CA Amiens, ch. économique, 2 juin 2015, n° 14-00395
AMIENS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Lenormant, Lenormant Finances (SAS), Lenormant Manutention (SAS)
Défendeur :
Fenwick-Linde (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gilibert
Conseillers :
Mme Blondeau, M. Grevin
Avocats :
Mes Le Roy, Bourgeon, Selosse-Bouvet, Hensel, Paetzold
Par jugement rendu le 15 décembre 2011 le Tribunal de commerce de Beauvais, a :
- débouté les sociétés Lenormant Manutention, Lenormant Finances et M. Antoine Lenormant de l'ensemble de leurs demandes,
en conséquence a :
- condamné solidairement les sociétés Lenormant Manutention, Lenormant Finances et M. Antoine Lenormant à payer à la société Fenwick-Linde la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné solidairement les sociétés Lenormant Manutention, Lenormant Finances et M. Antoine Lenormant aux dépens.
Les établissements Lenormant, concessionnaires Renault véhicules industriels ayant leur siège social à Beauvais ont conclu avec la société Linde Manutention (aux droits de laquelle vient la société Fenwick-Linde) le 29 juin 1975 un contrat de concession exclusive de vente des chariots de marque Linde, ainsi que leurs équipements et accessoires, pour l'Oise et le canton de Gournay en Seine-Maritime. Suivant convention de 1982, le territoire concédé a été étendu à l'Aisne. En 1984 le groupe Linde a repris les actifs de la société Fenwick Manutention en liquidation judiciaire et constitué la société Fenwick-Linde qui a poursuivi la relation commerciale avec la société Lenormant Manutention créée concomitamment pour développer l'activité manutention avec un territoire de l'Oise à la Somme, les établissements Lenormant exploitant l'activité de distribution des véhicules industriels Renault. La relation commerciale s'est poursuivie avec la société Fenwick-Linde SARL, le dernier contrat à durée indéterminée ayant été conclu le 6 juin 1995, portant sur la concession de l'exclusivité de la vente et de l'après-vente des chariots de manutention Fenwick-Linde à la société Lenormant Manutention, pour la totalité des départements de l'Aisne, l'Oise et de la Somme, à charge de respecter, en cas de rupture, un préavis de neuf mois au-delà de la cinquième année.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 29 décembre 2008 la société Fenwick-Linde a indiqué à son concessionnaire: "Nous faisons suite à notre entretien du 29 décembre 2008 et nous vous confirmons que nous procédons à la restructuration de notre réseau de distribution en Picardie. Nous résilions donc le contrat de concession n° 95/06 qui nous lie à effet au 30 septembre 2009 et ce conformément à l'article 8.1 dudit contrat. Cependant, si vous le souhaitez, nous sommes disposés à vous accorder un préavis supplémentaire de trois mois, c'est-à-dire une résiliation à effet au 30 décembre 2009... "
Ce délai de préavis de neuf mois s'est prolongé dans les faits de trois mois suite aux courriers échangés par les parties sur la liquidation des relations contractuelles.
La société Lenormant Manutention SAS, la société Lenormant Finances et M. Lenormant Antoine s'estimant lésés par la rupture brutale et par l'insuffisance du délai de préavis accordé par la société Fenwick-Linde ont engagé le20 octobre 2009 2009 une procédure en indemnisation du préjudice subi sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, en revendiquant pour la première société un préavis de six ans et le calcul de l'indemnisation par référence à sa marge et pour, la société Lenormant Finances et M. Lenormant Antoine l'octroi de dommages et intérêts.
Par jugement en date du 15 décembre 2011, le Tribunal de commerce de Beauvais a rendu la décision sus reprise. La société Lenormant Manutention SAS, la société Lenormant Finances et M. Lenormant Antoine ont interjeté appel de cette décision devant la Cour d'appel d'Amiens et parallèlement devant la Cour d'appel de Paris. L'affaire a été radiée du rôle de la Cour d'appel d'Amiens par décision du 17 janvier 2013.
