erronée, rejeter la demande d'indemnisation au titre des stocks et engagements d'achat allégués par Steelform, déclarer irrecevable et à tout le moins mal-fondée la demande de Steelform au titre de la facture impayée de Thyssenkrupp Davex, s'agissant d'une demande nouvelle et Steelform ne démontrant pas que les profilés Davex ont été commandés spécialement pour Algeco GmbH, à titre infiniment subsidiaire, réduire dans de plus justes proportions l'indemnité de rupture, en toute hypothèse, condamner la société Steelform à payer à la société Algeco GmbH une somme de 20 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Algeco SAS le 18 février 2015 par lesquelles il est demandé à la cour de déclarer la société Algeco SAS recevable et bien fondée en son assignation en reprise d'instance à l'égard de la Selarl de Bois-Herbaut ès-qualités de commissaire à l'exécution du plan de la société Steelform, déclarer recevable et bien fondé l'appel incident formé par la société Algeco SAS, dire irrecevable et mal fondé l'appel incident formé par la société Steelform et par là l'intervention volontaire de la SCP Rouveroy-Declercq prise en la personne de Maître Gilbert Declercq ès qualités d'Administrateur Judiciaire et de la Selarl de Bois-Herbaut, prise en la personne de Maître Alexandre Herbaut ès-qualités, infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Lille du 12 janvier 2012, et statuant à nouveau, à titre principal, rejeter toutes les demandes de la société Steelform et de Maître Gilbert Declercq et Maître Alexandre Herbaut, à titre subsidiaire, réformer le jugement entrepris et fixer la date de la rupture à celle définie par la société Steelform dans ses écrits de première instance, soit à la date de janvier 2008, à titre subsidiaire, ou infiniment subsidiaire, quelle que soit la date de rupture qui serait retenue par la cour, dire que compte tenu de la poursuite des relations commerciales entre Algeco SAS d'une part, et Steelform, d'autre part, après l'assignation de juin 2010, il ne peut y avoir eu qu'une rupture partielle, quelle que soit la date de rupture qui sera fixée par la cour, réformer le jugement du tribunal de commerce en ce qu'il a fixé le préavis à 18 mois et fixer celui-ci à un maximum de 12 mois, à titre infiniment subsidiaire encore, toujours dans l'hypothèse où la cour confirmerait le jugement en ce qui concerne la rupture brutale et eu égard à la modification des prétentions de la société Steelform devant la cour d'appel, dire que quelle que soit la date de rupture et la durée du préavis, la société Steelform est fondée à réclamer un préjudice qui ne peut être supérieur à 20 % de la somme due (réduction de 80 % du préjudice) du fait qu'elle n'a pas tenu compte des avertissements et qu'elle n'a pas diversifié sa clientèle, tant à titre subsidiaire, qu'infiniment subsidiaire sur le préjudice résiduel, débouter la société Steelform, Maître Gilbert Declercq et Maître Herbaut, de leur demande au titre du préjudice entraîné par le caractère brutal de la rupture du fait de l'absence de preuve concernant le taux de marge brute, infirmer le jugement entrepris en ce qui concerne les préjudices complémentaires "liés aux investissements", dire pour le moins que la société Steelform ne peut solliciter une condamnation "in solidum" entre la société Algeco SAS et la société Algeco GmbH en ce qui concerne les préjudices complémentaires "liés" aux investissements et débouter la société Steelform de toutes ses demandes à ce titre, en toute hypothèse dans le cas où la cour ordonnerait une expertise, modifier la mission de l'expert, condamner la société Steelform, au versement d'une indemnité de 15 000 en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Steelform le 22 janvier 2015 par lesquelles il est demandé à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé les sociétés Algeco GmbH et Algeco SAS responsables du préjudice subi par la société Steelform au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies, et fixé la date de la rupture brutale des relations commerciales établies entre la société Algeco GmbH et la société Steelform au 31 juillet 2008 et celles établies entre la société Algeco SAS et la société Steelform au 31 décembre 2008, réformer le jugement