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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 15 mai 2015, n° 2014-05554

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Les Editions P. Amaury (SA)

Défendeur :

10 Medias (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Remenieras

Conseillers :

Mmes Leroy, Michel-Amsellem, Avocat Général : Me Guidoni

Avocats :

Mes Autier, Gunther, Maisonneuve, Cavezian, Aarpi Bonnely Levy Pelit-Jumel Avocat

CA Paris n° 2014-05554

15 mai 2015

L'Autorité de la concurrence (l'ADLC) a été saisie, le 10 décembre 2008, par la société Le journal du sport, devenue la société 10 Médias, de pratiques mises en œuvre par la société Editions Philippe Amaury (la société EPA), société éditrice du journal l'Equipe, sur le marché de la presse quotidienne nationale d'information sportive.

La société plaignante exposait dans sa saisine qu'en même temps qu'elle lançait sur le marché le journal intitulé Le 10Sport.com, la société EPA a fait de même avec un journal intitulé Aujourd'hui Sport, dans le but de protéger la position occupée par le journal l'Equipe en évinçant Le 10Sport.com du marché.

Par ordonnance du 12 mai 2009, le juge des libertés et de la détention du TGI de Bobigny a autorisé l''ADLC a procédé à des opérations de visite et saisie dans les locaux de plusieurs entreprises du groupe de sociétés Amaury, situées en Seine-Saint-Denis et dans le département des Hauts-de-Seine, sur commission rogatoire donnée au juge des libertés et de la détention du TGI de Nanterre. Le 17 juin 2010, la cour d'appel de Paris, statuant sur un recours des sociétés du groupe Amaury, a annulé les ordonnances du juge des libertés et de la détention du TGI de Bobigny et du TGI de Nanterre, ordonnance cassée et annulée en toutes ses dispositions par un arrêt du 11 janvier 2012 de la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui a renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Paris. Le 31 août 2012, cette cour a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du TGI de Bobigny du 12 mai 2009, ainsi que celle du juge des libertés et de la détention du TGI de Nanterre du 13 mai 2009. Cette ordonnance est devenue définitive à la suite du rejet du pourvoi formé par les sociétés du groupe Amaury, par un arrêt du 11 décembre 2013 de la Cour de cassation.

À la suite de l'enquête qui a été diligentée, la rapporteure générale de l'Autorité a adressé une notification d'un grief à la société EPA. Il lui était reproché d'avoir " abusé de sa position dominante sur le marché du lectorat de la presse quotidienne d'information sportive française avec son quotidien sportif L'Equipe, en mettant sur le marché de la presse quotidienne sportive, entre septembre 2002 et juin 2009, un quotidien au bas prix à vocation éphémère, Aujourd'hui Sport, concomitamment à l'entrée du quotidien au bas prix, Le10sport.com, dans le seul but de réduire la ressource sur laquelle pouvait s'appuyer Le10Sport.com pour se développer et ce, afin de le contraindre à sortir du marché. Cette pratique, qui avait pour but de défendre le monopole de L'Equipe, a nécessité un sacrifice financier évitable de la part du Groupe Amaury, sacrifice lié non seulement aux coûts de lancement et de fonctionnement d'Aujourd'hui Sport, mais également à un effet de cannibalisation se traduisant par le détournement d'une partie des lecteurs des autres titres principalement sportifs du Groupe Amaury.

Outre l'éviction réussie du 10Sport.com, cette pratique a eu pour effet probable de discipliner les futurs entrants potentiels sur le marché de la presse quotidienne d'information sportive.

Cette pratique avait pour objet et a eu pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché de la presse quotidienne d'information sportive. Elle est prohibée par les articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 TFUE ".

À la suite de la séance contradictoire qui s'est tenue le 18 décembre 2013, l'Autorité a rendu sa décision le 20 février 2014, par laquelle elle a considéré qu'il était établi que la société EPA avait mis en œuvre une pratique d'éviction du quotidien Le 10Sport.com du marché du lectorat de la presse quotidienne nationale d'information sportive, pratique prohibée par les articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE. Elle a par ailleurs considéré que seule cette pratique, parmi l'ensemble de celles dénoncées par la plainte, était constituée.

Elle a infligé à ce titre à la société EPA une sanction pécuniaire de 3 514 000 euro et lui a enjoint de publier un texte résumant la décision dans les journaux l'Equipe et Le Figaro.

LA COUR

Vu le recours en annulation et en réformation déposé au greffe de la cour le 13 mars 2014 par la société Les Editions P. Amaury contre cette décision;

Vu les mémoires exposant ses moyens à l'appui du recours déposés au greffe de la cour par la société Les Editions P. Amaury le 2 mai 2014 et ses conclusions récapitulatives déposées au greffe de la Cour le 8 janvier 2015 ;

Vu les conclusions déposées au greffe de la cour par la société 10 Médias le 19 juin 2014;

Vu les observations déposées au greffe de la cour par le Ministre chargé de l'économie le 28 octobre 2014;

Vu les observations déposées au greffe de la cour par l'Autorité de la concurrence le 29 octobre 2014;

Vu les observations du Ministère public déposées au greffe de la Cour le 6 février 2015;

Après avoir entendu à l'audience publique du 12 février 2015, le conseil de la société Les éditions P. Amaury, qui a été mis en mesure de répliquer et a eu la parole en dernier, le conseil de la société 10 Médias, ainsi que le représentant de l'Autorité de la concurrence, et le ministère public;

SUR CE

Sur l'applicabilité du droit de l'Union

A titre liminaire la cour relève que la société requérante ne conteste pas les développements pertinents de la décision dont il ressort que les pratiques en cause sont susceptibles d'affecter de façon sensible le commerce entre Etats membres et qu'elles doivent, par conséquent, être analysées au regard des règles de concurrence de l'union (article 102 du TFUE) et nationales (article L.420-2 du Code de commerce).

Sur le marché pertinent

La société EPA conteste le bien-fondé de l'analyse par laquelle l'Autorité de la concurrence a défini le marché pertinent comme étant celui du lectorat de la presse écrite quotidienne nationale d'information sportive, distinct des autres médias gratuits, comme Internet, notamment, ou avec les autres types de presse,

Elle soutient à ce sujet que l'Autorité de la concurrence a nié l'évolution du contexte concurrentiel auquel est confronté le journal l'Équipe, et qu'elle n'a pas respecté la nécessité de se placer du point de vue de la demande pour déterminer le marché pertinent.

Ainsi que l'a rappelé la Commission européenne dans sa communication sur la définition de marché, n° 97/C 372/03 du 9 décembre 1997, le marché de produits " (...) comprend tous les produits et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l'usage auquel ils sont destinés. " (JOCE C 372 du 9 décembre 1997, p. 5, point 7).

