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Décisions

Cass. 1re civ., 9 avril 2015, n° 13-28.768

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Mme Arietti, Mme Maraval

Défendeur :

M. Ricard

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Batut

Rapporteur :

M. Girardet

Avocat général :

Me Sudre

Avocats :

SCP Meier-Bourdeau, Lécuyer, SCP Lesourd

TGI Paris, 3e ch. 1re sect., du 8 nov. 2…

8 novembre 2012

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 novembre 2013), que M. Ricard, auteur d'une sculpture intitulée " Bob le chien " ou " Lost dog ", estimant que la sculpture dénommée " Jack le chien " attribuée à Mmes Arietti et Maraval, reprenait la combinaison d'éléments caractéristiques de son œuvre, a assigné celles-ci en contrefaçon de ses droits d'auteur et en concurrence déloyale ; - Sur le premier moyen : - Attendu que Mme Arietti et Mme Maraval font grief à l'arrêt de dire que l'œuvre intitulée " Jack le chien " constitue la contrefaçon de l'œuvre originale dénommée " Bob le chien " ou " Lost dog " et de les condamner in solidum à payer à M. Ricard diverses sommes en réparation de ses préjudices, alors, selon le moyen : 1°) que la protection conférée par le droit d'auteur est subordonnée à la caractérisation de l'originalité de la création, laquelle est indépendante de sa nouveauté ou de son antériorité ; qu'en attribuant au modèle Bob The Lost Dog la qualification d'œuvre en considération de " la combinaison inédite telle que revendiquée de ce modèle de sculpture " des éléments de la morphologie de son sujet - un bullterrier - et en estimant que la reprise de ces caractéristiques par le modèle Jack le Chien en constituait la contrefaçon par imitation, la cour d'appel, qui s'est référé à un critère de nouveauté inopérant, a violé les articles L. 112-1 et L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle ; 2°) qu'il appartient aux juges du fond de se livrer à une appréciation personnelle et concrète de l'originalité d'une œuvre de l'esprit, en recherchant par eux-mêmes si les caractéristiques de celle-ci résultent d'un effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de son auteur ; que pour décrire le modèle Bob The Lost Dog et affirmer qu'il bénéficie de la protection du droit d'auteur, l'arrêt attaqué reprend littéralement la description que M. Ricard a fait du modèle argué de contrefaçon dans ses conclusions d'appel : " Un chien de race bull-terrier, de taille adulte, d'un gabarit musclé, assis sur son postérieur, les deux fesses touchant le sol, les deux pattes avant tendues, parallèles entre elles et toutes deux posées dans le sol, une seule des deux pattes arrières repliée sous le flanc, l'autre patte arrière fléchie et posée dans le sol, les doigts et les griffes de chacune des pattes sont individualisées, la queue est repliée le long de la patte arrière qui est fléchie, les muscles du poitrail sont saillants, la tête est droite dans l'alignement du dos, le cou est rentré, le regard est à l'horizontal, la bouche est fermée, les yeux sont creusés dans une forme triangulaire, les narines sont dessinées en relief et creusées, les oreilles sont dressées à la verticale et creusées à l'intérieur " ; qu'en se prononçant ainsi, sans procéder par elle-même à l'analyse du modèle argué de contrefaçon, au vu des pièces produites par M. Ricard, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 112-1 et L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle ; 3°) que la propriété littéraire et artistique ne protège pas les idées ou concepts, mais seulement la forme originale sous laquelle ils se sont exprimés ; qu'il s'ensuit que les juges du fond ne peuvent retenir la contrefaçon sans préciser quelle œuvre précise a été contrefaite ; que selon l'arrêt attaqué, M. Ricard a créé en 1991 un modèle de sculpture intitulé Bob le chien ou Lost Dog, représentant un bull-terrier assis, a réalisé une première sculpture en résine sur une hauteur de 62 cm dénommée Yellow mind puis a créé plusieurs sculptures toujours à partir de ce modèle dans différents matières et formats ; qu'en conférant la protection du droit d'auteur à un modèle de bull-terrier assis, sans préciser quelle œuvre en particulier de M. Ricard aurait été contrefaite par le modèle déposé par Mme Arietti, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 111-1, L. 112-1, L. 112-2, L. 122-4, L. 335-2 et L. 335-3 du Code de la propriété intellectuelle ; 4°) que la contrefaçon s'apprécie en regard des ressemblances portant sur ce qui fait qui fait l'originalité de la création et qui est susceptible d'appropriation compte tenu de la forme sous laquelle elle s'exprime ; que dans leurs conclusions d'appel, Mme Arietti et Mme Maraval soutenaient que les deux modèles de bull-terrier litigieux comportaient chacun l'expression de la personnalité de leurs auteurs respectifs au travers de l'attitude et de détails morphologiques du sujet, M. Ricard simplifiant et arrondissant les caractères morphologiques de sa sculpture Bob The Lost Dog et en donnant à l'expression de son visage un air misérable, l'animal semblant supporter tout le poids du monde sur son dos, conformément à la caractéristique revendiquée par M. Ricard de son œuvre, tandis que l'auteur de Jack le Chien a au contraire accentué le caractère saillant des muscles du chien qui adopte une posture bien droite avec le poitrail en avant de sorte à évoquer la fierté, l'orgueil et l'ironie ; qu'en s'attachant aux seules ressemblances tenant à la représentation d'un chien de race bull-terrier en posture assise, qui est pourtant de libre parcours, et sans faire apparaître quels éléments de ressemblance tenant à l'expression formelle de la personnalité de M. Ricard dans le modèle Bob The Lost Dog auraient été repris par le modèle Jack le Chien, la cour d'appel a violé les articles L. 111-1, L. 112-1, L. 112-2, L. 122-4, L. 335-2 et L. 335-3 du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel a estimé que l'œuvre dénommée " Bob le chien ", telle que créée en 1991, reflétait, par la combinaison de ses éléments caractéristiques précisément décrits et revendiqués et tenant à la représentation d'un bull-terrier, musclé, de taille adulte, à la physionomie et l'expression particulières, les choix arbitraires de son auteur, lesquels conféraient à l'œuvre une esthétique portant l'empreinte de la personnalité de celui-ci ;

