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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 6 mai 2015, n° 14-01611

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Europcar France (SAS)

Défendeur :

Ministre de l'Économie, du Redressement productif et du Numérique, Ministère public

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Patte

Avocat :

Me Billard

TGI Paris, JLD, du 16 janv. 2008

16 janvier 2008

Par ordonnance du 16 janvier 2008, le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris, saisi à la requête du chef de la direction nationale des enquêtes de concurrence, de consommation et de répression des fraudes dans le cadre de l'enquête prescrite le 14 janvier 2008 par le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi visant à établir l'existence de pratiques prohibées par les articles L. 420-1 du Code de commerce et 81-1 du traité CE, devenu 101 du TFUE, dans le secteur de la location de véhicules, l'a, sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce dans sa rédaction alors applicable, autorisé à procéder ou faire procéder à des visites avec saisies dans les locaux de diverses sociétés de location de véhicules, notamment ceux de la société Europcar France situés à Guyancourt (78), afin de rechercher la preuve de telles pratiques ; il a donné commission rogatoire au juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Versailles pour contrôler les opérations de visite et saisie, lequel a, par ordonnance du 17 janvier 2008, désigné les officiers de police judiciaire compétents pour y assister.

Ces opérations, au cours desquelles ont été saisis des documents papiers, fichiers informatiques et messagerie électronique, se sont déroulées le 22 janvier 2008 et ont donné lieu à l'établissement d'un procès-verbal signé par les représentants de la société Europcar France avec, notamment, la réserve suivante : l'accès aux locaux visités n'a pas été autorisé aux avocats de l'entreprise.

Contestant la régularité desdites opérations, la société a formé un recours devant le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris aux fins d'obtenir leur annulation et la restitution des pièces saisies. Par ordonnance du 10 avril 2009, ce magistrat a donné acte à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) de son accord pour restituer les documents couverts par la protection correspondance avocats-clients et listés sous les numéros 76, 220 et 17 de la pièce 7 ainsi que ceux listés dans la pièce 8 communiquée par la société requérante, ordonné la restitution desdits documents à la société Europcar France, fait défense à la DGCCRF de les utiliser en original ou en copie, a débouté la société Europcar France du surplus de ses demandes et dit que les dépens seront supportés par le Trésor public.

La société Europcar France a formé un pourvoi en cassation le 15 avril 2009.

Suivant procès-verbal du 9 juillet 2009, les rapporteurs des services d'instruction de l'Autorité de la concurrence, saisie par le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi, en application de l'article L. 462-5 du Code de commerce, de pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de la location de véhicules et destinataire des actes de procédure établis par la DGCCRF, ont, en exécution de l'ordonnance susvisée, procédé aux opérations de restitution, par destruction.

Par arrêt du 2 juin 2010, la Cour de cassation a cassé et annulé l'ordonnance précitée en toutes ses dispositions en raison de l'incompétence matérielle du juge des libertés et de la détention, par suite de l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008, d'application immédiate, donnant compétence au premier président de la cour d'appel dans le ressort du juge les ayant autorisées pour connaître d'un recours sur le déroulement des opérations de visite ou de saisie.

Par ordonnance du 31 août 2012, le premier président de cette cour, désigné comme juridiction de renvoi, a débouté la société Europcar France de ses demandes tendant à voir annuler les opérations de visite et de saisie et à voir ordonner la restitution de l'intégralité des pièces et documents saisis autres que les pièces qui ont été détruites, dit que l'Autorité de la concurrence ne pourra faire état pour quelque raison que ce soit des pièces détruites et condamné la société Europcar France aux dépens de l'instance.

Statuant sur le pourvoi formé par cette dernière, la Cour de cassation a, par arrêt du 27 novembre 2013 rendu au visa de l'article 593 du Code de procédure pénale, ensemble le principe des droits de la défense, cassé et annulé en toutes ses dispositions cette ordonnance et renvoyé la cause et les parties devant la juridiction du premier président de cette cour, autrement composée, après avoir énoncé :

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, selon la jurisprudence de la Cour de justice (CJCE, arrêt du 17 octobre 1989, Dow Chemical Ibérica, 97-87, 98-87, et 99-87), le droit d'avoir une assistance juridique doit être respecté dès le stade de l'enquête préalable ;

Attendu qu'il résulte de l'ordonnance attaquée que, le 22 janvier 2008, les enquêteurs de l'administration de la concurrence, agissant en vertu d'une ordonnance du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris, en date du 16 janvier 2008, ont effectué des opérations de visite et de saisie dans les locaux de la société Europcar France, dans le but de rechercher la preuve de pratiques contraires, notamment, aux dispositions de l'article 81 du traité CE ;

Attendu que, pour rejeter le recours de la société Europcar France tendant à obtenir l'annulation de ces opérations, l'ordonnance attaquée prononce par les motifs repris au moyen ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, sans rechercher si, comme le soutenait la requérante en se fondant sur les mentions portées au procès-verbal de visite, ses conseils ne s'étaient pas vu interdire d'accéder aux bureaux visités et de prendre la parole, le premier président a méconnu le principe ci-dessus énoncé ;

Le procureur général a demandé le ré-enrôlement de l'affaire.

Appelée une première fois à l'audience du 25 juin 2014, celle-ci a été renvoyée à celle du 19 novembre 2014.

Par conclusions déposées le 25 mars 2014, complétées par conclusions en réplique déposées le 22 mai 2014 et par conclusions aux fins de production de nouvelles pièces déposées le 3 octobre 2014, reprises oralement à l'audience, la société Europcar France nous demande de :

A titre principal,

Constater la violation irrémédiable de ses droits de la défense et, notamment des articles 6 § 1 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, des principes fondamentaux du droit communautaire, des articles L. 450-4 et R. 450-2 du Code de commerce, 56 du Code de procédure pénale, 9 du Code civil et de l'article préliminaire de Code de procédure pénale,

En conséquence,

Annuler l'ensemble des opérations de visites et saisies pratiquées le 22 janvier 2008 dans ses locaux,

Annuler l'enquête de l'Administration et ses suites, à tout le moins en ce qu'elles visent la société Europcar France,

Ordonner la restitution de l'intégralité des pièces saisies, aucune copie ou original ne pouvant être conservé ou utilisé par une autre personne ou autorité que son propriétaire,

A titre subsidiaire,

Vu l'article 267 du TFUE,

Transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle formulée dans les termes suivants :

1. Les principes fondamentaux du droit de l'Union européenne, et notamment le principe des droits de la défense, ont-ils vocation à s'appliquer dans un contentieux national relatif au déroulement d'opérations de visites et saisies dans le cadre d'une enquête de concurrence visant à établir l'existence d'infractions aux articles 101 et/ou 102 du TFUE ?

2. Dans l'affirmative, la saisie et, partant, la prise de connaissance par l'autorité nationale de concurrence de documents couverts par le secret des correspondances entre un avocat et son client constituent-elles une violation des principes précités ?

3. En cas de réponse affirmative à la question 2 ci-dessus, une telle violation des principes fondamentaux du droit de l'Union européenne peut-elle être réparée par la simple restitution des documents saisis ou nécessite-t-elle, comme l'a jugé le Tribunal dans son arrêt Akzo en date du 17 septembre 2007, l'annulation de l'ensemble des opérations de visites et saisies concernées ?

Surseoir à statuer jusqu'à l'arrêt aux termes duquel la Cour de justice de l'Union européenne répondra à cette question préjudicielle,

En tout état de cause,

Condamner le ministre de l'Économie, du Redressement productif et du Numérique aux entiers dépens.

