Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 22 mai 2015, n° 13-05277

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Briodis (SAS)

Défendeur :

Redon (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Touzery-Champion

Conseillers :

Mme Prigent, M. Richard

Avocats :

Mes de Maria, Vizioz, Bettan, Bado

T. com. Rennes, du 24 janv. 2013

24 janvier 2013

La société SARL Redon exerce l'activité de commerce de gros en fruits et légumes.

La société Briodis exploite un hypermarché Leclerc situé à Ploufagran et une supérette située à Ploufagran (22).

La société SARL Redon et la société Briodis ont entretenu des relations commerciales d'octobre 1998 à juillet 2011. A compter du 13 juillet 2011, la SARL Redon a constaté une absence soudaine et totale de commandes de fruits et légumes de la part de la société Briodis.

Suivant courrier en date du 27 juillet 2011, la SARL Redon a adressé un courrier à la SAS Briodis déplorant cette absence de toutes relations commerciales depuis le 13 juillet 2011.

Dans un courrier en réponse du 17 août 2011, la société Briodis, sans contester la rupture brutale des relations commerciales, a tenté de la justifier au motif que le 13 juillet 2011 des produits impropres à la vente auraient été refusés. La SAS Briodis a indiqué qu'elle confirmait maintenir sa décision de ne plus travailler avec la SARL Redon, privilégiant un approvisionnement par la centrale, indiquant toutefois qu'une partie résiduelle des commandes se ferait auprès des fournisseurs locaux dont faisait partie la SARL Redon.

Par acte d'huissier en date du 13 janvier 2012, la société Redon a saisi le Tribunal de commerce de Rennes au visa des articles 1382 du Code civil et L. 442-6, 5° du Code de commerce aux fins de voir, notamment, juger que la société Briodis a été l'auteur d'une rupture brutale des relations commerciales à l'égard de la SARL Redon et de voir, en conséquence, ladite société Briodis condamner à lui verser la somme de 258.938,30 euro à titre de dommages et intérêts.

Par jugement en date du 24 janvier 2013, le Tribunal de commerce de Rennes a :

- constaté l'existence d'une relation commerciale significative et stable entre les sociétés Briodis et Redon,

- jugé brutale la rupture, sans préavis, de cette relation commerciale par la société Briodis,

- fixé à un an la durée de préavis qui aurait dû être appliqué par ladite société Briodis,

- a condamné la société Briodis à payer à la société Redon la somme de 112 867,78 euro à titre de dommages et intérêts, la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- a condamné la société Redon à payer la somme de 20 095,11 euro au titre des factures de carburant dues à la société Briodis,

- a ordonné l'exécution provisoire dudit jugement avec constitution d'une garantie bancaire par la SARL Redon à hauteur de 80 000 euro.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 24 février 2015, la société Briodis demande de :

- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Rennes le 24 janvier 2013 en ce qu'il a constaté la rupture brutale, sans préavis, de la relation commerciale établie entre la SARL Redon et la SAS Briodis,

- réformer le jugement du Tribunal de commerce de Rennes le 24 janvier 2013 en ce qu'il a dit que le préavis de rupture est de un an et débouté la société Redon de sa demande de dommages et intérêts pour le préjudice d'image subi,

- fixer la durée du préavis à 2 ans,

- condamner la société Briodis à verser à la SARL Redon la somme de 258 938,30 euro à titre de dommages et intérêts et la somme de 30 000 euro à titre de dommages et intérêts pour le préjudice d'image porté à la SARL Redon et à ses produits,

- ordonner la compensation des sommes dues par la société Briodis à la société Redon au titre des dommages et intérêts pour rupture abusive des relations commerciales et des sommes dues par la société Redon au titre des factures de carburant,

- confirmer le jugement pour le surplus,

- condamner la société Briodis à verser à la SARL Redon la somme de 5000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 20 février 2015, la société Redon demande sur le fondement des articles 1604 et l'article L. 442-6 du Code de commerce de :

- réformer le jugement du Tribunal de commerce de Rennes en date du 24 janvier 2013,

