CA Chambéry, ch. civ. sect. 1, 31 mars 2015, n° 13-02706
CHAMBÉRY
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Puis-je vous aider (SARL)
Défendeur :
Lukac, Enfase (SASU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cuny
Conseillers :
M. Leclercq, Mme Caullireau-Forel
Avocats :
Selurl Cochet, SCP Boisson, associés,
Mme Delyon a créé une activité de service à la personne en février 2006.
Elle a créé la SARL Puis-je vous aider le 4 décembre 2008, avec pour seuls associés, son mari et elle-même.
Cette société a repris l'activité de Mme Delyon à effet du 1er avril 2009 et a déposé son nom comme marque auprès de l'INPI.
Elle a envisagé de mettre en place un réseau de franchisés et a établi le document d'information précontractuel prévu à l'article L. 330-3 du Code de commerce le 18 juillet 2011.
Elle a signé le 29 août 2011 un contrat de franchise avec M. Marc Lukac avec faculté de substitution, pour une durée de cinq ans, moyennant paiement d'une redevance initiale forfaitaire de 7 500 euros hors-taxes, d'une redevance d'assistance de 4 % hors taxes du chiffre d'affaires du franchisé et la facturation des services, notamment l'assistance informatique pour une redevance mensuelle de 150 euros pour la première année.
M. Lukac a usé de la faculté de substitution au profit de la société Enfase qui a commencé son activité le 29 août 2011.
Cette société n'a payé que partiellement le droit d'entrée et la SARL Puis-je vous aider n'a pu obtenir paiement du solde s'élevant à 2 900 euros ni de ses frais de déplacement en dépit de deux mises en demeure du 2 novembre 2011 et du 18 novembre 2011.
Par lettre recommandée du 17 novembre 2011, la société Enfase s'est prévalue de la nullité du contrat de franchise.
Le franchiseur fait cependant valoir qu'elle aurait continué d'utiliser sa marque et son enseigne.
La SARL Puis-je vous aider a saisi le Tribunal de commerce de Chambéry le 15 novembre 2012 pour obtenir la condamnation solidaire de la société Enfase et de M. Lukac à lui payer les sommes dues en vertu du contrat de franchise et pour violation de la clause de non-concurrence.
Les défendeurs ont formé une demande reconventionnelle pour voir annuler le contrat de franchise.
Par jugement du 16 octobre 2013, le Tribunal de commerce de Chambéry a :
- prononcé la nullité du contrat de franchise,
- débouté la SARL Puis-je vous aider de ses demandes,
- condamné la SARL Puis-je vous aider à payer en deniers ou quittance à M. Lukac et à la société Enfase les sommes suivantes :
* 8 180 euros,
* 2 100 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que les dépens.
Le jugement était assorti de l'exécution provisoire.
La SARL Puis-je vous aider en a interjeté appel.
Vu les conclusions de la SARL Puis-je vous aider signifiées le 17 mars 2014 qui tendent à l'infirmation du jugement déféré pour voir :
- dire et juger que la résiliation du contrat de franchise est intervenue par la faute de la société Enfase ensuite du défaut de paiement des sommes dues,
- condamner solidairement la société Enfase et M. Lukac à payer :
* la somme de 1 216,90 euros, outre la redevance assistance à chiffrer en fonction du chiffre d'affaires réalisé,
* la somme de 33 750 euros à titre de dommages-intérêts au titre de la résiliation anticipée du contrat,
* la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de la clause de non-concurrence,
- débouter la société Enfase M. Lukac de leurs demandes reconventionnelles,
- les condamner à payer une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que les dépens de première instance et d'appel ;
Vu les conclusions d'intimé de M. Lukac et la société Enfase signifiées le 15 mai 2014 qui tendent :
- à titre principal, à l'infirmation des dispositions du jugement qui les a déboutés de leur demande en indemnisation pour voir condamner la SARL Puis-je vous aider à leur payer la somme de 31 402 euros à titre de dommages-intérêts,
- à titre subsidiaire, à voir débouter la SARL Puis-je vous aider de ses demandes en paiement de sommes d'argent,
Les intimés demandent enfin paiement à la SARL Puis-je vous aider d'une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que des dépens avec application de l'article 699 du même Code ;
Sur ce
1 - Sur les demandes des intimés
Attendu que le règlement européen d'exemption n° 330-2010 du 20 avril 2010, autorise par dérogation à l'article 101 du traité de l'union européenne, certains accords entre les entreprises qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur (la société appelante invoque le règlement n° 4087-1988 qui a cependant été remplacé par le règlement n° 330-2010) ;
Attendu que les accords dits " verticaux " entre entreprises sont autorisés lorsqu'ils ont pour objet la transmission d'un " savoir-faire " défini comme un ensemble secret, substantiel et identifié d'informations pratiques non brevetées, résultant de l'expérience du fournisseur et testées par celui-ci, que dans ce contexte, "secret" signifie que le savoir-faire n'est pas généralement connu ou facilement accessible, "substantiel" se réfère au savoir-faire qui est significatif et utile à l'acheteur aux fins de l'utilisation, de la vente ou de la revente des biens ou des services contractuels; "identifié" signifie que le savoir-faire est décrit d'une façon suffisamment complète pour permettre de vérifier s'il remplit les conditions de secret et de substantialité;
Attendu que lorsque le franchiseur ne dispose d'aucun savoir-faire, le contrat est dépourvu d'objet ;
Attendu que le document d'information précontractuel contient un paragraphe intitulé " ses activités proposées dans le cadre du contrat proposé ", qui reproduit sensiblement les dispositions de l'article D. 129-35 du Code du travail dans la rédaction du décret du 29 décembre 2005, pris pour l'application de la loi du 26 juillet 2005, dite loi Borloo, de sorte que ses activités sont dépourvues de tout caractère " secret " qui pourraient contenir un savoir-faire ;
