CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 2 juin 2015, n° 14-01233
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Louis Vuitton Malletier (SA)
Défendeur :
Emeraude City (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rajbaut
Conseillers :
Mmes Gaber, Auroy
Avocats :
Mes Boccon Gibod, Blanchard, Hardouin, Belain
Vu le jugement rendu contradictoirement le 12 décembre 2013 par le Tribunal de grande instance de Paris.
Vu l'appel interjeté le 17 janvier 2014 par la SA Louis Vuitton Malletier (ci-après SA Louis Vuitton).
Vu les dernières conclusions récapitulatives n° 3 de la SA Louis Vuitton, transmises le 28 novembre 2014.
Vu les dernières conclusions en réplique et d'appel incident n° 2 de la SARL Emeraude City, transmises le 18 septembre 2014.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 13 janvier 2015.
MOTIFS DE L'ARRET
Considérant que, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ;
Considérant qu'il suffit de rappeler que la SA Louis Vuitton a pour activité principale, depuis 1854, la création, la fabrication et la commercialisation d'articles de voyage, de maroquinerie et d'accessoires de mode ;
Qu'elle expose qu'en 2000 son directeur artistique, M. Marc Jacobs, a fait appel à M. Stephen Sprouse artiste et créateur de mode américain, pour collaborer notamment à la création d'un imprimé revisitant le motif dit " léopard " ;
Que le 11 octobre 2000 la SA Louis Vuitton a procédé au dépôt simplifié, sous le numéro 002 5901, du modèle dit imprimé " léopard stylisé " se caractérisant par les éléments suivants :
* un fond uni et contrastant,
* sur lequel s'inscrivent des motifs, répartis de manière assez irrégulière, mais dense, dont certains ont la forme de lettres ou de points,
* ces motifs présentent la particularité d'être bicolores, en ce qu'ils combinent systématiquement une couleur sombre et une couleur claire,
* cette réalisation crée ainsi un effet d'ombre portée en raison du contraste et de l'agencement des couleurs, sachant que la partie plus sombre du motif couvre une surface plus importante que la partie plus claire selon des tonalités spécifiques ;
Qu'elle expose que le 5 mars 2006 elle a présenté dans le cadre de son défilé de la collection automne/hiver 2006-2007 des articles de mode incorporant l'imprimé selon une combinaison de couleurs rouge/noir et que par la suite, des étoles Louis Vuitton reproduisant cet imprimé ont été commercialisés en marron sur fond camel, noir sur fond marron, noir sur fond rouge et noir sur fond gris marine ;
Que constatant que la société Stock J Boutique Jennyfer, exploitant des magasins sous l'enseigne " Jennyfer ", commercialisait des étoles reproduisant selon elle les caractéristique de son imprimé " léopard stylisé ", la SA Louis Vuitton a fait procéder le 10 mai 2012 à un constat d'achat puis le 7 juin 2012, en vertu d'une ordonnance sur requête du 30 mai 2012, à une saisie-contrefaçon au siège social de cette société au cours de laquelle il est apparu que le modèle d'étole litigieux avait été fourni par la SARL Emeraude City, immatriculée au registre du commerce et de société de Bobigny depuis le 29 juillet 2002, ayant pour activité l'achat, la vente, le négoce, l'import/export, la fabrication, la diffusion et la distribution de prêt-à-porter, la maroquinerie, les cuirs et les peaux ;
Que le 18 juin 2012, agissant en vertu d'une ordonnance sur requête du 13 juin 2012, la SA Louis Vuitton a fait procéder à des opérations de saisie-contrefaçon au siège social de la SARL Emeraude City au cours desquelles il a été constaté la commercialisation d'étoffes considérées par elle comme contrefaisant son modèle 'léopard stylisé' sous quatre coloris différents et référencées YQ1139 et 999SZ13 ;
Que le 06 juillet 2012 la SA Louis Vuitton a fait assigner les sociétés Stock J Boutique Jennyfer et Emeraude City devant le Tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de droits d'auteur et en concurrence déloyale et parasitaire ;
Qu'en cours de procédure une transaction a été signée entre les sociétés Louis Vuitton et Stock J Boutique Jennyfer ;