entrepris pour le surplus et, statuant à nouveau, fixer la durée du préavis qu'aurait dû respecter la société Algeco GmbH à l'égard de la société Steelform à 24 mois, condamner la société Algeco GmbH à payer à la société Steelform la somme totale de 2 266 046 , au titre de la rupture des relations commerciales établies entre cette société et la SAS Steelform, fixer la durée du préavis qu'aurait dû respecter la société Algeco SAS à l'égard de la société Steelform à 24 mois, condamner la société Algeco SAS à payer à la SAS Steelform la somme totale de 1 887 361 euros, au titre de la rupture des relations commerciales établies entre cette société et la SAS Steelform, condamner in solidum les sociétés Algeco GmbH et Algeco SAS à payer à la SAS Steelform la somme de 750 994,38 euros au titre des achats et des réservations de matière première et de pièces restés à la charge de la société Steelform, condamner la société Algeco GmbH à payer à la société Steelform une somme de 50 004,84 euros au titre de la facture impayée de la société Thyssenkrupp Davex et selon condamnation prononcée à ce titre contre la société Steelform par le Tribunal de commerce de Beauvais du 22 novembre 2012, condamner in solidum les sociétés Algeco GmbH et Algeco SAS à payer à la SAS Steelform la somme de 115 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Sur ce,
Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :
La société Steelform est spécialisée dans la transformation et l'assemblage de métaux en feuilles et laminés.
La société de droit allemand Algeco GmbH et la société SAS Algeco font partie du groupe Algeco, leader mondial de la construction modulaire. Il s'agit de modules parallélipipédiques qui peuvent s'empiler ou s'adjoindre de manière temporaire ou définitive. Ces modules sont couramment utilisés comme bureaux, locaux techniques, locaux de chantier. La société Algeco GmbH est la filiale allemande de production de la société par actions simplifiées Algeco. La société Algeco SAS est une société de droit français qui constitue la division française du groupe Algeco.
La société Steelform est le fournisseur des sociétés Algeco GmbH et SAS Algeco en éléments en acier destinés à équiper leurs constructions modulaires, depuis plus de 20 ans. Ces éléments sont des parties de structure des modules d'Algeco, le plus souvent des toitures, des planchers, des poteaux et des panneaux. Steelform fabrique ces éléments à partir de tôles d'acier qui lui arrivent sous forme de plaques. Elle plie et assemble par soudage ces plaques d'acier.
Avant la rupture, les sociétés défenderesses ont représenté au moins 27 % (en 2006) du chiffre d'affaires de la société Steelform, et, au plus 42 % (en 2002).
La société Steelform estime qu'à compter du mois d'août 2008, la société Algeco GmbH a rompu partiellement, sans explication ni préavis, ses relations commerciales avec elle, puis les a définitivement rompues, à compter du mois de mars 2009. Le chiffre d'affaires réalisé par Steelform avec Algeco GMBH s'élevait en 2008 à 2 368 877 et en 2009 à 144 925 .
De même, à compter du mois de janvier 2008, la société SAS Algeco aurait partiellement rompu, sans explication ni préavis, ses relations commerciales établies, avec elle, puis les a totalement interrompues.
Par jugement du Tribunal de commerce de Beauvais du 5 février 2013, la société Steelform a été placée en redressement judiciaire. Par jugement du 4 février 2014, la société Steelform a bénéficié d'un plan de continuation avec l'avis conforme de la SCP Rouvroy Declercq, administrateur judiciaire, de la Selarl de Bois Herbaut, mandataire judiciaire et du procureur de la République. La société Algeco SAS a déclaré ses créances le 29 mars 2013.
C'est dans ces conditions que la société Steelform a fait assigner la société Algeco GmbH et la société SAS Algeco devant le Tribunal de commerce de Lille, pour rupture brutale des relations commerciales établies.
Par le jugement présentement entrepris, le Tribunal de commerce de Lille a jugé que les sociétés Algeco avaient rompu brutalement les relations commerciales établies avec la société Steelform et a jugé que le préavis aurait dû être d'une durée de 18 mois. Il a renvoyé l'évaluation du préjudice, dans l'attente d'une expertise.
