CA Lyon, 3e ch. A, 7 mai 2015, n° 14-01041
LYON
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Ralph Lauren France (SAS)
Défendeur :
AGK6 (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tournier
Conseillers :
Mme Homs, M. Bardoux
Avocats :
Me Ottavy, SCP Aguiraud Nouvellet, Selarl Monod-Tallent
Exposé du litige
Par acte d'huissier en date du 27 septembre 2012, la SAS Ralph Lauren France (société Ralph Lauren) a fait assigner la SARL AGK6 (société AGK6), avec laquelle elle avait signé un contrat de distribution exclusive en date du 4 et 27 avril 2011, devant le Tribunal de commerce de Lyon en paiement de factures d'un montant de 73 181,57 euro.
Par conclusions postérieures, elle a ramené se demande à 69 600,74 euro et a sollicité 80 000 euro de dommages intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la vente en ligne par la société AGK6 de certains de ses produits en violation du contrat.
La société AGK6 s'est opposée aux demandes et a présenté une demande reconventionnelle en indemnisation du préjudice subi du fait des carences et des manquements de la société Ralph Lauren.
Par jugement en date du 10 janvier 2014, le tribunal de commerce de Lyon a :
- débouté la société Ralph Lauren de l'ensemble de ses demandes,
- condamné la société Ralph Lauren à procéder à la récupération des marchandises invendues conservées par la société AGK6, selon listes produites par la société AGK6 en ses pièces 4 et 5,
- rejeté comme non fondés tous autres demandes, moyens, fins et conclusions contraires des parties,
- condamné la société Ralph Lauren aux dépens de l'instance, y compris frais d'exécution forcée.
La société Ralph Lauren a relevé appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions déposées le 19 janvier 2015, la société Ralph Lauren demande à la cour de :
- débouter la société AGK6 de toutes ses demandes, fins et prétentions,
- dire l'appel tel qu'interjeté régulier en la forme et justifié au fond et y faisant droit,
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la société AGK6, et, statuant à nouveau,
- condamner la société AGK6 à lui verser :
* la somme principale de 69 600,74 euro,
* les intérêts majorés à trois fois le taux d'intérêt légal (conformément à l'article 6.3 du contrat), à compter de la mise en demeure du 18 juillet 2012, en vertu de l'article 1153 du Code civil,
* 2 000 euro à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée, en vertu des articles 1146 et 1147 du Code civil,
- constater que la SARL AGK6 a illicitement commercialisé sur son site Internet www.planete-mode.com des produits de marque Ralph Lauren,
- en conséquence, condamner la société AGK6 à lui verser à la société la somme de 80 000 euro euro à titre de dommages et intérêts,
- en toute hypothèse, condamner la société AGK6 à lui verser la somme de 6 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- la condamner enfin aux entiers dépens d'appel et de première instance en ceux compris les frais du constat d'Huissier dressé par Maître Véronique Berthezene et le timbre fiscal de 150 euro, les dépens d'appel distraits au profit de la SCP Aguiraud Nouvellet.
Elle fait notamment valoir que :
La société AGK6 ne démontre aucun élément susceptible de diminuer sa dette, l'existence d'avoir en attente n'étant pas démontrée, pas plus que la non-livraison de certains produits.
En retirant les biens de la vente, la société AGK6 a rendu impossible le calcul de tout avoir ou reprise de marchandise.
La société AGK6 n'a pas déclaré un problème de qualité du produit au moment de la livraison, excluant ainsi tout défaut de conformité. De plus, les biens livrés sont en tous points conformes aux caractéristiques contractuelles convenues lors de la vente.
Elle ne peut être tenue des erreurs de stratégie commerciale de la société AGK6 quant à la quantité commandée et quant au style de vêtement commandé.
La société AGK6 est responsable du défaut de revente de la marchandise car elle l'a prématurément retiré de la vente.
La société AGK6 a violé le contrat de distribution sélective car elle n'était autorisée à vendre les produits de la marque que sur son point de vente physique, un accord écrit préalable devant être obtenu pour la vente en ligne.
Dans ses dernières écritures déposées le 23 février 2015, la société AGK6 demande à la cour de :
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la société Ralph Lauren de l'ensemble de ses demandes, pour le surplus,
- déclarer recevable, justifiée et bien fondée sa demande reconventionnelle, en conséquence,
- condamner la société Ralph Lauren au paiement de la somme de 30 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis du fait de ses carences et manquements,
- la condamner au paiement de la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens de l'instance.
Elle expose notamment que :
La société Ralph Lauren ne rapporte pas la preuve quant au principe et au quantum de ses droits à créance.