Considérant que le jugement entrepris a, en substance :
* Dit la SA Louis Vuitton recevable dans son action en contrefaçon de droit d'auteur sur l'imprimé " léopard stylisé ",
* Déclaré valide le procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé au siège social de la SARL Emeraude City en date du 18 juin 2012,
* Dit les actes de contrefaçon de droits d'auteur sur l'imprimé " léopard stylisé " établis à l'égard de la SARL Emeraude City au préjudice de la SA Louis Vuitton,
* Condamné la SARL Emeraude City à payer à la SA Louis Vuitton la somme de 20 000 euro en réparation de la contrefaçon de droits d'auteur,
* Débouté la SA Louis Vuitton de ses demandes sur le fondement des actes de concurrence déloyale,
* Fait interdiction à la SARL Emeraude City d'importer, diffuser et/ou commercialiser par quelque moyen que ce soit les produits litigieux, ainsi que tout produit reproduisant l'imprimé original de la SA Louis Vuitton,
* Ordonné à la SARL Emeraude City de remettre les produits contrefaisants actuellement dans ses stocks et ce, en vue d'une destruction sous contrôle d'huissier aux frais de la société défenderesse, et ce dans un délai de 48 heures à compter de la signification de sa décision, sous astreinte de 150 euro par jour de retard et courant pendant un délai de 2 mois, se réservant la liquidation de l'astreinte,
* Rejeté la demande tendant à la publication de sa décision,
* Condamné la SARL Emeraude City à payer à la SA Louis Vuitton la somme de 5 000 euro, outre les frais de saisie-contrefaçon, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,
* Ordonné l'exécution provisoire, hormis en ce qui concerne la mesure de destruction des stocks ;
I : Sur la titularité des droits :
Considérant que la SARL Emeraude City, appelante incidente de ce chef, soulève à titre principal l'irrecevabilité de la SA Louis Vuitton à agir en contrefaçon au motif qu'elle n'établit pas être titulaire des droits d'auteur afférents à l'imprimé " léopard stylisé " dont elle revendique la protection ;
Qu'elle fait valoir que M. Stephen Sprouse est l'auteur au sens de l'article L. 111-1-1° du Code de la propriété intellectuelle, de l'imprimé " léopard " et soutient qu'en présence d'un auteur reconnu, sous le nom duquel l'œuvre a été divulguée, la présomption de titularité de l'article L. 113-1 ne peut s'appliquer en l'espèce ;
Qu'elle ajoute que le contrat de cession de droits versé aux débats n'apporte pas la preuve de la cession des droits sur l'imprimé " léopard stylisé " revendiqué ;
Considérant que la SA Louis Vuitton réplique que selon la jurisprudence de la cour de cassation, la présomption de titularité des droits de propriété incorporelle peut être invoquée, que la personne physique ayant créé ou contribué à la création de l'œuvre revendiquée soit identifiée ou non ;
Qu'elle fait valoir qu'elle exploite sous son nom l'œuvre revendiquée, notamment par le dépôt simplifié effectué en 2000 et qu'en tout état de cause M. Stephen Sprouse a cédé le 20 juin 2000 l'intégralité de ses droits de propriété portant sur les designs en vue de leur utilisation par la SA Louis Vuitton ;
Considérant ceci exposé, qu'en l'absence de revendication de la part du ou des auteurs, fussent-ils identifiés, l'exploitation non équivoque de l'œuvre par une personne morale sous son nom fait présumer, à l'égard du tiers recherché pour contrefaçon, que cette personne morale est titulaire sur l'œuvre du droit de propriété incorporelle de l'auteur ;
Considérant que pour bénéficier de cette présomption simple, il appartient à la personne morale d'identifier précisément l'œuvre qu'elle revendique et de justifier de la date à laquelle elle a commencé à en assurer la commercialisation en établissant que les caractéristiques de l'œuvre revendiquée sont identiques à celles dont elle rapporte la preuve de la commercialisation sous son nom ;
Considérant qu'en l'espèce l'auteur de l'œuvre, M. Stephen Sprouse, ne revendique pas celle-ci d'autant plus qu'il a, le 20 juin 2000, cédé à la SA Louis Vuitton " l'intégralité de ses droits de propriété portant sur les Designs et ce en vue de leur utilisation par Vuitton pour des articles de prêt à porter et des accessoires pour femmes et hommes " ;
Considérant par ailleurs que la SA Louis Vuitton justifie avoir fait enregistrer à l'INPI le 11 octobre 2000 sous le numéro 005 901, le modèle imprimé 'léopard stylisé' (reproductions n°60 à 63) correspondant à l'imprimé qu'elle revendique dans le cadre du présent litige ; qu'elle justifie également de la commercialisation sous son nom, en France et de façon non équivoque de cet imprimé depuis au moins 2006 (revues de presse des années 2006 à 2014, défilé de la collection automne-hiver 2006/2007 figurant sur le site " www.vogue.fr ", visuels publicitaires et plans média entre 2006 et 2011, extraits des " book " et " look book " des années 2006 à 2011, extraits des brochures Louis Vuitton des années 2009 à 2013) ;
Considérant que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont dit que la titularité des droits de la SA Louis Vuitton sur l'imprimé " léopard stylisé " tel que revendiqué est bien démontrée ;
II : Sur l'originalité de l'œuvre :
Considérant que la SARL Emeraude City conteste l'originalité de l'imprimé 'léopard stylisé' en soutenant que la SA Louis Vuitton ne démontre pas en quoi la combinaison de la couleur de fond unie et des motifs bicolores en forme de lettres ou de points serait empreinte de la personnalité de son auteur, M. Stephen Sprouse, plutôt connu pour son attachement aux graffitis des années 80 ;
Qu'elle fait encore valoir que cette combinaison, comme l'ensemble de ses éléments pris séparément, sont issus du fond commun de la création, l'imprimé " léopard " ayant été lancé dès 1925 par le couturier Poiret et ayant été à la mode à partir de la fin des années 50 avant de revenir au milieu des années 2000 par les collections de prêt à porter Dolce Gabbana, Roberto Cavalli, Moschino ou Balmain ;
Qu'elle en conclut que le genre d'imprimé " léopard stylisé " ne peut donner lieu à protection au titre du droit d'auteur, les caractéristiques visées par la SA Louis Vuitton étant banales ;
Considérant que la SA Louis Vuitton réplique qu'elle ne revendique pas un monopole sur le genre de l'imprimé dit " léopard " mais sur une création particulière et clairement identifiable, l'imprimé revendiqué se démarquant très sensiblement de l'imprimé classique " léopard " qui n'est que la reprise du pelage de l'animal du même nom alors que son imprimé a pour caractéristique originale la présence de motifs bicolores combinant systématiquement une couleur sombre et une couleur claire créant ainsi un effet d'ombre portée ;
Considérant ceci exposé, que le motif imprimé dit " léopard stylisé " revendiqué par la SA Louis Vuitton au titre du droit d'auteur se caractérise par les éléments suivants :
- un fond uni et contrastant,
- sur lequel s'inscrivent des motifs, répartis de manière assez irrégulière, mais dense, dont certains ont la forme de lettres ou de points,
- ces motifs présentent la particularité d'être bicolores, en ce qu'ils combinent systématiquement une couleur sombre et une couleur claire, cette réalisation crée ainsi un effet d'ombre portée en raison du contraste et de l'agencement des couleurs, sachant que la partie plus sombre du motif couvre une surface plus importante que la partie plus claire selon des tonalités spécifiques ;
Considérant que s'il ressort des pièces versées aux débats que l'imprimé " léopard " a été lancé dès 1925 par le couturier Poiret puis repris à la fin des années 40 par Christian Dior avant de connaître un succès de mode à partir de la fin des années 50 puis encore au milieu des années 2000, il apparaît que cet imprimé classique n'est que la reproduction du pelage de l'animal du même nom, présentant des taches de couleur marron entourées plus ou moins régulièrement de noir sur un fond de couleur jaune ;
