CA Rennes, 3e ch. com., 28 avril 2015, n° 12-04294
RENNES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Pain
Défendeur :
Brake France Service (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Poumarède
Conseillers :
Mmes André, Guéroult
Avocats :
Mes Berthault, Bouessel, Lebrasseur
EXPOSÉ DU LITIGE
La société Rault Lamballe, aux droits de laquelle vient la société Brake France Service, est spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de produits de charcuterie, de plats préparés à emporter, de produits approvisionnant les points chauds, de rôtisseries et de produits festifs. Ayant une activité de grossiste distributeur en produits surgelés et frais en restauration hors foyer, comprenant principalement les restaurants et collectivités, elle a souhaité étendre sa clientèle aux grandes surfaces pour certaines gammes de produits.
Par contrat en date du 20 juin 2008, intitulé mandat d'agent commercial, la SAS Rault Lamballe a confié à M. Laurent Pain la représentation de ses produits et services, par la recherche, négociation et conclusion d'animations commerciales dans les moyennes et grandes surfaces commerciales et la vente de ses produits lors de ces animations commerciales sur un secteur géographique comprenant les départements 50, 14, 76, 61, 27, 72 et 28 et une partie des départements 35 et 53. En rémunération, il était stipulé au profit du mandataire une commission fixe hors taxes par journée de prestation, variant de 400 à 600 euro en fonction de la prestation.
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 5 mai 2009, la société Rault Lamballe a résilié le contrat à l'issue du préavis de trois mois conformément aux modalités prévues à l'article 11 du dit contrat.
Le 31 mars 2010, M. Pain assignait la société Brake France venant aux droits de la société Rault Lamballe en paiement d'un reliquat de commissions et d'une indemnité compensatrice de rupture.
Le 24 avril 2012, le Tribunal de grande instance de Rennes estimant que le contrat ne relevait pas du statut des agents commerciaux, a débouté M. Pain de sa demande.
M. Pain a relevé appel de ce jugement, demandant à la cour, vu l'article L. 134-12 du Code de commerce, de condamner la société Brake France Service venant aux droits de la société Rault Lamballe à lui payer une indemnité de rupture de 125 477 euro outre la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
A défaut, il conclut à la qualification de son contrat de contrat de travail.
La société Brake France Service sollicite à titre principal, la confirmation du jugement critiqué. A titre subsidiaire, elle soutient que M. Pain n'a pas exercé son activité en qualité d'agent commercial, qu'il n'avait aucune indépendance et a été payé sur la base d'un forfait journalier d'animation commerciale et qu'il n'a jamais contracté au nom et pour le compte de la société Rault Lamballe.
Elle demande en conséquence à la cour de qualifier la relation contractuelle de contrat de prestation de services et de dire que l'indemnité réparatrice de préjudice prévue à l'article L. 134-12 du Code de commerce n'est pas due.
Très subsidiairement, elle conteste la réalité du préjudice subi par M. Pain et demande que soit ordonnée, avant la liquidation de l'indemnité, la production de ses éléments comptables pour les années 2009 et 2010 ainsi que ses avis d'imposition de 2009 et 2010.
Elle sollicite une somme de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour l'appelant le 24 septembre 2012 et pour la société Brake France Service le 14 janvier 2013.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Sur la qualification du contrat
Selon l'article L. 134-1 du Code de commerce, " l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux "...
En l'occurrence, le contrat intitulé " Mandat d'agent commercial " exposait en préliminaire que M. Pain souhaitait bénéficier du statut d'agent commercial du mandant pour la représentation des produits et services énumérés par le contrat, ce que la société Rault Lamballe acceptait, les parties déclarant expressément soumettre leur accord au statut légal résultant des dispositions du Code de commerce sur les agents commerciaux et les textes subséquents.
L'article premier indiquait que le mandant confiait à l'agent commercial qui acceptait, en cette qualité, la représentation conformément aux dispositions légales applicables, de ses produits et services, à savoir la recherche, négociation et conclusions d'animations commerciales dans les moyennes et grandes surfaces commerciales et la vente des produits du mandant lors de ces animations commerciales au nom et pour le compte du mandant. Il lui était attribué l'exclusivité de la clientèle des moyennes et grandes surfaces commerciales sur sept départements et partie de deux départements, sous réserve du contrat d'agent commercial consenti le même jour avec Mickaël Wech et les cessionnaires de ce contrat portant sur le même territoire.
L'article 2 précisait notamment que le mandant devrait être averti par le mandataire au moins un mois à l'avance des dates et lieux des animations commerciales et s'obligeait à livrer les produits en quantité suffisante le jour prévu à la grande ou moyenne surface.