- écarter des débats la pièce adverse n° 30 obtenue dans des circonstances inconnues et manifestement contraires aux déclarations faites par la même personne devant Huissier de Justice,

- dire la SARL Redon mal fondée en toutes ses demandes, et l'en débouter,

- condamner la SARL Redon à lui payer sans délai, la somme de 20.095,11 euro, augmentée des intérêts légaux courus depuis la date du 11 janvier 2012, avec le bénéfice de la capitalisation des intérêts visée à l'article 1154 du Code civil,

- condamner la SARL Redon à exécuter la condamnation à intervenir sous astreinte de 1 000 euro par jour de retard à compter du prononcé de l'arrêt la cour se réservant expressément la faculté de liquider l'astreinte et d'en prononcer une nouvelle si l'exécution de plein droit n'était pas respectée,

- condamner la SARL Redon à lui payer la somme de 30 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.

MOTIFS DE LA DECISION

La SARL Redon demande d'écarter des débats la pièce adverse n° 30 ; cependant cette attestation rédigée en la forme exigée par les dispositions légales et à laquelle est annexée la photocopie de la carte d'identité du rédacteur est régulière ; la demande à ce titre de la SARL Redon sera rejetée.

La société Briodis invoque à l'appui de la rupture des relations commerciales l'inexécution par la SARL Redon de ses obligations et l'existence de manquements graves et répétés notamment en matière de qualité et de fraîcheur des produits livrés, que la rupture brutale des relations commerciales était justifiée au motif que la société Redon aurait refusé de mettre en place une procédure interne propre à résorber le défaut d'exécution, que la société Redon s'est abstenue de toute proposition commerciale et aurait refusé le rendez-vous proposé.

La société Redon, qui conteste ce moyen et réplique que le véritable motif ayant conduit à son éviction ne résulte nullement d'un défaut de qualité des produits livrés qui aurait été découvert lors de ces contrôles qualité mais d'une réorganisation interne de la société Briodis dans une logique d'optimisation des coûts, passant par l'éviction de fournisseurs au bénéfice de la centrale d'achat ; elle précise qu'il est également assez fréquent que des retours soient effectués, notamment sur les produits tels que les melons ou les fraises, produits relativement fragiles, compte tenu du pourcentage représenté par ces retours sur la quantité de produits livrés, que l'ensemble de ses camions utilisés étaient isothermes.

L'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce énonce que :

"Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure".

Aux termes des éléments comptables produits, le chiffre d'affaires réalisé par la société Redon avec la société Briodis s'élevait en 1998-1999 à 300 000 euro, si ce montant a diminué en 2001-2002 aux sommes de 116 000 euro et 221 000 euro en 2002-2003, il était entre 2003 et 2007 de 430 000 euro à 500 000 euro, de 394 000 euro en 2008-2009 et 354 830 euro en 2009-2010. Ces chiffres révèlent un courant d'affaires régulier et conséquent depuis 1998 avec des fluctuations liées à l'activité économique ce qui caractérise une relation commerciale établi entre les deux sociétés. Le volume d'activité important durant 13 ans démontre le caractère établi de la relation sans qu'il y ait lieu d'exiger un montant similaire chaque année de chiffre d'affaires ce qui est incompatible avec une activité économique par nature fluctuante.

Au cours de l'année 2011, la société Briodis a été cédée. Elle explique qu'ayant constaté une perte d'exploitation sévère au titre de l'exercice 2010-2011, la nouvelle direction, après une phase d'observation, a mis en place des contrôles de qualité pour l'ensemble des fournisseurs, lesquels auraient abouti en juin et juillet à relever un défaut de qualité important sur les fruits et légumes livrés par la société Redon.

La société Redon se plaignant de ne plus recevoir de commande à compter du 13 juillet 2011, a adressé un courrier à son cocontractant pour lui en faire part.

Le 17 août 2011, Monsieur d'Austerlitz, Directeur Commercial de la société Briodis répondait :

" Nous accusons réception de votre courrier recommandé du 27 juillet 2011 qui a retenu toute notre attention.

Tout d'abord, nous vous rappelons notre entretien du 25 juillet 2011, au cours duquel nous vous faisions part de notre mécontentement sur des livraisons notamment celle du 13 juillet 2011 que nous avons refusé au motif de produits impropres à la vente.