Considérant que si le motif " léopard " classique reproduisant une peau de léopard est ainsi devenu banal et courant pour les vêtements et accessoires de mode, il apparaît néanmoins que l'imprimé " léopard stylisé " créé par M. Stephen Sprouse pour la SA Louis Vuitton s'en démarque nettement en dévoilant des motifs en forme de lettres ou de points bicolores, se combinant systématiquement en une couleur sombre et une couleur claire, avec un effet d'ombre portée en raison du contraste et de l'agencement des couleurs, ces motifs étant apposés sur un fond uni et contrastant se déclinant en diverses couleurs (marron sur fond camel, noir sur fond marron, noir sur fond rouge, noir sur fond gris marine) ;
Considérant que la combinaison de ces caractéristiques dans un but purement esthétique procède de l'arbitraire de son auteur et est révélatrice d'une création intellectuelle propre à celui-ci conférant à cet imprimé une originalité de nature à lui accorder la protection au titre du droit d'auteur ;
Considérant en conséquence que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a dit la SA Louis Vuitton recevable dans son action en contrefaçon de droits d'auteur sur l'imprimé " léopard stylisé " ;
III : Sur la validité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 18 juin 2012 :
Considérant que la SARL Emeraude City soulève la nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon effectué le 18 juin 2012 et demande de dire que de ce fait la SA Louis Vuitton n'apporte aucune preuve des actes de contrefaçon qu'elle lui impute ;
Qu'elle soutient que l'huissier a donné lecture à haute voix de l'ordonnance mais n'a pas mis le saisi (en la personne de M. Yinlin Zhan, commercial) en possession de l'original de la minute de l'ordonnance, ni ne lui en a remis une copie et qu'en outre le saisi n'a pas disposé d'un délai suffisant pour prendre connaissance de la requête et de l'ordonnance ;
Considérant que la SA Louis Vuitton réplique qu'aucun texte n'impose que le saisi soit mis en possession de l'original de l'ordonnance, seule sa copie devant lui être signifiée, ce qui a été effectué en l'espèce et qu'un délai de quinze minutes s'est écoulé entre la signification de l'ordonnance et le début des opérations de saisie-contrefaçon ;
Qu'elle fait en outre valoir que M. Yinlin Zhan a spontanément déclaré à l'huissier qu'il était au courant de la nature et des raisons des opérations de saisie-contrefaçon pour en avoir été informé par la société Stock J Boutique Jennyfer au siège social de laquelle une précédente saisie-contrefaçon avait été diligentée le 7 juin 2012 ;
Considérant ceci exposé, que selon le dernier alinéa de l'article 495 du Code de procédure civile, seule une copie de la requête et de l'ordonnance doit être laissée à la personne à laquelle elle est opposée, aucune disposition légale ou réglementaire n'imposant dans le cadre d'une procédure de saisie-contrefaçon, de mettre le saisi en possession de l'original de la minute de l'ordonnance autorisant la saisie-contrefaçon ;
Considérant qu'il ressort des pièces versées aux débats que l'huissier de justice, porteur de l'original de l'ordonnance, a bien signifié le 18 juin 2012 à 10 h 10 mn à la SARL Emeraude City (à M. Yinlin Zhan, personne habilitée) la requête et l'ordonnance du 13 juin 2012 autorisant la SA Louis Vuitton à faire procéder à des opérations de saisie-contrefaçon dans les locaux de la SARL Emeraude City à Aubervilliers, en lui remettant une copie des dites requête et ordonnance, respectant ainsi les dispositions de l'article 495 précité ; qu'il n'est pas prouvé ni même allégué, qu'il y aurait eu une différence entre l'original et la copie ainsi remise par l'huissier ;
Considérant par ailleurs que le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 18 juin 2012 indique que les opérations ont débuté à 10 h 25 mn et qu'ainsi un délai de quinze minutes s'est écoulé entre la signification de la requête et de l'ordonnance et le début des opérations de saisie-contrefaçon ; qu'il apparaît ainsi que le saisi a disposé d'un délai suffisant pour prendre connaissance des termes de l'ordonnance et connaître les motifs et l'objet de la saisie-contrefaçon, étant au demeurant observé que M. Yinlin Zhan a spontanément déclaré à l'huissier, dès le début de la lecture de l'ordonnance :
" Notre client Jennyfer nous a appelé, nous sommes au courant " ;