Sur la rupture des relations commerciales avec la société Algeco GmbH
Considérant que la société Algeco GmbH expose avoir eu un motif légitime de mettre fin aux relations commerciales, la société Steelform ayant manqué à ses obligations, en juillet 2008, en livrant des pièces présentant un défaut de qualité majeur, et, en septembre 2008, en n'étant plus capable d'honorer les commandes d'Algeco GmbH ; qu'elle en veut pour preuve les constats de l'organisme de certification SVL agréé par l'Etat allemand, de même que celui de l'organisme de certification belge TUV, mandaté par Steelform et par le laboratoire CTICM, au terme d'une expertise réalisée en 2013/2014 ; qu'ainsi, si la baisse des commandes a été substantielle à compter d'août/septembre 2008, c'est en raison du fait que la société Steelform a été incapable d'honorer les commandes en septembre 2008 et de la baisse d'activité des constructions modulaires, baisse confirmée par le courrier d'Algeco GmbH du 14 octobre 2008 ; que la société Algeco GmbH allègue que le tribunal n'a pas pris en compte le fait que l'activité concernée, la fabrication des modules, avait drastiquement diminué chez Algeco GmbH ; que le chiffre d'affaires de l'entreprise s'est maintenu grâce à l'activité de location des modules ; que la société Algeco GmbH a alerté à maintes reprises Steelform du fait que la fourniture des pièces fissurées n'était pas acceptable, et la société Steelform ne pouvait que se douter que les commandes allaient baisser, n'ayant d'ailleurs pas réagi en réponse à la baisse de commandes initiée par Algeco GmbH à partir du mois d'août 2008 ;
Considérant que la société Steelform prétend que les problèmes de qualité ont été inventés par Algeco GmbH pour les besoins de la cause, sa demande d'expertise judiciaire ayant d'ailleurs été rejetée par le conseiller chargé de la mise en état ; que la société Steelform n'a jamais reconnu l'existence de défauts et les prétendus rapports d'experts communiqués par la société Algeco GmbH ne sont pas probants, l'objectivité du rapport de la société SLV Mannheim GmbH, qui est un partenaire habituel de la société Algeco GmbH, pouvant être mise en doute ; que la société Algeco GmbH ne justifie d'aucune norme concernant la qualité des marchandises ; que si la société Algeco GmbH indique, dans ses écritures, qu'elle aurait " presque " perdu sa certification (par un organisme dont l'identité n'est pas précisée) du fait de l'utilisation des pièces fournies par Steelform, elle ne verse aucune pièce au soutien de cette affirmation ; que la société Algeco GmbH, qui indique avoir découvert l'existence des prétendus défauts au cours du mois de juillet 2008, n'a jamais établi la moindre preuve d'un problème de stabilité de certains de ses modules ; que les commandes prétendument litigieuses représentaient en tout état de cause une quantité infime des produits Steelform par rapport au volume d'ensemble fabriqué pour Algeco GmbH ; qu'il est faux de prétendre que Steelform aurait écrit ne pouvoir faire face aux commandes d'Algeco à la fin de l'année 2008 ;
Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article L 442-6-I-5° du Code de commerce qu' " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. (...). Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure " ;
Considérant que les commandes effectuées par la société Algeco GmbH auprès de la société Steelform, toujours supérieures à 200 000 par mois, sont tombées en août 2008 à 131 000 , 123 000 en septembre 2008, 151 000 en octobre 2008, 108 000 en novembre 2008, pour tomber à 49 000 en décembre 2008 et finalement s'arrêter totalement en avril 2009 ; qu'il n'est pas contesté par les parties que les relations commerciales étaient anciennes, de plus de 25 ans, et intenses, représentant plusieurs millions d'euros par an ; qu'il n'est pas davantage contesté que la rupture de relations commerciales établies a été effectuée sans préavis ;
Considérant que la société Algeco GmbH expose n'être tenue à respecter aucun préavis compte tenu de la faute commise par son partenaire, d'une part, et de la dégradation de la situation économique, d'autre part ;