La Cour de cassation, par arrêt en date du 24 septembre 2013, a décidé que " la procédure ayant été introduite par une assignation délivrée antérieurement au 1er décembre 2009, date de l'entrée en vigueur du décret du 11 novembre 2009, les dispositions de l'article D. 442-3 du Code de commerce qui en sont issues ne sont pas applicables et par suite ne peuvent soumettre cette procédure au pouvoir juridictionnel exclusif dévolu à la Cour d'appel de Paris. "
Vu la demande de remise au rôle formée le 17 janvier 2014 par la société Lenormant Manutention SAS, la société Lenormant Finances et M. Lenormant Antoine, représentés par leur conseil;
Vu les dernières écritures en date du 14 janvier 2015, par lesquelles la société Lenormant Manutention SAS, la société Lenormant Finances et M. Lenormant Antoine appelants, demandent à la cour, par infirmation du jugement entrepris, à titre principal, de réformer le jugement sur la durée du préavis, d'en fixer le délai à six années et de condamner la société Fenwick-Linde au paiement:
en compensation de l'absence de préavis effectif au cours de l'année 2009, la somme de 2 700 000 euro de dommages et intérêts,
en compensation de l'insuffisance du préavis de rupture de la relation commerciale, la somme de 45 000 000 euro de dommages et intérêts; très subsidiairement la somme de 12 577 300 euro,
Les appelants demandent à la cour de :
- Dire que la société Fenwick-Linde a engagé sa responsabilité délictuelle à l'égard des sociétés Lenormant Manutention, Lenormant Finances et de Monsieur Antoine Lenormant.
- Condamner la société Fenwick-Linde à payer en réparation de leurs préjudices respectifs: à la société Lenormant Finances, la somme de 62 000 euro de dommages et intérêts, Monsieur Antoine Lenormant, la somme de 50 000 euro de dommages et intérêts.
- Condamner la société Fenwick-Linde à payer à la société Lenormant Manutention la somme de 20 000 euro et à la société Lenormant Finances et à Monsieur Antoine Lenormant la somme de 5 000 euro chacun sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
- Condamner la société Fenwick-Linde en tous les dépens et de débouter la société intimée de ses demandes.
La société appelante qui demande de porter le délai de préavis de une à six années, de fixer son préjudice, fait valoir que la réelle motivation de la société intimée, par l'effet de la brusque rupture des relations commerciales, est de récupérer en direct la marge générée et le fruit du travail de son distributeur sans aucun dédommagement, sans frais et sans investir dans du personnel, elle estime avoir assuré le développement et la notoriété de la marque Fenwick-Linde qui a une position de leader sur le marché de la manutention, elle conteste s'être détournée de la société intimée pour développer des activités parallèles propres, elle estime que le délai de préavis de 12 mois qui n'a pas été respecté est en lui-même insuffisant au regard des critères posés par la jurisprudence, elle expose avoir dû renoncer aux partenariats qu'elle avait noués en 2008 avec la société Manucham, elle produit au titre de l'évaluation du préjudice subi deux rapports d'expertise comptable de M. Demilly, expert judiciaire, à qui il a été demandé de délivrer un avis pour le calcul de la marge perdue en raison de la rupture des relations commerciales entre les parties. La SAS Lenormant Finances quant à elle fait valoir un préjudice né pour elle de la rupture des pourparlers pour un développement externe et du coût des frais d'analyse comptables engagés à cette fin. M. A Lenormant quant à lui fait valoir qu'il a renoncé à une carrière professionnelle chez une société tierce en considération de la poursuite annoncée d'un partenariat de longue durée avec la société Fenwick-Linde dont il a été privé du fait de la rupture des relations contractuelles.
Vu les conclusions de la société intimée Fenwick-Linde en date du 12 janvier 2015 aux termes desquelles cette société soutient qu'elle a appliqué un délai de préavis conforme aux stipulations contractuelles, raisonnable et suffisant pour permettre à la société appelante d'organiser la suite de ses relations commerciales, que le préavis de six ans et la somme sollicités représentent un montant exorbitant, elle demande à la cour, à titre subsidiaire, de procéder à l'estimation la plus juste du préjudice économique de la société appelante au vu du rapport d'expertise économique effectuée par M. Couwez ainsi que la marge à retenir dans le secteur de la manutention.
