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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 20 mai 2015, n° 13-03888

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

MJ-Lex (ès qual.), Jonction 3B (Sté)

Défendeur :

Alinéa (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Luc, Nicoletis

Avocats :

Mes Baechlin, Montfort, Bernabe, Junqua

T. com. Marseille, du 12 févr. 2013

12 février 2013

Vu le jugement du 12 février 2013, par lequel le Tribunal de commerce de Marseille a débouté la société Jonction 3B, représentée par Me Roche ès qualités (Selas MJ-Lex), de toutes ses demandes, condamné la société Jonction 3B, représentée par Me Roche, ès qualités (Selas MJ-Lex) à payer à la société Alinéa, la somme de 2 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu l'appel interjeté par la société MJ-Lex, représentée par Me Roche, agissant en qualité de liquidateur de la société Jonction 3B, le 26 février 2013, et ses dernières conclusions du 27 mai 2013, par lesquelles il est demandé à la cour d'infirmer dans toutes ses dispositions le jugement entrepris, et, statuant à nouveau, condamner la société Alinéa à payer à Maitre Roche, ès qualités de liquidateur de la société Jonction 3B, la somme de 870 472 euro à titre de dommages et intérêts, ainsi que celle de 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions de la société Alinéa signifiées le 26 juillet 2013 par lesquelles il est demandé à la cour de confirmer dans toutes ses dispositions le jugement entrepris, à titre subsidiaire, limiter une éventuelle réparation à la moyenne des trois derniers excédents bruts d'exploitation, moyenne qui se trouve être négative, débouter l'appelante de toutes ses demandes, sauf à la réduire à une condamnation de principe, condamner l'appelante représentée par son liquidateur à lui payer la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

SUR CE,

Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :

La société Jonction 3B confectionnait des articles textiles de décoration et d'ameublement pour les grandes marques de la distribution et de l'hôtellerie, notamment la société Alinéa France, distributeur en meubles et décoration, avec qui elle entretenait une relation commerciale depuis 1999 et qui est devenue dans le milieu des années 2000 le principal client de Jonction 3B. La société Alinéa, qui réalisait environ 450 millions d'euro de chiffre d'affaires, est une filiale du groupe Auchan. Les deux parties ont signé un contrat-cadre, le 29 juillet 1999, régissant les modalités de leurs relations et précisant les conditions de validité des contrats successifs qui lui seront subordonnés.

Suite à une forte augmentation des coûts des matières premières à partir de 2008, le prix du coton étant multiplié par deux, la société Jonction 3B a connu de sérieuses difficultés financières, cette augmentation nécessitant une répercussion sur ses tarifs de vente, ce qu'Alinéa a refusé par message électronique du 12 mai 2011.

Parallèlement, Alinéa a considérablement réduit ses commandes auprès de Jonction 3B. Toutefois les parties signaient un nouvel accord-cadre 1er septembre 2011.

Le 21 décembre 2011, la société Jonction 3B a informé de nouveau la société Alinéa d'une hausse de ses tarifs en deux temps : une première hausse à compter du 1er janvier 2012, puis une seconde hausse complémentaire à compter du 12 mars 2012.

La société Alinéa a accepté, entre 2011 et le 3 janvier 2012, de prendre en compte une hausse de 11 % des tarifs à compter du 1er janvier 2012, mais a refusé d'appliquer la hausse complémentaire, le 12 mars 2012. Dans ce courriel, la société Alinéa annonçait qu'elle ne pouvait subir de nouvelles augmentations et qu'elle allait donc définitivement stopper les commandes sur cette gamme.

Une procédure de redressement judiciaire a été ouverte le 29 février 2012 à l'encontre de la société Jonction 3B, la date de cessation des paiements étant fixée au 24 février 2012, et convertie en liquidation judiciaire, le 11 avril 2012 : la Selas MJ-Lex, prise en la personne de Me Roche, était désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

Estimant qu'Alinéa avait rompu de façon brutale et sans préavis les relations commerciales qu'elle entretenait avec Jonction 3B, cette dernière l'a assignée le 23 juillet 2012 devant le Tribunal de commerce de Marseille. Cette société excipait également de la violation des dispositions de l'article L. 442-6, I, 2°, 4° et 5° du Code de commerce. Le tribunal de commerce a estimé que le mail de la société Alinéa du 12 mars 2012 ne pouvait être retenu comme un élément de rupture commerciale brutale et sans préavis, qu'aucune faute ne pouvait être imputée à la société Alinéa, et enfin qu'il n'était nullement démontré que la société Alinéa serait à l'origine de la liquidation judiciaire de la société Jonction 3B.

