CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 9 avril 2014, n° 14-03311
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Electricité de France (SA)
Défendeur :
Solairedirect (SA), Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, Directrice Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Coujard
Avocats :
Mes Teytaud, Fisselier, Guibert, Genin
Et après avoir entendu publiquement, à notre audience du 26 mars 2014, l'avocat de la requérante et les représentants de Monsieur le ministre de l'Économie, des finances et de l'industrie et de l'Autorité de la concurrence;
Les débats ayant été clôturés avec l'indication que l'affaire était mise en délibéré au 9 avril 2014 pour prononcer en audience publique, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
Avons rendu l'ordonnance ci-après:
Vu l'assignation délivrée le 13 février 2014 et développées oralement à l'audience, par laquelle la société Electricité de France, au visa des articles L. 464-5 al 2 et R. 464-22 à R. 464-24 du Code de commerce demande :
A titre principal,
Suspendre l'exécution de l'injonction de publication prévue à l'article 5 de la décision de l'Autorité de la concurrence n° 13-D-20 du 17 décembre 2013 jusqu'au prononcé de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris statuant au fond,
A titre subsidiaire,
- suspendre l'injonction de publication du dernier paragraphe du communiqué figurant au point 650 de la décision de l'Autorité de la concurrence jusqu'au prononcé de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris statuant au fond,
A titre plus subsidiaire,
- accorder un délai de 15 jours à compter de l'ordonnance à intervenir pour procéder à la publication prévue, le cas échéant amputée du dernier paragraphe,
En tout état de cause
- condamner l'Autorité de la concurrence à payer la somme de 5 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu les conclusions développées oralement à l'audience par lesquelles la société Solaire Direct
- soulève l'irrecevabilité de la demande
- conclut au maintien de l'injonction de publication
- demande le paiement de la somme de 5 000 euro en application des dispositions de l'article
700 du Code de procédure civile,
Vu les observations de l'Autorité de la concurrence
Après avoir entendu le représentant du ministre de l'économie et des finances
MOTIFS :
Aux termes de l'article L. 464-8 du Code de commerce, les décisions de l'Autorité de la concurrence mentionnées aux articles L. 462-8, L. 464-2, L. 464-3, L. 464-5, L. 464-6, L. 464-6-1 et L. 752-27 sont notifiées aux parties en cause et au ministre chargé de l'Économie, qui peuvent, dans le délai d'un mois, introduire un recours en annulation ou en réformation devant la Cour d'appel de Paris.
Le recours n'est pas suspensif. Toutefois, le premier président de la Cour d'appel de Paris peut ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de la décision si celle-ci est susceptible d'entraîner des conséquences manifestement excessives ou s'il est intervenu, postérieurement à sa notification, des faits nouveaux d'une exceptionnelle gravité.
Sur la recevabilité de la demande
La société Electricité de France verse aux débats une déclaration de recours horodatée par le greffe de la cour qui justifie suffisamment, en l'absence de toute contestation sur ce point, l'existence d'un recours au fond.
Quant aux conclusions de la société Solaire Direct, celles-ci constituent en réalité des demandes de rejet.
La demande de la société Electricité de France est donc recevable.
Au fond
Par sa décision n° 13-D-20 du 17 décembre 2013, relative à des pratiques mises en œuvre par EDF dans le secteur des services destinés à la production d'électricité photovoltaïque, l'Autorité de la concurrence a infligé à EDF deux sanctions, l'une de 9 853 000 euro et l'autre de 3 690 000 euro, outre une obligation de publier, au plus tard le 15 février 2014, un texte figurant au § 650 de la décision, dans les journaux " Les Echos " et " Le Monde ", précisant que cette publication pourrait être suivie de la mention selon laquelle la décision a fait l'objet de recours devant la Cour d'appel de Paris si de tels recours étaient exercés.
La société Electricité de France sollicite le sursis à exécution de l'injonction de faire publier ce texte qui est le suivant:
" Saisie par Solaire Direct, l'Autorité de la concurrence a rendu une décision n°13-D-20 du 17 décembre 2013 par laquelle cite sanctionne EDF à hauteur de 13 543 000 euro, pour avoir mis en œuvre des pratiques anticoncurrentielles sur le marché émergent des services rendus aux particuliers souhaitant devenir producteurs d'électricité solaire photovoltaïque. En effet, EDF a abusé de la position dominante qu'elle détient en tant qu'opérateur historique sur les marchés de la production, de la distribution et de la fourniture d'électricité en mettant en œuvre des pratiques visant à avantager ses filiales EDF ENR puis EDF ENR Solaire sur le marché du photovoltaïque, dans des conditions qui leur donnaient un avantage non reproductible par leurs concurrents.
Historique de la procédure des mesures conservatoires prononcées en 2009
Dans l'attente de sa décision au fond, l'Autorité de la concurrence a prononcé dès 2009 des mesures d'urgences (décision 09-MC-01), en imposant à EDF de mettre fin à certains comportements dénoncés par la plainte.
Des pratiques visant à créer une confusion dans l'esprit des consommateurs sur le rôle des entités du groupe EDF dans la filière photovoltaïque.
Entre novembre 2007 et avril 2009, date du prononcé des mesures conservatoires, EDF à mis en œuvre toute une série d'actions dont l'objectif était de créer une confusion entre, d'une part, l'activité de la société EDF en tant que fournisseur historique d'électricité aux ménages au tarif réglementé et, d'autre part, l'activité de sa filiale EDF ENR sur le marché concurrentiel de l'équipement photovoltaïque.
Ainsi, EDF a assuré la promotion et la commercialisation des offices photovoltaïques de sa filiale EDF ENR en mobilisant l'ensemble des moyens de communication propres à l'opérateur historique :
- en utilisant la marque Bleu Ciel qui est la marque des offices d'EDF à destination des clients résidentiels, et notamment la marque de la fourniture d'électricité au tarif réglementé,
- en mobilisant ses propres agents et l'ensemble des moyens de communication à sa disposition (Lettres Bleu Ciel, factures d'électricité, campagnes publicitaires, site internet, salons et foires) pour orienter les clients vers la plate-forme téléphonique du Conseil Energie Solaire du 3929, destinée à informer les consommateurs tout en assurant la promotion des offres photovoltaïques de la filiale EDF ENR,
- en utilisant pour ce faire la base de données de ses clients obtenue dans le cadre de sa mission historique de fournisseur d'électricité, avantage qui ne pouvait être reproduit par ses concurrents.
EDF a ainsi introduit une confusion dans l'esprit des consommateurs qui ne pouvaient soupçonner que les offres photovoltaïques de sa filiale EDF FAR n'étaient pas des offices de l'opérateur historique, fournisseur d'électricité,
Après avoir rappelé qu'il n'est pas interdit pour un opérateur historique de se diversifier, l'Autorité a précisé que de telles pratiques, qui ont permis à EDF ENR de profiter de l'avantage procuré par l'image de marque et la notoriété d'EDF dans des conditions de concurrence ne relevant pas de la concurrence par les mérites et non accessibles à ses concurrents, sont constitutives d'abus de position dominante.
L'usage de la marque de l'opérateur historique à partir du mois de mai 2009 EDF a renoncé, à partir de cette date, à utiliser ses marques propres et ses moyens de communication pour développer sa filiale. Cependant, elle a maintenu l'usage d'une marque - EDF ENR - et d'un logo dérivés de sa propre marque, bénéficiant toujours ainsi, dans les circonstances particulières de marché qui ont prévalu jusqu'au printemps 2010, d'un avantage concurrentiel non reproductible par ses concurrents.
Le secteur du photovoltaïque : un marché émergent animé par des PME
Les pratiques d'EDF se sont déroulées sur le marché émergent des services rendus aux particuliers souhaitant devenir producteurs d'électricité solaire photovoltaïque, où étaient présents des petites et moyennes entreprises ne disposant pas de marque notoire, ni d'une image de fiabilité à l'instar d'EDF, et qui avaient donc besoin d'engager d'importants investissements pour faire connaître leur marque auprès du public.
Ces pratiques ont donc fait obstacle à toute réelle possibilité de concurrence de la part de ces PME, qui du fait de leurs ressources limitées ne pouvaient répliquer un tel avantage.
N'ayant pu atteindre une taille critique, les entreprises spécialisées dans cette activité ont d'ailleurs toutes disparu en 2010, lors de la crise qui a frappé le secteur en raison des changements réglementaires sur les tarifs de rachat de l'électricité photovoltaïque.
La décision a été notifiée à l'intéressée le 8 janvier 2014.
La société requérante considère que cette obligation de publication entraîne pour elle des conséquences manifestement excessives en ce que le texte à publier n'est ni objectif ni fidèle à la décision dont elle a relevé appel.
Sur la demande de sursis à publication de la totalité du texte
EDF soutient que cette publication est susceptible d'entraîner pour elle des conséquences manifestement excessives en ce que :
- le communiqué comporte des erreurs flagrantes en ce que, contrairement aux affirmations qu'il contient sur la disparition des petites entreprises concurrentes avant 2010, alors que leur pression concurrentielle a toujours été exercée par elles sur EDF ENR et les autres opérateurs de taille équivalente.
- le communiqué fait une présentation partiale des faits en ce qu'il établit un lien direct entre les pratiques incriminées et les difficultés des opérateurs, ce qui ne ressort nullement de la décision qui évoque, au contraire, de multiples facteurs extérieurs aux pratiques incriminées, ayant entraîné ces difficultés et un dommage " limité " voire " très limité " à l'économie.
- ces erreurs manifestes et cette absence d'objectivité entraînent des conséquences manifestement excessives pour elle en ce qu'elles ont provoqué une demande indemnitaire purement opportuniste et lui font encourir un risque précis et concret.
Mais s'il est incontestable qu'un résumé de quelques dizaines de lignes résumant une décision de 113 pages contient nécessairement des imprécisions, encore faut-il démontrer que celles-ci trahissent le contenu de la décision et soient susceptibles d'entraîner les conséquences manifestement excessives invoquées.
Tel n'est pas le cas de l'espèce. En effet, la disparition des petites entreprises concurrentes avant 2010 évoquées dans ce texte, ne signifie pas nécessairement leur liquidation, mais peut signifier, comme l'affirme l'Autorité de la concurrence, qu'elles ont disparu du marché concurrentiel de la production photovoltaïque avant cette date, et pour des raisons dont la cause exclusive ne réside par dans les pratiques anti-concurrentielles observées, ce qui résulte des § 531, 539 et 589 de la décision qui précisent successivement :
- Il convient donc d'examiner les effets potentiels de cette pratique sur le marché, il a été montré ci-dessus, aux paragraphes 394 à 432 ci-dessous que les caractéristiques du marché en 2009 sont susceptibles de générer l'émergence d'effets anticoncurrentiels, au moins potentiels, du fait de l'usage de la marque de l'opérateur historique. Au nombre de ces caractéristiques figurent la présence d'EDF sur un métier très proche de son marché d'origine, sur lequel il détient une position de quasi-monopole, le caractère émergent de ce marché, sur lequel la demande émane de particuliers vulnérables ayant besoin d'être rassurés par une marque forte, avantage qui ne peut être répliqué par l'offre concurrente composée de PME récentes et sans partenaires industriels identifiables.
- La sortie du marché de l'ensemble de ces acteurs, si elle n'est pas due uniquement à l'usage de la marque de la maison mère par la filiale de diversification, a néanmoins été facilitée par celle-ci. L'usage de la marque a eu pour effet de réduire la clientèle potentielle des concurrents d 'EDF ENR à un stade de développement du marché où l'acquisition de cette clientèle était importante pour leur rentabilité, leur réputation, et donc leur survie dans un contexte du marché devenu très difficile.
- Le secteur se caractérise par l'atomicité de l'offre et la prépondérance d'acteurs de petite taille, dont l'implantation et la zone d'intervention sont limitées géographiquement. L'essentiel de l'offre était constitué de petites et moyennes entreprises aux marges faibles et à la clientèle limitée. Ces entreprises étaient d'autant plus fragiles qu'à l'inverse d'EDF, elles ne disposaient pas d'une forte notoriété et avaient donc besoin d'engager d'importants investissements de départ pour capter la clientèle et atteindre une taille suffisante pour perdurer sur le marché et affronter des aléas tels que la crise qui a touché le secteur photovoltaïque à partir de 2010.
Il en résulte que l'imprécision reconnue du texte à éditer ne saurait avoir dégénéré en une trahison de la décision, susceptible d'entraîner les conséquences manifestement excessives évoquées.
D'autre part, la décision de l'Autorité de la concurrence est déjà publiée sur son site et l'existence d'un recours pendant a été expressément prévue, ce qui ôte tout caractère manifestement excessif aux conséquences induites par cette publication.
Quand à la partialité du texte, dès lors qu'il ne trahit pas le fond de la décision déférée par ailleurs, ce moyen constitue le cœur du recours au fond qui sera examiné par ailleurs, et ne saurait relever de la compétence du premier président de la Cour d'appel de Paris.
Sur la demande de sursis à publication du dernier paragraphe du texte
Le texte : " ces pratiques ont donc fait obstacle à toute réelle possibilité de concurrence de la part de ces PME, qui du fait de leurs ressources limitées ne pouvaient répliquer un tel avantage. N'ayant pu atteindre une toute critique, les entreprises spécialisées dans cette activité ont d'ailleurs toutes disparu en 2010, lors de la crise qui a frappé le secteur en raison des changements réglementaires sur les tarifs de rachat de l'électricité photovoltaïque" contient tous les éléments relevés dans les moyens de la demande principale qui sont rejetés. II ne saurait, en conséquence, et pour les mêmes motifs, être fait droit à cette demande subsidiaire.
Sur la demande de délai
Compte tenu de la date tardive de l'assignation, délivrée deux jours avant l'expiration du délai de publication, il n'y a pas lieu de faire davantage droit à cette demande.
Par ces motifs, Déclare la société Electricité de France recevable en sa demande, L'en déboute, Condamne la société Electricité de France à payer la somme de 2 000 euro à la société Solaire Direct en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Electricité de France aux dépens de l'instance.