Attendu au surplus qu'aucun savoir-faire n'est utile pour garder des enfants, faire des travaux de jardinage ou des tâches ménagères ;
Attendu que le " savoir-faire " peut résulter de l'autorisation d'utiliser une marque ;
Attendu cependant que la marque Puis-je vous aider était exploitée seulement depuis février 2006, que les premiers juges ont relevé avec pertinence qu'il ne pouvait être question d'un réseau dès lors que la société Enfase était le premier franchisé ;
Attendu qu'il en résulte que la marque était récente et utilisée seulement par le franchiseur, de sorte qu'elle n'avait aucune notoriété qu'il en résulte que le contrat de franchise ne pouvait avoir pour objet le droit de l'utiliser ;
Attendu que l'enseigne, ou logo figurant sur le document d'information précontractuelle comme sur le contrat de franchise et qui pourrait constituer un signe distinctif, est dépouvue de valeur comme élément de " savoir-faire " compte tenu de la faible notoriété de la marque ;
Attendu encore que la SARL Puis-je vous aider n'apporte aucun démenti aux affirmations des intimés selon lesquelles sa situation financière était précaire ;
Attendu qu'il en résulte qu'elle ne peut invoquer les résultats de l'expérience testés par elle-même ;
Attendu que le " savoir-faire " pourrait résulter de méthodes de gestion ou de recherche de la clientèle, ou encore de l'assistance pour le choix du lieu d'implantation, des plans d'agencement spécifique des centres franchisés selon une présentation uniforme au réseau ;
Attendu que le document d'information précontractuel énumère le matériel informatique nécessaire qui ne présente pas de caractère " secret " ;
Attendu que le document indique encore que, si le candidat franchisé souhaite à terme héberger lui-même les applications " métiers ", il lui appartiendra de faire réaliser par un professionnel le transfert des applications sur les machines de son choix ;
Attendu que le "savoir-faire" pourrait résulter de la fourniture d'outils informatiques spécifiques, qu'en l'espèce, la SARL Puis-je vous aider a voulu mettre à la disposition du franchisé un logiciel de gestion comptable, qu'elle ne donne cependant pas d'explications permettant de penser qu'il s'agissait d'un outil spécifique, alors qu'il existe de nombreux outils généralistes pour cet usage, dont certains gratuits ;
Attendu encore que la société appelante ne donne aucune explication sur les méthodes de prospection de la clientèle qu'elle pourrait utiliser ;
Attendu qu'elle décrit le savoir-faire qu'elle revendique en des termes purement généraux ;
Attendu notamment que la SARL Puis-je vous aider ne prétend pas avoir fourni une quelconque assistance pour le choix du lieu d'implantation, ni un plan d'agencement spécifique du centre franchisé de la société Enfase, puisque le document d'information précontractuelle contient seulement une description sommaire de l'aménagement des locaux du franchisé, c'est-à-dire, la couleur des peintures ;
Attendu en conséquence que les intimés font valoir à juste titre que le contrat est nul par défaut d'objet, que les premiers juges ont tiré les conséquences qui s'imposaient de cette nullité ;
Attendu toutefois que le contrat de franchise ayant été conclu par la société Enfase, seule cette société peut prétendre obtenir la restitution des sommes d'argent payées en exécution de celui-ci ;
Attendu que les intimés prétendent obtenir paiement d'une indemnité complémentaire en raison du dol dont ils auraient été victimes, au motif qu'ils n'auraient pas reçu une information loyale ;
Mais attendu qu'il résulte des pièces produites que la société Enfase exerce effectivement l'activité pour laquelle elle a été créée, qu'il convient donc de débouter les intimés de la demande en paiement de la somme de 31 402 euros, représentant l'indemnisation du dol dont ils prétendent avoir été victimes ;
2 - Sur la demande reconventionnelle de la SARL Puis-je vous aider
Attendu qu'il résulte d'un constat d'huissier du 16 mars 2012 que le magasin exploité par les intimés <adresse> portait apposé sur la façade un pannonceau reproduisant l'enseigne ou logo de la SARL Puis-je vous aider, que par ailleurs, sur la porte d'entrée du magasin figurait en caractères d'imprimerie l'adresse Internet " [email protected] " ;
Attendu que le logo figurait sur les documents contractuels de la SARL Puis-je vous aider, qu'il présente un caractère original qui en fait un signe distinctif ;
Attendu que la marque " comment puis je vous aider " a fait l'objet d'un dépôt régulier ;
Attendu que la société appelante est en droit de faire sanctionner l'usage illégitime du nom de sa marque et de son enseigne ;
Attendu qu'il convient de condamner la société Enfase à lui payer une somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts à la charge de la société Enfase, puisque cette société est l'auteur de l'infraction aux droits de la SARL Puis-je vous aider ;
Attendu que la SARL Puis-je vous aider doit être déboutée du surplus de ses demandes puisque celles-ci ont pour fondement le contrat de franchise ;
Par ces motifs, LA COUR : statuant publiquement et contradictoirement, Infirme les dispositions du jugement qui ont débouté la SARL Puis-je vous aider de sa demande, Statuant à nouveau, condamne la société Enfase à payer à la SARL Puis-je vous aider la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts, Confirme les dispositions du jugement déféré qui ont condamné la société SARL Puis-je vous aider à payer à la société Enfase la somme de 8 180 euros et qui ont débouté la société Enfase et M. Lukac de la demande en paiement de la somme de 31 402 euros, Déboute les parties de toutes autres demandes, Déboute les parties de leurs demandes respectives d'indemnités sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel.