Cass. com., 9 juin 2015, n° 14-17.025
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Nocibé France (SAS)
Défendeur :
Président de l'Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie, du Redressement productif et du Numérique, Procureur général près la Cour d'appel de Paris
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Rapporteur :
Mme Orsini
Avocats :
SCP Monod, Colin, Stoclet, SCP Boré, Salve de Bruneton
LA COUR : - Sur le moyen unique : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 avril 2014), rendu sur renvoi après cassation (Chambre commerciale, financière et économique, 11 juin 2013, pourvoi n° 12-14.584), que le Conseil de la concurrence (le Conseil) devenu l'Autorité de la concurrence s'est saisi d'office, le 21 octobre 1998, de la situation de la concurrence dans le secteur de la parfumerie de luxe ; que, par décision n° 06-D-04 bis du 13 mars 2006 rectifiée le 24 mars 2006, le Conseil a dit que treize sociétés, exploitant des marques de parfums et cosmétiques de luxe, et trois distributeurs, dont la société Nocibé France (la société Nocibé), avaient enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 81 du Traité CE, devenu l'article 101 TFUE, en participant à une entente sur les prix et leur a infligé des sanctions pécuniaires ;
Attendu que la société Nocibé fait grief à l'arrêt de lui infliger une sanction pécuniaire alors, selon le moyen : 1°) que les sanctions pécuniaires sont déterminées individuellement pour chaque entreprise sanctionnée et de façon motivée pour chaque sanction ; que la participation d'un distributeur au système de police des prix mis en place par ses fournisseurs doit impérativement être constatée pour justifier une quelconque sanction à son égard ; qu'en effet, la simple acceptation de niveaux de prix de revente souhaités par ses fournisseurs ne saurait justifier l'existence d'une sanction, qui plus est déterminée sur les mêmes bases que celles appliquées aux fournisseurs ayant tenté de lui imposer des prix de revente ; que cette exigence, qui ressort de la pratique décisionnelle constante de l'Autorité de la concurrence, a été confirmée par la Cour de cassation dans sa décision du 11 juin 2013 qui a censuré les motifs de l'arrêt du 26 janvier 2012 contradictoires sur la question de la participation de la société Nocibé à la police des prix mise en place par les fournisseurs, exigeant ainsi de la juridiction de renvoi qu'elle examine tout particulièrement ce point au titre de la détermination d'une éventuelle sanction à l'encontre de la société Nocibé ; que, devant la cour de renvoi, la société Nocibé soutenait qu'elle n'avait aucunement participé au système de police des prix, ce qui devait conduire à l'exonérer de toute sanction ; qu'en écartant ce moyen comme inopérant dès lors qu'il relèverait de la seule preuve de l'entente, la cour d'appel a violé l'article L. 464-2 du Code de commerce ; 2°) qu'elle faisait valoir que l'unique infraction qui lui était reprochée était d'avoir, pour la seule année 1999, manifesté vis-à-vis de quelques marques sa volonté d'appliquer les prix conseillés ; qu'en se bornant, pour déterminer le montant de la sanction, à relever que " la participation active de la société Nocibé à l'entente, pendant toute la période durant laquelle elle a fonctionné (1997 à 1999) a été démontrée " et que la société Nocibé avait " reconnu en 1999 déterminer ses prix "à partir du prix d'achat et du prix de vente conseillé communiqué par les marques" ", sans expliquer, ne serait-ce que sommairement, en quoi la participation de la société Nocibé à l'entente pouvait être regardée comme active et quels faits précis pouvaient être reprochés à la société Nocibé pour les années 1997 et 1998 et justifier le maintien d'une sanction d'une telle importance - sanction revêtant une nature quasi pénale -, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ensemble l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme ; 3°) qu'elle faisait valoir qu'en pratique, elle n'avait pas appliqué les prix souhaités par les fabricants et qu'elle avait lutté pour conserver son autonomie, malgré la pression des fournisseurs ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions, dont il résultait que la société Nocibé avait adopté un comportement constituant une circonstance