CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 28 mai 2015, n° 2014-09272
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Degaine (SAS), Entreprise Pradeau et Morin (Sté)
Défendeur :
Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Michel-Amsellem
Conseillers :
Mme Leroy, M. Douvreleur
Avocats :
Mes Saint Esteben, Boccon Gibod, Lacaze, Casanova, Selarl 2H Avocats
Par une décision n° 11-D-02 du 26 janvier 2011, l'Autorité de la concurrence a sanctionné quinze entreprises pour un montant total de 10 millions d'euro, pour s'être, en violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce, réparties la quasi-totalité des marchés publics de restauration des monuments historiques (églises, cathédrales, abbayes, châteaux, patrimoine des villes...) dans les trois régions de Basse-Normandie, Haute-Normandie et Picardie, ainsi que pour plusieurs ententes ponctuelles mises en place dans les régions Aquitaine, Bourgogne, Nord-Pas-de-Calais et Île-de-France. Parmi les sociétés sanctionnées, la société Degaine l'a été pour un montant de 536 000 euro et la société Entreprise Pradeau et Morin (la société Pradeau et Morin), pour un montant de 4 500 000 euro.
Saisie d'un recours par plusieurs de ces sociétés, la Cour d'appel de Paris les a, par un arrêt du 11 octobre 2012, tous rejetés à l'exception de ceux des sociétés Pradeau et Morin et Terh Monuments historiques. Statuant à nouveau, elle a réduit à 4 000 000 euro la sanction infligée à la société Pradeau et Morin et précisé les modalités de publication de la décision dans deux journaux.
Par un arrêt du 18 février 2014 (Pourvois n° 12-27.643 et a.), la Chambre commerciale, financière et économique de la cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt précité de la cour d'appel, mais seulement en ce qu'il a prononcé, avec publication, des sanctions pécuniaires de 536 000 euro à l'encontre de la société Degaine et de 4 000 000 euro à l'encontre de la société Entreprise Pradeau et Morin. La Cour de cassation a renvoyé les parties concernées devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.
Vu la déclaration de saisine après renvoi de la Cour de cassation déposée par la société Degaine au greffe de la cour d'appel le 6 mai 2014 ;
Vu la déclaration de saisine après renvoi de la Cour de cassation déposée par la société Entreprise Pradeau et Morin au greffe de la cour d'appel le 16 juin 2014 ;
Vu les mémoires déposé au greffe de la cour à l'appui de son recours par la société Degaine les 7 octobre 2014 et 29 janvier 2015 ;
Vu le mémoire déposé au greffe de la cour à l'appui de son recours par la société Entreprise Pradeau et Morin le 7 octobre 2014 et son mémoire récapitulatif et responsif déposé le 30 janvier 2015 ;
Vu les observations déposées au greffe de la cour par le ministre de l'Economie le 16 décembre 2014 ;
Vu les observations déposées au greffe de la cour par l'Autorité de la concurrence le 18 décembre 2014 ;
Vu les observations déposées au greffe de la cour par le Ministère public le 10 mars 2015 et mises à disposition des parties ;
Après avoir entendu à l'audience publique du 12 mars 2015, les conseils des sociétés Degaine et Pradeau et Morin qui ont été mises en mesure de répliquer et ont eu la parole en dernier, ainsi que le représentant de l'Autorité de la concurrence, du ministre de l'Economie et le Ministère public ;
SUR CE
Il convient à titre liminaire de rappeler que l'arrêt de cassation a sanctionné l'arrêt précédemment rendu par cette cour le 11 octobre 2012, au visa de l'article L. 464-2 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 et au motif que : " (...) Attendu que les sanctions pécuniaires sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ;
Attendu que pour fixer la sanction prononcée à l'encontre de la société Degaine, l'arrêt retient qu'en raison de son appartenance au groupe Vinci, dont le chiffre d'affaires est particulièrement important, cette société n'est pas fondée à se prévaloir de difficultés financières particulières affectant sa capacité contributive ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, après avoir retenu que la société Degaine s'était comportée de manière autonome sur le marché, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si cette société avait la faculté de mobiliser les fonds nécessaires au règlement de la sanction auprès du groupe auquel elle appartient, a privé sa décision de base légale (...) ;
et que : " (...) Attendu que pour fixer la sanction infligée à la société Pradeau et Morin, l'arrêt retient que son appartenance au groupe Eiffage, dont le chiffre d'affaires est particulièrement important, constitue une circonstance individuelle conduisant à en majorer le montant afin d'assurer son caractère à la fois dissuasif et proportionné ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, après avoir retenu que la société Pradeau et Morin s'était comportée de manière autonome sur le marché, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si l'appartenance de cette société au groupe Eiffage avait joué un rôle dans la mise en œuvre des pratiques anticoncurrentielles ou était de nature à influer sur l'appréciation de la gravité de ces pratiques, a privé sa décision de base légale (...)" ;
La cassation ayant été prononcée sur les seules dispositions de l'arrêt précité prononçant, avec publication, des sanctions pécuniaires de 536 000 euro à l'encontre de la société Degaine et de 4 000 000 euro à l'encontre de la société Entreprise Pradeau et Morin, la cour statuant comme cour de renvoi ne peut statuer à nouveau que sur le montant des sanctions infligées à ces deux sociétés.