Considérant en conséquence que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a déclaré valide le procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé au siège social de la SARL Emeraude City en date du 18 juin 2012 ;
IV : Sur la contrefaçon :
Considérant que la SARL Emeraude City soutient que l'imprimé qu'elle commercialise n'est similaire à celui de la SA Louis Vuitton qu'en ce qu'il reprend les caractéristiques relevant du fond commun de la création et non pas les caractéristiques revendiquées par la SA Louis Vuitton au titre du droit d'auteur ;
Qu'elle affirme ainsi que la comparaison entre l'imprimé revendiqué et son imprimé fait apparaître de nombreuses différences au niveau de la couleur de fond d'aspect plus terne, de la répartition moins dense des motifs qui n'ont pas la forme de lettres ou de points ;
Qu'elle ajoute qu'il convient également de tenir compte des éléments non revendiqués par la SA Louis Vuitton (franges sur les bords de l'étole, matières utilisées, apposition du nom " Louis Vuitton ", apparence lice du foulard, dimensions des étoles) malgré leurs caractéristiques et qui ne sont pas repris sur l'imprimé argué de contrefaçon ;
Considérant que la SA Louis Vuitton réplique que l'imprimé reprend toutes les caractéristiques de son imprimé, rappelant que la contrefaçon s'apprécie selon les ressemblances et non selon les différences et que ses droits d'auteur portent sur l'imprimé indépendamment de tout support et non sur les articles vestimentaires qui l'incorporent ;
Considérant ceci exposé, qu'il résulte des dispositions des articles L. 122-4 et L. 335-2 du de la propriété intellectuelle que toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite et constitue un acte de contrefaçon ;
Considérant que la reproduction de l'œuvre, au sens des dispositions qui précèdent, s'apprécie au regard des ressemblances et non des différences et revêt un caractère illicite nonobstant la bonne foi de son auteur ;
Considérant en outre que cette comparaison doit se faire par rapport à l'imprimé expressément revendiqué au titre du droit d'auteur et non par rapport aux articles vestimentaires sur lesquels cet imprimé est reproduit ;
Considérant qu'il ressort du procès-verbal de saisie-contrefaçon et de l'examen des produits opposés, auquel la cour a procédé, que les étoles commercialisées par la SARL Emeraude City sous les références YQ1139 (943145-53 chez Jennyfer) et 999SZ 13 reproduisent, dans la même combinaison, les caractéristiques de l'imprimé 'léopard stylisé' de la SA Louis Vuitton dont elles reprennent les motifs en forme de lettres ou de points répartis de manière " relativement dense ", présentant la particularité d'être bicolores de nature à créer un effet de relief du motif, sur un fond uni et contrastant décliné en quatre coloris (fond rouge, fond taupe, fond marron, fond bleu) ;
Considérant que la seule différence tenant au caractère légèrement moins dense de la répartition des motifs en forme de lettres ou de points n'est qu'une différence de détail non significative ;
Considérant en conséquence que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a dit les actes de contrefaçon de droits d'auteur sur l'imprimé " léopard stylisé " établis à l'encontre de la SARL Emeraude City au préjudice de la SA Louis Vuitton ;
V : Sur les mesures réparatrices de la contrefaçon :
Considérant que la SA Louis Vuitton conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a prononcé des mesures d'interdiction et de remise des produits contrefaisants sous astreinte et en ce qu'il lui a alloué la somme de 20 000 euro en réparation du préjudice moral subi mais à son infirmation en ce qu'il n'a pas retenu l'existence d'un préjudice commercial en raison de la transaction survenue en première instance avec la société Stock J Boutique Jennyfer ;
Qu'elle fait valoir que le protocole transactionnel est confidentiel est ne peut être communiqué et que la société Stock J Boutique Jennyfer ne l'a indemnisée que des seules conséquences de ses actes et non de ceux de la SARL Emeraude City dont il n'est pas vraisemblable qu'elle n'ait eu qu'un seul client alors qu'elle a importé depuis la Chine près de 6.000 étoles contrefaisantes dont seulement 4 800 ont été commandées par la société Stock J Boutique Jennyfer ;