L'absence d'approvisionnement du 13 juillet et le défaut de qualité de vos produits n'ont pas permis d'assurer une bonne mise en rayon pendant plusieurs jours. Cette situation nous a créé un préjudice pour nous-mêmes et nos clients. Nous vous rappelons que notre activité repose essentiellement sur ces deux critères.

Nos relations contractuelles vous imposent de nous fournir des produits de bonne qualité afin de respecter l'achalandage du rayon. Notre confiance envers votre entreprise s'est trouvée altérée et nous impose de modifier substantiellement nos relations commerciales. Il va de soi que nous ne pouvons pas travailler sur les mêmes bases que précédemment.

Nous vous confirmons que nous maintenons notre décision et continuerons à privilégier notre approvisionnement via la centrale d'achat E.Leclerc.

Cependant, nous vous assurons qu'une partie résiduelle des commandes se fera auprès des fournisseurs locaux dont vous faites partie. Toutefois, notre relation ne sera pas équivalente en volume. Dans les prochaines semaines, nous ferons appel à vos services en fonction de nos besoins sans qu'un montant annuel de commandes ne puisse être avancé à aujourd'hui".

La société Briodis verse aux débats des attestations de salariés affectés au rayon fruits et légumes, des sommations interpellatives, des bons de retour sur livraison pour démontrer qu'au mois de juin et juillet 2011, les fruits et légumes livrés présentaient de nombreux défauts l'ayant conduite à interrompre les relations commerciales. Elle reproche à la société Redon de ne pas utiliser de camions disposant d'un système de réfrigération.

La SARL Redon réplique que le témoignage de M. d'Austerlitz est irrecevable en raison des fonctions qu'il exerce et de sa responsabilité dans la rupture brutale des relations, que l'attestation de M. Decaudin est suspecte, que celle de M. Trehorel n'est pas circonstanciée. M. d'Austerlitz, en qualité de Directeur commercial de la société Briodis, étant intervenu dans les négociations avec la SARL Redon lors de la rupture des relations, son témoignage ne peut pas être retenu dans le cadre de la présente procédure.

La société Briodis précise que sur 18 livraisons, en l'espace de seulement 1 mois (9 juin-13 juillet), qui ont nécessité un retour de marchandises pour produits non conformes à la vente, 13 de ces livraisons (soit 72,22 %) comportaient un pourcentage de fruits refusés très largement supérieur ou supérieur aux tolérances légalement admises pour des produits seulement dégradés, alors que les produits refusés étaient impropres à la consommation ce que conteste la société Redon ; Trente et un et demi kilogrammes d'abricots (sur 50 kilogrammes livrés), auraient été refusés selon la société Briodis pour non-conformité, et repris par la société Redon soit 63 % de la livraison. La reprise de ces 31,5 kilogrammes d'abricots et l'émission d'un avoir par la SARL Redon ne seraient nullement dues à une non-conformité des produits mais à un surplus de commandes de la part de la société Briodis, précise la société Redon.

La facture produite établit que le 9 juin 2011, un avoir et un avoir retour ont été établis pour le retour de 6 colis d'abricot Sylred cal 45/50, sans précision du motif ce qui ne permet pas d'en le déterminer la cause. Le 14 juin 2011, 22 colis de tomates grappes (sur 50 colis livrés) et 8 colis de concombres (sur 20 colis livrés), ont été refusés par la société Briodis, et repris par la SARL Redon qui explique que ces produits ont été retournés car il y avait eu une erreur de commande, la société Briodis ayant commandé les mêmes produits à deux reprises.

La facture en date du 20 juin 2011 mentionne l'émission d'un avoir sans préciser le motif.

Le 16 juin 2011, 4 colis de melons (soit 36 pièces sur 630 livrées), ont été refusés par la SAS Briodis et repris par la SARL Redon. Il n'est pas contesté que la SARL Redon a dû reprendre sur les 630 melons livrés, 36 pièces car ils étaient d'un calibre 9 au lieu de 12.

