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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 1, 19 mai 2015, n° 15-04775

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Apple Distribution International (Sté), Apple France (Sté)

Défendeur :

Ministre de l'Economie, Orange (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Acquaviva

Conseillers :

Mmes Guihal, Dallery

Avocats :

Mes Teytaud, Philippe, Benouville, Boccon-Gibod, Clarenc, Michel

T. com. Paris, du 16 févr. 2015

16 février 2015

Le groupe Apple est spécialisé dans la conception, le développement et la commercialisation de produits multimédias et smartphones sous sa marque Apple dans le monde.

La société de droit irlandais Apple Distribution International (ci-après Apple Distribution) assure depuis l'Irlande la distribution de ses produits iPhone en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique.

Le 28 février 2013, la société Apple Distribution a conclu avec la société de droit français Orange, opérateur de télécommunication, un contrat de distribution ayant pour objet la vente de ses iPhones.

Par exploit du 22 mai 2014, le ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique (le ministre) a fait assigner la société Apple Distribution ainsi que la société de droit français Apple France devant le Tribunal de commerce de Paris sur le fondement de l'article L. 442-6 III du Code de commerce aux fins de voir :

- prononcer la nullité comme soumettant ou tentant de soumettre la société Orange à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, de plusieurs clauses du contrat de distribution conclu entre la société Apple Distribution et la société Orange,

- ordonner les sociétés défenderesses à verser au Trésor Public, à charge pour lui de les restituer à Orange, les sommes indûment perçues au titre de l'exécution depuis l'entrée en vigueur du contrat des clauses litigieuses,

- enjoindre aux sociétés défenderesses de cesser de mentionner les clauses litigieuses dans leurs contrats,

- les condamner au paiement d'une amende civile de 2 000 000 euro, outre une indemnité de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonner la publication de la décision à intervenir dans différents organes de presse et sur le site Internet d'Apple.

La société Orange est intervenue volontairement à l'instance à titre accessoire.

La société Apple Distribution a décliné in limine litis la compétence du Tribunal de commerce de Paris motif pris de la stipulation d'une clause compromissoire à l'article 17 du contrat de distribution.

Par jugement du 16 février 2015, le Tribunal de Paris, écartant l'exception d'incompétence, s'est déclaré compétent pour connaître du litige opposant le ministre et la société Apple Distribution, au motif que la clause compromissoire stipulée au contrat ne s'applique qu'aux parties et qu'en l'espèce, le ministre tiers au contrat, dans l'exercice de sa mission de gardien de l'ordre public économique, n'agit pas par substitution d'Orange.

Le 27 février 2015, la société Apple Distribution et la SARL Apple France ont formé contredit à l'encontre de ce jugement.

Par des conclusions récapitulatives déposées et soutenues oralement à l'audience, les sociétés Apple Distribution et Apple France demandent à la cour de réformer le jugement déféré en ce que le Tribunal de commerce de Paris s'est déclaré compétent, dire et juger que le Tribunal de commerce de Paris est incompétent au profit d'un tribunal arbitral, renvoyer le ministre à mieux se pourvoir, rejeter la demande d'évocation formée par la société Orange, et condamner le ministre à lui payer la somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Les sociétés Apple soutiennent qu'en présence d'une clause compromissoire qui n'est ni manifestement nulle, ni manifestement inapplicable, le tribunal arbitral a une compétence exclusive pour statuer sur l'existence, la validité et l'étendue d'une convention d'arbitrage et que le juge étatique est tenu de se déclarer incompétent.

Elles font valoir que la circonstance que le ministre agit dans le cadre de sa mission de gardien de l'ordre public économique ne rend pas en effet la clause manifestement inapplicable à son action, et que le seul fait qu'il ne soit pas partie au contrat de distribution ne suffit pas davantage à lui rendre la clause compromissoire manifestement inapplicable dès lors qu'une clause compromissoire peut être étendue dans diverses circonstances à des tiers au contrat.

Par des conclusions en réponse déposées et soutenues oralement à l'audience, le ministre demande à la cour de constater que la clause compromissoire ne lui est pas opposable, dire et juger recevable son action, déclarer compétent le Tribunal de commerce de Paris pour connaître des demandes qu'il a formées à l'encontre des sociétés Apple, condamner solidairement les sociétés Apple Distribution et Apple France à lui payer la somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Le ministre soutient pour sa part que la clause compromissoire stipulée au contrat de distribution entre Apple et Orange, qui ne le lie pas, est manifestement inapplicable au litige qui l'oppose à la société Apple.