Mais considérant que la société Algeco GmbH échoue à démontrer une faute de son partenaire susceptible de justifier une rupture sans préavis des relations commerciales ;
Considérant que le rapport du centre technique industriel de la construction métallique conclut à la présence de fissures sur la face extérieure du pli de la section des cadres de plancher ou de toiture fournis par la société Steelform ; que cet expert conclut que " les pièces ne sont pas aptes à l'utilisation dans une structure porteuse " ; que ces défauts sont attribués par le centre technique des industries de la fonderie à la phase de galvanisation après le pliage des plaques d'acier utilisées ;
Mais considérant, quelle que soit la valeur probatoire attribuée à cette expertise privée, que le problème des pièces défectueuses de Steelform ne concerne que neuf livraisons intervenues entre le 3 juin et le 1er août 2008, d'une valeur cumulée d'environ 140 000 , à comparer avec le chiffre d'affaires réalisé avec Algeco GmbH en 2008 qui s'est élevé à 2 368 877 ; qu'une centaine de toitures, une centaine de longerons et une soixantaine de poteaux ainsi qu'une trentaine de modules déjà sortis de la ligne de production d'Algeco étaient concernées, ainsi qu'il ressort d'un courrier 19 septembre 2008 de la société Algeco ;
Considérant que la société Steelform n'a jamais reconnu l'existence des défauts litigieux ; que le tri effectué au siège de la société Algeco GmbH par Monsieur Grobon, entre les pièces conformes et les pièces non conformes, ne constitue nullement une telle reconnaissance, celui-ci n'ayant ni les capacités techniques ni le pouvoir d'engager sa société ;
Considérant, en toute hypothèse que l'incident, portant sur un nombre limité de pièces, était en cours de résolution au 19 décembre 2008, aucune solution définitive n'ayant été adoptée de part et d'autre, alors que la baisse significative des commandes a commencé dès le 31 juillet 2008 ; qu'à aucun moment, la société Algeco n'a menacé son partenaire d'une rupture sur ce fondement ;
Considérant que la société Steelform ne s'est jamais montrée incapable d'approvisionner régulièrement la société Algeco GmbH ; qu'elle a seulement fait état dans un message électronique du 15 septembre 2008 d'une impossibilité de relancer en urgence la production litigieuse " avec un autre lot pour la livraison de mercredi " ; que l'impossibilité matérielle conjoncturelle retracée dans ce message ne concerne donc que la régularisation d'un nombre limité de " toitures réhaussées, présentant des criques ", et non le volume structurel des ventes à la société Algeco GmbH ;
Considérant que la société Algeco GmbH ne démontre pas que la crise économique soit la cause de la rupture ; qu'en effet le groupe Algeco n'a pas particulièrement souffert de la crise, le rapport de gestion concernant l'exercice clos en 2009 faisant état d'une baisse de chiffre d'affaires de 5,95 % par rapport à 2008 ; qu'en toute hypothèse le ralentissement d'activité ne saurait justifier la rupture totale des relations commerciales avec un partenaire sans préavis ;
Considérant, en définitive qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a estimé brutale la rupture des relations commerciales intervenue ;
Considérant que la durée du préavis a pour finalité de permettre aux entreprises victimes d'une rupture de remédier à la désorganisation en résultant ; qu'elle s'apprécie au regard de critères qui dépendent de la nature et de l'ancienneté de la relation commerciale, de la notoriété des produits pris en considération, du degré de dépendance à l'égard du fournisseur, de la faculté de trouver des partenaires équivalents, et d'amortir les investissements engagés légitimement pour satisfaire les besoins spécifiques du cocontractant à l'origine de la rupture ;
Considérant que si la société Algeco GmbH demande la réduction de ce préavis et la société intimée son allongement, il y a lieu, compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales entre les parties, de 25 années, et de la part prise par la société dans le chiffre d'affaires de Steelform, en moyenne de 2002 à 2007, de 17 % (les deux sociétés du groupe représentant en moyenne 34 %) de porter à 22 mois le préavis à compter du 31 juillet 2008 ; que le jugement entrepris sera donc infirmé sur ce point ;