Les 17 et 18 juin 2011, 30 pièces, puis 16 pièces de melon, soit en tout 5 colis (46 pièces sur 600 livrées), ont été refusés par la société Briodis et repris par la SARL Redon.

L'établissement d'avoirs non motivés ne permet pas de déterminer la cause du refus.

Le 25 juin 2011, 17 pièces de melons sur 1 755 melons ont été livrées à la société Briodis, mais refusées par la société Briodis et ont été reprises par la SARL Redon soit 0,9 % des marchandises livrées.

Le 27 juin 2011, 1 colis de fraises (sur 1 colis livré), a été refusé par la société Briodis, et repris par la SARL Redon : soit l'intégralité de la livraison. La SAS Briodis ne rapporte pas la preuve que ces produits aient été retournés pour défaut de conformité.

Le 29 juin 2011, 39 pièces de melons (sur 630 livrés), ont été refusées par la SAS Briodis, et reprises par la SARL Redon soit 6 % de la livraison. La SAS Briodis ne rapporte pas davantage la preuve que les 39 pièces de melons aient été reprises pour défaut de conformité.

Le 30 juin 2011, 9 pièces de melons sur 1800 livrées, ont été refusées par la société Briodis, et reprises par la SARL Redon : soit 0,50 % de la livraison.

Le 1er juillet 2011, la société Briodis a refusé l'intégralité de l'une des livraisons, 21 colis de melons, soit 231 pièces ; il est mentionné sur le bon de livraison "refuser 21 colis melons" ; la livraison n'a pas été facturée. Aucune mention du motif du refus ne figure sur le bon de livraison.

La société Briodis verse une photographie prise par Monsieur Guillaume d'Austerlitz, Directeur commercial en indiquant qu'elle a été prise le 1er juillet 2011, et qu'il s'agit des melons que la SARL Redon lui a livrés le jour même ; néanmoins, aucun élément ne permet d'établir la date de livraison des melons ni la date à laquelle cette photographie a été prise ni même l'origine des melons, le fait qu'ils portent une étiquette détachable BENAC et soient entreposés dans une caisse en carton, éléments interchangeables, est insuffisant pour en déterminer l'origine ;

Le 1er juillet, 4 colis de fraises (soit 43 barquettes sur 110 livrées), ont été refusés par la SAS Briodis et repris par la SARL Redon, 1 colis de melons, soit 12 pièces (sur 630 livrées), 20 colis de cerises (sur 20 livrés), et 1 colis d'oranges (sur 10 livrés) ; sur le bon de livraison, il est indiqué "Refuser 20 colis cerise", et "Refuser 1 colis orange" ; sur la facture, il est mentionné "orange rectifié + cerise supprimé" ce qui ne permet pas d'établir le motif du refus.

Le 2 juillet 2011, 12 pièces de melons sur 1260 livrées, le 4 juillet 2011, 20 pièces de melons sur 360 livrées, le 6 juillet 2011, 4 pièces de melons sur 270 livrées ont donné lieu à des retours et à des avoirs ; au vu du nombre de pièces vendues, ces retours doivent être considérés comme acceptables.

La société Briodis fait valoir que le 13 juillet 2011, elle a reçu deux livraisons de melons dont l'une était conforme mais que la seconde a été refusée car la marchandise n'était pas acceptable.

Monsieur Decaudin, salarié de la SAS Briodis, atteste en ces termes le 6 avril 2012 : "Le matin suite à une deuxième livraison de chez Redon nous avons refusé une palette de melon Benac de 70 colis. (...) le chauffeur ne voulant pas laisser le double de livraison, j'aurais dû faire une photocopie. Ce problème s'est passé vers la mi-juillet et nous n'avons plus réceptionné de produits de chez Redon suite à cela".

M. Trehorel confirme aux termes d'une attestation datée du 6 avril 2012, "qu'il se souvient que Monsieur Decaudin a refusér une palette de 70 colis de melon au mois de juillet pour marchandise de mauvaise qualité lors d'une deuxième livraison et qu'il a rendu les bons (deux exemplaires) au chauffeur qui l'a repris".