Il soutient en effet que l'action de l'article L. 442-6 III du Code de commerce est une action autonome et indépendante du droit d'agir des parties au contrat de distribution, qu'il n'est ni directement impliqué dans l'exécution du contrat, ni substitué aux contractants initiaux, mais qu'il agit pour la défense de l'ordre public économique et ne peut être assimilé à une partie au contrat de distribution litigieux.

Par des conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience, la société Orange, intervenante volontaire à titre accessoire, demande à la cour de dire et juger que les juridictions françaises sont compétentes pour connaître des demandes formées par le ministre, de confirmer le jugement entrepris en ce que le Tribunal de commerce de Paris s'est déclaré compétent, d'évoquer le fond et de faire injonction à la société Apple Distribution de conclure au fond dans les meilleurs délais.

Orange fait valoir que le ministre, dans sa mission de rétablissement de l'ordre public économique, par essence inarbitrable, est titulaire d'une action propre devant les seules juridictions étatiques françaises, action qui ne saurait être entravée par l'opposabilité de stipulations contractuelles auxquelles il est étranger ; qu'il est un tiers absolu au contrat dans l'exécution duquel il n'est pas impliqué et que la clause compromissoire qui lui est, dès lors, inopposable est manifestement inapplicable au litige.

SUR QUOI,

Considérant que l'article L. 442-6 du Code de commerce réserve au Ministère public, au ministre chargé de l'Economie et au président du Conseil de la concurrence la faculté de saisir les juridictions compétentes désignées par l'article D. 442-3 du Code de commerce, aux fins de voir obtenir la cessation de pratiques illicites et l'application d'amendes civiles aux opérateurs économiques contrevenants ;

Que l'action qui a été attribuée à ces autorités publiques dans le cadre de leur mission de gardiens de l'ordre public économique et qui vise à la protection du fonctionnement du marché et de la concurrence et non à celle des intérêts immédiats des contractants lésés est une action autonome dont l'exercice n'est d'ailleurs pas soumis à l'accord des victimes des pratiques restrictives ni à leur mise en cause devant le juge saisi mais seulement à leur information ;

Que la circonstance que l'autorité qui poursuit la cessation de pratiques discriminatoires puisse également faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites et demander la répétition de l'indu, n'est pas de nature à modifier le caractère de cette action distincte par son objet de défense de l'intérêt général de celle que la victime peut elle-même engager pour la sauvegarde de ses droits propres et la réparation de son préjudice personnel ;

Que par suite, l'action du ministre étant, au regard de sa nature et de son objet, de celles dont la connaissance est réservée aux juridictions étatiques, la clause compromissoire stipulée dans le contrat liant Apple et Orange en ce qu'elle est manifestement inapplicable, ne peut lui être opposée ce qui rend inopérants les moyens tirés tant des dispositions de l'article 1448 du Code civil que de ce que la clause compromissoire ne figure pas au nombre de celles dont le ministre poursuit l'annulation ;

Que c'est, dès lors, à bon droit, que les premiers juges dont la décision doit être confirmée, ont retenu leur compétence ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu d'évoquer le fond du litige, les parties devant être renvoyées pour ce faire devant le tribunal ;

Considérant qu'il est sans objet de donner acte à la société Apple France de ce qu'elle se réserve de solliciter sa mise hors de cause devant la juridiction compétente, une telle demande qui ne vise qu'à voir formuler une constatation, n'étant pas susceptible de conférer un droit à la partie qui a sollicité ce donné acte ;

Considérant que les sociétés Apple qui succombent doivent supporter les frais du contredit et ne peuvent prétendre à une indemnité en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; qu'elles seront, sur ce même fondement, condamnées au paiement d'une somme de 10 000 euro ;

Par ces motifs, Rejette le contredit, Confirme la décision déférée, Condamne la société de droit irlandais Apple Distribution International et la société de droit français Apple France aux frais du contredit et au paiement au ministre de l'Economie, de l'industrie et du Numérique d'une somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toutes autres demandes.