Sur la rupture des relations commerciales avec la société Algeco SAS
Considérant que la société Algeco SAS fait valoir qu'il n'y a pas eu rupture brutale des relations commerciales avec Steelform ; qu'il y a eu, à l'inverse, diminution progressive des relations étalée sur plusieurs années, du fait de l'internalisation de la fabrication des modules, dont Steelform avait été informée depuis l'année 2005 et dont elle pouvait se rendre compte dès 2006 ; que la société Steelform savait que le chiffre d'affaires de 2007 était exceptionnel et qu'il ne se renouvellerait pas ; que la société Steelform a modifié à nouveau la date de rupture dans ses conclusions du 22 janvier 2015, indiquant "fin 2008" au lieu de janvier 2009, ce qui l'autoriserait à ne pas tenir compte, pour calculer la moyenne du chiffre d'affaires, de celui de 2008, ce qui constitue une dénaturation des réclamations indemnitaires ; qu'elle ne peut modifier arbitrairement ses demandes dans le seul but de tenter d'optimiser sa réclamation indemnitaire ;
Considérant que la société Steelform fait valoir que la société Algeco SAS n'a pas donné de préavis écrit à Steelform, le courrier du 20 janvier 2005 n'étant qu'une déclaration d'intention qui n'a été suivie d'aucune confirmation ; que la société Algeco SAS aurait dû respecter un préavis de deux ans, pendant lequel la société Steelform aurait au moins pu réaliser un chiffre d'affaires que l'on peut évaluer, de façon raisonnable, en retenant le chiffre d'affaires moyen réalisé au cours des 5 exercices précédant la rupture ; qu'elle ne forme aucune demande nouvelle en appel ; que la société Algeco SAS ne peut minorer sa responsabilité en prétendant qu'un autre gros client aurait immédiatement remplacé Algeco SAS, ce nouveau gros client étant la société Cornilleau, qui est en fait le plus ancien client de la société Steelform ; que la crise économique aurait pu justifier une diminution des commandes proportionnelle à la diminution des commandes enregistrées par la société Algeco SAS elle-même, mais dans la mesure où Algeco SAS n'a pas totalement arrêté son activité de ce fait, la crise économique ne peut justifier l'arrêt total des commandes et l'absence totale de préavis ;
Considérant que les commandes effectuées par la société Algeco SAS auprès de la société Steelform, toujours supérieures à 30 000 par mois, sont tombées en décembre 2008 à 20 000 , 6 500 en janvier 2009, 23 000 en février 2009, 11 900 en mars 2009, puis 9 900 euros en avril 2009 ; que depuis 2010, le chiffre d'affaires réalisé par Steelform avec cette société n'est plus que symbolique, la société Algeco SAS ne pouvant faire état des commandes d'une société tierce, la société BCI, qui constitue une entité distincte ;
Considérant que le courrier du 20 janvier 2005 est insuffisamment circonstancié pour valoir préavis écrit ; que dans ce courrier, la société Algeco SAS informait son partenaire du lancement d'une étude afin de ramener en fabrication interne un certain nombre de produits actuellement sous-traités à l'extérieur, notamment à Steelform ; qu'étaient annoncées dans ce courrier la confirmation de cette décision ainsi que la liste des références concernées ; qu'aucune confirmation de cette décision n'a jamais été donnée à la société Steelform ;
Considérant que la société Algeco SAS n'a jamais été remplacée dans la clientèle de Steelform par la société Cornilleau, qui est un client fidèle et stable de la société Steelform et dont le niveau des commandes est resté identique avant et après la rupture des relations commerciales avec Algeco SAS ;
Considérant qu'il résulte du rapport de gestion du président de la société Algeco SAS aux associés, en date du 22 janvier 2010, que l'activité " constructions modulaires " s'est bien développée en Europe du Sud et s'est maintenue en Europe centrale et en Angleterre tandis qu'elle reculait en France ; qu'il n'est pas fait état d'une baisse drastique de cette activité au sein de la société Algeco SAS ; que l'EBITDA s'est maintenu dans toutes les zones d'activité à l'exception de l'Europe du Sud ; que la société Algeco SAS ne démontre donc pas que la crise serait la cause de la rupture ;