L'article 3 énonçait que l'agent commercial s'engageait à une action commerciale à l'égard de la clientèle, afin d'assurer, dans l'intérêt réciproque des parties, une promotion efficace des ventes de produits et services dont la représentation lui était confiée par le mandant.
L'article 7 rappelait : " Les parties déclarent et reconnaissent qu'elles sont et demeureront, pendant toute la durée du contrat, des partenaires commerciaux et professionnels indépendants, assurant chacun les risques de sa propre exploitation ".
Ces clauses, tout comme les autres clauses du contrat litigieux, étaient typiques du statut des agents commerciaux lequel n'impose pas la rémunération de l'agent sous la forme de commissions calculées en pourcentage du chiffre d'affaires.
Pourtant malgré l'ensemble des ces dispositions dépourvues d'équivoque, la société Brake France Service soutient que le contrat ne serait pas un contrat d'agent commercial aux motifs que son cocontractant n'aurait pas eu le pouvoir de contracter ou de négocier des ventes, qu'il ne bénéficiait d'aucune indépendance et qu'il n'était pas rémunéré à la commission.
A titre liminaire, l'argument tiré de la dénomination d'animateur parfois attribuée à l'agent est inopérant, la qualification du contrat étant indépendante des termes utilisés par les parties et l'appellation critiquée n'étant pas exclusive de l'application du statut d'agent commercial. Il sera d'ailleurs relevé que non seulement le contrat mais encore la lettre de résiliation adressée par la société Rault Lamballe y mettant fin fait référence à " un mandat d'agent commercial ".
En premier lieu, pour contester la qualification qu'elle a donné au contrat lors de sa conclusion et de son exécution, la société Brake France Service soutient que son objet était étranger au contrat d'agent commercial, l'animateur n'ayant selon elle pas mission de vendre ou d'aider à la vente de produits aux grandes surfaces clientes mais de promouvoir les produits auprès du consommateur final. Elle déduit cette interprétation du fait que l'article 2 du contrat indique que " la marchandise sera livrée et facturée par le mandant à la surface commerciale ".
Mais toutes les commandes des moyennes et grandes surfaces clients étaient prises par les agents commerciaux dont M. Pain et ensuite transmises par leur secrétaire commune Mme Chazouillères à la société Rault Lamballe.
La vente étant parfaite dès l'accord sur la chose et sur le prix, l'agent commercial en recueillant la commande concluait, pour le compte du mandant, des ventes, ensuite livrées et facturées par celui-ci conformément au fonctionnement normal d'un contrat d'agent commercial. Le moyen n'est donc pas fondé.
En second lieu, la société Brake France Service prétend que l'agent commercial ne fixait ni le volume, ni le prix des ventes conclues avec la société cliente, ces éléments étant discutés directement avec la société Rault Lamballe sans son intermédiaire.
Mais rien n'étaye cette affirmation qui est au contraire contredite par les pièces produites. En effet, les commandes transmises par l'agent commercial étaient adaptées aux besoins de chaque client de sorte qu'il est inexact de soutenir qu'elles auraient été pré-établies à la suite d'une négociation directe avec le mandant, le fait que ces commandes aient été consignées sur des bons de commande pré-imprimés ne signifiant pas qu'elles étaient elles-mêmes pré-déterminées.
Au surplus, les affirmations de M. Pain selon lesquelles les magasins clients n'avaient de contact qu'avec les agents commerciaux, la société mandante n'intervenant ni dans la détermination des quantités à commander, ni dans les réassorts, ni dans les dates et les impératifs de livraison, ni pour recueillir directement les réclamations portant sur le caractère incomplet ou erroné des dites livraisons ou sur la date limite de consommation des produits sont attestées par les nombreux courriers adressés par Mme Chazouillères pour le compte de l'agent commercial.
Au demeurant, la société mandante alertait son agent commercial en cas de rupture de stock ne permettant pas d'honorer la commande, ce qui révèle que contrairement à ce qu'elle soutient, elle n'était pas en relation directe avec la société cliente.
L'agent commercial appliquait le tarif du mandant que celui-ci s'engageait à lui communiquer (article 5 du contrat) conformément à ses directives et aux règles du mandat mais sollicitait l'établissement d'avoirs et de gratuités de sorte qu'il participait à la négociation du prix, le fait que la décision finale incombe à la société mandante n'étant pas contraire au statut d'agent commercial. En effet, le pouvoir de négocier un contrat n'implique pas nécessairement celui de modifier unilatéralement les conditions tarifaires fixées par le mandant.
En troisième lieu, la société Brake France Service soutient que son co-contractant ne bénéficiait d'aucune indépendance, ce qui est en contradiction non seulement avec l'article 7 du contrat mais encore avec la qualification de contrat de prestations de services qu'elle prétend lui conférer.