Différents articles facturés n'ont pas été régulièrement commandés et la société Ralph Lauren a facturé des marchandises qu'elle n'a jamais reçues.
La société Ralph Lauren n'a pas respecté son obligation de délivrance et de conformité car les articles présentaient une mauvaise qualité des matières et des défauts de coupes et de tailles, confirmés par constat d'huissier.
Elle a signalé dès la réception des marchandises et leur déballage les anomalies et non-conformités.
Elle n'a souscrit des commandes importantes que compte tenu de divers engagements pris par la société Ralph Lauren.
Elle n'a pas commis de faute en commercialisant sur son site Internet des produits de la marque, cette situation étant connue et n'étant pas reprochée par la société Ralph Lauren qui ne peut donc se prévaloir d'aucun préjudice.
Pour plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, la cour renvoie, en application de l'article 455 du Code de procédure civile aux conclusions déposées par les parties et ci-dessus visées.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 février 2015.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande en paiement des factures :
1 - Le montant des avoirs
La société Ralph Lauren a ramené la somme réclamée par assignation d'un montant de 73 181,57 euro à la somme de 69 600,74 euro.
Elle prétend que la différence de 3 580,83 euro correspond au montant des avoirs qu'elle a émis, qui sont inclus dans le montant des avoirs que la société AGK6 prétend déduire et s'élevant à 7 899,58 euro, montant dont elle dit qu'il n'est pas justifié par les seules mentions manuscrites "marchandise non reçue ou refusée" ou "avoirs en attente" apposées par la société AGK6 sur les factures.
Cependant, la société AGK6 produit l'ensemble des factures et réclamations adressées à la société Ralph Lauren pour indiquer les problèmes de facturations notamment en raison de l'absence de livraison des marchandises correspondantes à certaines factures ou des problèmes de conformité de la livraison à la commande ainsi que les pièces relatives au retour des marchandises.
Or, la société Ralph Lauren ne produit aucune pièce démontrant que les réclamations de la société AGK6 ne sont pas justifiées. En particulier, les bons de livraison qu'elle produit ne contiennent aucune mention permettant de les rattacher à une facture et elle ne donne aucune précision sur ce point.
En conséquence, la société Ralph Lauren ne prouve pas sa créance à hauteur de la différence entre les avoirs revendiqués et les avoirs qu'elle a déduits ou les factures dont elle ne demande plus paiement (dont celle relative à une commande contestée par la société AGK6) soit la somme de 4 319,28 euro (7 899,58 - 3 580,83).
2 - Les problèmes liés à la marchandise
Il résulte du procès-verbal de constat de Maître Delarue huissier de justice, que les vêtements de la collection "Denim & Supply" étaient plus larges et plus longs que des vêtements similaires de marques de renommée équivalente et marqués comme étant de même taille.
La société Ralph Lauren qui prétend que cette différence est inhérente à la collection "Denim & Supply" de "style Vintage et Casual" volontairement plus ample et confortable que les collections contemporaines et ajustées, ne produit aucun élément démontrant d'une part, la réalité de cette allégation et d'autre part, que la société AGK6 en était avisée et que c'est en connaissance de cause qu'elle a choisi de commander aux fins de les commercialiser ces produits.
La société Ralph Lauren n'a d'ailleurs pas allégué ce fait en réponse aux problèmes de coupe, de taille, de tenue et de qualité des produits qui ont été dénoncées par la société AGK6 par différents mails et courriers.
D'autre part, la société AGK6 produit un mail et une attestation de deux autres distributeurs de produits de la marque Ralph Lauren desquels il ressort que les problèmes de taille des articles de la collection "Denim & Supply" résultaient de problèmes de coupe et non de leur style.
D'autre part, les arguments de la société Ralph Lauren tenant à la conformité des articles livrés aux articles commandés et sans objet, la société AGK6 ne prétendant pas avoir reçu livraison d'articles de collection, style, taille ou coloris différents de ceux commandés mais d'une qualité incompatible avec la qualité des produits qualifiés par la société Ralph Lauren elle-même de prestigieux et dont les tailles marquées ne correspondaient pas aux tailles standardisées européennes.
Dans ces conditions, c'est à juste titre que le tribunal de commerce a débouté la société Ralph Lauren de sa demande en paiement de la somme de 58 991,47 euro TTC et l'a condamnée à reprendre les marchandises correspondantes stockées dans les locaux de la société AGK6. Il y a lieu de confirmer ces dispositions.