Il n'est, par ailleurs, comme le précise cette communication aux points 15 à 17, pas nécessaire pour circonscrire un marché de constater une insubstituabilité totale ou absolue entre des produits ou services, mais il convient de déterminer si la concurrence apportée par ceux qui pourraient être ajoutés au périmètre du marché est de nature à " (..) influer à court terme suffisamment, y compris en la limitant, sur la stratégie des parties en matière de fixation de prix "

Contrairement à ce que soutient la société EPA, l'Autorité n'a pas, dans sa démarche d'analyse, négligé d'examiner la demande, puisqu'outre les critères de caractéristiques physiques, de prix et d'usage, elle a relevé, notamment, que les quotidiens d'information générale, les quotidiens économiques et financiers et les quotidiens sportifs répondent à des besoins différents des consommateurs et ne sont pas substituables. Elle précise aussi que si certains quotidiens nationaux d'information générale comprennent des pages d'information sportives, celles-ci étaient incomparables au quotidien l'Equipe qui offre aux lecteurs une analyse plus approfondie et plus variée de l'actualité sportive (Paragraphes 183 et 184). Elle a enfin estimé, s'agissant de la question de savoir s'il existait un marché plurimédia, que les éléments produits étaient insuffisants à démontrer l'existence d'un seul marché et conclu qu' "en définitive la presse quotidienne nationale d'information sportive, et L'Equipe en particulier, n'est pas soumise à la concurrence par les prix des médias gratuits et ceci révèle, qu'à l'époque des pratiques alléguées, les lecteurs ne considéraient pas ces deux types de produits comme des moyens d'information alternatifs entre lesquels ils pouvaient arbitrer pour satisfaire une même demande " (Paragraphe 193).

La société EPA fait valoir que plusieurs études qu'elle a produites devant l'Autorité et qu'elle présente à nouveau devant la cour montrent que depuis les années 2000, la presse écrite est évaluée dans un contexte concurrentiel qui comprend l'ensemble des medias et notamment le numérique, ce qui démontre la substituabilité qui s'est instaurée entre les quotidiens payants et les nouveaux moyens d'accès à l'information qui se sont développés durant les dernières années.

Il est certain que l'environnement de la presse écrite s'est considérablement modifié au cours des dernières années avec l'émergence d'Internet, la création de nouveaux réseaux de communication et l'apparition de nouveaux supports. Il n'est pas contestable que ces évolutions ont conduit des modifications dans les habitudes des consommateurs et il convient d'examiner s'il ressort des études produites par la société requérante qu'en 2008, le marché de la presse quotidienne nationale d'information sportive avait évolué pour devenir un marché multimédia, comme elle le soutient.

À ce titre, la cour relève, d'une part, que s'il ressort du rapport "La presse au défi du numérique " remis en 2007 par M. Marc Tessier au Ministre de la culture et de la Communication que les consommateurs arbitrent au sein du temps qu'ils consacrent à l'information sportive entre les différents médias, à savoir la presse, Internet, la radio, la télévision et les applications mobiles, ce rapport n'en conclut pas que les medias numériques soient substituables à la presse d'information sportive. Celui-ci relève d'ailleurs que "(...) Malgré les avantages et les nouvelles opportunités offertes par Internet, la presse écrite conserve encore des avantages certains : confort et souplesse de lecture, mobilité (...) Capacité d'analyse, de recul et de mise en perspective (...)".

À l'inverse, il résulte des études produites que, comme l'a d'ailleurs relevé l'Autorité de la concurrence, les médias numériques sont considérés par les consommateurs intéressés par l'information sportive comme étant complémentaires de la presse écrite et que les organes de presse se sont, dans leur grande majorité, dotés d'une version Internet des journaux qu'ils diffusent.

Par ailleurs, il ne peut être tiré la conclusion d'une substituabilité entre la télévision ou les chaînes, sportives en continu et le journal l'Equipe de ce qu'en 2007 les hommes, lecteurs de l'Equipe, étaient 66 % à regarder des émissions sportives et 40 % à regarder régulièrement des chaînes d'information en continu, mais seulement que ces personnes consultaient tous les médias traitant de sujets sportifs.

S'agissant de l'enquête auprès du panel l'Équipe sur l'achat et l'image du titre, invoquée par la société EPA, il convient de relever que la page consacrée à la méthodologie précise que " l'échantillon de personnes interrogées n'est pas représentatif de l'ensemble de nos lecteurs ", notamment, en ce que ces personnes " sont toutes internautes et achètent régulièrement l'Equipe, pour la plupart. (...) ", ce qui conduit à considérer que, comme l'a indiqué l'Autorité, cette étude n'est pas représentative dans le cadre de l'interrogation sur le point de savoir si l'information diffusée par le journal papier peut être substituée par une information obtenue au moyen d'Internet, puisque les personnes interrogées sont précisément internautes et lisent concurremment l'Equipe. Néanmoins, cette étude précise sous l'en tête " Les raisons d'acheter moins souvent l'Equipe " qu'à 83 % en 2007 et 73 % en 2009 les personnes consultent le site internet de l'Equipe ce qui montre la complémentarité des deux produits et non leur substituabilité. Cette étude permet, de plus, de constater une baisse importante entre 2007 et 2009 des personnes ayant répondu qu' " Un autre site Internet parfois suffit " (49 3/4 en 2009 pour 60 % en 2007) et que cette baisse concerne aussi la réponse selon laquelle " il suffit parfois de regarder la télévision ou d'écouter la radio " (43 % en 2009 pour 51 % en 2007). Par ailleurs, la cour observe que les deux réponses proposées dans l'étude utilisent le terme " parfois" ce qui contribue à amoindrir l'idée d'une substituabilité des produits. Ainsi, étant rappelé que cette étude concerne des personnes qui sont toutes internautes et lisent l'Equipe en version papier ou internet, elle permet bien de constater que les autres médias d'information sportive constituent un complément mais pas une alternative.

Dans ce contexte, le fait qu'entre les années 2004 et 2008, les ventes de l'Équipe aient baissé, tandis que la consultation des sites d'information sportive augmentait considérablement, ainsi que le démontre le graphique produit par la société EPA, n'apporte pas d'informations suffisantes pour affirmer que les consommateurs ont considéré que la consultation des sites remplaçait la lecture du journal. En effet, ce graphique permet de constater que tandis que la consultation mensuelle des sites internet d'information sportive augmentait de 2004 à 2006 d'environ 50 % (de 3 à 6 millions), la diffusion mensuelle du journal l'Équipe restait quasiment stable (9 millions) et que tandis que la consultation mensuelle des sites Internet d'information sportive augmentait de 2006 à 2008 de plus de 45 3/4 (de 6 à 10,5 %), la diffusion mensuelle de l'Equipe baissait de moins de 11 % (9 à 8 millions).

Contrairement à ce que soutient la société EPA, il ressort de l'ensemble de ces éléments qu'alors qu'existaient déjà en 2008, par le biais de la télévision, de la radio ou d'Internet de nombreux moyens d'accès plus ou moins gratuits à une information sportive actualisée en temps réel, le quotidien l'Équipe a continué à se vendre, sans avoir à réduire son prix, ce qui n'est pas contesté, et sans connaître de diminution notable de son lectorat. Ce constat conduit à considérer qu'il existait alors bien une demande spécifique pour une presse quotidienne nationale d'information sportive ainsi qu'une offre correspondante, celle du quotidien l'Equipe, et donc un marché pertinent de la presse quotidienne nationale d'information sportive. C'est en conséquence à juste titre que l'Autorité a rejeté les arguments développés par la société requérante pour tenter de démontrer qu'en raison des évolutions de la demande, le marché devait faire l'objet d'une analyse différente de celle effectuée dans des affaires précédentes, qu'elles soient relatives à des pratiques anticoncurrentielles ou à des projets de concentration.

Par ailleurs, la société EPA oppose vainement que dès lors que le journal l'Équipe ne peut être diffusé gratuitement, la pression concurrentielle ne peut se traduire par une baisse de prix mais se constate sur les quantités effectivement vendues. Au contraire, l'absence de toute réaction sur les prix ou la qualité de l'offre présentée, qui n'est en l'espèce pas prétendue et encore moins démontrée, d'un opérateur sur un marché, alors qu'il est confronté à une offre concurrente gratuite, ne peut que renforcer la conclusion de l'Autorité de la concurrence selon laquelle il n'est pas démontré que l'offre d'information sportive par des médias alternatifs à la presse écrite exerçait une pression concurrentielle suffisante pour inclure l'ensemble des offres d'information sportive dans un seul et même marché. De plus, et compte tenu de l'ensemble des éléments précédemment relevés, la société requérante oppose tout aussi vainement que les stratégies multimédias développées par les groupes actifs sur le secteur audiovisuel de l'information sportive comme NextRadioTV, TF1, Canal Plus, ou Lagardère, démontrent que le marché serait de dimension pluri-média, puisqu'aucun de ces groupes, tous acteurs importants en matière d'information sportive, n'a créé de journal quotidien national d'information sportive qui serait de nature à offrir une offre alternative au journal l'Equipe et n'avait, en 2008, tenté de le faire.

Enfin, si la presse quotidienne régionale (la PQR) diffuse, elle aussi, des informations sportives à caractère national et régional, cette information ne peut, ne serait-ce que pour des raisons d'espace, être aussi exhaustive et approfondie que l'est celle qu'offre le quotidien l'Équipe dont le seul objet est l'information sportive et qui, s'adressant à tous les amateurs de sport, se doit de donner des informations non seulement sur les disciplines les plus populaires ou celles qui font l'actualité, mais aussi sur celles qui sont moins suivies. C'est à juste titre que l'Autorité a retenu sur ce point que le lectorat de l'Equipe ne peut trouver dans la PQR une information suffisamment comparable en qualité et en exhaustivité pour être en mesure de considérer de manière générale ces médias comme des substituts proches. Le fait qu'à l'occasion d'un événement sportif d'ampleur nationale on puisse constater une progression des ventes, tant de l'Equipe que du journal de la région dans laquelle est implantée l'équipe gagnante de l'épreuve, ne démontre aucunement une substituabilité entre les deux organes de presse, car elle ne témoigne pas d'un report des lecteurs de l'Equipe pour le journal régional. Il en va de même de la proximité de la typologie du lectorat.

Par ailleurs, les données chiffrées produites par la société EPA démontrent que parmi les personnes qui déclarent s'intéresser de façon régulière à l'actualité sportive, s'opère une répartition entre la lecture des pages sport d'un quotidien régional ou national, ou du quotidien l'Equipe ou encore d'autres quotidiens ou magazines. Cependant, les lecteurs de l'Equipe sont des personnes qui au-delà de suivre l'actualité sportive, ont un intérêt spécifique pour le sport qui les conduit à acquérir un quotidien spécialisé et il n'est pas démontré par ces études que ces personnes estiment que la lecture de la PQR suffise à les informer ou que les personnes qui lisent les pages sports de la PQR s'estiment aussi bien informées par la lecture de ces pages que par celles de l'Equipe. Ces données chiffrées ne rapportent donc ni la preuve, ni un indice qui pourrait être conforté par d'autres éléments du dossier, que les pages sport de la PQR serait interchangeables avec le quotidien l'Equipe.

Il se déduit de l'ensemble de ce qui précède que c'est par une juste appréciation des éléments du dossier et par une exacte motivation que la cour adopte pour le surplus, que l'Autorité de la concurrence a estimé que le marché pertinent était en l'espèce et à la date des pratiques reprochées, celui du lectorat de la presse quotidienne nationale d'information sportive et que ce marché était de dimension nationale. Les moyens de la société EPA sur ce point doivent donc être rejetés.

La position du groupe Amaury sur le marché

L'existence d'une position dominante correspond à une situation de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause, en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants, dans une mesure appréciable à l'égard de ses concurrents et de ses clients.

Ainsi que l'a retenu l'Autorité dans sa décision critiquée, l'Équipe était en 2008 le seul titre disponible sur le marché de la presse quotidienne nationale d'information sportive et se trouvait donc en monopole depuis 1948, soit depuis cinquante ans. Cette situation caractérise un indice fort de position dominante.

Par ailleurs, quand bien même la société EPA aurait-elle été, ainsi qu'elle le soutient, soumise à une pression concurrentielle provenant des supports gratuits d'information sportive ou des contraintes issues du marché publicitaire, il n'en demeure pas moins que ces pressions ne l'ont pas conduite à diminuer son prix de diffusion, ce qui témoigne de ce qu'elle pouvait se comporter de façon indépendante de ces pressions sur le marché concerné. Cette analyse est confortée par le constat que pendant la courte période de novembre 2008 durant laquelle le journal l'Equipe a été concurrencé par les deux quotidiens à bas prix, le 10.Sport.com et Aujourd'hui sport, son prix est aussi demeuré le même. Le fait que le journal ait pu perdre une part de son lectorat entre 2004 et 2010 doit être relativisé puisque, ainsi qu'il a été rappelé précédemment, il ressort des données produites par la société requérante que de 2004 à 2006, la diffusion mensuelle du journal l'Equipe est restée quasiment stable (9 millions) et que tandis que la consultation mensuelle des sites internet d'information sportive augmentait de 2006 à 2008 de plus de 45 % (de 6 à 10,5 %), la diffusion mensuelle de l'Equipe a baissé de moins de 11 % (9 à 8 millions).

Enfin, quand bien même les opérateurs audiovisuels cités dans les développements précédents aient été en mesure de procéder à l'investissement requis pour le lancement d'un nouveau titre sur le marché, il n'est pas contestable qu'un tel coût, évalué sans contestation de la requérante sur ce point, à sept millions d'euro, était objectivement important et suffisamment élevé pour être dissuasif et constituer une barrière à l'entrée du marché en cause. Ceci d'autant plus que le secteur de la presse écrite connaît des difficultés financières reconnues et invoquées à plusieurs reprises par la requérante.

Il s'ensuit que les moyens de la société EPA sur l'absence de position dominante doivent être rejetés.

Sur les pratiques

Ainsi que l'a rappelé l'Autorité de la concurrence, l'occupation d'une position dominante impose à l'entreprise concernée une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée sur le marché intérieur de l'Union (CJCE, Michelin/Commission, C-322/81, Rec. P. 3461 point 57 et France Télécom/Commission, 2 avril 2009, C-202/07 P, Rec. p, 1-2369, point 105).

L'exploitation abusive est " une notion objective qui vise les comportements d'une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d'un marché où, à la suite précisément de la présence de l'entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faite obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence " (CJCE, 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461 ; 17 février 2011, TeliaSonera, C-52/09, Rec. p, I-527, point 27). Dans ce cadre, si l'existence d'une position dominante ne prive pas une entreprise placée dans cette position du droit de préserver ses propres intérêts commerciaux, lorsque ceux-ci sont menacés, et si cette entreprise a la faculté, dans une mesure raisonnable, d'accomplir les actes qu'elle juge appropriés en vue de protéger ses intérêts, on ne peut, cependant, admettre de tels comportements lorsqu'ils ont pour objet d'exploiter de manière abusive cette position dominante (CJCE, 14 février 1978, United Brands/Commission, C-27/76, Rec. p. 207, point 189 ;Tribunal, 1er avril 1993, BPB Industries et British Gypsum/Commission, T-65/89, point 69 et 8 octobre 1996, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, T-24/93 à T-26/93 et T-28/93, point [07).

En l'espèce, l'Autorité de la concurrence a, pour qualifier la pratique d'abus de position dominante, retenu qu'il était démontré que la société EPA avait eu un objectif d'éviction du nouvel entrant sur le marché, qu'elle avait dans cet objectif adopté une stratégie qui n'était pas rationnelle sur le plan économique et lancé simultanément à la première parution du 10Sport.com un quotidien similaire, lequel avait eu une vocation éphémère et avait eu pour effet la sortie du marché du quotidien 10Sport.com.

La société EPA conteste cette analyse.

L'objectif d'éviction

L'Autorité a déduit des termes de la présentation du plan " Shangaï " du 28 septembre 2008, d'une note du directeur général adjoint du Parisien et d'un extrait de la présentation de la quatrième réunion "Shangai" du 14 octobre 2010, que la riposte de la société EPA à l'annonce de l'arrivée d'un nouveau concurrent sur le marché de la presse quotidienne d'information sportive, avait été d'évincer celui-ci de ce marché.

Il y a lieu de rappeler sur ce point que la preuve de la mise en œuvre de pratiques anticoncurrentielles peut être rapportée par la réunion d'un faisceau d'indices précis, graves et concordants. Il est en conséquence, et contrairement à ce que soutient la requérante, sans portée que les documents sur lesquels s'appuie l'Autorité de la concurrence pour démontrer l'existence d'un objectif anticoncurrentiel n'émanent pas des organes décisionnaires de la société, dès lors qu'ils sont de nature à constituer un tel faisceau d'indices.

Il n'est à ce sujet pas question de savoir si la société EPA est " engagée " par la position exprimée par le directeur général adjoint commercial du Parisien, mais de savoir si la mention manuscrite inscrite de sa main dans un cahier de notes constitue un indice susceptible de conforter d'autres éléments du dossier.

Par ailleurs, il résulte du procès-verbal d'audition du directeur général délégué du groupe Amaury que la décision de lancement d'Aujourd'hui Sport a été prise au sein du groupe. En effet, il indique que c'est lui qui a "(...) eu l'idée de lancer Aujourd'hui Sport " (cote NC n°15 587) et que la décision a été prise en réaction à l'arrivée d' " une concurrence très lourde" compte tenu des personnalités portant le projet concurrent. Le procès-verbal du comité d'entreprise extraordinaire du 8 octobre 2008, au cours duquel la direction du groupe a annoncé au personnel le lancement du nouveau quotidien confirme cette analyse. Il a en effet été indiqué dès l'introduction de la réunion que ce projet était celui du Groupe Amaury et que " (...) Celui-ci nécessite l'énergie et le soutien de l'ensemble du groupe. C'est d'ailleurs pour cela que nous avons constitué depuis hier une équipe plurifiliale du groupe". Il est donc sans portée que les indices retenus émanent de l'une ou l'autre des sociétés du groupe dès lors qu'ils traduisent l'objectif conçu et réalisé en commun, porté par la société EPA.

En l'espèce, si comme l'indique la société EPA, le document intitulé " Projet de modernisation - Elaboration de scénarios - CR de la réunion du 10-12 " comporte seulement la marque du Parisien et est établi par l'agence de communication "belle aventure", il n'en demeure pas moins que cette pièce, qui est un compte rendu de réunion, comporte une page qui, sous le titre "Scenario 2 - Solutions ", indique sous l'encart "nouveau concurrent dans la presse quotidienne" - ce qui correspond à la situation à laquelle étaient confrontées les sociétés du groupe Amaury à cette période - les mentions suivantes "trouver les outils tactiques, soit pour l'empêcher de se développer soit pour occuper la place qu'il veut occuper ...", puis " montrer que nous avons la détermination pour tuer leur projet (...) ".

À ces mentions doivent être ajoutées celles figurant dans les documents de présentation du projet Shangaï. Le premier, sous le titre " Réflexions", indique, notamment, que " Le projet "10" donne l'impression de jouer pour voir (...) Avec capacité à vite arrêter tes frais" "Avoir, une réaction forte/Intense/Rapide 'Blitz" VS 'guerre de tranchées" ". Le second énonce dès la première page " Objectif : Mettre en échec 10 Sport". L'ensemble de ces mentions qui répètent le même objectif consistant à empêcher rapidement le projet concurrent de se développer afin de le " mettre en échec " ou de "le tuer ", ainsi que l'a repris le directeur général du Parisien dans ses notes manuscrites, démontrent, comme l'a retenu à juste titre l'Autorité, que les sociétés du groupe Amaury ont recherché des solutions de réaction à l'apparition du quotidien Le 10Sport et que leur objectif était d'éliminer leur concurrent rapidement. Ce que confirme encore une note manuscrite du directeur général adjoint du Parisien datée du 29 avril 2008 selon laquelle " Objectif de contrer Moulin [L'un des financiers du projet Le10Sport com] a été réalisé".

La rationalité économique du lancement d'Aujourd'hui Sport

La décision critiquée a retenu qu'il résultait des tableaux chiffrés recueillis dans le cadre de l'instruction que les sociétés du groupe Amaury avaient envisagé trois solutions de riposte auxquelles étaient associés les coûts correspondants et désignées de la façon suivante : Scénario S0 " Pas de riposte ", Scénario S1 "Lancement Z " qui correspond au lancement d'un nouveau quotidien portant dans les tableaux le nom de code " Z " et Scénario S2 " Vaisseau Amiral ".

Pour chacune des solutions a été examinée le coût global dans une hypothèse favorable et dans une hypothèse défavorable.

Selon la décision, l'analyse des éléments chiffrés conduit à la conclusion que dans l'hypothèse défavorable, la meilleure réponse pour le groupe Amaury consistait à ne pas riposter, puisque dans ce cas de figure, il accusait les pertes les moins élevées cumulées sur 14 mois (perte de 10,4 millions d'euro contre une perte de 13,4 millions d'euro en cas de lancement d'un nouveau quotidien). Le surcoût net, c'est-à-dire le sacrifice de profit sur 14 mois engendré par la riposte, s'élevait à 3 millions d'euro pour le lancement du nouveau quotidien. Dans l'hypothèse favorable, la meilleure réponse pour le groupe Amaury consistait à choisir le scénario S2 (c'est-à-dire améliorer L'Équipe) puisque la sortie du nouveau quotidien "Z " était le scénario le plus coûteux engendrant un surcoût net de 1,8 millions d'euro par rapport au statu quo (scénario SO) et de 4,9 millions d'euro par rapport la refonte de l'Equipe.

La société EPA précise que la décision de lancer un nouveau titre a été prise très rapidement par le directeur général du groupe, ce qui explique que tous les éléments ayant compté pour la prise de décision n'aient pas été détaillés dans des écrits. Elle ne conteste pas que les tableaux de chiffrages détaillés dans la décision aient été considérés, mais elle fait valoir que ces tableaux n'ont pas été les seuls éléments l'ayant conduite à opter pour la création d'un nouveau titre. Elle ajoute que ceux-ci ont été le résultat d'un travail très préliminaire qu'ils sont imprécis et ne permettaient pas de prendre une décision éclairée. Elle précise qu'elle se trouvait, lors du choix qui lui est reproché, dans une incertitude concernant l'importance de la demande et que cet élément essentiel à sa prise de décision a été négligé par l'Autorité.

Cependant, la société requérante n'apporte aucun élément, autre qu'une interprétation différente de la rationalité de son choix économique, qui sera examinée ci-dessous, qui permettrait d'étayer son affirmation selon laquelle elle aurait pris en compte d'autres éléments que ceux résultant des tableaux de chiffrage figurant au dossier. Par ailleurs, si ceux-ci sont effectivement sommaires, ce qui s'explique par le court délai dans lequel ils ont été élaborés, ils sont néanmoins étayés par les données chiffrées d'une " étude de sensibilité au point mort de 10 Sports ", d'estimations chiffrées de diffusion, des différents coûts supportés par le 10Sports, pour ensuite calculer les hypothèses favorables et défavorables des ripostes susceptibles d'être apportées. Ils ne sauraient donc être considérés comme insuffisamment renseignés pour une prise de décision éclairée. Enfin, si l'incertitude résultant de l'importance de la demande ne doit pas être négligée dans l'analyse faite du choix de stratégie, iI convient toutefois de relever que cette donnée était nécessairement prévue dans le chiffrage des hypothèses favorable et défavorable qui, à ce stade préliminaire, donnaient une mesure de l'impact de variabilité de la demande.

La société EPA conteste cette analyse. Elle indique qu'elle avait mené, via Le Parisien, des réflexions approfondies sur un éventuel nouveau quotidien généraliste populaire à bas prix et travaillé, également côté Parisien, à une nouvelle publication sportive, pouvant être autonome ou être un supplément au Parisien et, enfin, avoir sérieusement étudié le passage du quotidien sportif L'Equipe sous format tabloïd. Elle précise que, dans ce contexte, l'annonce de la sortie d'un nouveau quotidien par des acteurs crédibles du marché lui a donné un signal de fort de l'existence d'une demande potentielle et que compte tenu de l'ensemble de ces circonstances, le choix de publier elle-même un quotidien à bas prix était économiquement rationnel et bien fondé.

L'Autorité de la concurrence a estimé que le choix de publier un quotidien à bas prix était celui qui représentait le coût le plus important par rapport à la solution consistant à ne pas réagir face à l'arrivée du nouveau concurrent, dans l'hypothèse défavorable, et à la solution d'amélioration du journal l'Equipe, dans l'hypothèse favorable. Les données du plan " Shangaï " indiquent que le surcoût engendré par le lancement du nouveau quotidien était de 3 millions d'euro pour l'hypothèse défavorable, de 1,8 par rapport au statu quo et de 4,9 millions d'euro par rapport à la refonte de l'Equipe, dans l'hypothèse favorable,

L'affirmation de la société EPA selon laquelle, à la suite du l'annonce du lancement du 10Sport.com il était " devenu optimal de lancer un quotidien à bas prix" est contredite par plusieurs éléments de fait de l'espèce. En effet, celle-ci avait étudié jusqu'à l'automne 2008, soit jusqu'à la période en cause, la possibilité d'éditer un titre à bas prix ou un autre titre consacré au sport sans avoir été convaincue de passer à l'action. De plus, la publication d'un titre quotidien d'information sportive avait pour effet d'ajouter un second concurrent au premier que constituait le 10Sport.com contre son propre journal l'Équipe, lesquels allaient nécessairement détourner une partie du lectorat et des recettes publicitaires, ce qui représentait pour elle un surplus de coût indéniable. Le fait qu'elle ait pu être abusée sur l'ampleur de la demande éventuelle par le seul lancement du journal concurrent, n'apparaît pas sérieuse, compte tenu de l'expérience acquise sur le marché depuis 1948, des études qu'elle avait menées précédemment et des hypothèses présentées par les études chiffrées qu'elle a réalisées. La cour relève à ce sujet, que la seule annonce publiée sur internet par le site Ozap, est insuffisante à démontrer que la société EPA a pu sérieusement être convaincue d'une modification des évaluations qu'elle avait effectuées sur l'ampleur de la demande.

Par ailleurs, s'il est compréhensible sur le plan théorique qu'un dirigeant d'entreprise considère la possibilité de ne pas réagir face à une concurrence émergente que comme une solution inenvisageable, il n'en demeure pas moins que cette hypothèse a été étudiée et que son coût pour le résultat opérationnel du groupe a été évalué. La société requérante n'est pas fondée à soutenir, dans ces circonstances et dans le contexte de crise aigüe de la presse qu'elle souligne par ailleurs (§412 de ses conclusions), que cette hypothèse ne peut être retenue dans la comparaison des différentes solutions qu'elle avait envisagé de prendre. De plus, le fait que l'évaluation du coût de l'absence de réaction permette de prendre la mesure du coût relatif des autres solutions, n'empêche pas que cette option puisse être une solution envisageable pour un opérateur économique confronté à l'apparition d'un concurrent sur un marché confronté à une crise importante.

S'agissant de la rationalité du choix de créer un nouveau titre par rapport à celui de ne pas réagir à l'arrivée du concurrent, il ne ressort d'aucun élément du dossier que la création d'un actif porteur de valeur potentielle aurait été prise en compte. Ainsi, les tableaux de chiffrage n'envisagent les coûts des solutions étudiées qu'à l'échéance de 2009 et ne comportent aucun élément d'évaluation d'un tel actif. Aucune pièce ne permet de constater que la valeur intrinsèque d'un titre aurait été, à un moment donné de l'examen préalable à la prise de décision, envisagée, ni que cette valeur pourrait être supérieure au sacrifice financier consenti dans la période de lancement. Il convient d'ailleurs à ce sujet de relever que la société requérante ne soutient, et encore moins ne démontre, qu'elle aurait tiré une quelconque valorisation du titre Aujourd'hui Sport. Il n'est, de plus, pas établi que la société EPA aurait envisagé l'opportunité de son choix à moyen long terme et en tous cas au-delà de 2009, ni qu'elle envisageait que les pertes qui étaient prévues pour 2009, dans l'hypothèse défavorable, puissent se répéter chaque année.

Concernant la rationalité de ce choix par rapport au scénario consistant à "améliorer l'Equipe", dans l'hypothèse favorable, le coût induit par le scénario 2 était de 7,3 millions, alors que le coût de la création d'un nouveau titre était de 12,2 millions ; dans l'hypothèse défavorable, le scénario I était le moins coûteux (13,4 millions) par rapport au scénario 2 (18,3 millions). La société requérante n'est pas fondée à défendre le choix de privilégier la solution la plus coûteuse pour elle dans le cas d'une situation favorable, en prétendant, sans justifier son calcul, qu'à espérance égale et en pondérant les hypothèses favorable et défavorable, les deux solutions étaient équivalentes et représentaient un coût moyen de 12,8 millions d'euro et ce, alors même qu'elle avait étudié préalablement la possibilité de lancer un quotidien à bas prix sans en avoir conclu qu'un tel projet était susceptible de réussir.