A l'appui de son recours, la société Europcar France invoque comme constitutifs d'une violation irrémédiable de ses droits de la défense :

- la violation de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales résultant du délai déraisonnable dans lequel elle a finalement été mise en mesure d'exercer un recours conforme aux exigences de ladite Convention,

- la destruction par les services d'instruction de l'Autorité de la concurrence d'originaux de pièces ou documents saisis le 22 janvier 2008,

- l'opposition exprimée par les enquêteurs à la présence et à l'assistance de ses avocats dans les locaux perquisitionnés tout au long des opérations,

- la violation par les enquêteurs des règles procédurales encadrant les opérations de visites et saisies qui a entraîné la saisie d'un très grand nombre de documents couverts par la confidentialité des correspondances échangées entre un avocat et son client et, en particulier, de documents ayant permis à l'Administration de disposer d'informations susceptibles d'orienter l'enquête ou d'avoir une influence sur le cours de celle-ci,

- la violation des articles L. 450-4 et R. 450-2 du Code de commerce et 56 du Code de procédure pénale du fait de l'absence d'établissement d'un inventaire régulier des messageries électroniques saisies,

- l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée de vérifier l'authenticité des documents, notamment informatiques, saisis,

- la violation de l'article L. 450-4 du Code de commerce résultant de la saisie par les enquêteurs de très nombreuses pièces qui se situent hors du champ de l'enquête,

- la violation de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales résultant de la saisie par les enquêteurs d'un très grand nombre de documents relatifs à la vie privée de ses salariés.

Par conclusions récapitulatives et en réplique déposées le 10 juin 2014, reprises oralement à l'audience, le ministre de l'Économie, du Redressement productif et du Numérique nous demande de déclarer régulières les opérations de visite et saisies réalisées le 22 janvier 2008 par la DGCCRF, en présence des officiers de police judiciaire, dans les locaux de la société Europcar France, de rejeter en conséquence la demande d'annulation et de restitution des documents formulée par ladite société et de rejeter la demande de transmission de question préjudicielle formulée à titre subsidiaire.

Suivant conclusions du 26 juin 2014, auxquelles il s'est rapporté à l'audience, le Ministère public, estimant pertinente l'analyse formulée par le ministre dans ses observations, conclut au rejet de la requête de la société Europcar France.

Il est expressément référé, pour l'exposé détaillé des moyens des parties, à leurs écritures.

SUR CE,

Sur le troisième moyen d'annulation pris d'une violation grave et manifeste des droits de la défense en raison de l'opposition exprimée par les enquêteurs à la présence et à l'assistance de ses avocats lors du déroulement des opérations de visite et saisies, la société Europcar France observe en premier lieu que le ministre minimise la portée de l'arrêt de renvoi, lequel consacre, d'une part, l'applicabilité et l'invocabilité du droit de l'Union européenne et de la jurisprudence de la Cour de justice, d'autre part, que le respect des droits de la défense implique le droit à une assistance juridique dès le stade de l'enquête préalable, notamment dans le cadre de la procédure de concurrence prévue à l'article L. 450-4 du Code de commerce, ce qui suppose le droit, pour les avocats de l'entreprise, d'accéder aux bureaux visités et de prendre la parole en toutes circonstances aux fins, si nécessaire, de soulever toute contestation utile.

Elle lui reproche ensuite de dénaturer les faits après plus de six années de procédure, alors qu'il avait auparavant admis que ses avocats se sont vus empêcher d'accéder aux bureaux visités et de prendre la parole, circonstances ainsi avérées. Elle estime donc que le ministre ne peut valablement prétendre aujourd'hui, après avoir constamment affirmé le contraire, qu'il ne serait pas établi que tel a été le cas. Elle fait en outre valoir qu'ayant été sommés de demeurer à l'extérieur des bureaux visités et totalement silencieux, ses avocats n'étaient ni en mesure de voir comment se déroulaient les opérations de saisies, ni à même de communiquer convenablement avec leurs clients, ni dans la possibilité dès lors de soulever la moindre contestation utile.