Qu'elle ajoute que les dispositions de l'article 1285 du Code civil relatives à la remise de dette entre codébiteurs solidaires n'est pas applicable en l'espèce ;
Qu'elle réclame ainsi la somme de 5 220 euro au titre des bénéfices indûment réalisés par le contrefacteur et la somme de 1 148 400 euro au titre du gain manqué ;
Considérant qu'à titre subsidiaire, la SARL Emeraude City réplique qu'elle n'a pas eu d'autre réseau de distribution que celui de la société Stock J Boutique Jennyfer et qu'elle n'a donc pas généré de préjudice distinct de celui résultant de l'activité commerciale de cette société et que ce préjudice a déjà été réparé dans le cadre de la transaction intervenue entre ces parties de telle sorte que la SA Louis Vuitton ne peut pas lui réclamer la réparation d'un préjudice dont elle a déjà été indemnisée ;
Qu'en ce qui concerne le préjudice moral elle soutient que la SA Louis Vuitton ne justifie pas de la diminution de l'attrait de sa clientèle pour son étole 'léopard stylisé', ni de l'atteinte qui aurait été portée à son image de marque, ni encore du quantum de ce préjudice, concluant au débouté de la SA Louis Vuitton de l'ensemble de ses demandes indemnitaires ;
Considérant ceci exposé, que le chef du dispositif du jugement entrepris ayant fait interdiction à la SARL Emeraude City d'importer, diffuser et/ou commercialiser par quelque moyen que ce soit les produits litigieux, ainsi que tout produit reproduisant l'imprimé original de la SA Louis Vuitton et ordonné sous astreinte à la SARL Emeraude City de remettre les produits contrefaisants actuellement dans ses stocks et ce, en vue d'une destruction sous contrôle d'huissier à ses frais n'est pas critiqué dans son principe par les parties ; que le jugement entrepris sera donc confirmé de ces chefs, ces mesures ayant pour objet de mettre fin aux actes de contrefaçon et de prévenir leur poursuite ou leur renouvellement ;
Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement les conséquences économiques négatives de l'atteinte aux droits, les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits et le préjudice moral causé à la partie lésée ;
Considérant qu'il résulte du procès-verbal de saisie-contrefaçon et des documents adressés à l'huissier le 20 juin 2012 que la SARL Emeraude City, qui ne commercialise pas directement ses produits, a commandé en Chine 5 800 exemplaires des étoles contrefaisantes dont 4 800 ont été vendues à la société Stock J Boutique Jennyfer, le reste se trouvant encore en stock ;
Considérant que le préjudice économique subi par la SA Louis Vuitton au titre du gain manqué ne résulte donc que de la commercialisation par la société Stock J Boutique Jennyfer des 4 800 exemplaires acquis par cette société auprès de la SARL Emeraude City et que ce préjudice a déjà été réparé à l'occasion de la transaction intervenue en cours de procédure entre les sociétés Louis Vuitton et Stock J Boutique Jennyfer qui a nécessairement tenu compte de ce poste de préjudice ;
Considérant en revanche que cette transaction n'a pu prendre en compte que les bénéfices réalisés par la société Stock J Boutique Jennyfer et que dès lors la SA Louis Vuitton est fondée à réclamer à la SARL Emeraude City, en application des dispositions de l'article L. 331-1-3 une somme distincte au titre des bénéfices réalisés par cette société ;
Considérant que selon les procès-verbaux de saisie-contrefaçon de 7 et 18 juin 2012 et les documents transmis à l'huissier le 20 juin 2012, la SARL Emeraude City a importé les étoles contrefaisantes au prix unitaire moyen de 0,90 euro et en a revendu 4 800 à la société Stock J Boutique Jennyfer au prix unitaire de 1,80 euro ; que sa marge commerciale a donc été de 0,90 euro par article vendu, soit un bénéfice total de 4 320 euro (0,90 X 4 800) ;