Ainsi, contrairement à ce que soutient la société requérante, les données chiffrées ressortant des tableaux des études réalisées montrent, ainsi que l'a exactement retenu l'Autorité de la concurrence, que, si chacun des scénarios S0 et S2 pouvait s'avérer être une option économiquement rationnelle selon que l'on anticipe une situation plus ou moins favorable en termes de demande induite, le lancement du nouveau quotidien ne pouvait pas en être une. En effet, quelle que soit l'hypothèse retenue, ce lancement était toujours plus coûteux que l'absence de réaction et, dans l'hypothèse favorable, le scénario S2 "amélioration de L 'Equipe " était la moins couteuse des trois solutions. L'argument de la société EPA soutenant que la stratégie aurait été décidée au regard d'une analyse selon laquelle il était autant probable que l'une ou l'autre solution se réalise est dénué de crédibilité s'agissant d'un investissement à réaliser qui représentait plusieurs millions et d'une opération menée pour préserver la place du groupe sur le marché.

Par ailleurs, les tableaux de chiffrage comportent, pour les deux hypothèses favorable et défavorable, une étude des répercussions sur le résultat opérationnel de chaque scénario pour le10Sport.com, qui permet de constater que dans les deux hypothèses, le lancement d'un nouveau titre était l'opération la plus coûteuse pour le 10Sport.com. A ce sujet, la société EPA soutient que les écarts constatés sont trop faibles eu égard à la sensibilité des estimations contenues dans les tableaux pour pouvoir raisonnablement avoir été pris en compte dans sa décision. Cependant, cette incertitude était inhérente à tout le travail de chiffrage entrepris qui reposait sur des données relatives à l'édition du quotidien le 10Sport.com dont les sociétés du groupe Amaury ne disposaient pas. En conséquence, s'il est évident que les décideurs concernés n'ont pas reçu les tableaux de chiffrage comme des certitudes, il n'en demeure pas moins que les données ont constitué par elle-même une base sérieuse de réflexion.

Enfin, il ressort des documents postérieurs à la décision de lancer le quotidien Aujourd'hui Sport (cotes 496 à 501) que cette opération ne serait pas une opération économique rentable pour le groupe Amaury dans son ensemble, d'une part, parce qu'il engendrait des coûts importants de développement et de diffusion, d'autre part, parce qu'il ne pouvait que priver le journal l'Equipe de lecteurs et de ressources publicitaires supplémentaires à ce qui aurait été dans le cas de l'arrivée sur le marché du seul quotidien le 10Sport.com.

Il se déduit de l'ensemble de ces éléments, ainsi que des motifs de la décision que la cour adopte pour le surplus, que le choix de lancer un quotidien à bas prix au même moment que l'arrivée sur le marché du quotidien Le lûSport.com n'était pas économiquement le plus rationnel pour la société EPA et avait pour conséquence, connue par elle, d'entraîner le coût le plus important pour son concurrent, ce qui constituait objectivement l'avantage compensateur du coût de la réaction choisie.

Sur les similitudes entre les deux quotidiens

La décision critiquée a relevé sur ce point que les deux journaux avaient les mêmes contenus, fréquences de distribution, formats et prix et qu'ils avaient tous deux été lancés le même jour.

La société EPA conteste qu'Aujourd'hui Sport ait été similaire à le 10Sport.com et précise que le format n'était pas le même et que son contenu se voulait porteur d'une ligne éditoriale différente. Elle oppose qu'en tout état de cause si des ressemblances existent entre les deux quotidiens, celles-ci sont, d'une part, justifiées par la nature du sujet d'information choisi et par les études réalisées préalablement à la décision, d'autre part, qu'elles relèvent de la concurrence par les mérites et ne peuvent constituer un abus.

Il existe, ainsi que l'indique la requérante, des différences entre les deux quotidiens en terme de format et sur un certain nombre de rubriques. Cependant, il n'est pas contestable que le ciblage de leur contenu est le même, puisqu'il est essentiellement relatif au football (70 3/4), de manière restreinte au rugby (20 3/4) et pour le reste aux disciplines olympiques. Ainsi, de ce fait, Aujourd'hui Sport concurrençait frontalement le 10Sport.com.

Il n'est, comme le soutient la société EPA, pas nécessairement constitutif d'une pratique anticoncurrentielle de la part d'une entreprise, de mettre sur le marché un produit similaire, voire identique de celui de son concurrent. Cependant, ce comportement n'est pas identifié par la décision comme constitutif d'un abus en soi. C'est au regard de l'ensemble du comportement de la société EPA et de sa position sur le marché qu'est analysée cette similitud. Celle-ci, en effet, ne pouvait qu'avoir pour conséquence de priver la société éditrice du quotidien le 10Sport.com de son originalité et de l'effet de nouveauté qu'il aurait présenté aux lecteurs potentiels, si la société EPA n'avait pas décidé de sortir le même jour un journal identique.

Le caractère éphémère du journal Aujourd'hui Sport

Pour conforter son analyse sur le caractère anticoncurrentiel du lancement du quotidien Aujourd'hui Sport, l'Autorité de la concurrence retient dans sa décision que ce quotidien présentait dès l'origine une vocation éphémère, que démontrent la courte durée de son plan d'investissement, le recrutement temporaire des personnes mobilisées pour le réaliser et son arrêt très rapide après la sortie du marché de le10Sport com

La société EPA conteste les éléments de cette analyse en soutenant que les incertitudes qui pesaient sur l'amplitude de la demande rendaient impossibles et inutiles les projections au-delà de 2009. Elle ajoute que le recours à des contrats à durée déterminée est, dans le cadre du lancement d'un journal, une chose normale, d'autant que le personnel employé dans les diverses sociétés du groupe est particulièrement syndiqué. Elle estime aussi que les déclarations et les mentions reprises par l'Autorité ont fait l'objet d'une interprétation erronée et fait enfin valoir, d'une part, qu'elle a mis en œuvre, après que le 10Sport.com fut devenu hebdomadaire, un certain nombre de moyens afin de rester sur le marché et, d'autre part, que la décision d'arrêter la parution d'Aujourd'hui Sport, lorsqu'elle a été prise, était rationnelle et justifiée.

Il convient de relever qu'un certain nombre de pièces démontrent que dans la période d'étude de la riposte à adopter face à l'arrivée du journal 10Sport.com, il a été envisagé une réaction rapide et radicale visant à l'élimination de ce nouveau concurrent. Ainsi, le premier support du plan Shangaï, sous le titre " Réflexions ", indique, notamment, que " Le projet "10" donne l'impression de jouer pour voir (...) Avec capacité à vite arrêter les frais -> A voir une réaction forte/Intense/Rapide "Blitz" VS "guerre de tranchées ". Puis, le support de la deuxième réunion du plan, dans une page portant le même intitulé, précisait que "Le point mort de 10Sport se situe autour de 50 000 ex., plus bas que les annonces faites par M../W... Sommes-nous finalement si sûrs que la bataille sera courte ?". Cette question est posée à nouveau, dans les mêmes termes, dans le document de présentation du même plan pour la réunion du 2 octobre 200S. De plus, les notes manuscrites du directeur général du Parisien, outre qu'elles précisent sous l'énoncé "stratégie Groupe Amaury ", l'objectif " Tuer 10 Sport ", énonce " 3 périodes sont à considérer - Jour J - Court terme - Moyen terme ". L'ensemble de ces éléments montrent que durant la phase d'étude de la solution à adopter, l'idée commune était de réagir vite par une stratégie de court terme. Ce constat est conforté par les documents chiffrés qui ont envisagé la concurrence sur une période limitée à 2009.