Le ministre, qui rappelle que l'article L. 450-4 du Code de commerce dans sa rédaction en vigueur au moment des faits ne prévoyait pas la possibilité de faire appel à un avocat, indique pour sa part que, pour satisfaire à l'exigence formulée par la Cour de cassation, il convient d'établir matériellement si, comme le soutient la requérante en page 24 de ses conclusions, " les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes se sont opposés tout au long des opérations de visites et saisies, à la présence et à l'assistance des avocats de la société Europcar France " ; qu'en l'espèce cette dernière n'excipe d'aucune réalité tangible.

Il expose en effet, sur le déroulement des faits, que c'est en raison de l'exiguïté des locaux qu'il a été demandé aux conseils de l'entreprise de rester sur le pas de la porte, afin que les enquêteurs et l'officier de police judiciaire puissent se mouvoir dans des espaces restreints ; que, compte tenu de cette exiguïté, il leur était parfaitement possible de voir comment se déroulaient les opérations ; qu'il a également été demandé à plusieurs reprises auxdits conseils de baisser le ton car leurs interventions verbales multiples et intempestives empêchaient les enquêteurs de prêter l'attention nécessaire à l'examen des documents, mais qu'ils n'étaient pas pour autant empêchés de communiquer avec leurs clients. Rappelant le déroulement des visites et saisies, il indique que les avocats de la société étaient présents lors de la sélection définitive des pièces à saisir, de leur inventaire et de leur mise sous scellés et ont d'ailleurs incité l'occupant des lieux à émettre des réserves sur le procès-verbal. Il estime donc que les avocats étaient bien présents et pleinement en mesure d'assurer leur rôle de conseil et d'assistance, ce qu'ils ont fait, de sorte qu'il a été satisfait aux exigences du droit communautaire outre celles du droit national.

Le Ministère public observe pour sa part que la demanderesse au recours, à qui incombe la charge de la preuve, n'établit pas la véracité de son allégation, contestée par l'Administration, selon laquelle elle a été effectivement et concrètement privée de la faculté de faire appel à un conseil de son choix, la réserve apposée en fin de procès-verbal, qui ne constitue pas un élément de celui-ci, étant à cet égard dépourvue de valeur probante.

Il ajoute que l'article L. 450-4 du Code de commerce dans sa rédaction en vigueur à l'époque des faits ne prévoyait pas la présence de l'avocat, de sorte qu'il ne peut être reproché aux fonctionnaires de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de ne pas avoir respecté un texte qui n'existait pas. Il relève en outre que l'arrêt de renvoi ne casse pas l'ordonnance du 31 août 2012 au motif qu'elle aurait validé une visite domiciliaire accomplie hors présence d'un avocat, mais en raison de l'absence de réponse dans l'ordonnance, de sorte qu'il ne peut en être extrapolé un principe de portée générale. Se référant à un arrêt rendu le 3 avril 2013 par la Cour de cassation en matière de perquisition, il estime qu'en tout état de cause, à supposer même établi que les avocats de la société Europcar France aient été effectivement empêchés d'assister à la visite domiciliaire, celle-ci n'étant pas en position d'accusée, il n'aurait pas été porté atteinte au " droit d'avoir une assistance juridique ".

L'article L. 450-4 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008, applicable lors du déroulement des opérations de visite et saisie en cause, ne prévoyait pas la faculté pour l'occupant des lieux ou son représentant de faire appel à un conseil de son choix.

Cependant, selon la jurisprudence de la Cour de justice (CJCE, arrêt du 17 octobre 1989, Dow Chemical Ibérica, 97-87, 98-87, et 99-87) à laquelle se réfère l'arrêt de renvoi, applicable en l'espèce la visite ayant été autorisée en vue de rechercher l'existence de pratiques prohibées notamment par l'article 81-1 du traité CE, le droit d'avoir une assistance juridique doit être respecté dès le stade de l'enquête préalable.