A cet égard, elle soutient qu'elle établissait elle-même le planning des animations sur la base d'une pièce 11 qui n'a pas la portée qu'elle prétend lui donner puisque rien n'établit qu'elle en soit le rédacteur et a fortiori le concepteur.
Son allégation est d'ailleurs contredite par sa pièce 13 adressée à la secrétaire commune des agents qui contient la demande suivante : " Pourras-tu m'envoyer le planning des animateurs, comme cela je pourrais les appeler en direct... ", demande qui révèle qu'elle n'établissait pas le planning d'intervention de ses cocontractants.
Ceci est d'ailleurs conforme à l'article 2 du contrat qui précisait que le mandant devrait être averti par le mandataire au moins un mois à l'avance des dates et lieux des animations commerciales, lesquelles étaient convenues par l'agent commercial avec le responsable de la grande ou moyenne surface qu'il avait démarché à cet effet.
Rien n'établit que les stipulations précises sus-rappelées aient été écartées et que l'agent commercial ait été sous la subordination de la société Brake France Service s'agissant tant de la prospection de la clientèle qui lui était attribuée que de l'organisation des animations organisées dans les locaux de celle-ci afin - " dans l'intérêt réciproque des parties " - d'assurer la promotion des produits auprès du consommateur pour en favoriser la vente régulière à la grande ou moyenne surface démarchée. Au contraire les pièces produites établissent que M. Pain décidait de la durée, de la fréquence, du lieu et des dates des animations, qui n'étaient soumises à la société Brake que pour information. C'est ainsi qu'elle était avisée de la programmation des animations, de leur durée, de leur modification ou de leur annulation ou même de leur facturation à l'identique en cas de problème de livraison (pièce 69).
Il s'en infère que le contrat a été exécuté conformément aux stipulations contractuelles, l'agent ayant la maîtrise de son activité tant en ce qui concerne la prospection de la clientèle que le planning de ses interventions dont la société Rault Lamballe était seulement informée.
D'ailleurs, ce fonctionnement était cohérent avec les objectifs ayant présidé à la conclusion du contrat, à savoir développer une nouvelle clientèle différente de celle avec laquelle la société Rault Lamballe était déjà en relation.
Enfin, la société Brake France Service invoque les modalités de la rémunération de son mandataire pour échapper à l'application du statut mais l'article L. 134-5 du Code de commerce ne fait pas de la rémunération à la commission une condition d'application de celui-ci de sorte que l'argument est inopérant.
En définitive, tant les termes du contrat que ses conditions d'exécution démontrent qu'il s'agissait d'un mandat d'intérêt commun confié par le mandant à un mandataire qui négociait et concluait des ventes en son nom et pour son compte, dans le cadre d'animations commerciales destinées à assurer la promotion des produits auprès des grandes et moyennes surfaces commerciales qu'il prospectait, ce qui constitue la nature même du contrat d'agent commercial. Dès lors s'il est exact que l'application du statut d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée, les conditions d'exécution du mandat litigieux ne justifient pas que le statut auquel les parties ont de surcroît expressément voulu se soumettre soit écarté.
Sur le montant de l'indemnité
Selon l'article L. 134-12 du Code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.
Les pièces sollicitées par la société intimée ne se justifient pas, le droit à indemnité de rupture n'étant pas fonction de l'activité ultérieure de l'agent commercial.
M. Pain a exercé son mandat pendant quatorze mois et a perçu à ce titre, un total de commissions non discutées de 73 195,20 euro TTC, soit 61 200 euro HT, ce qui représente un montant mensuel moyen de commissions de 4 371,43 euro. Il n'a pas eu à acquérir le contrat d'un prédécesseur et ne justifie d'aucun investissement particulier destiné à en faciliter l'exécution. En effet, s'il a sollicité le concours d'une secrétaire commune aux quatre agents, il ne soutient pas que la fin des mandats ait entraîné de ce chef le versement d'indemnités.
Aussi compte tenu de la durée du mandat et de ses conditions d'exécution, le préjudice découlant de sa rupture sera exactement réparé par une indemnité de 7 000 euro.
Il serait enfin inéquitable de laisser à la charge de l'appelant l'intégralité des frais exposés par lui à l'occasion de l'instance d'appel et non compris dans les dépens, en sorte qu'il lui sera alloué une somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs LA COUR, Infirme le jugement rendu le 24 avril 2012 par le Tribunal de grande instance de Rennes en ses dispositions contestées, Statuant à nouveau de ce chef, Condamne la société Brake France Service à payer à M. Laurent Pain une somme de 7 000 euro à titre d'indemnité de rupture de contrat, Condamne la société Brake France Service à payer à M. Laurent Pain une somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute les parties de toutes autres demandes contraires ou plus amples, Condamne la société Brake France Services aux dépens de première instance et d'appel exposés par M. Pain lesquels seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.