Dans ce contexte, s'il est justifié pour une entreprise qui aborde un marché dans lequel la demande lui paraît incertaine de prendre des décisions au fur et à mesure que l'information est révélée, il convient de relever que la société EPA étudiait, ainsi qu'elle le soutient elle-même, la question de lancer un quotidien à bas prix, ce qui, à moins que les études réalisées n'aient été d'aucune fiabilité, devait lui donner une mesure au moins approximative de l'ampleur de la demande sur le marché. Ainsi, contrairement à ce qu'elle soutient, le fait qu'elle se soit réservé la possibilité d'arrêter Aujourd'hui Sport à échéance d'un an contribue à démontrer qu'elle a lancé ce titre uniquement pour contrer l'arrivée de son concurrent sur le marché de la presse d'information sportive, dans un projet à court ternie. De même, le fait qu'elle ait pris sa décision en s'appuyant sur des projections financières pour une durée limitée, ou qu'elle n'ait conclu aucun contrat d'embauche propre au développement du nouveau titre, s'ils ne démontrent pas à eux seuls qu'elle envisageait la disparition de ce quotidien à l'issue de la période considérée, témoigne, dans le contexte décrit ci-dessus, de ce que son objectif principal était de réagir à l'entrée sur le marché de son concurrent, sans se préoccuper de la rentabilité du quotidien qu'elle créait, tout en se réservant la possibilité de se retirer du marché en cas de réussite de son objectif.

Cette stratégie est confirmée par la déclaration de Mme Amaury, présidente du Groupe, qui interrogée par la presse sur la question de savoir si Aujourd'hui Sport s'interromprait si le 10Sportcom cessait de paraître, a répondu " sans doute ", après avoir précisé qu'elle n'était pas convaincue par la stratégie du " low cost ". Cette réponse qui s'inscrit dans le faisceau des éléments relevés ci-dessus, est certes rapportée sans que son contexte puisse être vérifié, mais elle ne saurait néanmoins être considérée comme ayant été donnée sans que son auteur soit réellement informée du projet, dès lors que Mme Amaury y était associée en sa qualité de dirigeante. Il en va de même des termes du courrier électronique adressé par le directeur général adjoint de la société Amaury Média au responsable managérial du projet, qui donnant des éléments pour une conférence de presse à venir, précise " On part pour une aventure d'un an", montrant ainsi qu'il n'était pas assuré que "l'aventure" se prolongerait au-delà de ce délai. Par ailleurs, que le sens de cette phrase ait été d'assurer aux annonceurs une stabilité d'une année, n'est pas contradictoire avec le constat que les responsables du groupe de sociétés Amaury envisageaient l'arrêt de la parution à plus ou moins brève échéance.

Enfin, la mise en œuvre de moyens importants en terme de management, de personnel et de communication permettant au quotidien Aujourd'hui Sport d'atteindre le succès, invoquée par la société EPA, ne permet pas de contredire le caractère éphémère de ce projet. En effet, le but poursuivi étant d'évincer le concurrent le 10Sport.com, les dirigeants de la société EPA ne pouvaient, en tout état de cause, que mettre en œuvre les moyens leur permettant d'atteindre cet objectif, qui ne l'aurait pas été si le quotidien mis sur le marché n'avait pas été susceptible de répondre à la demande et de détourner celle qui aurait pu se porter sur le 10Sport.com. La structure sociale spécifique, ainsi que l'agence de presse, dont la requérante souligne le seul intérêt fiscal, ne permettent pas davantage de démontrer une volonté de pérennisation que l'ensemble des éléments précédemment rappelés contredisent.

Dans ce contexte, enfin, si l'arrêt de la publication d'Aujourd'hui Sport au mois de juin 2009, peut trouver une explication dans le fait qu'en dépit de l'abandon du marché par le 10Sport.com, depuis le 22 mars précédent, la demande s'était révélée insuffisante pour que le seuil de rentabilité (Plus ou moins 60 000 exemplaires) soit atteint, il n'en demeure pas moins qu'à la suite de l'arrêt de la parution du quotidien concurrent, les mesures envisagées, notamment, lors d'une réunion du 29 avril 2009, pour améliorer Aujourd'hui Sport n'ont pas été mises en œuvre, et qu'il n'est nullement démontré que les sociétés du groupe Amaury auraient tenté de saisir cet abandon du marché pour y valoriser leur présence.

L'effet de la pratique

Si la qualification d'abusif d'un comportement d'éviction nécessite la démonstration d'un effet anticoncurrentiel de celui-ci sur le marché, cet effet doit exister, mais il ne doit pas être nécessairement concret. Il suffit donc aux autorités de concurrence de démontrer l'existence d'un effet anticoncurrentiel potentiel de nature à évincer les concurrents au moins aussi efficaces que l'entreprise en position dominante (arrêts de la Cour de justice, 19 avril2012, C-549/10, Tomra Systems, point 79 et TeliaSonera précité, point 64).

La société EPA conteste qu'il ait existé un lien de causalité entre le lancement d'Aujourd'hui Sport et la sortie du marché du quotidien Le 10Sport.com. Elle fait valoir à ce sujet que le niveau de diffusion cumulé des deux quotidiens démontre que même en l'absence d'Aujourd'hui Sport, son concurrent n'aurait pas atteint son seuil de rentabilité.

Elle précise sur ce point que selon le chiffre de diffusion correspondant au point mort de Le 10Sport.com estimé par elle, dans ses anticipations, à 67000 exemplaires, ou à 70 000-80 000 exemplaires comme indiqué par la société Le journal du sport, le montant de la diffusion payée individuelle cumulée des deux quotidiens n'a pas dépassé 42 065 exemplaires, exclusion faite du mois de sortie (novembre 2008) qui a bénéficié de l'attrait de la nouveauté et pour lequel la diffusion s'est élevée a 68 358 exemplaires

Il ressort des données relatives à la diffusion payée individuelle des deux quotidiens que de novembre 2008 à février 2009, les diffusions de Le 10Sport.com ont, de façon constante, été supérieures à celles d'Aujourd'hui Sport, ce qui démontre, à tout le moins, que le premier était un concurrent au moins aussi crédible que le second et que sans l'entrée sur le marché du second, le premier aurait pu au moins doubler ses ventes. Il s'en déduit que le retrait du marché de Le 10Sport.com est bien lié à la privation d'une partie de la clientèle du marché de la presse quotidienne nationale d'information sportive qu'a causé l'entrée d'Aujourd'hui Sport sur ce marché. Ce lien de causalité est confirmé par le constat de ce qu'à la suite du retrait de Le 10Sport.com du marché, les ventes d'Aujourd'hui Sport ont augmenté, ce qui témoigne d'un report, au moins en partie, de la demande.

La pratique reprochée à la société EPA a donc eu un effet immédiat sur le jeu de la concurrence et il importe peu, dans ces circonstances, de savoir si à terme le quotidien Le 10Sport.com aurait atteint le seuil de rentabilité. En tout état de cause, la société EPA ne rapporte pas la preuve de son affirmation d'une demande insuffisante.

En effet, les données chiffrées du dossier permettent de constater, en premier lieu, que le point d'équilibre pouvait être atteint puisqu'il l'a été le premier mois. Le fait que ce mois ait pu bénéficier d'un effet de curiosité et de campagnes de publicité est sur ce point indifférent, puisque d'autres campagnes ou d'autres événements auraient pu renforcer les ventes. Sur ce point la cour relève que la société EPA elle-même indique dans ses conclusions que l'année 2009 étant une année impaire, elle était peu riche en événements sportifs.

En deuxième lieu, les éléments produits permettent d'observer qu'à la suite du retrait du marché de Le 10Sport.com, la demande de celui-ci ne s'est reportée sur Aujourd'hui Sport que de façon partielle, puisqu'au mois d'avril 2009 et les deux suivants, les diffusions ont été inférieures à celles cumulées des mois précédents. Ces données ne donnent donc qu'une image parcellaire du lectorat qui aurait pu être fidélisé par le quotidien, d'autant que, comme le soutiennent la société 10 Médias et l'Autorité, Le 10Sport.com a été privé de la prime de lecteurs liée au premier entrant, dont le quotidien Aujourd'hui Sport n'aurait, en tout état de cause, pas pu bénéficier puisqu'il n'a été décidé de son lancement qu'après que celui de Le10Sport.com fût connu et en réaction à cette création.

Par ailleurs, les deux quotidiens étant sortis du marché avant la période d'été qui est la plus propice au développement des ventes et qui est susceptible de produire un effet de fidélisation, il n'est pas démontré que ce seuil n'aurait pas pu être atteint. A cet égard, la cour relève que les projections chiffrées de la société EPA ont été réalisées sur des données qui ne reflètent pas la demande de manière exacte, puisqu'ainsi qu'il a été relevé précédemment, celle-ci a été faussée par les pratiques en cause. Il ne saurait non plus être retenu que quand bien même le point de rentabilité aurait-il pu être atteint au regard de la demande, il ne l'aurait pas forcément été au regard de la demande publicitaire, puisque celle-ci est moins importante en été, ce qui n'est au demeurant pas démontré, dès lors que l'accession au seuil de rentabilité doit s'apprécier sur l'année.

Enfin, à ces effets, l'un direct, l'autre potentiel, il convient d'ajouter celui, potentiel, lié au signal dissuasif donné par les sociétés du groupe Amaury à toute entreprise qui souhaiterait tenter de concurrencer le journal L'Equipe.

Il s'en déduit qu'il est établi que la pratique mise en œuvre par la société EPA a bien eu un effet direct sur le jeu de la concurrence, ainsi que des effets potentiels sur le marché. C'est en conséquence à juste titre et par une motivation que la cour adopte pour le surplus, que l'Autorité a considéré que cette pratique n'était pas conforme au principe du libre jeu de la concurrence par les mérites, qu'elle n'était pas restée dans la limite de ce qu'autorise le droit de riposte d'une entreprise en position dominante et qu'elle était constitutive d'un abus de cette position, prohibé par les articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union.

Sur la sanction

La société EPA conteste le montant de la sanction pécuniaire de 3 514 000 euro que lui a infligée l'Autorité, au motif que l'infraction qui lui est reprochée revêt une forme nouvelle, et inattendue par elle, d'abus de position dominante, ce qui en vertu du principe de sécurité juridique justifierait qu'une sanction minime soit prononcée.

Il convient à ce sujet de rappeler que la qualification d'abus de position dominante, s'agissant de pratiques d'éviction d'un nouvel entrant sur le marché ne constitue pas une application nouvelle de cette infraction, mais au contraire, que de telles pratiques ont à plusieurs reprises fait l'objet de sanctions de la part des autorités de la concurrence nationale et de l'Union, depuis leurs origines. A ce sujet, la société requérante ne saurait se référer à des décisions antérieures qui ne concernent pas des situations similaires aux pratiques contestées et ne concernent que des applications véritablement nouvelles ou mettant en œuvre des principes économiques ou juridiques non encore appliqués jusqu'alors. La société EPA ne peut sérieusement prétendre que la catégorie des pratiques d'éviction est trop vaste pour que celle qui lui est reprochée ne soit pas considérée comme nouvelle.

La société EPA conteste la prise en compte par l'Autorité, pour calculer l'assiette de la sanction, des ventes réalisées pour les titres l'Equipe et Aujourd'hui Sport ainsi que celles réalisées sur le marché de la publicité. Elle estime que les marchés étant distincts et qu'aucune pratique ne lui ayant été reprochée sur le marché de la publicité, il est incohérent d'ajouter la valeur des ventes de la publicité à l'assiette de la sanction.

Il convient toutefois de relever que la prise en compte des ventes réalisées des produits ou services " (...) en relation avec l'infraction (..)", permet de donner une traduction chiffrée de l'appréciation de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie. En l'espèce, il existe un lien indéniable dans les comptes d'une entreprise de presse entre ce que lui rapporte l'exploitation du marché du lectorat et celui de la publicité qui permet, au moins en partie, de financer la première activité. Il est donc conforme à la réalité économique du secteur en cause de prendre en compte dans le calcul de l'assiette de la sanction la valeur des ventes des journaux concernés et de la publicité afférente.

La société requérante soutient encore que l'infraction est nouvelle dans son principe et sa caractérisation, ce qui milite en faveur d'une limitation de sa gravité. Toutefois, ce qui a été retenu précédemment au sujet de l'absence de nouveauté de l'infraction reprochée conduit à écarter cette argumentation comme dépourvue de fondement.

Par ailleurs, dans la mesure où, contrairement à ce qu'elle soutient, il n'est pas établi que la demande globale pour les quotidiens sportifs à bas prix aurait été insuffisante, son argumentation selon laquelle la pratique reprochée n'aurait pas causé le dommage à l'économie retenue par l'Autorité n'est pas opérante. La cour adopte les motifs pertinents par lesquels l'Autorité a caractérisé ce dommage et renvoie sur ce point à la décision. Il convient seulement d'ajouter, pour répondre à l'argumentation de la société EPA que quand bien même la presse quotidienne d'information sportive ne serait pas un bien de première nécessité, la pluralité de la presse est un principe démocratique essentiel et qu'il t'est autant en matière sportive particulièrement prisée des Français qu'en ce qui concerne l'information générale.

Il se déduit de l'ensemble de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de réduire la sanction prononcée, laquelle est proportionnée à la gravité de la pratique en cause, au dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise.

Le recours doit donc être rejeté.

Sur les frais irrépétibles

Il résulte de l'ensemble du dossier qu'aucun élément d'équité ne justifie la condamnation du Trésor Public au paiement en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS : REJETTE le recours formé par la société Les Editons P. Amaury contre la décision n° 14-D-02 prononcée le 20 février 2014 par l'Autorité de la concurrence; REJETTE sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile; DIT qu'en application de l'article 15-2 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002, le présent arrêt sera transmis à la Commission européenne; CONDAMNE la société Editions P. Amaury aux dépens du recours.