Sur la rupture brutale des relations commerciales

Considérant que la société Jonction 3B soutient que la société Alinéa a brutalement et sans préavis rompu les relations commerciales établies depuis treize ans et a enfreint les dispositions de l'article L. 442-6, I-5° du Code de commerce ; qu'aucun préavis ne lui a été accordé lors de la rupture du contrat, alors que l'appelante estime que le préavis devait être égal à 2 ans ;

Considérant que la société Alinéa expose que le courriel du 12 mars 2012 ne constituait nullement une rupture, mais seulement l'arrêt des commandes d'un modèle particulier acheté auprès de l'appelante ; qu'il n'a jamais été indiqué que cette rupture prenait effet immédiatement, ni surtout sans préavis ; que l'administrateur judiciaire de la société appelante n'a pas souhaité reprendre le contrat au titre des contrats en cours, et comme le prévoit l'article L. 622-13 du Code de commerce, n'a pas usé de la faculté de poursuivre ledit contrat, ayant demandé auprès du tribunal la conversion du redressement en liquidation judiciaire ; que si l'administrateur avait estimé que la situation économique nécessitait la poursuite du contrat, il devait enjoindre à la société Alinéa de le poursuivre ; que la société Alinéa allègue également une baisse de qualité des produits, qui constituerait une faute de la société Jonction 3B ;

Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 442-6- I- 5° du Code de commerce :

" Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...) " ;

Considérant que si les parties ne contestent pas la durée des relations commerciales qui les ont unies, elles s'opposent sur leur fin, la société MJ-Lex, représentée par Me Roche, agissant en qualité de liquidateur de la société Jonction 3B, soutenant que la société Alinéa y a mis fin dans son courriel du 12 mars 2012, et celle-ci exposant au contraire qu'il s'agissait d'un refus d'acheter une gamme déterminée de produits aux nouveaux prix imposés par Jonction 3B ;

Considérant que si, dans le courriel du 12 mars 2012, la société Alinéa annonçait qu'elle ne pouvait subir de nouvelles augmentations et qu'elle allait donc définitivement stopper les commandes sur la gamme Alaska, ce message, dépourvu de tout formalisme, ne constituait qu'une annonce, une menace d'arrêt de commandes, sans prise d'effet ferme et immédiate, et ne pouvait constituer, ainsi que l'ont estimé les Premiers Juges, une notification de rupture brutale, qui doit être dépourvue de toute équivoque ; que, de plus, les organes de la procédure collective de la société Jonction 3B n'ont pas demandé la continuation de cette relation commerciale, qui a pris fin avec la liquidation de la société Jonction 3B ; qu'il n'est pas possible d'imputer l'arrêt des relations commerciales à la société Alinéa ;

Sur l'application de l'article L. 442-6, I, 2° et 4°, du Code du commerce

Considérant que la société Jonction 3B soutient que la société Alinéa lui a imposé des conditions tarifaires abusives durant les 4 dernières années de leur collaboration et a abusé de sa situation de dépendance économique, en refusant de renégocier les prix en fonction du coût des matières premières, ainsi que de la main d'œuvre ; que bien que l'augmentation de prix soit soumise à l'acceptation du co-contractant, celui-ci peut profiter de sa situation de force ;

Considérant que la société Alinéa estime ne pas avoir commis de faute contractuelle puisqu'elle n'était pas dans l'obligation d'accepter une hausse de prix selon le contrat ; qu'elle avait proposé d'autres solutions, telle que la possibilité d'une livraison centralisée des marchandises ; qu'elle expose avoir été menacée par Jonction 3B de l'arrêt des livraisons ; qu'elle soutient que Jonction 3B est un mauvais gestionnaire qui n'a pas su s'adapter à la conjoncture économique ; qu'il est inexact de dire qu'il y ait eu augmentation du prix des matières premières et le prix de la main d'œuvre de Jonction 3B n'a eu de cesse de diminuer ; que Jonction 3B a sa part de responsabilité dans la rupture ;

Considérant que selon les dispositions de l'article L. 442-6, I, 2° et 4°, " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (...) 2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; (...) ; 4° D'obtenir ou de tenter d'obtenir, sous la menace d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou les services ne relevant pas des obligations d'achat et de vente " ;

Considérant que la société Alinéa a refusé d'appliquer les augmentations de tarifs demandées par la société Jonction 3B ; que l'article 3.3.1 du contrat-cadre signé entre les parties le 1er septembre 2011 prévoit que " toute modification tarifaire doit être portée à la connaissance d'Alinéa par le fournisseur dans un délai de 12 semaines minimum avant son entrée en application et ne pourra en tout état de cause entrer en application qu'après accord exprès d'Alinéa donné par le chef de produits de la gamme concernée " ; que la société Alinéa n'était donc pas obligée de consentir à l'augmentation des tarifs demandés, sous réserve du principe de loyauté dans l'exécution du contrat ;

Considérant que si la société MJ-Lex, ès qualités, soutient que le prix du coton aurait été multiplié par deux de 2009 à 2011, elle ne démontre pas que l'absence de revalorisation de ses prix de vente à destination de la société Alinéa l'aurait placée dans une situation inextricable, par la faute de la société Alinéa ; qu'en effet, la société appelante ne verse aux débats aucun élément sur la composition de ses prix, et, notamment, sur la part constituée par l'achat de la matière première en question dans ses coûts ; que dès lors, il n'est pas démontré que le refus de revalorisation de la société Alinéa ait été à l'origine du redressement, puis de la liquidation de la société ; qu'aucun abus dans la fixation des prix ne peut être imputé à la société Alinéa, au titre du 2° et du 4° du I de l'article L. 442-6 du Code de commerce, la démonstration n'étant pas établie qu'un déséquilibre significatif en ait résulté entre les parties ou que les conditions d'achat d'Alinéa en cause aient revêtu un caractère manifestement abusif ;

Considérant qu'il y a lieu, en conséquence, de confirmer le jugement entrepris ;

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris, Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de la procédure collective de la société Jonction 3B, Fixe à la somme de 5 000 euro la créance de la société Alinéa au passif de la société Jonction 3B, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.