La société Fenwick-Linde demande à la cour de confirmer purement et simplement le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Beauvais le 15 décembre 2011 ;
En conséquence,
- Dire que le préavis d'une année accordé par la société SARL Fenwick-Linde à la société Lenormant Manutention a été respecté et était suffisant ;
En conséquence,
- Débouter la société Lenormant Manutention de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
Subsidiairement,
- Dire que la société Lenormant Manutention ne démontre pas la réalité du montant de son préjudice allégué ;
Très subsidiairement, ordonner, avant dire droit, une mesure d'expertise financière et missionner, à cette fin, un expert agréé par la Cour de cassation ;
En conséquence,
- Débouter la société Lenormant Manutention de toute ses demandes, fins et conclusions ;
Et,
- Dire que la société SARL Fenwick-Linde n'a pas commis de faute au sens de l'article 1382 du Code civil à l'égard de la société Lenormant Finances ;
- Dire que la société SARL Fenwick-Linde n'a pas commis de faute au sens de l'article 1382 du Code civil à l'égard de Monsieur Antoine Lenormant ;
En conséquence,
- Débouter la société Lenormant Finances et Monsieur Antoine Lenormant de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
- Condamner solidairement les sociétés Lenormant Manutention, Lenormant Finances et Monsieur Antoine Lenormant à payer à la société Fenwick-Linde SARL la somme de 100 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner solidairement les sociétés Lenormant Manutention et Lenormant Finances ainsi que Monsieur Antoine Lenormant aux dépens;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 12 janvier 2015;
Conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux conclusions déposées par les parties qui développent leurs prétentions et leurs moyens.
MOTIFS DE LA DECISION:
Aux termes de l'article L. 442-6 I 5e du Code de commerce : " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels..."
et il appartient au juge de vérifier au vu des données propres de l'espèce que le préavis donné par un des cocontractants est suffisant.
Sur l'existence d'une relation commerciale établie :
En l'espèce il ressort des données que la relation commerciale s'est instaurée entre les établissements Lenormant et la société Linde manutention en 1975 et s'est poursuivie à partir de 1984 entre la société Lenormant manutention et les sociétés Fenwick-Linde.
Sur la rupture :
La résiliation du contrat est intervenue dans le respect du délai de préavis conventionnel de neuf mois qui a été porté à douze mois. Toutefois le respect du préavis n'est pas en lui-même suffisant, au sens du texte sus-visé, pour exonérer le fournisseur du manquement de brusque rupture invoquée et une reconversion réussie est également en elle-même insuffisante ; il doit être déterminé si au regard de la durée de la relation établie la durée du préavis était suffisante pour que le concessionnaire trouve de nouveaux fournisseurs.
En l'espèce, il ressort des pièces produites qu'au délai d'un partenariat d'une durée effective de 35 ans ; au cours des deux années de collaboration (hors préavis) entre 2006 et 2008, la perspective d'un maintien des relations conventionnelles était envisagée.
Ainsi : la teneur des mails préparatoires aux réunions des 12 décembre 2006 et 22 janvier 2008 ainsi que les ordres du jour (présentation et business plan) qui évoquent l'évolution des conditions de coopération avec les membres du réseau, le changement de génération du groupe Lenormant. Deux nouveaux sites à Amiens (ouverts en juin 2007) et à Montataire (en 2008) ont été installés, il est attesté de la reconfiguration des systèmes informatiques aux fins de se conformer aux normes de suivis et d'extraction de données du fournisseur Fenwick-Linde. Parallèlement M. Antoine Lenormant appelé à succéder à M. Yves Lenormant en qualité de dirigeant de la société Lenormant manutention a été détaché au sein de Fenwick-Linde suivant convention du 2 avril 2007 et le préambule de cette convention précise que la formation de ce futur dirigeant se fait dans le cadre d'un rapprochement d'organisation de la société Lenormant manutention à l'organisation Fenwick-Linde.
Par ailleurs, dans le cadre d'une missive en date du 25 juin 2008 M. Lautrey directeur général de la société Fenwick-Linde faisait part de la revente de l'activité Nissan du groupe Sofiecham avec lequel Lenormant était en pourparlers pour un développement externe comme " un pré requis à la poursuite de notre business plan. "
Dès lors Fenwick-Linde ne peut nier que des investissements ont été réalisés dans la perspective de la poursuite de relations contractuelle et qu'en outre elle s'attachait à conserver une obligation de concession exclusive à charge de Lenormant manutention.
Ces données de fait qui s'inscrivent dans le cadre d'un partenariat qui permet un développement de chacune des entités doit être envisagé dans le cadre du présent litige sous l'angle du caractère brutal de la rupture.
Si l'existence d'une situation de dépendance économique de la société qui subit la rupture n'est pas une condition d'application des dispositions de l'article L. 442-6 I 5e du Code de commerce sus repris, l'importance du chiffre d'affaire réalisé avec le fournisseur est un élément d'appréciation pour déterminer la possibilité plus ou moins rapide de reconversion et partant la durée du préavis nécessaire.
En l'espèce il résulte des données chiffrées soumises au débat que la société Lenormant manutention a réalisé sur les deux derniers exercices précédant la notification de la rupture un chiffre d'affaire de 89 % en 2007 et chiffre d'affaire de 91 % en 2008 avec le fournisseur de la marque Fenwick-Linde toutes activités confondues (ventes, locations, maintenance). La circonstance que cette activité est recentrée sur une seule filiale de l'ensemble des sociétés du " groupe " Lenormant est en elle-même sans emport, dès lors que c'est la seule SAS Lenormant qui est le cocontractant de Fenwick-Linde et que tant l'indépendance juridique que l'indépendance économique de cette société ne sont aucunement en cause.
Dès lors que la société Fenwick-Linde a imposé dans le cadre des relations contractuelles une obligation de non-concurrence, cette exclusivité doit être prise en compte dans le cadre de l'appréciation de la brusque rupture.
La société Lenormant manutention a dû changer de fournisseur pour assurer sa pérennité. La société appelante met en avant les spécificités du marché de la manutention industrielle et l'importance de la société Fenwick-Linde sur ce marché (30 % du marché français) dont elle s'est retrouvée privée. Si la distribution d'une marque faiblement implantée peut permettre le développement d'un chiffre d'affaire comparable à celui d'une marque plus importante il n'en demeure pas moins que l'organisation de la reconversion sur une ou plusieurs marques et sur un territoire éventuellement plus important que celui de l'implantation d'origine implique un délai important.
Enfin, la nécessaire formation du personnel tant sur la vente que sur l'après-vente et les contraintes liées au stock de pièces de rechange doivent également être appréciées à l'aune du caractère brutal de la rupture et non de la rupture elle-même. Au regard de l'ensemble de ces éléments, alors que les parties étaient en relation commerciales depuis trente-cinq ans, que les produits de la société Fenwick-Linde objets de la concession exclusive sur une zone géographique constituent une part majeure de l'activité de la société Lenormant manutention, le préavis accordé était insuffisant pour permettre à celle-ci de réorganiser ses activités et son personnel et de trouver de nouveaux marchés sur le secteur d'activité concerné, eu égard à la durée des relations et de l'attente légitime de stabilité de la société appelante qui pouvait escompter une certaine continuité des relations d'affaires comme cela avait été exprimé en juin 2008 (quand la société intimée a rappelé l'existence d'un business plan) et le jugement doit être infirmé, un préavis de deux ans devant être accordé au concessionnaire.
Sur la durée effective du préavis :
La société Lenormant manutention fait valoir que du fait des agissements de la société Fenwick-Linde le préavis de rupture s'est trouvé vidé de sa portée et sollicite indemnisations à ce titre. Au soutien de ce moyen la société Lenormant manutention fait valoir l'information donnée à ses agences directes par Fenwick-Linde de la décision de rupture qui ont porté cette information à la connaissance de la clientèle, lui retirant ainsi son crédit commercial, et la baisse subséquente de commandes qui s'en est suivie à hauteur de 56,2 % en 2009 alors que l'ensemble réseau Fenwick-Linde n'a connu qu'une baisse de 25,3 %. Tous éléments réfutés pas la société intimée.
Il convient d'observer qu'aucune condition du contrat qui liait les parties n'impose spécifiquement d'obligations de discrétion. En outre, la société Lenormant manutention fait état de l'initiative d'un collaborateur de la société Fenwick-Linde d'informer une société FM Logistique qui avait exprimé le souhait d'acquérir 32 matériels. Or il n'est pas dénié que ce client qui était un client national, réservé à Fenwick-Linde qui a ensuite retransmis la commande à Lenormant manutention, a commandé 26 matériels de sorte que le préjudice allégué ne paraît pas établi. La société Lenormant manutention fait état d'une filiale de Fenwick-Linde, Normandie Manutention auprès d'un de ses client avisé de la fin de la concession. Or cet agissement ne paraît pas être directement imputable à la société intimée et les conséquences en terme de chiffre d'affaire manqué ne sont pas établies, non plus que la perte d'image commerciale alléguée.
Par ailleurs ainsi que l'ont exactement relevé les premiers juges différentes raisons et notamment l'obligation d'informer la clientèle impactée par la rupture, la difficulté de garder secrète une information pendant toute une année et l'origine des indiscrétions étant difficilement décelables ne permettent pas d'imputer une faute à la société Fenwick-Linde.
En outre le lien de causalité entre la divulgation de l'information et la baisse de chiffre d'affaire en terme de commande de matériel sur le dernier trimestre 2009 est insuffisamment établi, d'autres concessionnaires ayant vu leur chiffre d'affaire chuter et le fournisseur lui-même ayant connu baisse globale de chiffre d'affaire sur l'année 2009.
Il convient en conséquence de débouter la société Lenormant manutention de ce chef et de confirmer la décision entreprise sur ce point.
Sur l'indemnisation de la brusque rupture :
Seul le préjudice réel résultant du caractère brusque de la rupture doit être indemnisé. Le préjudice correspond non pas au chiffre d'affaire mais au gain manqué soit uniquement la marge brute sur la période qui correspond à la durée du préavis qui aurait dû être respectée.
En l'espèce la durée du préavis eu dû être de deux années, alors qu'elle a été d'une année, l'indemnisation doit en conséquence porter sur une année.
Les parties s'opposent sur l'assiette du calcul incluant ou non l'activité location. La société Fenwick-Linde fait valoir que la société Lenormant manutention a conservé le bénéfice de ces derniers contrats conclus sur une longue durée soit au-delà de la résiliation de la convention de concession. Les deux parties invoquent chacune des analyses comptables établies par des spécialistes rémunérés par chacune d'elles. La société appelante produit deux rapport d'analyses de M. Demilly, le premier daté du 14 septembre 2009 détermine pour les années 2007/2008 une marge brute globale extraite de la comptabilité SAS Lenormant manutention de neuf millions d'euros en liaison avec la marque Fenwick-Linde et le second daté du 7 novembre 2012 qui analyse l'impact de la rupture du contrat Fenwick-Linde en terme de capacité d'autofinancement et qui évoque l'acquisition d'un fond de commerce Manustra Industrie en 2010, des charges de structure en raison du développement du nombre de sites et en personnel des dépenses de formations et investissements en matériels.
La société Fenwick-Linde pour sa part produit une première étude de M. Couwez datée du 22 juillet 2010 qui pour sa part fait valoir la spécificité de l'activité des entreprises du secteur de la manutention pour lesquelles les activités de maintenance et de réparation des chariots d'occasion et location longue et courte durée permettent de dégager l'essentiel de la marge de l'entreprise et mobilisent l'essentiel de ses moyens, marge résultant des ventes qui est selon cet expert seul à prendre en considération comme étant la seule impactée par la résiliation du contrat. Une deuxième étude du même expert analyse la portée de l'évolution de la capacité d'autofinancement comme indicateur.
Toutefois le préjudice indemnisable est celui qui résulte du caractère brusque de la rupture ; ainsi, les investissements réalisés, l'embauche du personnel pour les nouvelles agences ouvertes relèvent des conséquences de la rupture du contrat qui a induit une nouvelle orientation commerciale avec des investissements matériels, personnels et formations lesquels ne relèvent pas du caractère brutal de la rupture. Le principe est celui de la réparation intégrale du préjudice en lien direct et étroit avec le fait dommageable. En l'espèce, il échet de retenir que la perte liée à la brusque rupture porte sur l'ensemble de l'activité sans qu'il ait lieu de distinguer dès lors que la société appelante se trouve privée à la fois des ventes de chariots neufs mais également des nouveaux contrats de location et de maintenance y afférents pendant la période de préavis qui est seule indemnisée.
Au vu des éléments comptables fournis, il convient de retenir une somme de neuf millions d'euros de dommages et intérêts au titre de réparation du préjudice subi par la SAS Lenormant manutention.
Sur le préjudice invoqué par la société Lenormant Finance :
La société Lenormant Finance fait valoir que l'exigence d'exclusivité du groupe Fenwick-Linde quelque mois avant la rupture des relations commerciales a provoqué la rupture des négociations ouvertes avec la société Sofiecham et lui ont causé un préjudice. La société Fenwick-Linde rétorque que cette démarche s'était faite en violation de la clause d'exclusivité et refuse l'existence d'un préjudice.
La cour rejoindra sur ce point l'analyse des premiers juges qui ont rappelé l'interférence de ces négociations avec un concurrent du groupe Fenwick-Linde et ajoutera que les éléments de préjudices allégués ne sont pas établis.
Sur le préjudice invoqué par M. Antoine Lenormant :
A. Lenormant fait valoir au soutient de sa demande dommages et intérêts qu'il est une tierce victime de la rupture des relations contractuelles car il a renoncé aux fonctions qu'il occupait au sein d'une société Tractel dans le cadre du processus d'agrément successoral à la tête de la société Lenormant Manutention convenu avec Fenwick-Linde. Cette dernière société réplique qu'elle n'a commis aucune faute à son égard.
La cour rejoindra l'analyse faite par les premiers juges. En effet, A. Lenormant a été détaché au sein de l'agence Fenwick-Linde de Reims du 2 avril 2007 au 31 décembre 2007 et est resté salarié de Lenormant manutention pendant cette période. Le changement générationnel de direction au sein de la société Lenormant Manutention devait être fait dans le cadre de la clause d'intuitu personae du contrat de concession.
Enfin la rupture de cette convention n'a pas induit pour A. Lenormant une modification quant à la direction de la société Lenormant Manutention.
Dès lors M. A. Lenormant sera débouté de ses demandes.
Sur les autres demandes :
La société Lenormant Finance et M. A. Lenormant appelants qui succombent dans leurs prétentions seront déboutés de leurs demandes formées au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
La société intimée, qui succombe, sera condamnée à payer à la société Lenormant Manutention SAS appelante la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, verra sa propre demande de ce chef rejetée et supportera les dépens d'appel ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Infirme le jugement entrepris, Statuant à nouveau, Condamne la société Fenwick-Linde à payer à la SAS Lenormant Manutention la somme de neuf millions d'euros au titre de dommages et intérêts ainsi que la somme de cinq mille euros (5 000) en application de l'article 700 du Code de procédure civile; Déboute la société Lenormant Finance SAS et M. A. Lenormant de leurs demandes de dommages et intérêts et de leurs demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile; Déboute chacune des parties de ses demandes plus amples ou contraires; Condamne la société Fenwick-Linde aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés aux forme et condition de l'article 699 du Code de procédure civile.