CA Riom, 3e ch. civ. et com., 3 juin 2015, n° 14-01040
RIOM
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
HDV Motor (SARL)
Défendeur :
Dafy Moto (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tamalet
Conseillers :
Mme Javion, M. Riffaud
Avocats :
Mes Bellet, Lacquit, de Rocquigny, Collet
Faits - Procédure et prétentions des parties
La SA Dafy Moto ayant la qualité de franchiseur et la SARL HDV Motor ayant celle de franchisé, ont signé le 24 mai 2008 un contrat de franchise.
Le 17 mai 2010, un avenant à ce contrat est venir réduire le territoire d'exclusivité territoriale du franchisé.
Le 16 mars 2011, la SA Dafy Moto a notifié à la SARL HDV Motor la résiliation du contrat.
Par acte d'huissier de justice du 19 avril 2012, la SARL HDV Motor a fait assigner la SA Dafy Moto devant le Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand pour voir, notamment, dire que la SA Dafy Moto a manqué à l'exécution loyale et de bonne foi de contrat et qu'elle l'a résilié de manière déloyale et abusive et obtenir réparation de son préjudice.
Par jugement du 20 février 2014, la juridiction consulaire a débouté la SARL HDV Motor de l'intégralité de ses demandes, débouté la SA Dafy Moto de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts et a condamné la SARL HDV Motor aux dépens et à payer à son adversaire la somme de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Suivant déclaration enregistrée au greffe de la cour le 28 avril 2014, la SARL HDV Motor a relevé appel de cette décision.
La SARL HDV Motor, dans ses dernières écritures signifiées le 30 janvier 2015, sollicite l'infirmation de la décision et demande à la cour de :
- dire que la SA Dafy Moto a résilié le contrat de franchise deux ans avant son terme contractuel, sans mise en demeure préalable, en contravention avec les termes et modalités de l'article 16 du contrat de franchise et en violation de la loi des parties,
- dire que la résiliation effectuée le 16 mars 2011 en exécution de la clause résolutoire insérée dans l'article 16 du contrat de franchise est irrégulière et sans effet,
- dire que les manquements reprochés par la SA Dafy Moto ne correspondent pas à des actes déloyaux d'une gravité suffisante pour justifier une résiliation du contrat,
- dire qu'en tout état de cause les manquements énoncés par la SA Dafy Moto dans sa lettre de résiliation ne sont pas caractérisés,
- dire que la SA Dafy Moto ne rapporte pas la preuve de la réalité de la violation des articles 5 et 6 du contrat de franchise, et notamment de la clause d'exclusivité territoriale,
- dire que les manquements reprochés ont pour cause un manquement total du franchiseur à son obligation d'assistance tant lors de l'ouverture que lors de l'exécution du contrat,
- dire qu'elle a loyalement exécuté les termes du contrat de franchise et n'a manqué à aucune de ses obligations,
- dire que la société adverse a résilié le contrat de franchise de manière irrégulière, déloyale et abusive,
- dire que la résiliation du contrat de franchise sera prononcée aux torts exclusifs de la SA Dafy Moto,
- condamner la SA Dafy Moto a réparer l'intégralité de son préjudice,
- débouter la SA Dafy Moto de son appel incident et de l'intégralité de ses prétentions,
- la condamner au paiement des sommes suivantes :
23 046 euro au titre de la dette de comptes courants d'associés,
120 000 euro au titre du manque à gagner résultant de l'absence de vente du fonds de commerce valorisable à un prix minimum de 300 000 euro et de la perte de valeur dudit fonds,
8 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la SA Dafy Moto aux entiers dépens.
Elle soutient que la résiliation du contrat de franchise est dépourvue de toute valeur dès lors qu'en violation de l'article 16 de ce contrat le courrier du 16 mars 2011 lui a notifié une résiliation irrévocable et définitive sans lui accorder le délai d'un mois prévu pour remédier aux prétendus manquements exposés par le franchiseur.
Elle ajoute que les manquements listés dans le courrier du 16 mars 2011 ne constituent pas des manquements graves susceptibles de justifier une résiliation unilatérale et immédiate du contrat de franchise.
Elle sollicite que la résiliation de la convention soit prononcée, conformément au principe posé par l'article 1184 du Code civil, et qu'elle ne prenne effet qu'à la date de la décision.
Elle explique qu'elle n'a jamais eu l'intention de transgresser la clause d'exclusivité territoriale puisque l'annonce publiée dans le journal Top Annonces distribué sur Fréjus était une erreur imputable à la société exploitant ce journal. En outre, elle dément formellement avoir adressé un SMS à un client se situant sur le territoire du franchisé de Fréjus faisant état d'une opération promotionnelle.
Elle soutient qu'elle a toujours parfaitement exécuté le contrat de franchise dans la mesure où elle a mis en place l'intégralité du concept Dafy dans son point de vente, qu'elle a respecté toutes les normes du réseau, qu'elle a contribué, par des publicités régulières et variées, au développement de la marque et de l'enseigne dans la région, et qu'elle a réalisé de très bons chiffres permettant au franchiseur de percevoir 5 % du chiffre d'affaires.