Considérant en conséquence que le jugement entrepris sera partiellement infirmé en ce qu'il a débouté la SA Louis Vuitton de sa demande en indemnisation de son préjudice commercial et que statuant à nouveau de ce chef, la SARL Emeraude City sera condamnée à lui payer la somme de 4 320 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice économique correspondant aux bénéfices par elle réalisés ;
Considérant qu'en ce qui concerne le préjudice moral, il convient de relever que les actes de contrefaçon de droits d'auteur ont nécessairement causé à la SA Louis Vuitton un préjudice moral du fait de la banalisation et la dévalorisation de ses produits par la vulgarisation de son imprimé " léopard stylisé " ; qu'il apparaît que les premiers juges ont fait une correcte évaluation de ce préjudice à la somme de 20 000 euro au vu des éléments de la cause ; que le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef ;
VI : Sur la concurrence déloyale et parasitaire :
Considérant que la SA Louis Vuitton conclut à l'infirmation du jugement entrepris qui l'a déboutée de ses demandes à ce titre en faisant valoir qu'il s'agit de demandes distinctes, fondées sur des faits distincts ;
Qu'elle fait valoir que les parties sont en situation de concurrence, commercialisant toutes deux des produits de même nature et que la SARL Emeraude City a commis des actes distincts de concurrence déloyale en copiant son modèle " Savane Rouge " et ses étoles dans une même déclinaison de couleurs et que cette société a indûment tiré profit de ses investissements publicitaires considérables en mettant sur le marché un article dont elle était assurée du succès ;
Qu'elle réclame de ce chef la somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts ;
Considérant que la SARL Emeraude City conclut pour sa part à la confirmation du jugement entrepris de ce chef en invoquant l'absence d'actes distincts de ceux argués au titre de la contrefaçon, le simple fait d'apposer un imprimé 'léopard' relevant de la liberté du commerce et de l'industrie ;
Qu'elle fait également valoir que les différentes couleurs d'étoles qu'elle commercialise ont des nuances totalement distinctes de celles figurant sur les étoles commercialisées par la SA Louis Vuitton ;
Qu'elle ajoute que la SA Louis Vuitton ne démontre pas l'existence d'un risque de confusion, les clientèles n'étant pas les mêmes et une cliente achetant une étole imprimée " léopard " dans une boutique Jennyfer sachant sans aucun doute possible qu'elle n'acquiert pas un produit de la marque Louis Vuitton ;
Qu'à titre subsidiaire elle soutient que le montant réclamé à titre de dommages et intérêts n'est justifié par aucun document probant, les investissements allégués ne concernant pas uniquement le foulard argué de contrefaçon ;
Considérant ceci exposé, que l'action en concurrence déloyale qui tend à réparer un dommage causé par une faute doit s'appuyer sur des faits distincts de ceux de la contrefaçon ; qu'en l'espèce, indépendamment de la contrefaçon de l'imprimé " léopard stylisé ", il ressort des pièces de la procédure que les étoles commercialisées par la SARL Emeraude City reproduisent à l'identique le modèle d'étole " Savane Rouge' commercialisé par la SA Louis Vuitton dans sa collection printemps-été 2009 en reprenant, outre l'imprimé, sur le pourtour une ligne de motifs évoquant des maillons de chaîne stylisés, puis une large bande de couleur rouge suivie d'une bande plus fine de couleur turquoise, d'une seconde ligne de motifs évoquant des maillons de chaîne stylisés et d'une bande de couleur noire ;
Considérant par ailleurs que la SARL Emeraude City décline ses modèles dans des combinaisons de couleurs identiques à celles de la SA Louis Vuitton (noir sur fond rouge, noir sur fond gris bleu, noir sur fond marron) ;
Considérant qu'en reproduisant à l'identique le modèle d'étole " Savane Rouge " commercialisé par la SA Louis Vuitton en le déclinant dans des combinaisons de couleurs identiques, la SARL Emeraude City a créé un effet de gamme constituant une faute distincte des faits de contrefaçon, constitutif d'actes de concurrence déloyale en raison du risque de confusion en résultant pour le consommateur ;