Il en résulte qu'en vertu du principe des droits de la défense, la société objet d'une visite domiciliaire effectuée en application de l'article précité pouvait, nonobstant le silence du texte sur ce point, se faire assister d'un avocat dès le début des opérations, la présence d'officiers de police judiciaire ou la possibilité de saisir le juge des libertés et de la détention ne pouvant y suppléer. Le respect de ce droit implique, ainsi que le soutient justement la société Europcar France, que l'avocat soit placé en mesure d'assurer concrètement et effectivement sa mission d'assistance et de conseil et, partant, autorisé dès son arrivée à accéder aux bureaux visités, à prendre, s'il y a lieu, la parole pour soulever toute contestation utile et à prendre connaissance des pièces et documents avant leur saisie. La seule présence d'un conseil dans les locaux de l'entreprise mais pas dans les lieux visités ne peut dès lors satisfaire à ces exigences.

En l'espèce, il résulte des pièces produites que la société Europcar France s'est, dès le recours formé devant le juge des libertés et de la détention le 26 février 2008, prévalue d'une atteinte à ses droits de la défense en raison de l'opposition manifestée par l'Administration à la présence de ses avocats, d'une part, en lui refusant de les prévenir dès le début de la visite, d'autre part, en refusant à ceux-ci, en définitive avisés par le directeur général de l'entreprise et arrivés sur place, d'accéder aux locaux visités ; qu'elle a précisé qu'ils en ont appelé à l'arbitrage de l'officier de police judiciaire qui a concédé qu'un avocat se tienne à l'entrée des bureaux visités, à condition qu'il reste à l'extérieur du bureau et totalement silencieux et que c'est dans ces conditions que les représentants de la société ont, lors de la clôture des opérations, émis notamment la réserve selon laquelle l'accès aux bureaux visités n'a pas été autorisé aux avocats de l'entreprise.

S'agissant du refus que l'Administration aurait opposé à la société Europcar France de prévenir ses conseils, il a été contesté dès l'origine par le ministre qui a indiqué tant dans ses conclusions devant le juge des libertés et de la détention que dans ses mémoires en défense devant la Cour de cassation et dans ses conclusions devant le premier président statuant sur le premier renvoi après cassation.

Celui-ci indiquait en effet que la représentante de la société " a simplement été informée que, s'ils se présentaient, les conseils de l'entreprise ne seraient pas autorisés à assister aux opérations de visite et de saisie et qu'il était donc inutile de les prévenir ", étant observé qu'il emploie désormais le conditionnel " aurait été informée ".

Les avocats s'étant en définitive présentés dans les locaux de l'entreprise, cette formulation, quel que soit son caractère dissuasif, ne saurait en elle-même constituer une violation des droits de la défense, laquelle doit s'apprécier à compter de leur arrivée sur place.

Il convient en premier lieu de relever que la réserve émise sur le procès-verbal par les représentants de l'entreprise, si elle figure après la signature des officiers de police judiciaire et celle des auteurs du procès-verbal, n'a fait l'objet d'aucune remarque ou contestation de l'Administration avant la présente instance de renvoi. Elle a au demeurant été confirmée par les écritures mêmes du ministre qui indiquait dans ses conclusions devant le juge des libertés et de la détention que " comme la requérante le reconnaît elle-même dans ses écritures, la présence de son conseil a été acceptée mais sous réserve que celui-ci se tienne à l'entrée des bureaux des bureaux visités à condition qu'il reste à l'extérieur du bureau et totalement silencieux ", de sorte que les avocats étaient bien présents pendant les opérations.

Il apparaît ainsi que, même si le ministre citait, sur ce dernier point, les écritures de la société Europcar France, il n'a pas remis en cause la réalité de leur teneur. Il l'a d'ailleurs confirmée dans son premier mémoire en défense du 20 janvier 2010 devant la Cour de cassation (p. 11 et 13), indiquant notamment " c'est donc à bon droit que l'Administration " a effectivement enjoint à ces derniers (les avocats) de rester hors des bureaux et totalement silencieux ", puis " ensuite l'injonction faite aux avocats se justifiait dès lors qu'ils n'avaient pas à être présents sur les lieux, la visite ne s'effectuant qu'en la présence continue de l'occupant des lieux ou de son représentant ".