Considérant qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a estimé brutale la rupture des relations commerciales intervenues entre la société Algeco SAS et la société Steelform ;
Considérant que compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales entre les parties, d'une durée de 25 années et de la part prise par la société Algeco SAS dans le chiffre d'affaires de Steelform en moyenne de 17 %, il y a lieu de porter à 22 mois le préavis à compter du 31 décembre 2008 ;
Sur le préjudice de la société Algeco GmbH
Considérant que la société Algeco GmbH soutient que le préjudice allégué par Steelform, sur la perte de marge, serait erroné ; que les produits vendus à Algeco GmbH peuvent en effet avoir des taux de marge spécifiques ; que la société Steelform n'a éprouvé aucune difficulté à se réorganiser consécutivement à la rupture ; que la société Algeco GmbH fait encore grief à la société Steelform de n'avoir pas diversifié davantage sa clientèle, et invoque à ce titre la jurisprudence sur la contribution de la victime à l'aggravation de son préjudice ;
Considérant que la société Steelform fait valoir que son calcul du taux de marge brute est fondé, étant conforme aux exigences en matière probatoire et suffisamment étayé par les documents comptables correspondants et certifiés ; que la société Steelform, dans le chiffre d'affaires de laquelle le groupe Algeco n'a jamais représenté plus de 42 %, n'a pas commis de faute ayant contribué à l'aggravation de son préjudice ;
Considérant que la circonstance que la société Steelform ait trouvé un nouveau client, à le supposer démontré, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, ne saurait entrer en ligne de compte dans l'évaluation de son préjudice ; que la victime n'a en effet pas d'obligation de minorer son préjudice ;
Considérant qu'il y a lieu de maintenir la mesure d'expertise décidée par les Premiers Juges, mais en modifiant sa mission ;
Considérant que l'expert devra fournir au tribunal des éléments concernant les chiffres d'affaires de la société Steelform réalisés lors des trois exercices précédents la rupture, avec chacune des sociétés Algeco, ainsi que la marge sur coûts variables réalisée au cours de ces exercices ; que l'expert donnera également au tribunal tous éléments de nature à évaluer la perte subie par la société Steelform, compte tenu du maintien partiel des relations commerciales à compter du 31 décembre 2008, concernant la société Algeco SAS et du 31 juillet 2008 concernant la société Algeco GmbH ; qu'en revanche il n'y a pas lieu de demander à l'expert d'évaluer le préjudice relatif aux stocks et matières premières achetées ou commandées ;
Sur le préjudice de la société Algeco SAS
Considérant que la société Algeco SAS soutient que la société Steelform, pour calculer son préjudice, ne peut se baser sur un chiffre d'affaires moyen des cinq dernières années avant la rupture et doit, au contraire, le calculer sur la base du chiffre d'affaires moyen des trois dernières années précédant la rupture, déduction faite du chiffre d'affaires moyen maintenu, y compris celui effectué avec la société BCI ; que, concernant le préjudice entraîné par le caractère brutal de la rupture, il ne pourrait s'agir que d'une rupture partielle puisque lesdites relations se sont poursuivies en 2009, 2010, 2011 et 2012 ; que le chiffre d'affaires réalisé postérieurement à la date de rupture partielle devra venir diminuer le chiffre d'affaires moyen utilisé pour le calcul du préjudice entraîné par la rupture brutale ;
Considérant que la mission de l'expert a été modifiée pour tenir compte de ces moyens ;
Sur la facture de la société Thyssenkrupp
Considérant que la société Steelform demande à la cour de condamner la société Algeco GmbH à lui verser une somme supplémentaire de 50 004,84 euros au titre des pièces commandées auprès de la société Thyssenkrupp Davex ;