Sur la loi applicable
La société Degaine soutient à titre principal que la sanction infligée par l'Autorité de la concurrence doit être annulée car elle est supérieure au plafond légal de 5 %, alors applicable. Elle précise à ce sujet qu'en application de l'article L. 464-2 du Code de commerce, la sanction doit être examinée individuellement pour chaque entreprise et qu'il convient en conséquence, dans le cas d'une infraction complexe et continue comme celle retenue en l'espèce, de prendre en compte le dernier acte effectif de participation de l'entreprise en cause. Elle fait valoir que le précédent arrêt avait retenu exactement que son dernier acte de participation à l'entente était en ce qui la concerne le 13 février 2001 et non en juin 2002 et qu'en conséquence, la sanction encourue par elle devait être fixée selon la version antérieure à la loi relative aux nouvelles régulations économique du 15 mai 2001 (la loi NRE) de l'article L. 464-2 du Code de commerce, ce que n'a pas fait l'Autorité de la concurrence en violation du principe d'individualisation des sanctions et de celui de non-rétroactivité des lois pénales.
Ce moyen qui concerne la loi applicable à la fixation des sanctions doit à nouveau être examiné en raison de la cassation intervenue sur ce point au bénéfice de la société Degaine.
Il convient de rappeler à ce sujet que lorsque les pratiques relevées par l'Autorité de la concurrence sont constitutives d'une pratique continue commencée antérieurement et terminée postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi NRE et que le Conseil de la concurrence, devenu l'Autorité de la concurrence, a été saisi postérieurement à cette entrée en vigueur, les dispositions applicables sont celles de cette loi.
Tel est bien le cas des pratiques reprochées à la société Degaine qui s'inscrivent dans une pratique d'entente générale, complexe et continue en Basse-Normandie, commencée en juillet 1999 et achevée en juin 2002, ainsi qu'il sera précisé ci-après. En effet, dès lors que cette société a manifesté par plusieurs décisions ayant un objet anticoncurrentiel unique sa participation à l'entente, son comportement peut être qualifié d'infraction unique et continue pour toute la période pendant laquelle elle y a participé.
Contrairement à ce que soutient la société Degaine, la cour n'a pas précédemment jugé, dans ses motifs relatifs à la qualification des pratiques, que le dernier acte de sa participation à l'entente était le 13 février 2001. En effet, l'arrêt précise seulement que la date du 18 juin 2002, correspondait à la date de réception des travaux du marché du 13 février 2001. Cette date du 18 juin 2002 constitue donc le dernier acte de participation à l'entente de la société Degaine, attributaire du marché, laquelle ne conteste pas que la date de réception des travaux constitue le dernier acte de participation à une entente relative à l'attribution d'un marché public. Il convenait en conséquence, comme l'a précisé l'arrêt précédent, de ne retenir la participation de cette société non pas à un marché du 13 juin 2001 et à un marché du 18 juin 2002, comme le fait apparaître la liste reprise au point 151 de la Décision, mais à un marché du 13 juin 2001, dont l'acte de participation s'est manifesté le 18 juin 2002 et donc à 10 marchés relatifs au Mont-Saint-Michel et non à 11, comme retenu de façon erronée par la Décision.
Il s'en déduit que le dernier acte de participation à l'entente de la société Degaine a été accompli le 18 juin 2002, soit postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi NRE du 15 mai 2001 (18 mai 2001) et que le Conseil de la concurrence ayant été saisi postérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi, celle-ci s'applique aux pratiques en cause. C'est donc bien au regard de l'article L. 464-2 du Code de commerce dans sa version postérieure au 15 mai 2001 que doit être apprécié le montant de la sanction.
Les moyens de la société Degaine qui fait valoir, d'une part, que la Décision aurait appliqué la loi du 15 mai 2001 de façon rétroactive, d'autre part qu'elle aurait violé l'article L. 464-2 en lui infligeant une sanction excédant le plafond de 5 % de son chiffre d'affaires, prévu par cette disposition dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 15 mai 2001, sont donc dépourvus de fondement et doivent être rejetés. Il n'y a par ailleurs pas lieu de tenir compte du nombre de manifestations de volonté de participation à l'entente antérieurs à la loi nouvelle, dès lors que celle-ci a constitué une pratique complexe et continue en partie exécutée sous l'empire de cette loi.
Enfin, il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de modifier la sanction prononcée au titre d'une réduction de la durée des pratiques dont il n'aurait pas été tenu compte, ni en tant que telle, ni au regard de la durée des pratiques mises en œuvre par les autres sociétés sanctionnées, par la décision déférée.
Sur l'application du communiqué de l'Autorité de la concurrence du 16 mai 2011 relatif à la détermination du montant de la sanction infligée à la société Pradeau et Morin
La société Pradeau et Morin soutient que les méthodes de détermination des sanctions établies par le communiqué publié par l'Autorité de la concurrence le 16 mai 2011 (le Communiqué) sont applicables à l'espèce. Elle admet que celui-ci ne s'impose pas à la cour d'appel mais que celle-ci doit vérifier que l'Autorité l'a bien appliqué dans la fixation de la sanction, ce qui n'a pas été le cas.
L'Autorité de la concurrence précise que l'article L. 464-2 du Code de commerce qui énonce les critères au regard desquels la sanction doit être prononcée fait référence au seul chiffre d'affaires mondial consolidé ou combiné et ne lui impose pas de se référer au chiffre d'affaires lié au marché sur lequel les pratiques ont été commises. Elle ajoute que le respect du principe d'égalité de traitement lui commandait en l'espèce d'évaluer les sanctions pécuniaires pour toutes les entreprises en cause en retenant la même assiette de référence, à savoir leur chiffre d'affaires global.
Ainsi que le précise le Communiqué du 16 mai 2011, au paragraphe 6, il a pour objectif d'expliquer la méthode suivie en pratique par l'Autorité lorsqu'elle détermine les sanctions pécuniaires qu'elle prononce en application du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce et il synthétise sa pratique décisionnelle en cette matière, telle que celle-ci s'est développée sous le contrôle juridictionnel de la Cour d'appel de Paris, elle-même placée sous celui de la Cour de cassation.
Si selon les termes du paragraphe 7 du même texte, l'Autorité de la concurrence s'estime engagée, par respect du principe de sécurité juridique et au regard de l'obligation de cohérence qui en découle, à appliquer les principes qui y sont énoncés, à moins que des éléments particuliers d'espèce ne lui permettent de s'en écarter, il ne saurait toutefois lui être reproché de ne pas l'avoir fait dans une décision prononcée en janvier 2011 alors que le Communiqué a été publié cinq mois plus tard.
Saisie du contrôle de légalité de la sanction prononcée, la cour d'appel, saisie en fait et en droit, doit toutefois examiner le bien-fondé de celle qui a été prononcée en l'espèce. Si ainsi qu'elle l'a précisé dans plusieurs arrêts antérieurs, la cour n'est pas liée par les principes directeurs publiés par l'Autorité de la concurrence dans son Communiqué, ce qu'admet d'ailleurs la société Pradeau et Morin dans ses conclusions, elle peut toutefois s'inspirer des principes qui y sont énoncés, dans le cadre du contrôle de proportionnalité qu'elle effectue.
Sur le montant des sanctions prononcées
Sur la pertinence de l'assiette retenue pour la détermination de la sanction infligée à la société Pradeau et Morin
La société Pradeau et Morin conteste la pertinence de l'analyse de l'Autorité de la concurrence qui a retenu dans sa décision qu'elle ne pouvait pas retenir pour assiette de référence dans le calcul des sanctions, le chiffre d'affaires réalisé dans le secteur concerné par les pratiques, faute de détenir des éléments fiables sur la proportion des chiffres d'affaires en rapport avec leur activité dans le secteur de la restauration des monuments historiques des sociétés en cause. La requérante fait valoir à ce sujet qu'elle avait, pour sa part, transmis des éléments pertinents, complets et fiables la concernant et que l'Autorité aurait dû en tenir compte dans la fixation de la sanction qui lui a été infligée.
Il convient sur ce point de rappeler que l'article L. 464-2, I, alinéa 3, précise que les sanctions sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction.
L'Autorité de la concurrence, dans la décision déférée à la cour a indiqué au paragraphe 714 que " Si la valeur des ventes réalisées par les entreprises en cause de produits ou de services en relation avec l'infraction constitue généralement une référence appropriée pour déterminer l'assiette de la sanction pécuniaire infligée par l'Autorité de la concurrence, dans la mesure où elle permet de proportionner celle-ci à la réalité économique de l'infraction ", elle ne pouvait pas retenir ce montant de base aux sanctions, " faute d'éléments suffisamment probants permettant d'en déterminer le montant ".
Elle a précisé au paragraphe suivant qu'" En effet, les entreprises invitées en séance à communiquer les éléments relatifs à la proportion de leur chiffre d'affaires en rapport avec leur activité dans le secteur de la restauration des monuments historiques, réalisé au cours de la période de commission des pratiques sur les marchés affectés par celles-ci, n'ont pas fourni, pour la plupart d'entre elles, de données pertinentes, complètes et justifiées. Par ailleurs certaines d'entre elles n'ont fourni aucun élément sur ce point ", pour conclure que : " faute de disposer de données alternatives adéquates et suffisamment fiables et complètes [l'Autorité] utilisera le chiffre d'affaires réalisé par les entreprises comme base pour déterminer le montant des sanctions ".
Devant la cour, l'Autorité soutient, d'une part, qu'elle n'avait en tout état de cause aucune obligation légale de se référer à la méthode d'appréciation revendiquée par la société Pradeau et Morin, d'autre part, que le principe de respect de l'égalité entre les entreprises sanctionnées commandait qu'elle leur applique à toutes les même bases d'appréciation, soit celle de leur chiffre d'affaires total, ce qui répond aux exigences de l'article L. 464-2 du Code de commerce.
Cependant, elle ne conteste pas qu'ainsi qu'elle l'a rappelé dans le Communiqué cité précédemment, la valeur des ventes de services en relation avec l'infraction est une référence appropriée et objective pour déterminer le montant de base de la sanction pécuniaire, dans la mesure où cette valeur permet de proportionner, au cas par cas, l'assiette du calcul de la sanction à l'ampleur économique de l'infraction en cause, d'une part, et au poids relatif, sur le secteur concerné, de chaque entreprise ou organisme qui y a participé, d'autre part. Ce principe d'analyse s'il est exprimé par le Communiqué sanction, lui préexiste et la motivation de la décision démontre que c'est en l'absence de données fiables de la part de l'ensemble des entreprises en cause que l'Autorité ne l'a pas appliqué en l'espèce.
Or il n'est pas contesté que les données transmises par la société Pradeau et Morin concernant son chiffre d'affaires du secteur concerné par l'infraction était fiables et complètes.