Le ministre n'a pas davantage remis en cause les indications données par la société Europcar France dans ses conclusions devant la juridiction du premier président statuant dans le cadre du premier renvoi après cassation et dans son mémoire en défense du 11 février 2013 devant la Cour de cassation à la suite du second pourvoi.

Il résulte des conclusions précitées et de celles produites devant nous que la position de l'Administration procédait alors d'une politique parfaitement assumée tendant " à appliquer strictement les dispositions du texte et l'interprétation qui en a été donnée par la Cour de cassation en refusant toute présence de l'avocat " pendant les opérations.

L'argument soulevé pour la première fois devant nous selon lequel il a été demandé aux conseils de rester sur la pas de la porte en raison de l'exiguïté des locaux n'apparaît donc pas crédible, d'autant qu'il concerne l'intégralité des bureaux visités, y compris celui du directeur général de la société. En tout état de cause, à supposer que tel ait été le cas, il incombait aux enquêteurs de prendre toutes dispositions utiles pour que les avocats puissent, dès leur arrivée, assister aux opérations aux côtés de leur client et exercer ainsi pleinement leur mission, une présence sur le pas de la porte étant à cet égard insuffisante.

Il apparaît ainsi, sans qu'il y ait lieu de procéder à l'audition des enquêteurs ou à celle des officiers de police judiciaire, que l'impossibilité des avocats d'accéder aux locaux visités est établie tant par les réserves émises dans le procès-verbal de saisie que par les écritures antérieures du ministre ; quant à l'injonction qui leur a été faite de garder le silence, elle résulte de la reconnaissance qu'en a faite le ministre dans lesdites écritures. Les conseils ne pouvaient dès lors apprécier effectivement le déroulement des opérations et pas davantage communiquer valablement avec leurs clients. A supposer que les avocats de l'entreprise aient été présents aux côtés de leurs clients lors de la sélection définitive des pièces à saisir, de leur inventaire et de la mise sous scellés, ce qui ne résulte nullement des mentions du procès-verbal établi par les enquêteurs qui ne mentionne que la présence des occupants, en tout état de cause, la violation du droit à l'assistance juridique est constituée dès lors que les avocats n'ont pu pénétrer dans les lieux visités et prendre la parole pendant la phase initiale de sélection des documents et, partant, faire toutes observations utiles.

L'atteinte irrémédiable ainsi portée aux droits de la défense de la société Europcar a pour effet de vicier l'ensemble des opérations de visite et saisie. Il convient dès lors, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens d'annulation soulevés, d'annuler les opérations du 22 janvier 2008 et d'ordonner la restitution de l'intégralité des pièces saisies, étant toutefois rappelé qu'en application de l'article L. 450-4, alinéa 12, du Code de commerce dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008, d'application immédiate, les pièces saisies sont conservées jusqu'à ce qu'une décision soit devenue définitive.

L'atteinte précitée ne saurait en revanche justifier, dans le cadre du recours contre le déroulement des opérations de visite et saisie, l'annulation de l'enquête de l'Administration et ses suites.

Par ces motifs, Statuant sur renvoi après cassation de l'ordonnance rendue le 31 août 2012 par le premier président de cette cour, publiquement et contradictoirement, Annulons les opérations de visite et saisie qui se sont déroulées le 22 janvier 2008 dans les locaux de la société Europcar France à Guyancourt, Ordonnons en conséquence la restitution à la société Europcar France de l'intégralité des pièces saisies, aucune copie ou original ne pouvant être conservé ou utilisé par une autre personne ou autorité que son propriétaire, Disons n'y avoir lieu à annulation de l'enquête de l'Administration et ses suites, Condamnons le ministre de l'Économie, du Redressement productif et du Numérique aux entiers dépens.