Elle affirme a contrario que c'est le franchiseur lui-même qui a manqué à ses obligations de bonne foi, de loyauté et d'assistance puisqu'il lui a imposé, sans aucune contrepartie, une réduction de sa zone d'exclusivité territoriale, en la menaçant de rompre le contrat pendant la période probatoire, qu'il ne l'a pas correctement accompagnée lors de l'ouverture du magasin et qu'il ne lui a fourni aucun conseil, ni aucune aide à l'issue de la visite du 19 novembre 2011 alors qu'il s'était engagé à la former sur le logiciel de gestion des stocks.
Elle considère que le franchiseur ne peut lui reprocher des retards de paiement dès lors que ces derniers sont peu importants et qu'ils sont intervenus à une période difficile puisque son chiffre d'affaires avait fortement diminué en raison de la politique d'implantation du franchiseur qui avait choisi d'ouvrir un autre magasin à Fréjus, concurrençant fortement celui qu'elle exploite.
Par conséquent, elle fait valoir que la résiliation présente un caractère abusif et déloyal.
La SA Dafy Moto, dans ses dernières écritures signifiées le 16 septembre 2014, sollicite la confirmation de la décision et demande à la cour de :
- faire droit à sa demande indemnitaire formée à titre incident,
- condamner la SARL HDV Motor au paiement de la somme de 20 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait du trouble commercial subi consécutif aux manquements du franchisé, de l'atteinte à l'image de son enseigne et de sa marque et du préjudice subi compte-tenu de la procédure abusive dont elle a fait l'objet,
- condamner la SARL HDV Motor au paiement de la somme de 8 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la même aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Collet & associés, avocat.
Elle soutient qu'elle a respecté les stipulations contractuelles et notamment l'article 16 du contrat de franchise puisqu'elle a indiqué dans son courrier du 16 mars 2011 que la résiliation serait effective à l'issue du préavis d'un mois.
Elle expose que les défaillances du franchisé justifiaient la résiliation du contrat car elle a reçu plusieurs plaintes de clients, que dès la fin de l'année 2010 et le début de l'année 2011, il a multiplié les retards de paiement à son égard et auprès de différents fournisseurs, qu'il a transgressé la clause d'exclusivité territoriale puisqu'il a publié une annonce dans un journal visant expressément les secteurs de Fréjus et Saint-Raphaël et qu'il a informé des clients affiliés au magasin de Fréjus d'une opération commerciale du 4 mars 2011.
Elle affirme qu'elle a toujours été de bonne foi durant l'exécution du contrat que la SARL HDV Motor ne peut lui reprocher de lui avoir fait signer un avenant réduisant sa zone d'exclusivité territoriale auquel elle a librement consenti et elle souligne qu'elle a rigoureusement observé son obligation d'assistance et de formation.
A titre subsidiaire, elle considère que les demandes indemnitaires du franchisé sont infondées dans leur quantum puisque les pertes d'exploitation ne résultent pas de la rupture du contrat mais de la défaillance du franchisé dans la gestion courante de son magasin et que les apports en compte courant opérés par les associés ont pour seule origine l'incurie de l'exploitant qui s'est intensifiée tout au long de l'exercice 2010.
En revanche, elle estime que sa demande de dommages-intérêts est justifiée car la SARL HDV Motor a porté atteinte à l'image de l'enseigne et de la marque et qu'elle a abusé de son droit d'ester en justice.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 février 2015.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
- Sur la résiliation du contrat :
Le premier alinéa de l'article 16 du contrat de franchise prévoit que ce "contrat pourra être résilié de plein droit à la demande de l'une des parties en cas d'inexécution par l'autre d'une quelconque de ses obligations. Sauf faute grave qui impliquera une résiliation immédiate, la résiliation prendra effet un mois après envoi d'une mise en demeure restée infructueuse adressée par lettre recommandée avec avis de réception".
Dans sa lettre recommandée de résiliation du 16 mars 2011, la SA Dafy Moto, a notifié à sa cocontractante la rupture à la date du 16 avril suivant et a expressément précisé " en respect du préavis d'un mois prévu au contrat ". Elle a ainsi renoncé à se prévaloir de la faute grave impliquant une rupture immédiate et il lui appartenait en conséquence, conformément au contrat, de mettre préalablement la SARL HDV Motor en demeure de respecter ses obligations.
Tel n'est pas l'objet de la lettre sus-visée, qui énonce les griefs du franchiseur à l'égard de la société franchisée et annonce, immédiatement, la rupture du contrat même si l'effet en est différé au 16 avril 2011. En procédant ainsi, la SA Dafy Moto s'est affranchie du formalisme prévu au contrat.
Cette société soutient que les manquements reprochés à la SARL HDV Motor n'étaient pas amendables et qu'ils justifient la résiliation du contrat.
Néanmoins, s'il est fait état de retards de paiement, en principe qualifiés de faute grave par le deuxième alinéa de l'article 16 du contrat, la SA Dafy Moto qui, précisément, n'a pas fait choix de la procédure applicable à des manquements ainsi qualifiés, ne démontre pas que leur montant de 3 349,27 euro en novembre 2010 auprès d'elle et de 1 687,69 euro en décembre 2010 auprès du fournisseur Mecanic Sport, la dispensait de mettre sa cocontractante en demeure.
Il en est de même des réclamations de la clientèle ou encore de l'insuffisante mise en valeur des marques propres au franchiseur qui, s'elles ne dénotent pas l'existence d'une politique commerciale assurant une promotion dynamique de ses produits et un service irréprochable à la clientèle, ne constituent pas autant de manquements graves auxquels la SARL HDV Motor, dûment mise en demeure, n'était pas susceptible de remédier.
Enfin, la transgression de la clause d'exclusivité territoriale n'est pas suffisamment prouvée par la production d'une publicité diffusée dans un journal d'annonce et dont les conditions de diffusion ne sont pas éclaircies et par la justification de l'envoi d'un unique SMS à un client d'un magasin voisin.
C'est donc au mépris des dispositions du contrat de franchise que la SA Dafy Moto en a imposé la résiliation à la SARL HDV Motor sans l'avoir préalablement mise en demeure.
La décision des premiers juges devra, en conséquence être intégralement réformée.
- Sur l'indemnisation du préjudice de la SARL HDV Motor :
La SA Dafy Moto qui se voit imputer la charge de la rupture, est tenue à réparation du préjudice qui en est résulté pour la SARL HDV Motor.
Pour justifier de son dommage, cette dernière invoque la nécessité de rembourser un compte courant d'associé comptabilisé dans les comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2010 pour 23 046 euro.
Toutefois, outre le fait que le montant de compte a fluctué tout au long de la vie de la société en fonction des avances qui lui étaient consenties par ses associés (43 969 euro en 2008, 28 078 euro en 2009, 30 596 euro en 2011), il n'est pas établi que ces sommes ont été investies pour la seule exploitation du concept Dafy Moto.
La SARL HDV Motor invoque aussi le fait, qu'elle n'a pu que céder son droit au bail pour le prix de 180 000 euro et non son fonds de commerce dont elle évalue la valeur à 300 000 euro, mais elle ne produit pas d'élément relatif à la valorisation dudit fonds. Au surplus, la cour note que le droit au bail avait été acquis pour 100 000 euro suivant acte du 7 juin 2007 (pièce n° 33).
Cette société, qui avait accepté l'avenant relatif à la réduction de l'étendue de son exclusivité territoriale ne peut valablement en faire grief à la SA Dafy Moto.
L'examen des éléments comptables montre que le chiffre d'affaires passé de 539 623 euro en 2008, à 890 345 euro en 2009, était redescendu à 784 672 euro en 2010 et à 654 764 euro l'année de la rupture.
S'il apparaît une baisse du chiffre d'affaires de 129 908 euro entre 2010 et 2011, la SARL HDV Motor ne produit toutefois pas d'élément sur la part représentée par la vente de produits " Dafy " au cours de son activité et qui était de l'ordre de 9,5 % de son chiffre d'affaires 2010 selon les reproches qui lui étaient adressés par la partie adverse.
Par ailleurs, les mêmes documents comptables montrent que les résultats étaient faiblement bénéficiaires avant l'année de la rupture (9 066 euro en 2008, 17 204 euro en 2009 et 8 998 euro en 2010) qui s'est traduite par une perte de 88 590 euro et il existait des retards de paiement des factures dès la fin de l'année 2010 et le début de l'année 2011.
La SARL HDV Motor ne démontre donc pas que l'absence de cession de son fonds de commerce est imputable à la rupture du contrat de franchise et qu'elle a subi un préjudice distinct des frais exposés à l'occasion de son changement d'enseigne et qui s'établissent selon les factures produites à 2 330,97 euro et du trouble qui en est résulté dans ses conditions d'exploitation et qui sera évalué à 10 000 euro.
Elle se verra donc allouer une indemnité d'un montant global de 12 330,97 euro.
- Sur les autres demandes
La société Dafy Moto, qui se voit imputer la charge de la rupture verra sa demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts rejetée et les deux parties seront déboutées du surplus de leurs demandes.
La SA Dafy Moto, qui succombe, supportera la charge des dépens et sera condamnée à payer à la SARL HDV Motor une indemnité de 3 000 euro au titre de ses frais irrépétibles.
Par ces motifs LA COUR, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Infirme le jugement déféré, Constate que c'est au mépris des dispositions de l'article 16 du contrat que la SA Dafy Moto a procédé à la résiliation du contrat de franchise conclu la SARL HDV Motor, Dit qu'en conséquence la charge de la rupture du contrat lui est imputable, Condamne la SA Dafy Moto à payer à la SARL HDV Motor la somme de douze mille trois cent trente euro et quatre-vingt-dix-sept centimes (12 330,97 euro) en réparation de son préjudice, Déboute les deux parties du surplus de leurs demandes, Condamne la SA Dafy Moto, aux dépens et à payer à la SARL HDV Motor une indemnité de trois mille euro (3 000 euro) en application de l'article 700 du Code de procédure civile.