Le principe d'égalité dans la fixation de la sanction, qui commande seulement de traiter de façon identique les entreprises qui se trouvent dans des situations semblables, ne justifie pas que la société requérante qui avait fourni les données permettant de déterminer son chiffre d'affaires réalisé dans le secteur concerné par l'infraction, se voit infliger une sanction qui ne tienne pas compte de la réalité économique de l'infraction qui pouvait, en ce qui la concerne, être plus exactement évaluée. La contestation de la société Pradeau et Morin tendant à obtenir une réduction, en conséquence, du montant de la sanction sera retenue dans les conditions ci-après.
Sur les conséquences de l'appartenance à un groupe de grande envergure
En application de l'article L. 464-2, alinéa 3, du Code de commerce les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le droit de la concurrence. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction.
Si ce texte prévoit la prise en compte de la situation ou de l'entreprise sanctionnée ou du groupe auquel elle appartient, cet élément qui s'intègre dans l'obligation d'appréciation individuelle de la sanction infligée à chaque entreprise, ne peut se traduire par un relèvement automatique du montant de la sanction au regard de la seule appartenance à ce groupe.
Il convient en conséquence de rechercher si des éléments concrets liés à leur appartenance à un groupe de sociétés pouvaient, en l'espèce conduire, d'une part, au relèvement de la sanction encourue par la société Pradeau et Morin, d'autre part, à rejeter le moyen développé par la société Degaine qui invoquait des difficultés financières particulières affectant sa capacité contributive, comme l'a fait l'Autorité.
Sur le montant des sanctions
Concernant la société Pradeau et Morin
Contrairement à ce que soutient l'Autorité, l'objectif d'assurer un caractère dissuasif et proportionné à une sanction pécuniaire, ne saurait, par lui seul, conduire au relèvement de la sanction dans le cas de l'appartenance de l'entreprise concernée à un groupe de sociétés, puisque cette seule circonstance conduirait alors à instaurer un relèvement automatique du seul fait de l'appartenance au groupe. Le seul effet d'entraînement ou d'exemplarité pris in abstracto ne peut, pour le même motif, non plus justifier une majoration.
En l'espèce, aucun élément concret du dossier ne conduit à considérer que le comportement de la société Pradeau et Morin aurait été influencé ou facilité du fait de son appartenance à un groupe d'envergure importante ou que ce groupe aurait été particulièrement reconnu dans le domaine concerné par les pratiques, ou encore que cette appartenance aurait permis à cette société d'entraîner dans ses pratiques des entreprises d'importance moindre.
L'Autorité de la concurrence n'était donc pas fondée à décider que l'appartenance de cette entreprise à un groupe dont le chiffre d'affaires est particulièrement important constituait une circonstance individuelle conduisant à majorer leur sanction.
Il convient en conséquence de réformer la décision déférée et de prononcer la sanction infligée à la société Pradeau et Morin.
Il résulte de l'attestation fournie par l'expert-comptable de la SNC Pradeau et Morin que la valeur des ventes réalisées dans le secteur concerné par l'infraction, soit le chiffre d'affaires réalisé dans le secteur de la restauration des monuments historiques en France a été pour l'année 2001, dernière année complète concernée par l'entente, de 8 003 572 euro. Il n'y a pas lieu de réduire ce paramètre de détermination du montant de base, à la seule région de Picardie dès lors, d'une part, que la société Pradeau et Morin a participé à des ententes sur les territoires de Haute-Normandie et de Picardie, d'autre part, que le secteur économique affecté est celui de la rénovation des monuments historiques au plan national.
Compte tenu de cette assiette, de la durée du comportement infractionnel, de la particulière gravité de la pratique, de l'importance du dommage causé à l'économie, tels qu'ils sont caractérisés par de justes motifs de la décision que la cour adopte, la sanction infligée à la société Pradeau et Morin sera de 3 601 606,40 euro, dont il convient de déduire 20 % au titre de la réduction octroyée pour la non-contestation des griefs et des engagements pris par la société.
La sanction prononcée sera donc de 2 881 285 euro, inférieure à 10 % du chiffre d'affaires de 74,9 millions d'euro réalisé par l'entreprise Etablissement Pradeau et Morin en 2009, qui sera retenu comme référence de calcul du plafond de la sanction.