3 - La participation à la démarque
Par lettre du 21 mai 2013, la société Ralph Lauren s'est engagée à participer à hauteur de 35 % à la démarque, estimée, à cette date, à 7 800 euro et devant être revue en fonction du niveau des ventes avant les soldes.
La société Ralph Lauren ne conteste pas ne pas avoir crédité la société AGK6 de cette somme. Elle fait valoir que les marchandises ayant été prématurément retirées de la vente, le taux de vente et par-là de la participation ne peut être calculé.
Toutefois, compte tenu des problèmes de taille et de qualité des marchandises, la société AGK6 était fondée à retirer de ses rayons des marchandises invendables qui nuisaient à sa réputation, ce dont elle a avisé la société Ralph Lauren par lettre du 4 juillet 2012 et mail du 27 septembre 2012.
En conséquence, déduction faite des sommes précitées, la société AGK6 reste devoir une somme de 1 510,01 euro (69 600,74 - 4 319,28 - 58 991,47 - 7 800) avec intérêts à un taux égal à trois fois le taux légal, en application de conditions générales de vente et à compter du 18 juillet 2012, date de la mise en demeure.
Sur la violation du contrat de distribution sélective :
Le contrat signé entre les parties autorise la société AGK6 à vendre ou offrir à la vente les produits de marque Ralph Lauren, qui sont énumérés, dans le point de vente agréé exploité sous l'enseigne Planète Mode à Givors et précise que la vente dans un point de vente supplémentaire ou différent est soumis à l'accord écrit préalable de la société Ralph Lauren et que si la société AGK6 souhaite vendre en ligne ou par correspondance, elle doit contacter la société Ralph Lauren afin d'obtenir ses conditions spécifiques qui doivent être remplies pour ce type de vente ainsi que son accord écrit préalable sur le site Internet et/ou le catalogue de vente par correspondance, les conditions spécifiques étant mentionnées dans les "Critères de Marketing et de Vente en Ligne et par Correspondance" qui pourront être remis sur demande, qui pourront être modifiées à tout moment et que le distributeur est tenu de respecter.
En l'espèce, il résulte du procès-verbal de constat établi le 19 février 2013 par Maître Berthezene huissier de justice que la société AGK6 commercialisait des produits de marque Ralph Lauren sur son site Internet et il est constant qu'elle n'avait pas d'autorisation de la société Ralph Lauren qu'elle n'avait pas sollicitée.
Le nombre d'articles et l'absence de mise en demeure adressée par la société Ralph Lauren, sont sans incidence sur la réalité de la violation du contrat même après avoir reçu un [sic] de la société Ralph Lauren en date du 21 septembre 2012 dans lequel celle-ci signalait avoir constaté la vente en ligne de certains de ses produits sans son autorisation.
Toutefois, en l'absence de production des "Critères de Marketing et de Vente en Ligne et par Correspondance" contenant les conditions spécifiques de vente en ligne et de tout site de comparaison, la société Ralph Lauren ne démontre pas l'existence, la nature et l'importance différences pouvant exister entre d'une part, le site et les conditions de vente en ligne de la société AGK6 et d'autre part, les sites agrées et les conditions spécifiques pour ce type de vente.
Dans ces conditions, elle ne démontre pas que la vente en ligne par la société AGK6 de certains articles lui a causé un préjudice.
Sa demande de dommages intérêts doit être rejetée. La décision déférée doit être confirmée sur ce point.
Sur la demande reconventionnelle de la société AGK6 :
La société AGK6 ne produit aucune pièce démontrant qu'elle a subi un préjudice distinct de celui réparé par le retour des marchandises et notamment relatif à la perte de marge sur les produits non vendus.
Dans ces conditions, c'est à bon droit que le tribunal de commerce l'a déboutée de cette demande.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
En application des articles 696 et 700 du Code de procédure civile, la société Ralph Lauren partie perdante doit supporter les dépens et garder à sa charge les frais irrépétibles qu'elle a exposés.
L'équité commande de confirmer le rejet par le tribunal de commerce de la demande d'indemnité procédurale présentée par la société AGK6 et de rejeter la demande présentée en cause d'appel.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement par arrêt contradictoire, Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SAS Ralph Lauren France de la totalité de sa demande en paiement de factures, Statuant à nouveau sur ce point, Condamne la SARL AGK6 à payer à la SAS Ralph Lauren France la somme de 1 510,01 euro avec intérêts à un taux égal à trois fois le taux légal à compter du 18 juillet 2012, Confirme le jugement entrepris pour le surplus, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SAS Ralph Lauren France aux dépens d'appel pouvant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.