atténuante pour le calcul de la sanction susceptible de lui être infligée, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure ; 4°) que le principe d'individualisation de la sanction consiste à sanctionner de manière différenciée les entreprises ayant participé à une même entente en fonction de la situation individuelle de chacune et de la gravité des faits qui leur sont respectivement reprochés ; que la société Nocibé soutenait que le juge ne pouvait, sans violer ce principe, sanctionner de la même manière les fournisseurs qui étaient à l'initiative de l'entente et les distributeurs qui l'avaient simplement subie, et qu'il devait prendre en compte la capacité contributive des différentes entreprises ; qu'en écartant cette argumentation comme inopérante sur la seule considération que, par principe, la détermination de la sanction ne pourrait pas tenir compte des sanctions prononcées à l'encontre d'autres entreprises, la cour d'appel a violé l'article L. 464-2 du Code de commerce ; 5°) que le principe de proportionnalité de la sanction implique de retenir comme chiffre d'affaires de référence le chiffre d'affaires réalisé lors de la dernière année de l'infraction ; que cette règle s'impose tout particulièrement lorsque la durée de la procédure a été longue et que le chiffre d'affaires des entreprises concernées a considérablement évolué depuis, indépendamment de toute incidence de l'infraction, ainsi qu'il ressort d'une jurisprudence constante, d'ailleurs désormais intégrée au Communiqué de l'Autorité de la concurrence relatif à la détermination des sanctions ; qu'en retenant comme chiffre d'affaires de référence le dernier connu à la date de la sanction, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si ce choix ne la conduisait pas à prononcer une sanction disproportionnée, en raison de la croissance de la société Nocibé depuis 1999, date de l'infraction, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 464-2 du Code de commerce ensemble l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'analysant la portée de la cassation partielle résultant de l'arrêt du 11 juin 2013, la cour d'appel a exactement retenu que la participation active de la société Nocibé à une entente sur les prix était définitivement acquise et en a déduit, à bon droit, que le moyen tiré de l'absence de participation de la société Nocibé à la police des prix mise en place par les fournisseurs, opposé par cette société au soutien de sa demande d'annulation de la sanction, était inopérant ;
Attendu, en deuxième lieu, qu'ayant relevé que la société Nocibé avait, en 1999, reconnu déterminer ses prix à partir du prix d'achat de vente conseillé par les marques et retenu que sa participation active à l'entente était établie pendant toute la durée durant laquelle celle-ci avait fonctionné, soit de 1997 à 1999, la cour d'appel a répondu, en les écartant, aux conclusions prétendument délaissées par lesquelles la société Nocibé soutenait ne pas avoir appliqué les prix souhaités par les fabricants ;
Et attendu, enfin, que s'étant prononcée sur la gravité des pratiques d'ententes verticales sur les prix auxquelles la société Nocibé et les autres entreprises impliquées avaient participé ainsi que sur l'importance du dommage causé à l'économie, en prenant en compte, notamment, l'étendue du marché affecté par ces pratiques, par référence au chiffre d'affaires annuel de l'ensemble des fournisseurs durant la période de l'infraction, l'arrêt relève que la part de marché de la société Nocibé, au moment des faits, était inférieure à 5 % et ne lui permettait pas d'exercer une influence notable sur le marché des parfums et cosmétiques de luxe et précise le montant du chiffre d'affaires, hors taxes et hors exportations, réalisé par cette société Nocibé au cours du dernier exercice clos au moment du prononcé de la décision du Conseil ; que la cour d'appel, qui a écarté à bon droit le grief tiré de la comparaison avec les autres sanctions prononcées, et qui a déterminé, de manière individuelle, le montant de la sanction infligée à la société Nocibé, dont elle a souverainement apprécié la proportionnalité au regard des critères définis à l'article L. 464-2 du Code de commerce, a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Par ces motifs, Rejette le pourvoi.