Cass. com., 14 avril 2015, n° 13-27.093
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Geolia (SAS)
Défendeur :
Technosol (SAS), Forax (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
M. Gauthier
Avocats :
SCP Gatineau, Fattaccini, Me Le Prado
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 septembre 2013) et les productions que les sociétés Forax et Technosol avaient des activités complémentaires et appartenaient au même groupe ; que M. Mazet, ingénieur en chef au sein de la société Technosol, a créé en août 2006 la société Geolia, ayant une activité similaire à celles des sociétés Technosol et Forax ; qu'il a démissionné en novembre 2006 pour devenir directeur général adjoint de la société Geolia ; que celle-ci a embauché deux ingénieurs de la société Technopol et un conducteur de travaux de la société Forax ; que M. Marcie, qui était directeur général et salarié des sociétés Technopol et Forax, après avoir été licencié pour faute lourde en novembre 2006, est devenu en février 2007 actionnaire de la société Geolia, puis salarié de celle-ci ; que les sociétés Technosol et Forax ont assigné la société Geolia en paiement de dommages-intérêts pour concurrence déloyale ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société Geolia fait grief à l'arrêt de la condamner à paiement alors, selon, le moyen : 1°/ que pour imputer un acte de concurrence déloyale à une société, les juges du fond doivent caractériser l'existence d'un débauchage fautif ; que la société Geolia faisait valoir dans ses écritures, que, fin novembre 2006, au moment du lancement de son activité, la société Technosol avait pour effectifs vingt-cinq salariés, dont quinze ingénieurs et la société Forax, vingt-quatre salariés ; qu'elle exposait que " le début de son activité s'est traduit effectivement par le départ de quelques salariés ", soit celui de M. Mazet, qui a quitté la société Technosol, celui de Mme Gautier, jeune ingénieur, qui a quitté la société Technosol et celui de M. Adam, qui a quitté la société Forax ; qu'elle exposait encore que M. Franck Berthou ne l'a pas " rejoint " à son départ de la société Technosol, puisqu'" il est parti chez la société Ingessais, en Gironde, après un préavis exceptionnellement long de huit semaines " et précisait qu'il " a accepté de prolonger son préavis jusqu'au 8 décembre 2006, à la demande expresse de M. Ergand, président de la société Technosol, ce qui ne témoigne pas de circonstances particulièrement brutales de départ " ; que la société Geolia produisait de ce chef le contrat de travail et les fiches de paie de M. Franck Berthou chez la 3 385 société Ingessais ; qu'elle en concluait à l'absence de débauchage massif, dès lors que la société Technosol n'avait perdu que deux salariés sur vingt-cinq et la société Forax un salarié sur vingt-quatre ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans avoir égard à ces éléments de nature à établir l'absence de débauchage massif imputable à la société Geolia, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 2°/ que le démarchage de la clientèle d'autrui est licite s'il n'est pas accompagné d'un acte déloyal ; que, dans ses écritures d'appel, la société Geolia a fait état des attestations des directeurs des sociétés Altarea Habitation, Arc promotion 2, Bouwfonds Marignan, Monne Decroix, Nexity Seeri et Sadev 94 aux termes desquelles il était confirmé " l'absence de tout démarchage de la part de la société Geolia en 2006 et 2007 ", " le maintien de leur clientèle à la société Technosol en 2006 et 2007 " et " la mise en concurrence systématique des bureaux d'études avant chaque commande " ; qu'elle faisait encore valoir, à partir de l'examen de la pièce no 49 communiquée par les sociétés Technosol et Forax, que la société AFTRP entre janvier et novembre 2006 avait passé quinze commandes à la société Technosol et qu'entre décembre 2006 et décembre 2007, elle avait également passé quinze commandes à la société Technosol, de sorte qu'elle ne pouvait prétendre avoir perdu ce client ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans se prononcer sur ces attestations ni sur la pièce no 49 produite par les sociétés Technosol et Forax, de nature à établir l'absence de détournement de clientèle imputable à la société Geolia, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 3°/ que les juges du fond ne sauraient statuer par une motivation de pure