Et attendu, d'autre part, que, procédant à une appréciation souveraine des œuvres en cause et de leurs ressemblances, la cour d'appel a considéré que celles-ci, indépendamment de la représentation commune d'un bull-terrier assis, portaient sur la combinaison des caractéristiques propres à l"œuvre originale pour en déduire que l'œuvre dénommée " Jack le chien ", en dépit de quelques variantes d'exécution, constituait la contrefaçon de cette dernière ; qu'elle a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;

Sur le deuxième moyen : - Attendu que Mme Arietti et Mme Maraval font grief à l'arrêt de dire qu'elles ont commis des actes de parasitisme au préjudice de M. Ricard, et de les condamner in solidum à lui payer la somme de 40 000 euro, alors, selon le moyen : 1°) que si le parasitisme peut résulter de faits distincts de ceux constituant la contrefaçon, le constat de l'absence de contrefaçon par imitation ou reproduction d'une œuvre de l'esprit, fait obstacle à la reconnaissance d'une faute distincte d'appropriation parasitaire du même objet de droit ; qu'il s'ensuit que la cassation de l'arrêt en ce qu'il a dit que le modèle de sculpture dit Jack le chien tel que déposé à l'INPI le 3 février 2010 constitue une contrefaçon du modèle original de sculpture dit Bob le chien ou Lost dog créé par M. Ricard en 1991 et dit que les intimées ont commis des actes de contrefaçon du modèle de sculpture Bob le chien ou Lost dog créé par M. Ricard, implique, par voie de conséquence, la cassation de l'arrêt en ce qu'il a reconnu Mme Arietti et Mme Maraval coupables d'actes de parasitisme et les a condamnées à diverses mesures de réparation, en application des dispositions de l'article 624 du Code de procédure civile ; 2°) que ne constitue pas une faute, distincte de la contrefaçon du droit d'auteur, le simple fait d'inscrire ses propres créations dans le même mouvement artistique que l'auteur de l'œuvre contrefaite ; qu'en se bornant à constater que Mme Arietti et Mme Maraval avaient revêtu leurs différentes sculptures de bullterrier de motifs inspirés du pop art, comme M. Ricard, sans constater la moindre ressemblance autre que celle tenant au choix de la démarche artistique du Pop Art, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil, ensemble l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ; 3°) qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si l'apposition de manière très apparente du signe M/A sur chacune des sculptures de Jack le Chien ne permettait pas de distinguer nettement ces créations de celles de M. Ricard, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que le rejet du premier moyen prive de fondement la première branche du moyen ;

Et attendu que la cour d'appel retient que l'œuvre contrefaisante a été baptisée d'un nom proche de celui de l'œuvre contrefaite en employant un prénom masculin de consonance anglo-saxonne d'une seule syllabe, qu'elle a été déclinée dans des matière et ornement différents notamment inspirés du pop'art, ce qui contribue à placer l'œuvre dans le sillage des créations de M. Ricard, connu pour s'inscrire dans ce courant artistique depuis plus de vingt ans ; que ne s'étant pas ainsi bornée à reprocher aux auteurs de la contrefaçon d'avoir choisi des motifs décoratifs inspirés du pop'art, la cour d'appel a ainsi, caractérisé des actes de parasitisme distincts des actes de contrefaçon ; que le moyen ne peut être accueilli ;

Mais sur le troisième moyen : - Vu l'article 4 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour condamner Mme Arietti et Mme Maraval à payer à M. Ricard diverses sommes à titre de dommages-intérêts, l'arrêt retient que les intimées ont déclaré avoir vendu quinze sculptures Jack le chien pour un montant, à l'exception de cinq d'entre eux, de 20 000 euro HT ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé par l'huissier de justice mentionne que " Mme Maraval Julie me déclare qu'il y a en tout vingt-sept sculptures de Jack le Chien ; quinze pièces ont été vendues " et que " Mme Arietti me précise que ces œuvres sont vendues 3 500 euro en moyenne ", la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de ce procès verbal ;

Par ces motifs : Casse et Annule, mais seulement en ce qu'il a condamné in solidum Mmes Arietti et Maraval à payer à M. Ricard diverses sommes en réparation des actes de contrefaçon et de parasitisme, l'arrêt rendu le 29 novembre 2013, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Versailles.

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