Considérant enfin que la SA Louis Vuitton justifie de ce que son imprimé " léopard stylisé " fait l'objet depuis sa commercialisation, d'investissements publicitaires et de frais de réalisation des brochures annuelles pour en assurer notamment la promotion et que la SARL Emeraude City a profité de ces investissements pour se placer dans son sillage sans bourse délier en commercialisant un modèle d'étole dont le succès était ainsi assuré ; que ces faits sont également constitutifs d'actes de parasitisme ;
Considérant dès lors que le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a débouté la SA Louis
Vuitton de ses demandes au titre de la concurrence déloyale et parasitaire et que statuant à nouveau de ces chefs il sera jugé que la SARL Emeraude City a commis des actes distincts de concurrence déloyale et de parasitisme au préjudice de la SA Louis Vuitton ;
Considérant que ces faits fautifs, au sens de l'article 1382 du Code civil, ont causé un préjudice distinct pour la SA Louis Vuitton en raison de l'atteinte ainsi portée à son image par la SARL Émeraude City en diffusant des produits de piètre qualité, profitant de ses investissements et de la notoriété de la maison Vuitton ; que la cour évalue le préjudice ainsi causé, au vu des éléments du dossier, à la somme de 10 000 euro que la SARL Emeraude City sera condamnée à payer à la SA Louis Vuitton à titre de dommages et intérêts ;
VII : Sur les autres demandes :
Considérant que les préjudices subis par la SA Louis Vuitton sont suffisamment réparés par l'allocation de dommages et intérêts, que c'est à juste titre que les premiers juges n'ont pas ordonné la publication judiciaire de leur décision, le jugement entrepris étant confirmé de ce chef, et que, y ajoutant, la SA Louis Vuitton sera déboutée de sa demande de publication judiciaire du présent arrêt ;
Considérant que du fait de la confirmation du jugement entrepris en ce qui concerne les condamnations pécuniaires, la demande de la SARL Emeraude City en remboursement des sommes versées au titre de l'exécution provisoire du dit jugement et en réparation des conséquences dommageables de l'exécution de ce jugement sont sans objet et que cette société sera déboutée de ces demandes ;
Considérant qu'aucune raison tirée de l'équité ne commande le prononcé de condamnations au paiement des frais exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens, le jugement entrepris étant par ailleurs confirmé en ce qu'il a statué sur les frais irrépétibles de première instance ;
Considérant que la SARL Emeraude City, partie perdante tenue à paiement, sera condamnée au paiement des dépens d'appel, le jugement entrepris étant par ailleurs confirmé en ce qu'il a statué sur la charge des dépens de la procédure de première instance ;
Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté la SA Louis Vuitton de sa demande en réparation de son préjudice économique résultant des faits de contrefaçon et de ses demandes en concurrence déloyale et parasitaire, infirmant et statuant à nouveau de ces chefs et y ajoutant, Condamne la SARL Emeraude City à payer à la SA Louis Vuitton la somme de quatre mille trois cent vingt euro (4 320 euro) de dommages et intérêts en réparation de son préjudice économique résultant des actes de contrefaçon au titre des bénéfices réalisés par la SARL Emeraude City, Dit que la SARL Emeraude City a commis des actes distincts de concurrence déloyale et de parasitisme au préjudice de la SA Louis Vuitton, Condamne la SARL Emeraude City à payer à la SA Louis Vuitton la somme de dix mille euro (10 000 euro) de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant des actes de concurrence déloyale et de parasitisme, Déboute la SA Louis Vuitton de sa demande de publication judiciaire du présent arrêt, Déboute la SARL Emeraude City de ses demandes en remboursement des sommes versées en exécution du jugement entrepris et en réparation des conséquences dommageables de l'exécution du dit jugement, Dit n'y avoir lieu à prononcer de condamnations au titre des frais exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens, Condamne la SARL Emeraude City aux dépens de la procédure d'appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.