forme ; que la cour d'appel a retenu que les sociétés Technosol et Forax démontrent également le détournement par la société Geolia des fichiers clients puisque cette dernière est intervenue, dès le mois de décembre 2006, auprès de clients déjà démarchés pour leur compte par les salariés démissionnaires, utilisant même des grilles de prix et des modes de présentation propres aux intimés ; qu'en statuant ainsi, sans préciser sur quels éléments de preuve elle se fondait, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 4°/ que dans ses écritures d'appel, la société Geolia a fait valoir qu'elle produisait une attestation du directeur de la société Alpha Control dans laquelle il " déclare que la société Alpha Control n'a jamais eu aucun lien contractuel avec les sociétés Technosol et Forax " ; que la cour d'appel, pour considérer que les sociétés Technosol et Forax établissent que les clients ont opéré une confusion entre les sociétés Technosol et Forax et la société Geolia, a retenu que la société Alpha Control a adressé le 18 décembre 2006 une télécopie à la société Technosol alors qu'elle était destinée à la société Geolia ; qu'en statuant ainsi, sans se prononcer sur l'attestation du directeur de la société Alpha Control produite par la société Geolia, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt constate que quatre salariés des sociétés Technosol et Forax ont donné dans l'espace de quelques semaines leurs démissions, qui ont pris effet presque en même temps, sans qu'ils aient auparavant émis la moindre réserve sur leurs conditions de travail et cependant qu'ils étaient les plus qualifiés et les plus expérimentés et représentaient ensemble une fraction notable de l'équipe d'encadrement des deux sociétés, composée au total de quatorze personnes, pour intégrer la société Geolia, nouvellement créée, et constituer une partie de son équipe dirigeante et la faire bénéficier de leur savoir-faire ; qu'il relève que M. Marcie, directeur général des sociétés Technosol et Forax, qui a intégré par la suite la société Geolia, a écourté le préavis de ces salariés, facilitant ainsi leur embauche par cette société, et leur a octroyé des primes tandis que leur démission était connue, et que le départ de ces salariés a entraîné une désorganisation des sociétés Technosol et Forax, lesquelles ont dû pourvoir ces postes ; qu'il relève encore que M. Marcie a dans les mêmes conditions autorisé le transfert des lignes téléphoniques attribuées aux salariés démissionnaires à la société Geolia, créant ainsi une confusion dans l'esprit de la clientèle qui continuait d'appeler des numéros dont cette société était ainsi devenue titulaire, cette situation n'ayant pris fin qu'après l'engagement d'une procédure de licenciement à son encontre ; que l'arrêt en déduit que l'embauche de ces salariés par la société Geolia, dans ces conditions, caractérise des actes de concurrence déloyale ; que, par ces constatations et appréciations souveraines, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche inopérante visée à la deuxième branche ni de s'expliquer sur les éléments de preuve qu'elle écartait, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen : - Attendu que la société Geolia fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen : 1°/ que nul ne peut se constituer de preuve à lui-même ; que, dans ses écritures d'appel, la société Geolia a fait valoir que les sociétés Technosol et Forax n'avaient pas produit " les documents comptables susceptibles d'étayer leurs affirmations quant à leur prétendue désorganisation, perte de clientèle ou pertes financières " ; que, pour évaluer le préjudice subi par les sociétés Technosol et Forax, la cour d'appel s'est fondée sur les " tableaux de commande enregistrés par elles " ; qu'en se fondant ainsi sur un document de preuve établi unilatéralement par les sociétés Technosol et Forax, la cour d'appel a violé l'article 1315 du Code civil ; 2°/ que dans ses écritures d'appel, la société Geolia a fait valoir que la société Technosol a " fait chuter artificiellement son résultat d'exploitation en 2006, en procédant, à la demande de la direction du groupe JEI à l'établissement d'une facture au nom de la société IPC (une des nombreuses sociétés du groupe JEI) d'un montant de l'ordre de 300 000 euros, à la prise en compte de provisions sur facture à venir d'un montant de 140.000 euros au profit de la société Chanin