Ces deux attestations qui émanent de salariés sous lien de subordination avec la société Briodis ne sont corroborées par aucun bon de retour pour marchandise non conforme et émanent de salariés de la société Briodis, auteur de la rupture.

Monsieur Jean-Noël Berthou, responsable du rayon fruits et légumes, a fait l'objet par son employeur, d'une sommation interpellative, le 28 juin 2013, et a répondu que des contrôles qualités ont été mis en place par les nouveaux dirigeants, que les défauts avaient été constatés avant le changement de direction, mais se sont multipliés à partir de mai 2011, que la cause de la suspension des commandes était motivée par la mauvaise qualité des produits. En revanche, Monsieur Jean-Noël Berthou ne s'est pas prononcé sur le fait que les retours de produits étaient plus nombreux chez la société Redon que chez les autres fournisseurs.

La société Briodis précise qu'elle ne considérait pas que les relations commerciales avec la SARL Redon étaient rompues, mais attendait d'être rassurée par son fournisseur sur la qualité des livraisons à venir, qu'elle a pris contact, par téléphone, avec la SARL Redon. Les parties ont convenu de se rencontrer, dans les locaux de la société Briodis, le 19 décembre 2011. La SARL Redon a souhaité que son conseil assiste à l'entretien. La société Briodis a estimé que la présence des conseils respectifs des parties ne pouvait qu'indiquer le caractère inéluctable d'une action judiciaire. Les parties n'ayant pas réussi à s'accorder sur les modalités d'une réunion, il ne peut en être tiré aucune conséquence quant au responsable de la rupture.

La société Briodis reproche à la société Redon de ne pas avoir de camions permettant de respecter la chaîne du froid ni de respecter les normes européennes en matière de commercialisation des fruits et légumes, de ne pas avoir de service de contrôle qualité. Cependant, la société Briodis doit simplement rapporter la preuve que les fruits et légumes livrés par la société Redon étaient de très mauvaise qualité, que ce comportement constituait une inexécution contractuelle et qu'elle était en conséquence fondée à rompre sans préavis les relations commerciales.

Il y a lieu de constater qu'au moment de la rupture des relations, la société Briodis qui allègue avoir mis en place un contrôle qualité, ne disposait pas de preuves objectives des dysfonctionnements quant à la qualité des produits livrés et dont elle fait grief à son cocontractant alors que le défaut de qualité de marchandises est aisé à constater sur le plan matériel par des réserves clairement signifiées par écrit lors des livraisons et entraînant des refus ou des retours pour ce motif.

Il y a lieu de relever que tout en tentant de prouver la dégradation des marchandises livrées par la société Redon, la société Briodis a indiqué qu'à la suite d'une restructuration interne elle serait amenée à privilégier désormais sa centrale d'achat ; elle a ajouté dans son courrier du 17 août 2011 qu'elle continuerait à s'approvisionner auprès de la société Redon de manière résiduelle. Or, la société Briodis ne justifie d'aucune commande postérieure au mois de juillet 2011. Si la société Briodis estimait que le défaut de conformité des marchandises livrées justifiait une rupture des relations commerciales, elle devait en aviser officiellement son cocontractant ce qu'elle n'a pas fait.

La lettre du 17 août 2011 est adressée à la société Redon en réponse à un courrier recommandé de celle-ci du 27 juillet 2011 qui s'étonne de l'absence de commandes. Enfin, il est difficilement compréhensible que la société Briodis invoque de la part de la société Redon des faits graves justifiant une rupture sans préavis tout en envisageant de poursuivre les relations commerciales.

Le tribunal a relevé justement que durant les 13 ans de relations commerciales, aucune observation n'a été formulée à de la société Redon quant à la qualité de la marchandise ; aucun courrier faisant état de tels griefs n'a été adressé à la société Redon ; la société Briodis rapporte la preuve que la livraison de fruits et légumes très périssables, a été refusée sur une courte période sans démontrer que la qualité des marchandises était systématiquement en cause ce qui ne caractérise pas l'inexécution par la société Redon de ses obligations contractuelles

La rupture des relations commerciales intervenue le 13 juillet 2011 à l'initiative de la société Briodis qui n'établit pas un comportement fautif de son cocontractant justifiait le respect d'un préavis qui n'a pas été accordé ce qui caractérise le caractère brutal de la rupture et justifie l'indemnisation du préjudice subi par la société Redon ;

Compte tenu de la durée de la relation commerciale, de la nature de l'activité et du volume de celle-ci en vente de fruits et légumes évaluée entre 10 et 15 % du chiffre d'affaires total de la SARL Redon, le tribunal a justement fixé à 12 mois le délai de préavis que devait respecter la société Briodis lors de la rupture des relations commerciales afin de permettre à son cocontractant de retrouver des marchés.