Concernant la société Degaine
De même que pour la société Pradeau et Morin, l'Autorité a tenu compte dans la fixation du montant de la sanction de son appartenance à un groupe puissant du BTP (Paragraphe 701).
Pour les mêmes motifs que ceux précédemment développés à ce sujet concernant la société Pradeau et Morin, il convient de réformer la décision déférée, dans la mesure où aucun élément concret du dossier ne conduit à considérer que le comportement de la société Degaine aurait été influencé ou facilité du fait de son appartenance à un groupe d'envergure importante ou que ce groupe aurait été particulièrement reconnu dans le domaine concerné par les pratiques, ou encore que cette appartenance aurait permis à cette société d'entraîner dans ses pratiques des entreprises d'importance moindre.
Par ailleurs, l'Autorité de la concurrence ne pouvait, pour les motifs qui ont été retenus précédemment, rejeter le moyen invoqué par la société Degaine, relatif aux difficultés financières auxquelles elle était confrontée depuis 2006 au seul motif qu'elle appartenait à un groupe disposant de ressources financières considérables. À ce sujet, le seul fait que les comptes des filiales soient consolidés au sein du groupe constitue un indice, mais ne démontre pas à lui seul que les difficultés de l'une d'entre elles puissent être résolues par des synergies ou des partenariats de la part de la société mère ou des autres filiales. De même, la constitution d'un groupe de sociétés peut être justifiée par de multiples raisons économiques, juridiques et financières et il ne peut être déduit de la seule existence d'un groupe, un intérêt pour celui-ci à ne pas laisser une filiale assumer seule ses difficultés. Dans ces conditions, si une société responsable de pratiques anticoncurrentielles démontre qu'elle est confrontée à des difficultés financières de nature à être prises en compte dans l'appréciation du montant de la sanction, c'est aux autorités de concurrence, puis à la cour d'appel dans le cadre de son contrôle de pleine juridiction, qu'incombe la charge de la preuve de ce que cette société pourrait mobiliser auprès du groupe auquel elle appartient les fonds lui permettant de payer la sanction pécuniaire qui pourrait lui être infligée.
En l'espèce, il est démontré par les éléments comptables produits par la société Degaine qu'elle connaît, depuis plusieurs années et de façon continue, des résultats en baisse. Elle ne produit toutefois aucun autre élément fiable et objectif attestant de l'existence de difficultés financières particulières et actuelles affectant sa capacité à s'acquitter de la sanction qu'elle encourt à raison des pratiques en cause. Par ailleurs, l'article L. 464-2, alinéa 3, du Code de commerce, ne prévoit pas que l'appréciation du montant de la sanction prenne en compte, en tant que telles, les difficultés économiques du secteur concerné par les pratiques.
Les demandes et moyens invoqués par la société Degaine au titre de ses difficultés financières et de celles du secteur de la réfection des monuments historiques doivent, en conséquence, être rejetés.
Eu égard à la gravité des pratiques et au dommage à l'économie, justement appréciés par la décision déférée et non critiqués par le requérante, ainsi qu'à sa situation individuelle pour laquelle l'appartenance à un groupe ne sera pas prise en compte, la sanction infligée à la société Degaine sera fixée à 428 800 euro.
Par ces motifs : Réforme la décision de l'Autorité de la concurrence n° 11-D-02 du 26 janvier 2011 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la restauration des monuments historiques, mais seulement en ce qu'elle a infligé à la société Entreprise Pradeau et Morin une sanction de 4 500 000 euro et à la société Degaine une sanction de 536 000 euro ; Statuant à nouveau de ces chefs, Dit que sont infligées à la société Entreprise Pradeau et Morin une sanction de 2 881 285 euro et à la société Degaine la sanction de 428 800 euro. Rappelle que les sommes payées excédant les montants ci-dessus prononcés devront être remboursées aux sociétés concernées, outre les intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et s'il y a lieu capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1154 du Code civil ; Rejette toutes demandes autres, plus amples ou contraire des parties ; Condamne les sociétés Entreprise Pradeau et Morin et Degaine aux dépens.