Considérant que la société Algeco GmbH soutient que la demande de condamnation de Steelform au titre de la facture impayée de la société Thyssenkrupp est irrecevable ou à tout le moins mal-fondée ;
Considérant que si cette demande est en effet nouvelle en cause d'appel, c'est à la suite d'un jugement du Tribunal de commerce de Beauvais, non frappé d'appel, que la cour est saisie de cette demande ; que le tribunal de commerce, pour cause de litispendance, s'est dessaisi de cette demande au profit de la cour d'appel de Paris ; que cette demande est donc recevable ;
Considérant que si la société Steelform justifie avoir, le 2 juillet 2008, acheté des fournitures pour un montant de 50 004,84 auprès de la société Thyssenkrupp Davex, elle ne démontre pas que ses fournitures auraient été dédiées à la commande passée par courrier électronique du 18 octobre 2007 par la société Algeco GmbH ni que cette commande n'aurait pas été honorée par son partenaire ; qu'il y a donc lieu de rejeter la demande de la société Steelform ;
Sur les stocks
Considérant que la société Steelform demande à être indemnisée par les deux sociétés du groupe Algeco, tenues in solidum, pour les investissements réalisés spécialement par la société Steelform pour assurer les commandes du groupe Algeco ; qu'elle demande à ce titre une somme de 493 727,38 euros au titre des stocks déjà payés et une somme de 257 267,00 euros au titre des commandes passées chez ses fournisseurs et qui n'ont pu être honorées, soit au total une somme de 750 994,38 euros ; qu'elle fait valoir qu'elle avait bien des stocks en sa possession au moment de la rupture ;
Considérant que les deux sociétés Algeco soutiennent que la société Steelform n'a en fait aucun stock excédentaire et réserve sa matière première en fonction des prévisions ; qu'aucune condamnation solidaire ne peut intervenir contre les sociétés Algeco, in solidum, celles-ci étant des personnes morales distinctes ;
Considérant que les sociétés Algeco attestent d'un processus de commande auprès de la société Steelform, qui devait permettre à celle-ci d'ajuster ses propres commandes aux commandes des sociétés Algeco ; que la présence de stock au sein de la société Steelform n'est pas démontrée ; que les sociétés Algeco ne sauraient être tenues in solidum à la reprise des stocks ; qu'il n'est pas démontré de responsabilité conjointe des deux sociétés dans les commandes effectuées, même si, ponctuellement, la société Algeco SAS a pu passer commandes pour le compte de la société Algeco GmbH ; que cette demande sera donc rejetée et le jugement infirmé sur ce point ;
Par ces motifs : LA COUR, confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Algeco SAS de sa fin de non-recevoir, et de son exception de prescription, fixé au 31 décembre 2008 la date de rupture brutale des relations commerciales établies avec la société Steelform par la société Algeco SAS, fixé au 31 juillet 2008 la date de rupture brutale des relations commerciales établies avec la société Steelform par la société Algeco GmbH, et ordonné une mesure d'expertise, l'infirme pour le surplus, et statuant à nouveau, fixe à 22 mois la durée du préavis, rejette la demande de la société Steelform en remboursement du stock et du matériel non utilisé, ainsi qu'en remboursement de la facture de la société Thyssenkrupp, modifie la mission de l'expert en ce sens : " donner au tribunal des éléments concernant les chiffres d'affaires de la société Steelform réalisés lors des trois exercices précédents la rupture, avec chacune des sociétés Algeco, ainsi que la marge sur coûts variables réalisée au cours de ces exercices avec chacune d'entre elles ; donner au tribunal tous éléments de nature à évaluer la perte subie par la société Steelform, compte tenu du maintien partiel des relations commerciales à compter du 31 juillet 2008 pour Algeco GmbH, à compter du 31 décembre 2008 pour Algeco SAS ", condamne les sociétés Algeco SAS et Algeco GmbH in solidum aux dépens de la procédure d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, condamne in solidum les sociétés Algeco GmbH et Algeco SAS à payer à la société Steelform la somme de 40 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.