La SARL Redon, en perdant brutalement son client le plus important, qui lui assurait un chiffre d'affaires conséquent, a subi un préjudice lié au non-respect du préavis ayant entraîné pour elle une perte financière puisque son chiffre d'affaires de 3 884 271 euro pour l'exercice 2010-2011 a diminué à 3 091 00 euro durant l'exercice suivant. Elle a été amenée à vendre son fonds de commerce dans le même temps.

Le préjudice subi doit être évalué sur la base de la marge brute sur la période des trois dernières années complètes ce qui correspond à l'activité réelle de la SARL Redon au moment de la rupture puisqu'elle fournissait tant le centre commercial situé à Ploufragan que le centre commercial Les Jardins. En effet, la société Briodis peut prétendre à l'indemnisation du préjudice total subi soit la perte de marge qu'elle pouvait espérer percevoir durant la période de préavis ce qui inclut nécessairement celle que lui procurait le centre commercial Les Jardins qu'elle comptait parmi ses clients depuis trois ans et qui exclut donc de calculer le préjudice sur cinq ans. La SARL Redon produit des pièces comptables dont une analyse comptable sur laquelle apparaît le coût des achats de fruits et légumes et le prix de revente de ceux-ci ainsi que le pourcentage de marge brute moyen évalué à 23,19 % ; ce taux a été appliqué au chiffre d'affaires réalisé avec la société Briodis et est récapitulé dans le tableau suivant :

< EMPLACEMENT TABLEAU >

Le fait que la SARL Redon ait connu une baisse de chiffre d'affaires plus importante que celle liée uniquement aux relations commerciales avec la société Briodis n'est pas imputable à celle-ci et n'a pas été prise en compte dans l'évaluation du préjudice ; la SARL Redon ne réclame pas l'indemnisation d'un préjudice lié à la vente du fonds du fonds de commerce très peu de temps après la rupture des relations et ce moyen est donc inopérant.

La société Briodis sera condamnée à verser à la SARL Redon la somme de 123.087 euro en réparation du préjudice subi en raison de la rupture brutale des relations commerciales ;

Les parties soient en désaccord sur les motifs de la rupture ; il existe un litige quant à la qualité des produits vendus par la SARL Redon à la société Briodis ce qui a amené celle-ci à formuler des griefs à l'égard de son cocontractant ; ces critiques formulées dans le cadre d'une procédure judiciaire ne portent pas atteinte à l'image de la SARL Redon qui ne démontre pas avoir subi un préjudice de ce chef. Elle sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

Les sommes réclamées par la société Briodis au titre des factures de carburant ne sont pas contestées. La compensation sera ordonnée entre les sommes dues par chacune des parties. La SARL Briodis débitrice envers la société Redon sera déboutée de sa demande d'astreinte en vue d'obtenir le paiement des factures de carburant.

La société Briodis sera condamnée à verser à la SARL Redon la somme de 5 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. Elle sera déboutée de sa demande de ce chef.

Par ces motifs : Infirme le jugement sur le montant de la somme allouée à titre de dommages et intérêts, Statuant à nouveau de ce chef, Condamne la société Briodis à verser à la SARL Redon la somme de 123 087 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de la rupture brutale des relations commerciales, Ordonne la compensation des sommes dues par la société Briodis à la société Redon au titre des dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales et des sommes dues par la société Redon au titre des factures de carburant, Le confirme pour le surplus, Condamne la société Briodis à verser à la SARL Redon la somme de 5 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toute autre demande, Condamne la société Briodis aux dépens d'appel.