et de 75 000 euros au profit de la société Spirale, ces deux sociétés étant des sociétés du groupe JEI, qui n'ont effectué aucune prestation pendant l'exercice en question d'octobre 2005 à septembre 2006 " ; qu'elle ajoutait que la société Technosol a " racheté la société Etudesol pour 165 000 euros au mois de janvier 2007 " et " a procédé à de nombreuses embauches, ce qui a contribué à augmenter ses charges de salaires et charges en 2007 de 906 285 euros " (salaires et traitements : + 598 915 euros ; charges sociales : + 307 370 euros) ; qu'elle en concluait que la société Technosol a " donc amputé son résultat en 2007 d'un total de 1 586 585 euros, soit l'équivalent de 25,51 % de son chiffre d'affaires de 2006 " ; qu'en ce qui concerne la société Forax, dans ses écritures d'appel, la société Geolia a fait valoir que, " malgré un chiffre d'affaires 2006 en progression (+ 10 %), son résultat d'exploitation a artificiellement chuté en 2007, après qu'elle a procédé au 31 décembre 2006 à une provision sur facture à venir d'un montant de 240 000 euros au profit de la société Chanin, à une provision sur facture à venir d'un montant de 35 000 euros au profit de la société IPC, à une provision sur facture à venir d'un montant de 15 000 euros au profit de la société Spirale, soit un total de 290 000 euros, ces trois sociétés étant bien évidemment des sociétés du groupe JEI n'ayant effectué aucune prestation durant l'exercice pour le compte de la société Forax " ; qu'elle en concluait que " c'est de leur propre fait que les sociétés Technosol et Forax ont fait chuter leurs résultats d'exploitation et leurs marges en 2007 " ; qu'elle précisait que la société Technosol avait procédé à la distribution de 210 000 euros de dividendes en 2006, et la société Forax à la distribution 250 000 euros de dividendes ; que la cour d'appel s'est bornée à retenir que le résultat d'exploitation des sociétés Technosol et Forax s'est dégradé au cours des années 2006 et 2007 ; qu'en statuant ainsi, sans prendre en considération les facteurs rapportés par la société Geolia propres à expliquer la dégradation du résultat d'exploitation des sociétés Technosol et Forax, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 3°/ que dans ses écritures d'appel la société Geolia a fait valoir que le chiffre d'affaires de la société Technosol a " augmenté de près de 20 % en 2007 " ; qu'elle a soutenu que cette augmentation était sans relation avec le rachat de la société Etudesol, en redressement judiciaire ; qu'elle invoquait le rapport de l'administrateur judiciaire, suivant lequel " lors de sa mise en redressement judiciaire, cette société réalisait un chiffre d'affaires de 2,5 millions d'euros avec quarante-trois salariés répartis sur quatre sites d'exploitation ", que " l'administrateur a licencié vingt salariés ", qu'" il a 6 385 procédé à la fermeture de trois des quatre sites d'exploitation ", qu'" en cours de procédure, une société Verdi a repris quatre-vingts marchés de la société Etudesol, ainsi que sept salariés, dont quatre ingénieurs " et qu'" au moment de son rachat par la société Technosol, le carnet de commandes de la société Etudesol était estimé à 330 000 euros " ; qu'elle en concluait qu'" il parait difficile d'accréditer l'idée que, dans l'état où elle a été rachetée, la société Etudesol ait pu générer un chiffre d'affaires de 2,5 millions euros " ; que la cour d'appel a retenu que la société Geolia ne peut se prévaloir de ce que le chiffre d'affaires de la société Technosol aurait augmenté entre l'année 2006 et l'année 2007, alors que cette augmentation ne résulte que du rachat par cette dernière de la société Etudesol, à l'époque en redressement judiciaire, autorisé le 8 janvier 2007 et que s'il y a eu une augmentation des charges d'exploitation de la société Technosol, c'est également en lien avec ce rachat ; qu'en statuant ainsi, sans se prononcer sur les éléments rapportés par la société Geolia, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;
Mais attendu que, sous le couvert de griefs infondés de violation des règles de preuve, de manque de base légale et de défaut de réponse à conclusions, le moyen ne tend qu'à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, du montant du préjudice dont ils ont accordé réparation aux Sociétés Technosol et Forax ; qu'il ne peut être accueilli ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.